Le jour où le plus gros contrat militaire s’est transformé en crise diplomatique
Le jour où le plus gros contrat militaire s’est transformé en crise diplomatique
© Royal Australian Navy

publié le 28 novembre 2023 à 17:38

933 mots

Le jour où le plus gros contrat militaire s’est transformé en crise diplomatique

Le 15 septembre 2021, l’Australie annonce sa décision de rompre le contrat qu’elle avait passé avec Naval Group (12 sous-marins d’attaque à propulsion classique pour environ 30 milliards d’euro) pour se tourner vers des sous-marins de conception américano-anglaise.


Le dernier né des sous-marins modernes

L’amiral Prazuck parlait déjà, au micro de France Inter, des nombreuses capacités du sous-marin français choisit par l’Australie. Il a notamment explicité les multiples caractéristiques de ce dernier, telles que son autonomie et sa furtivité à minima égales que les sous-marins en service à cette époque. Il a aussi insisté sur la polyvalence du sous-marin puisqu’il peut traquer et couler n'importe quel navire, détruire des cibles via des missiles ou encore déployer et récupérer des forces spéciales.

La question de la propulsion était déjà revenue sur la table au début des années 2000, en 2010 et enfin, en 2015. Lors de cette dernière date, la propulsion classique est définitivement confirmée, notamment suite à un manque d’expertise et d’infrastructure spécialisée dans le domaine de la propulsion nucléaire en Australie. Par ailleurs, l’ancien premier ministre Malcolm Turnbull confirmait aussi que l’un des avantages de la classe Attack était la possibilité, si l’occasion se présentait, de changer la propulsion classique des sous-marins en propulsion nucléaire. Ce choix se justifiait par la conception même du sous-marin : le projet était basé sur le sous-marin à propulsion nucléaire français Barracuda. 

Le contrat convenait aussi aux Américains : Donald C. Winter, ancien secrétaire à la Marine sous la présidence Obama, présidait le conseil d’experts de l’Australie qui a notamment approuvé unanimement l’offre de la France. De plus, la classe Attack était basée sur une structure française du sous-marin Barracuda auquel venait se greffer un système de gestion de combat développé et produit par la firme américaine Lockheed Martin.

Le projet de sous-marin à propulsion classique français (classe Attack) choisi par l'Australie en 2015
Le projet de sous-marin à propulsion classique français (classe Attack) choisi par l'Australie en 2015 © AFP
Le projet de sous-marin à propulsion classique français (classe Attack) choisi par l'Australie en 2015

Les tensions dans le Pacifique changent la donne

Jusqu’en 2016, la Chine et l’Australie avaient de bonnes relations commerciales (gaz, minerai, partenariats nombreux,…). Cependant, les affaires d’ingérence de Pékin auprès de parlementaires australiens, les propos trop flous de la Chine lors du début de la pandémie de Covid et surtout, la construction d’îlots artificiels en mer de Chine ont incités les Australiens à percevoir la Chine comme une menace à leur sécurité.

L’élection de Scott Morrison confirme le changement de perception et la nouvelle position de l’Australie envers la Chine. Ce dernier cherche alors à tout prix à renforcer sa défense dans l’océan Pacifique. Pour y arriver, il va notamment se rapprocher des États-Unis.

Exemple d'ilôt artificiel construit par la Chine (31 mai 2014 vs 3 juin 2016).
Exemple d'ilôt artificiel construit par la Chine (31 mai 2014 vs 3 juin 2016). © Digital Globe
Exemple d'ilôt artificiel construit par la Chine (31 mai 2014 vs 3 juin 2016).

L’enterrement du programme Attack

En février 2021, le PDG de Naval Group Pierre Eric Pommellet passe 3 semaines en quarantaine en Australie afin de rencontrer des politiques, responsables défense ou encore PDG d’entreprises en lien avec le programme de sous-marins. Ils vont rassurer ce dernier sur leurs intentions futures. Toutefois, ils ne se doutent alors pas qu'un changement de politique est au même moment en train de s'opérer.

En effet, la journaliste Larisa Brown (The Times, paru le 18 septembre 2021) découvrait qu’en mars 2021, le chef de la marine Australienne, l’amiral Noonan avait rencontré le chef de la Marine anglaise, l’amiral Radakin, au haut-commissariat d’Australie à Londres. L’amiral Noonan auraient notamment évoqué pour la première fois la volonté de Canberra de changer de sous-marins et de partir sur une solution américano-anglaise à propulsion nucléaire.

L’information est rapidement transmise jusqu'au Premier ministre anglais. L'occasion est rêvée pour Boris Johnson : en cas de réussite, ce contrat de sous-marins sera une grande victoire diplomatique pour lui et son gouvernement car il est empêtré dans de nombreuses gaffes, dans la crise du Covid et enfin, le Brexit.

Le climat s’assombrit également en Australie puisque la Cour des comptes rend une analyse très négative sur le projet français et tout particulièrement sur l'augmentation des coûts suite aux nombreux retards du programme. Cependant, il faut toutefois rappeler qu’une partie de ces retards s’expliquent avant tout par une fermeture quasi complète des frontières australiennes suite au Covid. Naval Group ne peut donc, pendant de longues semaines, dépêcher des experts en Australie pour diriger les avancées du projet.

Par ailleurs, lors du dernier G7, Biden, Morrison et Johnson se sont rencontrés et ont définitivement scellé le projet de sous-marins : c’est un win-win pour tout le monde car, en dehors des retombées économiques, les États-Unis se rapprochent un peu plus de l’Australie, l’Australie gagne en puissance et le Royaume-Uni redore son blason dans cette zone du monde qu’il a délaissé pendant de nombreuses années.

G7 de Cornouailles (Royaume-Uni) : les États-Unis rentrent définitivement dans le projet après la rencontre entre le Président Biden, le Premier ministre Johnson et le Premier ministre Morrison..
G7 de Cornouailles (Royaume-Uni) : les États-Unis rentrent définitivement dans le projet après la rencontre entre le Président Biden, le Premier ministre Johnson et le Premier ministre Morrison. © Twitter
G7 de Cornouailles (Royaume-Uni) : les États-Unis rentrent définitivement dans le projet après la rencontre entre le Président Biden, le Premier ministre Johnson et le Premier ministre Morrison..

Le couperet tombe

Le 15 septembre 2021, le ministère des Armées révèle avoir reçu une lettre de l’Australie sur sa complète satisfaction des dernières avancées sur le programme Attack. Plus tard dans la même journée, Canberra annonce publiquement sa volonté de rompre le contrat avec la France et d’intégrer l’alliance militaire Australie-Royaume-Uni-États-Unis (AUKUS). 

Les autorités françaises n’ont rien vu venir, le secret étant gardé par une toute petite poignée de personnes au sein des trois pays. Les ambassadeurs à Sydney et à Washington sont d’ailleurs rappelés à Paris. Le coup de poignard est même confirmé par un tweet d’un assistant au conseiller à la sécurité de Joe Biden, Rush Doshi.

En dehors de cette crise, l’Australie s’est aussi séparée des hélicoptères de combat Tigre de conception française, au profit de la dernière version de l’Apache américain et du NH-90 pour des Black Hawk et Sea Hawk américain (voir notre article détaillé sur cet événement).

Pour terminer, le désormais nouveau projet de sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire n’en est qu’à ses balbutiements car il ne s’agit là que d’une promesse. En effet, le Sénat australien vient de reconfirmer la semaine passée qu'un groupe d'expert travaillait depuis l'annonce du changement de sous-marin et n'allait rendre son avis que 18 mois plus tard. Cette situation laisse ainsi Canberra sans solution à moyen terme pour le remplacement de ses vieux sous-marins de la classe Collins.

Tweet de Rush Doshi : "De nombreux mois de travail acharné, mais c'est enfin arrivé"
Tweet de Rush Doshi : "De nombreux mois de travail acharné, mais c'est enfin arrivé". © Twitter
Tweet de Rush Doshi : "De nombreux mois de travail acharné, mais c'est enfin arrivé"
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28/11/2023 17:38
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Le jour où le plus gros contrat militaire s’est transformé en crise diplomatique

Le 15 septembre 2021, l’Australie annonce sa décision de rompre le contrat qu’elle avait passé avec Naval Group (12 sous-marins d’attaque à propulsion classique pour environ 30 milliards d’euro) pour se tourner vers des sous-marins de conception américano-anglaise.

Le jour où le plus gros contrat militaire s’est transformé en crise diplomatique
Le jour où le plus gros contrat militaire s’est transformé en crise diplomatique

Le dernier né des sous-marins modernes

L’amiral Prazuck parlait déjà, au micro de France Inter, des nombreuses capacités du sous-marin français choisit par l’Australie. Il a notamment explicité les multiples caractéristiques de ce dernier, telles que son autonomie et sa furtivité à minima égales que les sous-marins en service à cette époque. Il a aussi insisté sur la polyvalence du sous-marin puisqu’il peut traquer et couler n'importe quel navire, détruire des cibles via des missiles ou encore déployer et récupérer des forces spéciales.

La question de la propulsion était déjà revenue sur la table au début des années 2000, en 2010 et enfin, en 2015. Lors de cette dernière date, la propulsion classique est définitivement confirmée, notamment suite à un manque d’expertise et d’infrastructure spécialisée dans le domaine de la propulsion nucléaire en Australie. Par ailleurs, l’ancien premier ministre Malcolm Turnbull confirmait aussi que l’un des avantages de la classe Attack était la possibilité, si l’occasion se présentait, de changer la propulsion classique des sous-marins en propulsion nucléaire. Ce choix se justifiait par la conception même du sous-marin : le projet était basé sur le sous-marin à propulsion nucléaire français Barracuda. 

Le contrat convenait aussi aux Américains : Donald C. Winter, ancien secrétaire à la Marine sous la présidence Obama, présidait le conseil d’experts de l’Australie qui a notamment approuvé unanimement l’offre de la France. De plus, la classe Attack était basée sur une structure française du sous-marin Barracuda auquel venait se greffer un système de gestion de combat développé et produit par la firme américaine Lockheed Martin.

Le projet de sous-marin à propulsion classique français (classe Attack) choisi par l'Australie en 2015
Le projet de sous-marin à propulsion classique français (classe Attack) choisi par l'Australie en 2015 © AFP
Le projet de sous-marin à propulsion classique français (classe Attack) choisi par l'Australie en 2015

Les tensions dans le Pacifique changent la donne

Jusqu’en 2016, la Chine et l’Australie avaient de bonnes relations commerciales (gaz, minerai, partenariats nombreux,…). Cependant, les affaires d’ingérence de Pékin auprès de parlementaires australiens, les propos trop flous de la Chine lors du début de la pandémie de Covid et surtout, la construction d’îlots artificiels en mer de Chine ont incités les Australiens à percevoir la Chine comme une menace à leur sécurité.

L’élection de Scott Morrison confirme le changement de perception et la nouvelle position de l’Australie envers la Chine. Ce dernier cherche alors à tout prix à renforcer sa défense dans l’océan Pacifique. Pour y arriver, il va notamment se rapprocher des États-Unis.

Exemple d'ilôt artificiel construit par la Chine (31 mai 2014 vs 3 juin 2016).
Exemple d'ilôt artificiel construit par la Chine (31 mai 2014 vs 3 juin 2016). © Digital Globe
Exemple d'ilôt artificiel construit par la Chine (31 mai 2014 vs 3 juin 2016).

L’enterrement du programme Attack

En février 2021, le PDG de Naval Group Pierre Eric Pommellet passe 3 semaines en quarantaine en Australie afin de rencontrer des politiques, responsables défense ou encore PDG d’entreprises en lien avec le programme de sous-marins. Ils vont rassurer ce dernier sur leurs intentions futures. Toutefois, ils ne se doutent alors pas qu'un changement de politique est au même moment en train de s'opérer.

En effet, la journaliste Larisa Brown (The Times, paru le 18 septembre 2021) découvrait qu’en mars 2021, le chef de la marine Australienne, l’amiral Noonan avait rencontré le chef de la Marine anglaise, l’amiral Radakin, au haut-commissariat d’Australie à Londres. L’amiral Noonan auraient notamment évoqué pour la première fois la volonté de Canberra de changer de sous-marins et de partir sur une solution américano-anglaise à propulsion nucléaire.

L’information est rapidement transmise jusqu'au Premier ministre anglais. L'occasion est rêvée pour Boris Johnson : en cas de réussite, ce contrat de sous-marins sera une grande victoire diplomatique pour lui et son gouvernement car il est empêtré dans de nombreuses gaffes, dans la crise du Covid et enfin, le Brexit.

Le climat s’assombrit également en Australie puisque la Cour des comptes rend une analyse très négative sur le projet français et tout particulièrement sur l'augmentation des coûts suite aux nombreux retards du programme. Cependant, il faut toutefois rappeler qu’une partie de ces retards s’expliquent avant tout par une fermeture quasi complète des frontières australiennes suite au Covid. Naval Group ne peut donc, pendant de longues semaines, dépêcher des experts en Australie pour diriger les avancées du projet.

Par ailleurs, lors du dernier G7, Biden, Morrison et Johnson se sont rencontrés et ont définitivement scellé le projet de sous-marins : c’est un win-win pour tout le monde car, en dehors des retombées économiques, les États-Unis se rapprochent un peu plus de l’Australie, l’Australie gagne en puissance et le Royaume-Uni redore son blason dans cette zone du monde qu’il a délaissé pendant de nombreuses années.

G7 de Cornouailles (Royaume-Uni) : les États-Unis rentrent définitivement dans le projet après la rencontre entre le Président Biden, le Premier ministre Johnson et le Premier ministre Morrison..
G7 de Cornouailles (Royaume-Uni) : les États-Unis rentrent définitivement dans le projet après la rencontre entre le Président Biden, le Premier ministre Johnson et le Premier ministre Morrison. © Twitter
G7 de Cornouailles (Royaume-Uni) : les États-Unis rentrent définitivement dans le projet après la rencontre entre le Président Biden, le Premier ministre Johnson et le Premier ministre Morrison..

Le couperet tombe

Le 15 septembre 2021, le ministère des Armées révèle avoir reçu une lettre de l’Australie sur sa complète satisfaction des dernières avancées sur le programme Attack. Plus tard dans la même journée, Canberra annonce publiquement sa volonté de rompre le contrat avec la France et d’intégrer l’alliance militaire Australie-Royaume-Uni-États-Unis (AUKUS). 

Les autorités françaises n’ont rien vu venir, le secret étant gardé par une toute petite poignée de personnes au sein des trois pays. Les ambassadeurs à Sydney et à Washington sont d’ailleurs rappelés à Paris. Le coup de poignard est même confirmé par un tweet d’un assistant au conseiller à la sécurité de Joe Biden, Rush Doshi.

En dehors de cette crise, l’Australie s’est aussi séparée des hélicoptères de combat Tigre de conception française, au profit de la dernière version de l’Apache américain et du NH-90 pour des Black Hawk et Sea Hawk américain (voir notre article détaillé sur cet événement).

Pour terminer, le désormais nouveau projet de sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire n’en est qu’à ses balbutiements car il ne s’agit là que d’une promesse. En effet, le Sénat australien vient de reconfirmer la semaine passée qu'un groupe d'expert travaillait depuis l'annonce du changement de sous-marin et n'allait rendre son avis que 18 mois plus tard. Cette situation laisse ainsi Canberra sans solution à moyen terme pour le remplacement de ses vieux sous-marins de la classe Collins.

Tweet de Rush Doshi : "De nombreux mois de travail acharné, mais c'est enfin arrivé"
Tweet de Rush Doshi : "De nombreux mois de travail acharné, mais c'est enfin arrivé". © Twitter
Tweet de Rush Doshi : "De nombreux mois de travail acharné, mais c'est enfin arrivé"


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