Publié le 17 mai 2016 sur linkedin
par Siham Bouachrine
Rédactrice indépendante, spécialisée en rédaction de contenu juridique et économique. Docteur en droit. Auteure d’une thèse (Paris 1, 1990) intitulée« Le Maghreb à l’ère spatiale »
Aujourd’hui, les férus d’Espace sont particulièrement excités par les récentes et fulgurantes découvertes faites dans le domaine spatial, en particulier par celle d’exoplanètes en vue d’y rechercher une vie extra terrestre certes, mais convoitées également pour de futures implantations de populations dans le cas où l’air de notre Terre deviendrait irrespirable car trop pollué et nos ressources seraient épuisées. Selon la Nasa, 1284 exoplanètes ont été découvertes en 2016 et 4302 planètes potentielles ont été identifiées.
550 d'entre-elles sont des planètes rocheuses comme la Terre et plusieurs sont situées dans la "zone habitable", c'est-à-dire à bonne proximité du soleil pour accueillir potentiellement de l'eau liquide et donc la vie. Mais revenons sur terre.
Un bilan écologique terrestre lourd et des perspectives alarmantes
C’est avec le premier Sommet de la Terre de Stockholm en 1992, que notre perception des impacts néfastes du réchauffement climatique a changé. Nous sommes passés de l’inconscience alliée à la performance économique, à la prise de conscience que ce réchauffement constituera un problème pour les générations futures, enfin à une réelle et universelle prise de conscience d’une nouvelle donne climatique. La question du changement climatique s’impose déjà aujourd’hui et maintenant, le danger est devenu immédiat et les effets du réchauffement climatique se font cruellement sentir.
Les pays sont désormais contraints de faire en sorte que les enjeux climatiques et environnementaux ne se heurtent au développement des échanges, du commerce et de la croissance, afin que ne s’approfondisse davantage le fossé d’inégalités entre pays riches et pays pauvres.
Notre Terre souffre de la quantité d’énergie reçue, soit sous l’effet de mécanismes naturels (irradiation solaire…) ou artificiels ( gaz à effet de serre..). Mais la quasi totalité des climatologues attribuent ce réchauffement climatique aux activités humaines. 20% du gaz à effet de serre proviennent de la déforestation des arbres, avec en tête de celle-ci, l’Indonésie.
Selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 80% des habitants des zones urbaines sont exposés à des niveaux de qualité de l’air supérieurs aux limites acceptables. C’est le cas de Ryad, du Caire, de Pékin et Delhi.
Les crises climatiques sans précédent induisent des inégalités, des crises sociales, des tragédies humaines illustrées par un afflux croissant de réfugiés, des désordres planétaires violents exacerbés par une impuissance, des préjudices et injustices, des désespoirs générateurs de violence et d’extrémismes. Plus de 53 millions de réfugiés fuient les guerres, les effets du réchauffement climatique et la pauvreté. La question climatique amplifie ainsi d’autres problèmes et fragilise davantage notre humanité, induit la diminution et même la disparition d’espèces animales et accroit la menace sur les ressources naturelles liée par ailleurs à une démographie galopante.
Alors que notre planète atteignait en 2015 les 7,5 milliards d’habitants, en 2050 nous devrions être 9 milliards.
Les prévisions sont alarmantes. Le constat des conséquences du réchauffement climatique est sans appel et la détérioration de notre planète a été jusqu’à présent destructrice :
la fonte grandissante et le retrait de la banquise ; l’élévation du niveau des océans et leur acidification; le réchauffement des océans qui constitue le plus grand changement climatique ; la disparition d’une partie du littoral; la modification des écosystèmes marins et terrestres ; l’érosion de la biodiversité ; celle des régions côtières ; la prolifération des phénomènes extrêmes tels que les sécheresses et canicules, les pluies diluviennes, les inondations, l’intensification des tempêtes et des ouragans; la lente désertification du plateau tibétain, château d’eau de l’Asie ; le déclin des ressources en eau, sachant que si l’eau est abondante sur Terre, l’eau douce ne représente que 0,007 % de la quantité totale; la destruction des barrières de corail ; l’essor des violents incendies; les impacts de la pollution sur la santé et l’augmentation des virus, etc.
Ainsi selon une étude australienne publiée ce mois ci, la montée des eaux et l'érosion côtière dans le Pacifique a rayé de la carte du monde cinq îles de Salomon inhabitées, totalement englouties, et ce phénomène menacerait six autres îles du Pacifique. Sans oublier à l’avenir les pays nordiques. Il est prévu en 2100, si rien n’est fait, une hausse de températures à 4,8 degrés et l’élévation des mers d’un mètre.
Suivant les régions du monde, les impacts sont et seront plus ou moins lourds, mais ce sont encore les pays du sud, injustice supplémentaire, qui en seront les premières victimes. Injustice d’autant plus criante que la moitié des émissions de gaz à effets de serre relève uniquement de 5 pays industrialisés.
Le continent africain, avec 4% seulement d’émissions de gaz à effet de serre, serait le plus touché par le réchauffement climatique et le plus vulnérable, compte tenu également de sa trop forte démographie.
D’autres comptent tirer de ce réchauffement climatique certains avantages, comme la Russie et l’Asie qui se préparent à ouvrir une route maritime.
Les constats des experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évaluation du climat de l’ONU) qui recourent aux observations satellitaires pour évaluer régulièrement leurs connaissances en matière climatique sont sans appel et les conclusions inquiétantes. Préalablement à la remise de son 6ème rapport d’évaluation du réchauffement climatique dans les dix ans à venir, trois rapports intermédiaires seront rendus en 2018 consacrés à l’impact d’un réchauffement climatique supérieur à 1,5°C et aux efforts que les nations devront faire pour éviter de dépasser ce seuil, aux liens entre changement climatique–océans-et calottes glaciaires, et enfin à l’effet de la hausse des températures sur la désertification et la dégradation des terres.
Satellites et climat
Notre terre est devenue un vaste espace de communication où les échanges de données et d’informations se font presque instantanément. Les premiers satellites d’observation de la terre ou de télédétection ont d’abord été d’usage militaire. Des satellites d’observation de la terre en majorité américains et russes, puis européens, enfin issus de pays émergents virevoltent au dessus de nos têtes, surveillant le globe en totalité et en toute liberté, devenant davantage un outil d’utilisation stratégique et économique. le premier fut lancé en 1972 (le Landsat 1 américain).
Avec l’essor technologique, la qualité des images satellitaires progresse, la résolution spatiale s’améliore, s’affine de plus en plus et les applications se diversifient.
En matière d’applications civiles ou « utiles », les données et informations satellitaires contribuent pleinement au développement durable et constituent un puissant moteur de croissance dans les secteurs industriel et tertiaire.
Elles sont précieuses pour la formulation et la mise en œuvre de politiques environnementales et celle de programmes d’action relatifs à la planification et à la gestion des ressources naturelles.
Tous les domaines sont ainsi concernés : suivi du réchauffement global de l'atmosphère et des émissions de gaz à effet de serre, évaluation de la couche d’ozone, gestion des sols et de l’eau, gestion agricole, sécurité alimentaire, surveillance des cultures illicites, prévision et évolution des sécheresses, de la désertification, de l’humidité des sols, de la déforestation, océanographie et mesure de l'augmentation du niveau des océans, écosystèmes marins et côtiers, navigation, biodiversité, développement rural et planification urbaine, soins de santé et santé publique, surveillance sismique, aide humanitaire et aide au développement, gestion des catastrophes naturelles et des secours d’urgence et renforcement de la résilience des pays face aux multiples chocs climatiques.
Le Programme des Nations Unies pour l’exploitation de l’information d’origine spatiale aux fins de la gestion des catastrophes et des interventions d’urgence (UN-SPIDER) joue un rôle majeur.
En matière de santé publique, le climat dans son ensemble affecte la santé des hommes et la télé-épidémiologie par satellite met en évidence les liens entre la propagation de maladies et les changements climatiques et environnementaux.
Le climat est aujourd’hui au centre des politiques spatiales et programmes spatiaux. L’intensification de la coopération internationale et une meilleure intégration des données climatiques dans les processus de prise de décision et d’adoption de politiques plus efficaces en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique sont essentielles. Il s’agit désormais de développer des modèles de climat de plus en plus fiables. « Sentinelles du climat » ou bien encore « vigies du climat », les satellites fournissent une mine d’informations météorologiques au service des prévisionnistes, ce qui représente en réalité environ 90% de leurs données.
La plupart des données nécessaires viennent de l'Espace et favorisent une meilleure gestion de l’environnement utilisant données spatiales et services numériques. Une flotte mondiale de 30 à 40 satellites sont dédiés aujourd’hui au climat et sur les 50 variables climatiques que les scientifiques du GIEC (Groupe d'experts international sur l'étude du climat) doivent surveiller pour comprendre et mesurer le changement climatique, 26 d’entre elles font appel à la surveillance satellitaire.
Si l’apport du spatial, des satellites d’observation de la terre à la problématique du changement climatique est donc sans équivalent pour comprendre le climat, suivre ses évolutions et ses dérèglements, il l’est aussi pour contrôler les engagements internationaux pris en vue de maîtriser ces derniers, en particulier au lendemain de l’Accord de Paris issu de la COP 21. En effet, le rôle des satellites dans le contrôle des promesses des Etats en matière d’émissions de gaz à effet de serre leur confère le nom de « satellites policiers ». La prochaine génération de satellites météorologiques ou vigies en orbite mesureront avec précision les concentrations de gaz présentes dans l’atmosphère responsables du réchauffement climatique et pourront mieux localiser et quantifier les sources et les puits de gaz à effet de serre.
La surveillance de l’environnement constitue l’une des priorités du Programme des Nations Unies pour les applications des techniques spatiales et les contributions qu’apportent les activités spatiales au développement durable et à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement sont en pleine expansion.
Par ailleurs, le rapport "Global risks 2016" publié en marge du forum de Davos de janvier 2016 classe le changement climatique en tête des risques mondiaux majeurs en termes d’impact qui pèsent sur l’économie mondiale.
l’Afrique en tant que continent le plus vulnérable est le continent le plus dépendant de l’espace et les satellites sont particulièrement utiles dans les régions isolées de ce continent.
Quant à l’ensemble des pays émergents qui se dotent peu à peu de satellites de communication et d'observation de la terre, ils représenteront bientôt un marché d'un milliard de dollars par an.
Avec les projets en cours de satellites de nouvelle génération peu chers et très performants qui fourniront une image de plus en plus fiable et précise pour surveiller les émissions de méthane et les émissions de CO2, pour recueillir notamment des données relatives aux lacs et aux fleuves, aux vents et aux vagues à la surface des océans, et probablement à terme pour détecter très tôt les tsunamis et les tremblements de terre, le spatial aura une place prépondérante à l’avenir et deviendra un outil incontournable d’aide à la décision. D’autant que les progrès de la technologie spatiale n’en sont encore qu’ à leurs balbutiements.
Mais pour que tous les pays puissent réaliser leurs promesses en matière de lutte contre les changements climatiques à la veille de l’organisation de la COP 22 à Marrakech et à l’heure où l’action de polluer est qualifiée de « crime climatique », outre l’aspect technologique et financier, il faut disposer facilement des données et informations satellitaires.
Ce qui pose la question d’ordre juridique de leur accès?
Quel régime juridique est instauré par les dispositions du droit international de l’environnement et du droit international spatial ? Qu’en est -il avec l’avènement du numérique et du New space des modalités de commercialisation de ces données et informations et du marché de l’imagerie spatiale? des dispositions concernant la liberté de prises de vues satellitaires, de la responsabilité étatique, ou bien encore en particulier de l’accès aux données et aux informations satellitaires analysées environnementales?
Si le recours aux satellites de télédétection présente des avantages multiples, il pose d’importants et de nouveaux problèmes d’ordre juridique, économique, voire stratégique et peut constituer un moyen de pression économique et politique très efficace. En 1984, le Pr marocain Mehdi Elmandjra écrivait déjà dans un article de prospective sur la conquête spatiale, que le retard scientifique et technologique des pays en développement résulte davantage d’une « absence de politique culturelle…et d’une négligence des systèmes de valeurs, plutôt que d’un manque de ressources financières» ; « Rien n’est plus politique aujourd’hui que les technologies avancées et rien moins rétrograde que les politiciens qui ne veulent pas le comprendre».
Aujourd’hui, tous veulent accéder au sésame économique du spatial et expriment la volonté d’avancer vers une économie « décarbonée » afin de « sauvegarder notre maison commune », car il devient manifeste que « le climat est le bien commun de tous et pour tous » et que « la dégradation de l’environnement comme la dégradation humaine et éthique sont intimement liées » (Pape François, in encyclique sur l’environnement).
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