Le 22 février 1961, la fusée-sonde Véronique emportait dans l’espace le rat Hector. La France s’initiait ainsi aux vols biologiques, tout comme l’avaient fait avant elle les Américains et les Soviétiques.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Américains et Soviétiques utilisent des missiles balistiques en tant que fusée-sonde pour effectuer des vols biologiques, afin d’en savoir plus sur les conditions de vie dans l’espace. Ainsi, à partir de 1948, de nombreux animaux sont lancés, dont plusieurs macaques rhésus par les Américains, des chiens par les Soviétiques. Au tout début des années 60, la France rejoint les deux grands en envoyant à son tour des animaux dans l’espace…
En janvier 1959, les scientifiques français obtiennent du pouvoir politique la mise en place du Comité des recherches spatiales (CRS). L’organisme doit coordonner et fédérer les activités spatiales naissantes, mais aussi définir le premier programme spatial national. Parmi les propositions avancées au sein du CRS figure celle du Centre d’étude et de recherche de médecine aéronautique (CERMA) qui, dirigé par le médecin-général Grandpierre, propose d’effectuer des vols d’animaux à bord de la petite fusée-sonde Véronique AGI, un engin tout juste opérationnel. Grandpierre étudie depuis les années 40 les problèmes liés au vol à de hautes altitudes et l’avènement de Véronique lui offre l’opportunité d’effectuer ces études dans un milieu de micropesanteur. Le choix se porte d’abord sur le rat en raison du volume limité de la pointe de la fusée, de la capacité de cet animal à pouvoir résister à d’importantes accélérations de la fusée de l’ordre de 6 à 10 g au décollage, et surtout parce que pour l’expérience lors de la mesure de l’activité électrique du cerveau, le rat est alors le seul animal dont l’atlas cervical soit entièrement connu.
Le vol biologique nécessite la collaboration d’environ 150 personnes d’organismes différents, principalement le Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN) et le CRS responsables de la campagne de tir, le Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) met à disposition le champ de tir d’Hammaguir avec la logistique, le Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA, Vernon) livre la fusée, le Centre national d’étude des télécommunications (CNET) et la société Sud Aviation mettent au point la pointe récupérable dans laquelle est placé le petit rat dans son conteneur, le CERMA réalise les expériences à mener sur l’animal et la construction du conteneur… Ce dernier est testé deux mois durant pour vérifier la protection thermique, la pression et la qualité de l’isolement. A l’intérieur se trouve une pastille capable d’absorber le CO² afin de maintenir une bonne qualité de l’air.
Ainsi, l’entreprise, inédite, est délicate à mener. En effet, l’une des difficultés est l’implantation des électrodes qui a exigé une dizaine d’heures d’intervention sur l’animal quelques mois auparavant. Ni les Américains, ni les Soviétiques n’ont alors tenté cela… L’autre difficulté est au niveau de la transmission électrique, car il faut l’amplifier pour obtenir des courants pouvant communiquer les données au sol. Au final, il s’agit d’une part de démontrer la capacité à récupérer sain et sauf un être vivant après que celui-ci a effectué une incursion dans l’espace et, d’autre part, de conduire toute une série d’expériences sur l’animal pour comprendre les effets de l’accélération et de la décélération, suivre l’état en micropesanteur, étudier la question de la survie dans une capsule étanche et observer les effets éventuels des radiations solaires et cosmiques sur un être vivant.
En décembre 1960, le CERMA présente sept rats blancs de race Wistar, à la manière des Américains, c’est-à-dire en conviant les journalistes à une conférence de presse. Le « ratonaute », choisi au dernier moment lors du lancement, disposera d’un habillement spécial : une combinaison anti-g et un système de pressurisation, un véritable petit costume de cosmonaute réalisé sur mesure. La photo fait la une de plusieurs quotidiens, comme L’Aurore du 23 décembre qui titre et nomme l’animal : « C’est Hector le rat français de l’espace ». Les responsables de l’expérience veillent à montrer que rien n’est laissé au hasard, à commencer par le confort de l’animal : Hector sera accroché à des ressorts sustentateurs destinés à le maintenir à l’intérieur du conteneur et qui gardera en place les différents fils reliés aux appareils enregistreurs situés sous lui (comme l’électrocardiographe). Pour mieux étudier les réactions cérébrales pendant la portion du vol qui comportera une absence de pesanteur, Hector est équipé d’électrodes piquées à l’intérieur de son cerveau. Les réactions du cerveau seront ensuite retransmises au sol par un dispositif de télémesure placé également sous lui. Enfin, pour suivre son comportement général, deux petites caméras vidéo sont installées dans la capsule.
Le 22 février 1961, au petit matin, peu avant le vol, c’est la doublure d’Hector qui est placé dans la pointe, étant donné que celui-ci avait rongé la tresse des conducteurs auxquels il était relié ! A 8 heures, Véronique AGI-24 décolle depuis la base d’Hammaguir dans le désert algérien, et atteint l’altitude de 109 km. Le vol (de 8m 10 s au total) offre cinq minutes de micropesanteur, mais pas d’un seul trait en raison de l’éjection de la pointe de la fusée provoquant une accélération de 8 à 12 g. A l’issue du vol, la pointe retombe à 45 km du site de lancement, deux hélicoptères Alouette 2 sont rapidement envoyés pour récupérer l’animal et la pointe.
Sur le plan technique, l’expérimentation est une double réussite : la séparation de la capsule de la fusée s’est réalisée dans d’excellentes conditions, puis celle-ci est rentrée correctement dans l’atmosphère.
Au niveau scientifique, pour la première fois au monde un électroencéphalogramme a été réalisé sur un être vivant échappant à la pesanteur. Sans être spectaculaires, les résultats obtenus sont néanmoins intéressants : les appareils de mesure ont enregistré des troubles du comportement de l’animal, un moment désorienté. Hector a également connu quelques ralentissements cardiaques. Au final, le vol apporte deux types d’enseignement, l’un sur le comportement des organes des sens en situation de micropesanteur et l’autre sur les réactions du cerveau, notamment des centres de la vigilance.
De retour à Paris le 23 février, Hector suscite encore l’attention des médias qui souhaitent savoir comment se porte le rat et si l’expérimentation a été probante. A cette occasion, le médecin-général Grandpierre est interviewé et déclare : « Hector se porte très bien pour l’instant du reste vous le voyez là dans cette cage, il est accompagné de ses compagnes qu’on lui a redonné au retour et vous voyez que, cage ouverte, il se laisse caresser, il reconnaît même semble-t-il les personnes qui l’approche et qu’ils l’avaient approché autrefois, il est en excellente forme ! (…). C’est une expérience de physiologie réalisée dans le cadre des recherches spatiales (…) qui a été menée avec succès ».
Quelques mois plus tard, peu après le vol de Youri Gagarine, les médias n’ont toujours pas oublié l’aventure d’Hector et demandent aux responsables du CERMA si l’expérience française du 22 février est toujours pertinente au regard de ce que viennent de réaliser les Soviétiques. Le médecin-colonel Violette répond le 19 avril que le vol de Gagarine a été certes « d’une grande importance », mais « que de nombreux détails utiles (…) pour la physiologie de l’homme de façon très générale reste encore à étudier (…). Les expériences françaises sont destinées à apporter une contribution à l’étude très générale du fonctionnement du système nerveux central et du système d’équilibration. Il est nécessaire de commencer de telles études d’abord sur de petits animaux en augmentant ensuite la taille, le degré d’intelligence ou éventuellement, si c’est nécessaire, à arriver à l’homme, et servir ainsi au patrimoine mondial scientifique de l’Humanité, telle est le but des expériences (…) ».
- Un ouvrage : Histoire de la médecine aéronautique et spatiale française, Jean Timbal, Glyphe, Paris, 2009
- Une émission radiophonique : « le Progrès et la vie : l’exploit du rat Hector dans l’espace », avec plusieurs interviews dont celle du médecin-colonel Violette et celle du médecin-général Grandpierre, émission de Paul Sarès, Paris Inter, 19 avril 1962 :
- Les Actualités françaises du 18 janvier 1961, archives de l’INA.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 22 février 1961, la fusée-sonde Véronique emportait dans l’espace le rat Hector. La France s’initiait ainsi aux vols biologiques, tout comme l’avaient fait avant elle les Américains et les Soviétiques.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Américains et Soviétiques utilisent des missiles balistiques en tant que fusée-sonde pour effectuer des vols biologiques, afin d’en savoir plus sur les conditions de vie dans l’espace. Ainsi, à partir de 1948, de nombreux animaux sont lancés, dont plusieurs macaques rhésus par les Américains, des chiens par les Soviétiques. Au tout début des années 60, la France rejoint les deux grands en envoyant à son tour des animaux dans l’espace…
En janvier 1959, les scientifiques français obtiennent du pouvoir politique la mise en place du Comité des recherches spatiales (CRS). L’organisme doit coordonner et fédérer les activités spatiales naissantes, mais aussi définir le premier programme spatial national. Parmi les propositions avancées au sein du CRS figure celle du Centre d’étude et de recherche de médecine aéronautique (CERMA) qui, dirigé par le médecin-général Grandpierre, propose d’effectuer des vols d’animaux à bord de la petite fusée-sonde Véronique AGI, un engin tout juste opérationnel. Grandpierre étudie depuis les années 40 les problèmes liés au vol à de hautes altitudes et l’avènement de Véronique lui offre l’opportunité d’effectuer ces études dans un milieu de micropesanteur. Le choix se porte d’abord sur le rat en raison du volume limité de la pointe de la fusée, de la capacité de cet animal à pouvoir résister à d’importantes accélérations de la fusée de l’ordre de 6 à 10 g au décollage, et surtout parce que pour l’expérience lors de la mesure de l’activité électrique du cerveau, le rat est alors le seul animal dont l’atlas cervical soit entièrement connu.
Le vol biologique nécessite la collaboration d’environ 150 personnes d’organismes différents, principalement le Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN) et le CRS responsables de la campagne de tir, le Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) met à disposition le champ de tir d’Hammaguir avec la logistique, le Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA, Vernon) livre la fusée, le Centre national d’étude des télécommunications (CNET) et la société Sud Aviation mettent au point la pointe récupérable dans laquelle est placé le petit rat dans son conteneur, le CERMA réalise les expériences à mener sur l’animal et la construction du conteneur… Ce dernier est testé deux mois durant pour vérifier la protection thermique, la pression et la qualité de l’isolement. A l’intérieur se trouve une pastille capable d’absorber le CO² afin de maintenir une bonne qualité de l’air.
Ainsi, l’entreprise, inédite, est délicate à mener. En effet, l’une des difficultés est l’implantation des électrodes qui a exigé une dizaine d’heures d’intervention sur l’animal quelques mois auparavant. Ni les Américains, ni les Soviétiques n’ont alors tenté cela… L’autre difficulté est au niveau de la transmission électrique, car il faut l’amplifier pour obtenir des courants pouvant communiquer les données au sol. Au final, il s’agit d’une part de démontrer la capacité à récupérer sain et sauf un être vivant après que celui-ci a effectué une incursion dans l’espace et, d’autre part, de conduire toute une série d’expériences sur l’animal pour comprendre les effets de l’accélération et de la décélération, suivre l’état en micropesanteur, étudier la question de la survie dans une capsule étanche et observer les effets éventuels des radiations solaires et cosmiques sur un être vivant.
En décembre 1960, le CERMA présente sept rats blancs de race Wistar, à la manière des Américains, c’est-à-dire en conviant les journalistes à une conférence de presse. Le « ratonaute », choisi au dernier moment lors du lancement, disposera d’un habillement spécial : une combinaison anti-g et un système de pressurisation, un véritable petit costume de cosmonaute réalisé sur mesure. La photo fait la une de plusieurs quotidiens, comme L’Aurore du 23 décembre qui titre et nomme l’animal : « C’est Hector le rat français de l’espace ». Les responsables de l’expérience veillent à montrer que rien n’est laissé au hasard, à commencer par le confort de l’animal : Hector sera accroché à des ressorts sustentateurs destinés à le maintenir à l’intérieur du conteneur et qui gardera en place les différents fils reliés aux appareils enregistreurs situés sous lui (comme l’électrocardiographe). Pour mieux étudier les réactions cérébrales pendant la portion du vol qui comportera une absence de pesanteur, Hector est équipé d’électrodes piquées à l’intérieur de son cerveau. Les réactions du cerveau seront ensuite retransmises au sol par un dispositif de télémesure placé également sous lui. Enfin, pour suivre son comportement général, deux petites caméras vidéo sont installées dans la capsule.
Le 22 février 1961, au petit matin, peu avant le vol, c’est la doublure d’Hector qui est placé dans la pointe, étant donné que celui-ci avait rongé la tresse des conducteurs auxquels il était relié ! A 8 heures, Véronique AGI-24 décolle depuis la base d’Hammaguir dans le désert algérien, et atteint l’altitude de 109 km. Le vol (de 8m 10 s au total) offre cinq minutes de micropesanteur, mais pas d’un seul trait en raison de l’éjection de la pointe de la fusée provoquant une accélération de 8 à 12 g. A l’issue du vol, la pointe retombe à 45 km du site de lancement, deux hélicoptères Alouette 2 sont rapidement envoyés pour récupérer l’animal et la pointe.
Sur le plan technique, l’expérimentation est une double réussite : la séparation de la capsule de la fusée s’est réalisée dans d’excellentes conditions, puis celle-ci est rentrée correctement dans l’atmosphère.
Au niveau scientifique, pour la première fois au monde un électroencéphalogramme a été réalisé sur un être vivant échappant à la pesanteur. Sans être spectaculaires, les résultats obtenus sont néanmoins intéressants : les appareils de mesure ont enregistré des troubles du comportement de l’animal, un moment désorienté. Hector a également connu quelques ralentissements cardiaques. Au final, le vol apporte deux types d’enseignement, l’un sur le comportement des organes des sens en situation de micropesanteur et l’autre sur les réactions du cerveau, notamment des centres de la vigilance.
De retour à Paris le 23 février, Hector suscite encore l’attention des médias qui souhaitent savoir comment se porte le rat et si l’expérimentation a été probante. A cette occasion, le médecin-général Grandpierre est interviewé et déclare : « Hector se porte très bien pour l’instant du reste vous le voyez là dans cette cage, il est accompagné de ses compagnes qu’on lui a redonné au retour et vous voyez que, cage ouverte, il se laisse caresser, il reconnaît même semble-t-il les personnes qui l’approche et qu’ils l’avaient approché autrefois, il est en excellente forme ! (…). C’est une expérience de physiologie réalisée dans le cadre des recherches spatiales (…) qui a été menée avec succès ».
Quelques mois plus tard, peu après le vol de Youri Gagarine, les médias n’ont toujours pas oublié l’aventure d’Hector et demandent aux responsables du CERMA si l’expérience française du 22 février est toujours pertinente au regard de ce que viennent de réaliser les Soviétiques. Le médecin-colonel Violette répond le 19 avril que le vol de Gagarine a été certes « d’une grande importance », mais « que de nombreux détails utiles (…) pour la physiologie de l’homme de façon très générale reste encore à étudier (…). Les expériences françaises sont destinées à apporter une contribution à l’étude très générale du fonctionnement du système nerveux central et du système d’équilibration. Il est nécessaire de commencer de telles études d’abord sur de petits animaux en augmentant ensuite la taille, le degré d’intelligence ou éventuellement, si c’est nécessaire, à arriver à l’homme, et servir ainsi au patrimoine mondial scientifique de l’Humanité, telle est le but des expériences (…) ».
- Un ouvrage : Histoire de la médecine aéronautique et spatiale française, Jean Timbal, Glyphe, Paris, 2009
- Une émission radiophonique : « le Progrès et la vie : l’exploit du rat Hector dans l’espace », avec plusieurs interviews dont celle du médecin-colonel Violette et celle du médecin-général Grandpierre, émission de Paul Sarès, Paris Inter, 19 avril 1962 :
- Les Actualités françaises du 18 janvier 1961, archives de l’INA.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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