Trois systèmes lance-missiles longue portée américains prochainement déployés en Allemagne
Trois systèmes lance-missiles longue portée américains prochainement déployés en Allemagne
© Lockheed Martin

publié le 17 juillet 2024 à 13:48

1976 mots

Trois systèmes lance-missiles longue portée américains prochainement déployés en Allemagne

En 2026, l’US Army déploiera pour la toute première fois en Europe sa Multi-Domain Task Force, centrée autour de trois systèmes lance-missiles longue à très longue portée ; l’HIMARS équipé du missile PrSM, le Typhon équipé de missiles sol-sol Tomahawk ou sol-air SM-6 et enfin, le LRHW avec ses deux missiles transportant chacun un planeur hypersonique. Cette task force est avant tout pensée pour détruire les systèmes de déni d’accès et d’interdiction de zone ennemis.


Déploiement en 2026

À l'occasion du sommet OTAN de Washington, les États-Unis et l'Allemagne ont publié un communiqué de presse le 10 juillet pour annoncer le déploiement d'un système spécifique en Allemagne. Dès 2026, l'US Army déploiera épisodiquement sa Multi-Domain Task Force (littéralement, groupement interarmes multi-domaines). L'Army Multi-Domain Transformation : Ready to Win in Competition and Conflict (16 mars 2021) donne une définition du MDTF :

"En tant qu'éléments de manœuvre au niveau du théâtre des opérations, les groupements interarmes multi-domaines synchronisent les effets de précision et les tirs de précisions dans tous les domaines, conte les réseaux de déni d'accès et d'interdiction de zone adverses dans tous les domaines, permettant aux forces interarmées d'exécuter leurs rôles dirigés par le plan des opérations militaires."

En d'autres termes, il arrive que des forces ennemies soient capables d'empêcher toute manœuvre des forces alliées par la création de bulles antiaériennes, antinavires,... sur une seule et même zone (déni d'accès et d'interdiction de zone, A2/AD). Dès lors, pour faire sauter ce verrou, l'US Army prévoit de cumuler de nombreux systèmes en une seule unité, dénommée Multi-Domain Task Force (MDTF). Cette MDTF est surtout axée sur la bulle A2/AD déployée par la Chine en mer de Chine du Sud mais dispose aussi d'un intérêt en Europe, face aux Forces armées russes.

Cette task force regroupe alors un bataillon antiaérien, un bataillon de soutien, un bataillon de renseignement et de communication et bien évidemment, un bataillon d'artillerie. Ce dernier est alors équipé en moyens stratégiques ;

  • une batterie de lance-roquettes multiples M142 High Mobility Artillery System (HIMARS)
  • une batterie Mid-Range Capability (MRC)
  • une batterie Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW)

L'US Army note également que les moyens inclus dans cette task force stratégique peuvent varier en fonction des besoins sur le terrain.

Structure de base d'une Multi-Domain Task Force de l'US Army.
Structure de base d'une Multi-Domain Task Force de l'US Army. © US Army
Structure de base d'une Multi-Domain Task Force de l'US Army.

Trois lanceurs différents

La guerre en Ukraine a démontré l'avantage que pouvait représenter les roquettes GMLRS des HIMARS. Cependant, ces roquettes de 227 mm ne seront pas la munition principale des HIMARS de ce bataillon d'artillerie ; ils utiliseront principalement le Precision Strike Missile (PrSM), un missile balistique courte portée (SRBM) capable de toucher une cible à 499 kilomètres de son point de tir. Ce missile est en train de remplacer les actuels SRBM Army Tactical Missile System (ATACMS). En plus d'être plus précis et à plus longue portée (portée ATACMS = 300 kilomètres), l'HIMARS gagne en puissance de feu car le pod contenant actuellement un seul ATACMS emportera deux PrSM. Étant donné que les deux missiles sont placés dans le pod standard des HIMARS, aucun véhicule spécifique de rechargement ne doit être présent ; le lanceur intègre un système de poulies capable de sortir de le pod vide et de le remplacer par un pod équipé de deux PrSM. À noter que le communiqué de presse du 10 juillet ne mentionne pas l'HIMARS ou le PrSM.

Roquette GMLRS et missile balistique Precision Strike Missile (PrSM).
Roquette GMLRS et missile balistique Precision Strike Missile (PrSM). © Gaétan Powis
Roquette GMLRS et missile balistique Precision Strike Missile (PrSM).

Pour les cibles situées plus en profondeur, la batterie Mid-Range Capability entre en jeu. Surnommée Typhon, elle se concentre autour de quatre lanceurs et comprend également des véhicules de soutien et de rechargement ainsi qu'un poste de commandement mobile. Concrètement, le lanceur se présente sous la forme d'un camion semi-remorque avec tracteur lourd HEMTT. Chaque remorque comprend quatre cellules lance-missiles verticales Mk 41 VLS, pouvant tirer deux missiles différents. Le premier est le missile de croisière Tomahawk, avec une portée supérieure à 1 600 kilomètres, soit la distance séparant Paris et les faubourgs de Tanger au Maroc... ou la distance séparant Berlin à Moscou. Le second missile est à vocation antiaérienne ; il s'agit du SM-6. Dans cette configuration, le RIM-174B/SM-6 Block IA offre une capacité antiaérienne longue portée (supérieure à 370 kilomètres) ainsi qu'une protection antimissile balistique en fin de course (après rentrée dans l'atmosphère). Tout comme sur les croiseurs lance-missiles de la classe Ticonderoga, destroyers lance-missiles de la classe Arleigh Burke, et autres navires de surface équipés du Mk 41 VLS, le rechargement d'un Typhon nécessite une grue (dans ce cas-ci, mobile). Celle-ci remplace le conteneur vide par un conteneur contenant un SM-6 Block IA ou un Tomahawk. Pour l'instant, aucun système de détection ne semble être compris au sein d'une batterie de Typhon lorsque celle-ci est configurée en sol-air très longue portée. Au début de l'année 2023, un SM-6 a été tiré pour la première fois depuis un Typhon, suivi par un Tomahawk le 27 juin 2023 (US Army). La 1st MDTF a été déployée pour la première fois dans le cadre de l'exercice Salaknib 24, aux Philippines, avec des HIMARS et au moins un Typhon (aérotransporté par un avion de transport stratégique C-17A Globemaster III). Une version conteneurisée (40 pieds standard) a également été développée par Lockheed Martin. Dénommé Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System, le PDS doit pouvoir augmenter la puissance de feu des navires de l'US Navy si nécessaire. Un tir de SM-6 a été effectué en 

Représentation d'une batterie lance-missiles très longue portée Mid-Range Capability/Typhon, avec le poste de commandement mobile et les quatre lanceurs déployés.
Représentation d'une batterie lance-missiles très longue portée Mid-Range Capability/Typhon, avec le poste de commandement mobile et les quatre lanceurs déployés. © US Army
Représentation d'une batterie lance-missiles très longue portée Mid-Range Capability/Typhon, avec le poste de commandement mobile et les quatre lanceurs déployés.
Tir d'un missile antiaérien SM-6 depuis un Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System (Mk 70 DPS) situé sur l'hélipad du Littoral Combat Ship USS Savannah (LCS 28, classe Independence) (24 octobre 2023).
Tir d'un missile antiaérien SM-6 depuis un Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System (Mk 70 DPS) situé sur l'hélipad du Littoral Combat Ship USS Savannah (LCS 28, classe Independence) (24 octobre 2023). © US Navy
Tir d'un missile antiaérien SM-6 depuis un Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System (Mk 70 DPS) situé sur l'hélipad du Littoral Combat Ship USS Savannah (LCS 28, classe Independence) (24 octobre 2023).

Enfin, pour les cibles terrestres situées au-delà de la portée du Typhon, l'US Army pourra prochainement utiliser le Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW), également dénommé Dark Eagle. Il s'agit également d'une batterie de quatre lanceurs, d'un poste de commandement mobile ainsi que des véhicules de soutien. Chaque lanceur se présente sous la forme d'un semi-remorque et d'un tracteur lourd HEMTT et chaque remorque emporte missiles conteneurisés. Chaque missile (deux étages) peut voler à une vitesse maximale bien supérieure à 6 115,507 km/h, avec une portée supérieure à 2 776,12 km (d'après l'US Army). Il ne s'agit pas d'un missile de croisière hypersonique mais bien d'une arme planante boostée ; une fois arrivé dans les couches hautes de l'atmosphère terrestre, le missile largue le Common-Hypersonic Glide Body (C-HGB), stocké dans le cône du missile. Le C-HGB va ensuite planer a une vitesse hypersonique vers sa cible et manœuvrer afin de le rendre plus difficilement interceptable. Les essais ont été assez mouvementés ; le 21 octobre 2021, le booster ne s'est pas enclenché et un second tir en juin 2022 a également abouti à un échec. En octobre 2022, un test cherchant à évaluer la cause de l'échec de juin 22 a été reporté au 5 mars 2023 mais à cette date, le décompte a été stoppé à la suite de vérification avant le tir. Le 6 septembre 2023, l'US Army annonçait avoir à nouveau avoir stoppé un essai suite à des vérification pré-tir. Ces ratés ont empêché l'US Army de déployer sa première batterie complète de LRHW. Un tir réussi a été effectué le 28 juin 2024 et la mise en service d'une première batterie complète est attendue pour l'année fiscale 2025 (soit entre le 1er octobre 2024 et le 30 septembre 2025) (GAO). Par ailleurs, le LRHW inclus également l'US Navy, cette dernière cherchant à se doter de cette arme, dénommée Conventional Prompt Strike (CPS) par l'US Navy, sur deux types de bâtiments :

  • les trois destroyers de la classe Zumwalt, qui verront leurs deux canons de 155 mm remplacés par des lance-missiles capables d’accueillir ce missile hypersonique.
  • les sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire de la classe Virginia (Block 5).
Lanceur du Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) de l'US Army, avec deux missiles équipés chacun d'un planeur hypersonique.
Lanceur du Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) de l'US Army, avec deux missiles équipés chacun d'un planeur hypersonique. © US Army
Lanceur du Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) de l'US Army, avec deux missiles équipés chacun d'un planeur hypersonique.
Représentation du missile, du planeur hypersonique et d'une batterie de Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW).
Représentation du missile, du planeur hypersonique et d'une batterie de Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW). © US Army
Représentation du missile, du planeur hypersonique et d'une batterie de Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW).

Quelle utilisation en Europe ?

Comme rappelé sur X par Héloïse Fayet, chercheuse spécialiste des programmes balistiques à l’Ifri, ces systèmes permettraient d'atteindre des sites stratégiques russes à l'aide de moyens conventionnels :

"Mais à quoi peuvent-ils servir ? Tout simplement à atteindre des sites stratégiques qui, jadis, ne pouvaient être ciblés que par des missiles à charge nucléaire (ce qui pouvait engendrer une riposte nucléaire) ou par l'aviation de chasse (à condition de franchir les défenses). On assiste donc potentiellement à une extension du domaine de la lutte sous le seuil nucléaire, avec des conséquences encore mal maîtrisées."

Contactée sur ce sujet, elle ajoute que l'utilisation variera en fonction de deux facteurs, à savoir la masse de missiles disponibles et leur coût ; "Il est possible d'imaginer un ciblage de sites « tactiques » (donc, des frappes décidées au niveau opératif) si de nombreux systèmes peu coûteux sont disponibles. En revanche, si seulement 10 missiles à 50 millions de dollars/pièces sont disponibles, leur usage sera plus... réfléchi."

Par ailleurs, ce déploiement peut aussi être vu au niveau du soutien et de la réassurance des pays européens :

"À noter d'ailleurs que les États-Unis disposent déjà de moyens conventionnels pour frapper à distance les sites stratégiques russes depuis des bâtiments de surface ou des bombardiers stratégiques. Il s'agit donc aussi de réassurer les Alliés en les impliquant dans la défense."

Elle pose aussi la question d'une éventuelle frappe russe :

"Que se passe-t-il si un site concourant à la dissuasion russe est frappé par un missile depuis l'Allemagne ?" Elle précise toutefois "qu'un tel scénario est peu probable et que le déploiement depuis l'Allemagne pourrait seulement servir de base de départ ; une éventuelle guerre verrait alors le déploiement plus en avant du LRHW".

La crise des Euro-missiles 2 ?

Certains voient dans cette annonce le retour à une crise des Euromissiles. Pour rappel, à la fin des années 1970, l'Union soviétique déploya de nouveaux systèmes stratégiques, comme expliqué dans la déclaration du sommet spécial de l'OTAN à ce sujet :

"Cette situation a été spécialement aggravée ces dernières années par les décisions de l'URSS de mettre en œuvre des programmes visant à moderniser et développer substantiellement ses moyens nucléaires à longue portée. On a ainsi vu, en particulier, I'URSS déployer le missile SS-20, système nettement plus perfectionné que les précédents en ce sens qu'il possède une précision, une mobilité et une portée accrues et qu'il est pourvu de charges multiples, et le bombardier [Tu-22] Backfire, dont les performances sont bien supérieures à celles des autres avions soviétiques déployés à ce jour pour remplir des missions de théâtre."

Dès lors, en réponse à ces déploiements et afin d'équilibrer la posture stratégique :

"En conséquence, les ministres ont décidé de procéder à une modernisation des LRTNF de l'OTAN en déployant en Europe des systèmes américains lancés du sol comprenant 108 lanceurs Pershing II qui remplaceront les Pershing l-A américains existants, de 464 missiles de croisière lancés du sol, tous dotés de charges uniques."

Pour revenir à 2026 et le futur déploiement de la 2ème MDTF américaine, la réponse est bien évidemment négative ; il ne s'agit pas d'une seconde crise des Euromissiles, la MDTF étant uniquement équipée de missiles à charge conventionnelle.

La rupture d’un traité ?

D’autres citent la rupture du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Pour rappel, ce traité, signé le 8 décembre 1987, actait la fin de la crise des Euromissiles. Il stipulait notamment l’interdiction du déploiement de missiles de croisière ou balistiques, à charge nucléaire ou conventionnelle, tirés depuis le sol et avec une portée supérieure à 500 kilomètres et inférieure à 5 500 kilomètres. Or, comme expliqué sur X par Joseph Henrotin, directeur de recherche au CAPRI et rédacteur en chef de Défense & Sécurité Internationale (DSI), la volonté de déployer un MDTF américain en Allemagne date de 2021… soit deux ans après la fin du traité FNI ! Il rappelle également que la Russie avait déjà violé le traité depuis longtemps, avec le développement du missile SS-C-8 ou encore les batteries lance-missiles antinavires Bal et Bastion. Ces deux dernières, comme démontré en Ukraine, disposent d’une capacité secondaire sol-sol bien au-delà de la limite des 500 kilomètres.

Commentaires
17/07/2024 13:48
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Trois systèmes lance-missiles longue portée américains prochainement déployés en Allemagne

En 2026, l’US Army déploiera pour la toute première fois en Europe sa Multi-Domain Task Force, centrée autour de trois systèmes lance-missiles longue à très longue portée ; l’HIMARS équipé du missile PrSM, le Typhon équipé de missiles sol-sol Tomahawk ou sol-air SM-6 et enfin, le LRHW avec ses deux missiles transportant chacun un planeur hypersonique. Cette task force est avant tout pensée pour détruire les systèmes de déni d’accès et d’interdiction de zone ennemis.

Trois systèmes lance-missiles longue portée américains prochainement déployés en Allemagne
Trois systèmes lance-missiles longue portée américains prochainement déployés en Allemagne

Déploiement en 2026

À l'occasion du sommet OTAN de Washington, les États-Unis et l'Allemagne ont publié un communiqué de presse le 10 juillet pour annoncer le déploiement d'un système spécifique en Allemagne. Dès 2026, l'US Army déploiera épisodiquement sa Multi-Domain Task Force (littéralement, groupement interarmes multi-domaines). L'Army Multi-Domain Transformation : Ready to Win in Competition and Conflict (16 mars 2021) donne une définition du MDTF :

"En tant qu'éléments de manœuvre au niveau du théâtre des opérations, les groupements interarmes multi-domaines synchronisent les effets de précision et les tirs de précisions dans tous les domaines, conte les réseaux de déni d'accès et d'interdiction de zone adverses dans tous les domaines, permettant aux forces interarmées d'exécuter leurs rôles dirigés par le plan des opérations militaires."

En d'autres termes, il arrive que des forces ennemies soient capables d'empêcher toute manœuvre des forces alliées par la création de bulles antiaériennes, antinavires,... sur une seule et même zone (déni d'accès et d'interdiction de zone, A2/AD). Dès lors, pour faire sauter ce verrou, l'US Army prévoit de cumuler de nombreux systèmes en une seule unité, dénommée Multi-Domain Task Force (MDTF). Cette MDTF est surtout axée sur la bulle A2/AD déployée par la Chine en mer de Chine du Sud mais dispose aussi d'un intérêt en Europe, face aux Forces armées russes.

Cette task force regroupe alors un bataillon antiaérien, un bataillon de soutien, un bataillon de renseignement et de communication et bien évidemment, un bataillon d'artillerie. Ce dernier est alors équipé en moyens stratégiques ;

  • une batterie de lance-roquettes multiples M142 High Mobility Artillery System (HIMARS)
  • une batterie Mid-Range Capability (MRC)
  • une batterie Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW)

L'US Army note également que les moyens inclus dans cette task force stratégique peuvent varier en fonction des besoins sur le terrain.

Structure de base d'une Multi-Domain Task Force de l'US Army.
Structure de base d'une Multi-Domain Task Force de l'US Army. © US Army
Structure de base d'une Multi-Domain Task Force de l'US Army.

Trois lanceurs différents

La guerre en Ukraine a démontré l'avantage que pouvait représenter les roquettes GMLRS des HIMARS. Cependant, ces roquettes de 227 mm ne seront pas la munition principale des HIMARS de ce bataillon d'artillerie ; ils utiliseront principalement le Precision Strike Missile (PrSM), un missile balistique courte portée (SRBM) capable de toucher une cible à 499 kilomètres de son point de tir. Ce missile est en train de remplacer les actuels SRBM Army Tactical Missile System (ATACMS). En plus d'être plus précis et à plus longue portée (portée ATACMS = 300 kilomètres), l'HIMARS gagne en puissance de feu car le pod contenant actuellement un seul ATACMS emportera deux PrSM. Étant donné que les deux missiles sont placés dans le pod standard des HIMARS, aucun véhicule spécifique de rechargement ne doit être présent ; le lanceur intègre un système de poulies capable de sortir de le pod vide et de le remplacer par un pod équipé de deux PrSM. À noter que le communiqué de presse du 10 juillet ne mentionne pas l'HIMARS ou le PrSM.

Roquette GMLRS et missile balistique Precision Strike Missile (PrSM).
Roquette GMLRS et missile balistique Precision Strike Missile (PrSM). © Gaétan Powis
Roquette GMLRS et missile balistique Precision Strike Missile (PrSM).

Pour les cibles situées plus en profondeur, la batterie Mid-Range Capability entre en jeu. Surnommée Typhon, elle se concentre autour de quatre lanceurs et comprend également des véhicules de soutien et de rechargement ainsi qu'un poste de commandement mobile. Concrètement, le lanceur se présente sous la forme d'un camion semi-remorque avec tracteur lourd HEMTT. Chaque remorque comprend quatre cellules lance-missiles verticales Mk 41 VLS, pouvant tirer deux missiles différents. Le premier est le missile de croisière Tomahawk, avec une portée supérieure à 1 600 kilomètres, soit la distance séparant Paris et les faubourgs de Tanger au Maroc... ou la distance séparant Berlin à Moscou. Le second missile est à vocation antiaérienne ; il s'agit du SM-6. Dans cette configuration, le RIM-174B/SM-6 Block IA offre une capacité antiaérienne longue portée (supérieure à 370 kilomètres) ainsi qu'une protection antimissile balistique en fin de course (après rentrée dans l'atmosphère). Tout comme sur les croiseurs lance-missiles de la classe Ticonderoga, destroyers lance-missiles de la classe Arleigh Burke, et autres navires de surface équipés du Mk 41 VLS, le rechargement d'un Typhon nécessite une grue (dans ce cas-ci, mobile). Celle-ci remplace le conteneur vide par un conteneur contenant un SM-6 Block IA ou un Tomahawk. Pour l'instant, aucun système de détection ne semble être compris au sein d'une batterie de Typhon lorsque celle-ci est configurée en sol-air très longue portée. Au début de l'année 2023, un SM-6 a été tiré pour la première fois depuis un Typhon, suivi par un Tomahawk le 27 juin 2023 (US Army). La 1st MDTF a été déployée pour la première fois dans le cadre de l'exercice Salaknib 24, aux Philippines, avec des HIMARS et au moins un Typhon (aérotransporté par un avion de transport stratégique C-17A Globemaster III). Une version conteneurisée (40 pieds standard) a également été développée par Lockheed Martin. Dénommé Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System, le PDS doit pouvoir augmenter la puissance de feu des navires de l'US Navy si nécessaire. Un tir de SM-6 a été effectué en 

Représentation d'une batterie lance-missiles très longue portée Mid-Range Capability/Typhon, avec le poste de commandement mobile et les quatre lanceurs déployés.
Représentation d'une batterie lance-missiles très longue portée Mid-Range Capability/Typhon, avec le poste de commandement mobile et les quatre lanceurs déployés. © US Army
Représentation d'une batterie lance-missiles très longue portée Mid-Range Capability/Typhon, avec le poste de commandement mobile et les quatre lanceurs déployés.
Tir d'un missile antiaérien SM-6 depuis un Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System (Mk 70 DPS) situé sur l'hélipad du Littoral Combat Ship USS Savannah (LCS 28, classe Independence) (24 octobre 2023).
Tir d'un missile antiaérien SM-6 depuis un Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System (Mk 70 DPS) situé sur l'hélipad du Littoral Combat Ship USS Savannah (LCS 28, classe Independence) (24 octobre 2023). © US Navy
Tir d'un missile antiaérien SM-6 depuis un Mk 70 Mod 1 Payload Delivery System (Mk 70 DPS) situé sur l'hélipad du Littoral Combat Ship USS Savannah (LCS 28, classe Independence) (24 octobre 2023).

Enfin, pour les cibles terrestres situées au-delà de la portée du Typhon, l'US Army pourra prochainement utiliser le Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW), également dénommé Dark Eagle. Il s'agit également d'une batterie de quatre lanceurs, d'un poste de commandement mobile ainsi que des véhicules de soutien. Chaque lanceur se présente sous la forme d'un semi-remorque et d'un tracteur lourd HEMTT et chaque remorque emporte missiles conteneurisés. Chaque missile (deux étages) peut voler à une vitesse maximale bien supérieure à 6 115,507 km/h, avec une portée supérieure à 2 776,12 km (d'après l'US Army). Il ne s'agit pas d'un missile de croisière hypersonique mais bien d'une arme planante boostée ; une fois arrivé dans les couches hautes de l'atmosphère terrestre, le missile largue le Common-Hypersonic Glide Body (C-HGB), stocké dans le cône du missile. Le C-HGB va ensuite planer a une vitesse hypersonique vers sa cible et manœuvrer afin de le rendre plus difficilement interceptable. Les essais ont été assez mouvementés ; le 21 octobre 2021, le booster ne s'est pas enclenché et un second tir en juin 2022 a également abouti à un échec. En octobre 2022, un test cherchant à évaluer la cause de l'échec de juin 22 a été reporté au 5 mars 2023 mais à cette date, le décompte a été stoppé à la suite de vérification avant le tir. Le 6 septembre 2023, l'US Army annonçait avoir à nouveau avoir stoppé un essai suite à des vérification pré-tir. Ces ratés ont empêché l'US Army de déployer sa première batterie complète de LRHW. Un tir réussi a été effectué le 28 juin 2024 et la mise en service d'une première batterie complète est attendue pour l'année fiscale 2025 (soit entre le 1er octobre 2024 et le 30 septembre 2025) (GAO). Par ailleurs, le LRHW inclus également l'US Navy, cette dernière cherchant à se doter de cette arme, dénommée Conventional Prompt Strike (CPS) par l'US Navy, sur deux types de bâtiments :

  • les trois destroyers de la classe Zumwalt, qui verront leurs deux canons de 155 mm remplacés par des lance-missiles capables d’accueillir ce missile hypersonique.
  • les sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire de la classe Virginia (Block 5).
Lanceur du Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) de l'US Army, avec deux missiles équipés chacun d'un planeur hypersonique.
Lanceur du Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) de l'US Army, avec deux missiles équipés chacun d'un planeur hypersonique. © US Army
Lanceur du Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) de l'US Army, avec deux missiles équipés chacun d'un planeur hypersonique.
Représentation du missile, du planeur hypersonique et d'une batterie de Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW).
Représentation du missile, du planeur hypersonique et d'une batterie de Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW). © US Army
Représentation du missile, du planeur hypersonique et d'une batterie de Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW).

Quelle utilisation en Europe ?

Comme rappelé sur X par Héloïse Fayet, chercheuse spécialiste des programmes balistiques à l’Ifri, ces systèmes permettraient d'atteindre des sites stratégiques russes à l'aide de moyens conventionnels :

"Mais à quoi peuvent-ils servir ? Tout simplement à atteindre des sites stratégiques qui, jadis, ne pouvaient être ciblés que par des missiles à charge nucléaire (ce qui pouvait engendrer une riposte nucléaire) ou par l'aviation de chasse (à condition de franchir les défenses). On assiste donc potentiellement à une extension du domaine de la lutte sous le seuil nucléaire, avec des conséquences encore mal maîtrisées."

Contactée sur ce sujet, elle ajoute que l'utilisation variera en fonction de deux facteurs, à savoir la masse de missiles disponibles et leur coût ; "Il est possible d'imaginer un ciblage de sites « tactiques » (donc, des frappes décidées au niveau opératif) si de nombreux systèmes peu coûteux sont disponibles. En revanche, si seulement 10 missiles à 50 millions de dollars/pièces sont disponibles, leur usage sera plus... réfléchi."

Par ailleurs, ce déploiement peut aussi être vu au niveau du soutien et de la réassurance des pays européens :

"À noter d'ailleurs que les États-Unis disposent déjà de moyens conventionnels pour frapper à distance les sites stratégiques russes depuis des bâtiments de surface ou des bombardiers stratégiques. Il s'agit donc aussi de réassurer les Alliés en les impliquant dans la défense."

Elle pose aussi la question d'une éventuelle frappe russe :

"Que se passe-t-il si un site concourant à la dissuasion russe est frappé par un missile depuis l'Allemagne ?" Elle précise toutefois "qu'un tel scénario est peu probable et que le déploiement depuis l'Allemagne pourrait seulement servir de base de départ ; une éventuelle guerre verrait alors le déploiement plus en avant du LRHW".

La crise des Euro-missiles 2 ?

Certains voient dans cette annonce le retour à une crise des Euromissiles. Pour rappel, à la fin des années 1970, l'Union soviétique déploya de nouveaux systèmes stratégiques, comme expliqué dans la déclaration du sommet spécial de l'OTAN à ce sujet :

"Cette situation a été spécialement aggravée ces dernières années par les décisions de l'URSS de mettre en œuvre des programmes visant à moderniser et développer substantiellement ses moyens nucléaires à longue portée. On a ainsi vu, en particulier, I'URSS déployer le missile SS-20, système nettement plus perfectionné que les précédents en ce sens qu'il possède une précision, une mobilité et une portée accrues et qu'il est pourvu de charges multiples, et le bombardier [Tu-22] Backfire, dont les performances sont bien supérieures à celles des autres avions soviétiques déployés à ce jour pour remplir des missions de théâtre."

Dès lors, en réponse à ces déploiements et afin d'équilibrer la posture stratégique :

"En conséquence, les ministres ont décidé de procéder à une modernisation des LRTNF de l'OTAN en déployant en Europe des systèmes américains lancés du sol comprenant 108 lanceurs Pershing II qui remplaceront les Pershing l-A américains existants, de 464 missiles de croisière lancés du sol, tous dotés de charges uniques."

Pour revenir à 2026 et le futur déploiement de la 2ème MDTF américaine, la réponse est bien évidemment négative ; il ne s'agit pas d'une seconde crise des Euromissiles, la MDTF étant uniquement équipée de missiles à charge conventionnelle.

La rupture d’un traité ?

D’autres citent la rupture du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Pour rappel, ce traité, signé le 8 décembre 1987, actait la fin de la crise des Euromissiles. Il stipulait notamment l’interdiction du déploiement de missiles de croisière ou balistiques, à charge nucléaire ou conventionnelle, tirés depuis le sol et avec une portée supérieure à 500 kilomètres et inférieure à 5 500 kilomètres. Or, comme expliqué sur X par Joseph Henrotin, directeur de recherche au CAPRI et rédacteur en chef de Défense & Sécurité Internationale (DSI), la volonté de déployer un MDTF américain en Allemagne date de 2021… soit deux ans après la fin du traité FNI ! Il rappelle également que la Russie avait déjà violé le traité depuis longtemps, avec le développement du missile SS-C-8 ou encore les batteries lance-missiles antinavires Bal et Bastion. Ces deux dernières, comme démontré en Ukraine, disposent d’une capacité secondaire sol-sol bien au-delà de la limite des 500 kilomètres.



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