Jared Isaacman enfin adoubé comme futur patron de la Nasa
Jared Isaacman enfin adoubé comme futur patron de la Nasa
© John Kraus, Polaris

publié le 18 décembre 2025 à 07:00

908 mots

Jared Isaacman enfin adoubé comme futur patron de la Nasa

Il aura fallu 11 mois et deux administrateurs intérimaires pour que la Nasa retrouve un nouveau chef. Nommé, puis retiré, puis renommé par Donald Trump, Jared Isaacman a enfin reçu le vote final du Sénat américain pour prendre les rênes de l’agence. Un immense chantier l’attend désormais.


La Nasa s’apprête à vivre un changement de culture avec désormais à sa tête un astronaute privé, entrepreneur, milliardaire, qui ne jure que par le recours aux services privés afin de moderniser l’agence de fond en comble. Sa première lourde charge sera de mener à terme le vote du désastreux budget 2026 de l’agence proposé par la Maison Blanche.

La fin d'un long chemin de nomination

Il a fallu plus d’un an pour que Jared Isaacman soit confirmé par le Sénat américain. Son nom était proposé par Donald Trump dès le 4 décembre 2024, après un passage à la résidence de Mar-a-Lago du président fraîchement élu (mais pas encore en fonction). Les soupçons d’une plus que possible influence du choix présidentiel par son allié d’époque Elon Musk avaient été réfutés en bloc par Isaacman lors de sa première audition le 9 avril 2025.

A l’époque, Isaacman s’était montré peu convaincant devant les élus de la Commission des Sciences et des Transports du Sénat. Il promettait des miracles pour viser à la fois Mars (priorité de Trump et Musk à l’époque), la Lune (priorité du Sénat) et de maintenir le reste des programmes avec un budget très diminué. L’astronaute privé avait reçu le soutien de plusieurs dizaines d’anciens astronautes de la Nasa, avant qu’on se rende compte qu’une bonne partie d’entre eux représentaient les entreprises dont ils étaient employés ou égéries. Néanmoins, Jared était plutôt serein pour obtenir l’approbation du Sénat. Mais en juin, en pleine rupture brutale de bromance avec Elon Musk, Trump retire la candidature d’Isaacman quelques jours avant le vote solennel. Il nomme à la place son ami proche et ministre des Transports Sean Duffy.

Début novembre, Trump renomme Isaacman. Mais le Congrès américain est alors en plein shutdown, ce qui repousse toutes les procédures. Après une nouvelle audition le 3 décembre devant la commission des Sciences et Transports, Jared Isaacman obtient un vote favorable, avant un vote en séance plénière le 17 décembre.

Gestion de crise

Isaacman arrive en pleine tempête. Le gouvernement américain ne l’a pas attendu, ni le vote du budget 2026 (qui n'a toujours pas eu lieu), pour entamer les suppressions de postes et de moyens. C’est notamment la cause de l’allongement de la prochaine rotation dans l’ISS (Crew 12). Le bon côté des choses et que cela permettra à Sophie Adenot de rester en orbite deux mois de plus que prévu. Isaacman devra également gérer la situation délicate de l'ISS, avec le pas de tir de Baïkonour devenu inutilisable après la chute d’une plateforme mobile lors du décollage du vaisseau Soyouz MS-28 le 27 novembre.

Les suppressions de postes et l’annulation anticipée de mission et de programmes ont été plus durement vécues au centre spatial Goddard, que l’administration Trump souhaite fermer. Jared Isaacman se retrouve donc au-devant d’importantes protestations et d’une probable remobilisation de la communauté scientifique contre lui si le budget de la Nasa passe tel qu'il a été proposé. Pour rappel, la proposition de l’administration Trump cherche à éliminer 50% des dépenses dans les programmes scientifiques de la Nasa. Le Sénat et la Chambre des Représentants ont également proposé leurs budgets, avec beaucoup mois de coupe budgétaire.

Là où les administrateurs intérimaires Janet Petro et Sean Duffy ont pu se défiler, Jared Isaacman va devoir reprendre les discussions avec les partenaires internationaux de la Nasa. Europe, Japon, Canada, ils sont plus qu’irrités par l’isolationnisme du programme spatial américain prévu par le budget 2026 (suppression de la Gateway, du vaisseau Orion dont le module de service est fourni par l’Europe, suppression du programme de retour d’échantillons martiens MSR, laissant le Earth Return Orbiter développé à Toulouse sans affectation). Seule la contribution américaine à Exomars a été confirmée à l'occasion de la ministérielle de l'ESA. Au bout d'un an de défiance, les partenaires ont renforcé les liens entre eux.

Lune en vue et grands chantiers

L’élément le plus agréable de l’arrivée d’Isaacman est sans doute la mission Artemis II de retour des astronautes en orbite lunaire. La mission est prévue pour le 6 février mais pourrait glisser de quelques jours à quelques semaines (en mars). Artemis II braquera de nouveau les projecteurs sur le programme lunaire de la Nasa, en pleine course contre la Chine qui vise l’atterrissage d’un premier équipage sur le sol lunaire d’ici 2030. Le calendrier officiel de la Nasa prévoit Artemis III (retour d’un équipage sur la Lune) pour 2028 mais il reste encore beaucoup de chantiers non aboutis, dont le scaphandre de marche lunaire, et surtout le module d’atterrissage. L’administration Trump envisage de remettre en question le contrat le contrat attribué à SpaceX à cause des retards du Starship. Jared Isaacman devra arbitrer cela et tout faire pour ne pas prendre plus de retard, alors que de nombreuses voix prétendent que la course contre la Chine est d’ores et déjà perdue.

Autre grand chantier à arbitrer : l’avenir post-ISS. Pour le Sénat, hors de question d’abandonner une présence américaine continue en orbite terrestre au profit de la Chine. La Nasa va donc devoir rapidement choisir quelle(s) station(s) spatiale(s) commerciale(s) la Nasa réservera après la désorbitation de l’ISS en 2031. Isaacman est à la tête d’un programme de vol habité privé (Polaris), dont il a été le commandant de deux missions et même le premier astronaute privé à réaliser une sortie en scaphandre. Son arbitrage sur l’avenir post-ISS risque d’être perturbé par des soupçons de conflit d’intérêts. Il a toutefois prévu de démissionner de Polaris.

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18/12/2025 07:00
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Jared Isaacman enfin adoubé comme futur patron de la Nasa

Il aura fallu 11 mois et deux administrateurs intérimaires pour que la Nasa retrouve un nouveau chef. Nommé, puis retiré, puis renommé par Donald Trump, Jared Isaacman a enfin reçu le vote final du Sénat américain pour prendre les rênes de l’agence. Un immense chantier l’attend désormais.

Jared Isaacman enfin adoubé comme futur patron de la Nasa
Jared Isaacman enfin adoubé comme futur patron de la Nasa

La Nasa s’apprête à vivre un changement de culture avec désormais à sa tête un astronaute privé, entrepreneur, milliardaire, qui ne jure que par le recours aux services privés afin de moderniser l’agence de fond en comble. Sa première lourde charge sera de mener à terme le vote du désastreux budget 2026 de l’agence proposé par la Maison Blanche.

La fin d'un long chemin de nomination

Il a fallu plus d’un an pour que Jared Isaacman soit confirmé par le Sénat américain. Son nom était proposé par Donald Trump dès le 4 décembre 2024, après un passage à la résidence de Mar-a-Lago du président fraîchement élu (mais pas encore en fonction). Les soupçons d’une plus que possible influence du choix présidentiel par son allié d’époque Elon Musk avaient été réfutés en bloc par Isaacman lors de sa première audition le 9 avril 2025.

A l’époque, Isaacman s’était montré peu convaincant devant les élus de la Commission des Sciences et des Transports du Sénat. Il promettait des miracles pour viser à la fois Mars (priorité de Trump et Musk à l’époque), la Lune (priorité du Sénat) et de maintenir le reste des programmes avec un budget très diminué. L’astronaute privé avait reçu le soutien de plusieurs dizaines d’anciens astronautes de la Nasa, avant qu’on se rende compte qu’une bonne partie d’entre eux représentaient les entreprises dont ils étaient employés ou égéries. Néanmoins, Jared était plutôt serein pour obtenir l’approbation du Sénat. Mais en juin, en pleine rupture brutale de bromance avec Elon Musk, Trump retire la candidature d’Isaacman quelques jours avant le vote solennel. Il nomme à la place son ami proche et ministre des Transports Sean Duffy.

Début novembre, Trump renomme Isaacman. Mais le Congrès américain est alors en plein shutdown, ce qui repousse toutes les procédures. Après une nouvelle audition le 3 décembre devant la commission des Sciences et Transports, Jared Isaacman obtient un vote favorable, avant un vote en séance plénière le 17 décembre.

Gestion de crise

Isaacman arrive en pleine tempête. Le gouvernement américain ne l’a pas attendu, ni le vote du budget 2026 (qui n'a toujours pas eu lieu), pour entamer les suppressions de postes et de moyens. C’est notamment la cause de l’allongement de la prochaine rotation dans l’ISS (Crew 12). Le bon côté des choses et que cela permettra à Sophie Adenot de rester en orbite deux mois de plus que prévu. Isaacman devra également gérer la situation délicate de l'ISS, avec le pas de tir de Baïkonour devenu inutilisable après la chute d’une plateforme mobile lors du décollage du vaisseau Soyouz MS-28 le 27 novembre.

Les suppressions de postes et l’annulation anticipée de mission et de programmes ont été plus durement vécues au centre spatial Goddard, que l’administration Trump souhaite fermer. Jared Isaacman se retrouve donc au-devant d’importantes protestations et d’une probable remobilisation de la communauté scientifique contre lui si le budget de la Nasa passe tel qu'il a été proposé. Pour rappel, la proposition de l’administration Trump cherche à éliminer 50% des dépenses dans les programmes scientifiques de la Nasa. Le Sénat et la Chambre des Représentants ont également proposé leurs budgets, avec beaucoup mois de coupe budgétaire.

Là où les administrateurs intérimaires Janet Petro et Sean Duffy ont pu se défiler, Jared Isaacman va devoir reprendre les discussions avec les partenaires internationaux de la Nasa. Europe, Japon, Canada, ils sont plus qu’irrités par l’isolationnisme du programme spatial américain prévu par le budget 2026 (suppression de la Gateway, du vaisseau Orion dont le module de service est fourni par l’Europe, suppression du programme de retour d’échantillons martiens MSR, laissant le Earth Return Orbiter développé à Toulouse sans affectation). Seule la contribution américaine à Exomars a été confirmée à l'occasion de la ministérielle de l'ESA. Au bout d'un an de défiance, les partenaires ont renforcé les liens entre eux.

Lune en vue et grands chantiers

L’élément le plus agréable de l’arrivée d’Isaacman est sans doute la mission Artemis II de retour des astronautes en orbite lunaire. La mission est prévue pour le 6 février mais pourrait glisser de quelques jours à quelques semaines (en mars). Artemis II braquera de nouveau les projecteurs sur le programme lunaire de la Nasa, en pleine course contre la Chine qui vise l’atterrissage d’un premier équipage sur le sol lunaire d’ici 2030. Le calendrier officiel de la Nasa prévoit Artemis III (retour d’un équipage sur la Lune) pour 2028 mais il reste encore beaucoup de chantiers non aboutis, dont le scaphandre de marche lunaire, et surtout le module d’atterrissage. L’administration Trump envisage de remettre en question le contrat le contrat attribué à SpaceX à cause des retards du Starship. Jared Isaacman devra arbitrer cela et tout faire pour ne pas prendre plus de retard, alors que de nombreuses voix prétendent que la course contre la Chine est d’ores et déjà perdue.

Autre grand chantier à arbitrer : l’avenir post-ISS. Pour le Sénat, hors de question d’abandonner une présence américaine continue en orbite terrestre au profit de la Chine. La Nasa va donc devoir rapidement choisir quelle(s) station(s) spatiale(s) commerciale(s) la Nasa réservera après la désorbitation de l’ISS en 2031. Isaacman est à la tête d’un programme de vol habité privé (Polaris), dont il a été le commandant de deux missions et même le premier astronaute privé à réaliser une sortie en scaphandre. Son arbitrage sur l’avenir post-ISS risque d’être perturbé par des soupçons de conflit d’intérêts. Il a toutefois prévu de démissionner de Polaris.



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