Qualité de vie et conditions de travail dans la filière aérospatiale : pourquoi il faut s'en préoccuper
Qualité de vie et conditions de travail dans la filière aérospatiale : pourquoi il faut s'en préoccuper
© IPECA

publié le 21 septembre 2024 à 16:22

3461 mots

Qualité de vie et conditions de travail dans la filière aérospatiale : pourquoi il faut s'en préoccuper

Le recrutement et la formation, sur fond de cadence très soutenue et de monde en crises, restent les premières préoccupations de la filière aérospatiale en matière de RH. Néanmoins, quelques signaux sont à suivre avec attention sous peine de perturbations dans le ciel de la production. Absentéisme, désorganisation, épuisement des travailleurs ou désengagement guettent. La qualité de vie et les conditions de travail (QVCT) sont-elles le prochain défi RH stratégique de la filière?


8 000 absents de la chaîne de la chaîne de production

Ne dit-on pas que recruter de nouveaux clients ou collaborateurs coûte plus cher que de fidéliser ceux en place ? En tout cas, le directeur général d’IPECA PREVOYANCE (Institution de Prévoyance des Entreprises de Construction Aéronautique), Philippe Ricard en est convaincu : le sujet de la santé et de la QVCT (qualité de vie et conditions de travail) est tout aussi important en matière de politique sociale que le recrutement et la formation. «Ces sujets sont de vrais leviers d’attractivité et de rétention des salariés de la filière aéro». 

Or, il constate que le taux moyen d’absence au poste de travail dans la filière est passé de 3,6% en 2019 à 4,5% en 2022. «La situation s’est un peu améliorée en 2023 mais le taux reste toujours au-dessus du niveau de 2019, soit un peu plus de 4%. En fait, cela veut dire que sur les 200 000 salariés de la filière aéronautique (chiffres GIFAS), c’est comme si vous aviez 8.000 personnes par an qui ne produisent pas», s’inquiète-t-il. Une autre donnée l’interpelle : la durée moyenne des arrêts de travail tend elle aussi à évoluer à la hausse. «On est passé de 6 jours en moyenne en 2019 à un peu plus de 8 jours en 2022 et au-delà de 10 jours pour 2023». 

Arrêts de répit

Toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne en fonction de leur taille et des moyens qui sont associés à la santé et la sécurité des collaborateurs. Il est par contre intéressant d’examiner les données de manière plus fine sur l’ensemble de la chaîne de production. IPECA, en tant qu’assureur santé, exploite ses données pour identifier des comportements ou des signaux faibles qui peuvent être des indicateurs utiles. 

Par exemple, l’Institution de prévoyance constate que la baisse apparente de la durée des arrêts de travail en 2022 s’explique principalement par une forte augmentation des arrêts de courte durée, et non par une amélioration du risque global. «Comment expliquer cette augmentation ? En tout cas pas par les arrêts en lien avec les accidents de travail qui ont plutôt diminué. Ces questions d’accidentologie au travail, qui ont fait l’objet d’un débat public, apparaissent comme des sujets plutôt bien pris en compte dans la filière», affirme Philippe Ricard

Pour lui, les arrêts courts ressembleraient plutôt à des arrêts de répit. «Une de nos hypothèses est qu’il existe un changement important du rapport au travail, et notamment le niveau d’acceptation de la fatigue physique et mentale. C’est un fait que le rapport au travail a beaucoup évolué depuis la période Covid et que les salariés sont attentifs à leur santé physique et mentale». Sur le terrain, on confirme ce dernier constat. «Le Covid a changé les habitudes et a accéléré l’importance accordée à l’équilibre vie privée-vie professionnelle», souligne Didier Denaud, délégué syndical CFE-CGC chez Dassault Aviation. Florent Veletchy, Coordinateur CFTC du groupe Airbus embraye : «Depuis le Covid, tout le monde sait maintenant qu’il y a autre chose dans la vie que le travail».

Ralentissement de la production

«Lors d’un arrêt de travail long ou qui peut être anticipé, par exemple, lorsque l’absence va au-delà d’un mois, il est possible d’aller chercher des profils temporaires pour remplacer les absents», poursuit le Directeur général d’IPECA. «Par contre, lorsque l’absence est de courte durée, environ une semaine, il est difficile d’avoir la réactivité nécessaire pour le remplacement. La ligne de fabrication se retrouve donc avec une ressource en moins».

Il tient à préciser que la problématique posée par les arrêts de travail n’est pas spécifique à l’industrie aéronautique. Néanmoins, celle-ci présente une spécificité : toute la chaîne est interconnectée. Les retards des uns se répercutent donc sur la cadence des autres. «Et si vous ajoutez à cela la problématique du recrutement et de la formation, vous avez un troisième facteur qui peut impacter les cadences de production».

Certains évoquent même des situations vécues comme de la désorganisation. Didier Denaud (CFE-CGC - Dassault Aviation) : «Chez nous, l’absentéisme et les conditions de travail sont un sujet majeur. L’absentéisme est plus haut qu’il y a quelques années et touche toutes les catégories professionnelles, mais surtout dans les ateliers. Certains types d’absentéisme sont plus prévisibles et donc plus faciles à gérer. Par contre, l’absentéisme de courte durée peut conduire à désorganiser le travail et les équipes». 

A ce risque de ralentissement de la production s’ajoute celui de l’augmentation des coûts, comme l’évoque Mikaël Butterbach, DRH d’Airbus Defence & Space en France. Il est par ailleurs vice-Président d’IPECA : «Etant donné le transfert d’une partie de la sécurité sociale vers les institutions de prévoyance et les mutuelles, et donc les entreprises, combiné à une augmentation de la consommation des soins de santé par les utilisateurs, les frais de santé représentent un coût significatif qui vient peser sur les taux horaires de l’ensemble de la chaîne de production. Et cela doit retenir toute notre attention». Florent Veletchy (CFTC – Airbus) ajoute : «Nous venons de négocier un nouvel accord santé prévoyance chez Airbus. Et vu le désengagement croissant de l’Etat dans la santé, le budget santé et prévoyance pour les salariés a été augmenté de 20%. C’est gigantesque ! ».

Report de la charge

Puisqu’il faut continuer à produire, la charge des absents de courte durée se reporte inévitablement sur les collègues présents. Patrice Thébault, coordinateur adjoint CGT du groupe Airbus, mentionne une enquête interne menée en 2023 : «Celle-ci demandait aux collègues s’ils avaient assez de temps pour réaliser convenablement leur travail. Et la réponse est non. Souvent, leur travail dépasse les horaires de travail et ils ont tendance à écourter leurs temps de pause. Cela montre que les gens veulent bien faire leur job, mais que quelque part, on ne leur donne pas les moyens de le faire». 

Son collègue Jérémy Rondeau, délégué CGT à Airbus Atlantic, aborde une difficulté supplémentaire : la charge due à la formation des nouvelles recrues. «De plus en plus de nouveaux embauchés arrivent avec des expériences très faibles de l’industrie et de l’aéronautique. Nous n’étions pas habitués à voir cela chez Airbus». Les délégués CGT ont d’ailleurs alerté la direction sur le fait que pour eux, «l’entreprise n’a pas la capacité d’accompagner tous ces nouveaux. Là, on ne demande plus aux tuteurs de faire du tutorat mais de la formation. Or, il ne faut pas oublier qu’à côté, ils doivent aussi continuer à faire leur travail». 

Pas le temps non plus d’acculturer les nouveaux. «On leur demande de produire rapidement des résultats et ils ne connaissent pas forcément l’environnement et la culture de l’entreprise, ce qui peut effectivement générer des soucis», témoigne Marie-Hélène Miermont, déléguée syndicale centrale référente CFE-CGC chez Thales Alenia Space.

Epuisement croissant

Alors tout va-t-il bien dans le meilleur des mondes dans cette filière qui remplit ses carnets de commande et recrute à tire-larigot ? Quand on interroge les élus syndicaux, ils nous font part en tout cas d’une usure grandissante parmi les collègues. Une usure due au manque de personnel qui semble perdurer, mais aussi à une certaine désorganisation due aux difficultés d’approvisionnement dans la supply chain. Le burn-out n’est pas loin…

«Il y a un vrai décalage entre l’image d’Airbus à l’extérieur, à savoir une entreprise qui se porte bien financièrement et qui affiche dix ans de carnet de commandes assurés, et ce que vivent les salariés à l’intérieur», affirme Patrice Thébault (CGT – Airbus). «La compétitivité et la productivité se trouvent en préambule de tous les accords sociaux. Mais pour nous, ces objectifs de progression sont dimensionnés sans tenir compte de la réalité et de la capacité à les tenir au niveau de l’entreprise. Tout cela produit de la souffrance».

Il décrit aussi une crainte profonde de voir le statut social et les conditions de travail se dégrader. «Nous connaissons une montée des cadences depuis longtemps. Mais au moment de la crise Covid, le plan social nous a fait perdre de nombreux acquis sociaux sous couvert de sauvetage de l’entreprise, ainsi qu’une perte de terrain du côté de la vie privée. Par ailleurs, en débarquant de nombreux collaborateurs expérimentés et prestataires, ce plan social a été un gâchis humain. C’est vrai qu’Airbus a la ferme volonté d’embaucher massivement aujourd’hui, mais ils ont beaucoup de mal à trouver des profils qui matchent avec leurs objectifs de production».

Mode pompier

Alors en attendant, les élus observent une intensification très claire du temps de travail, un débordement fréquent de celui-ci sur la vie privée et le sentiment que la situation s’installe dans le temps. Sébastien Grenier, délégué CGT à Airbus : «Depuis déjà trois ans, beaucoup d’équipes fonctionnent en mode pompier, y compris en production. Les managers passent leur temps à éteindre des incendies et ne sont pas en mesure de réfléchir à demain. Et tout ce qui est projet d’amélioration continue est mis de côté».

«Quand on lit que la moyenne des salariés travaillant sur le 737 chez Boeing est de moins de six ans d’expérience, c’est impressionnant ! », poursuit son collègue Jérémy Rondeau. «Selon nous, soit Airbus va y perdre en qualité de travail et par le désengagement des gens. Soit ceux-ci vont continuer à tirer sur la corde et aller en burn-out. Nous avons besoin de gens expérimentés dans la chaîne. Investir dans les emplois, c’est aussi garantir la sécurité de demain».

Vision productiviste

Jean-François Bequet est coordinateur syndical CGT au niveau du groupe Safran. Il dénonce une vision productiviste du travail « à la manière de Boeing » : «Actuellement, avec la montée en cadence, on constate une tendance à resserrer la vis et à avoir un contrôle plus précis sur le rythme de travail et les temps de pause. Cela crée une ambiance un peu démotivante et risque d’avoir un effet contreproductif. Dans ce contexte de pression, certains pourraient décider de bosser un peu moins vite ou moins bien que d’habitude». 

On parle souvent de l’aéronautique comme d’un secteur que l’on choisit par passion. Jean-François Bequet observe un changement : «Il y a quelques décennies, quand on venait au travail, on venait voir les copains. Alors qu’aujourd’hui, les gens viennent au travail parce qu’il faut bosser. De même, avant on venait parce qu’on faisait des moteurs et des pièces d’avions. Aujourd’hui, on vient parce que c’est un secteur porteur qui peut aider à développer une carrière et à avoir un statut social un peu plus élevé que les autres. Mais j’ai le sentiment qu’il n’y a plus la passion aéro». 

Chez Thales Alenia Space, le contexte est différent. Ce ne sont pas les montées de cadence qui inquiètent, mais la restructuration annoncée (1 000 suppressions de postes rien que pour la France). « Les suppressions de postes vont inévitablement entrainer une surcharge pour ceux qui restent, et notre plus gros risque aujourd’hui est la charge de travail accrue», souligne Gilles Chassand-Delattre, délégué FO, Secrétaire CSSCT centrale et secrétaire CSSCT sur le site de Cannes. «Quand on observe l’amplitude horaire des gens, on se rend compte qu’elle est largement supérieure à la norme. Les personnes sont très investies, et en fin de compte, elles sont épuisées. Cela s’accompagne d’un changement de paradigme sur nos contrats : alors qu’il y a quelques années, on mettait environ dix ans pour sortir un satellite, aujourd’hui on nous demande de le faire en deux ou trois ans».

Managers en détresse

Beaucoup en appellent à un management davantage « bienveillant ». Surtout dans le chef du management de proximité qui joue un rôle clé dans la qualité de vie au travail.

Catherine Rossillon, élue CFDT à Airbus Defence & Space, souligne cependant que les Team leaders sont particulièrement exposés à la fatigue mentale et aux risques psychosociaux. "Face à la surcharge subie par leur équipe, ils cherchent à faire au mieux mais ils sont souvent démunis». Selon les élus CGT d’Airbus, une psychologue du travail aurait confié « ne jamais avoir vu autant de managers pleurer lors des consultations».

«Du côté de la CFE-CGC, nous trouvons qu’on demande beaucoup aux managers. Ils n’ont pas assez de temps pour faire du management car ils sont pris par leur boulot opérationnel. Pour pouvoir détecter des signaux faibles et mettre un peu de liant dans l’équipe, il faut pouvoir y passer un petit peu de temps», commente Marie-Hélène Miermont (CFE-CGC - Thales Alenia Space).

Burn-out… même les jeunes.

L’absentéisme et le burn-out sont en augmentation. Et ce qui inquiète, c’est qu’ils touchent aussi les plus jeunes. «C’est très préoccupant de voir ces jeunes proches de la sortie des études touchés par le burn-out, alors que normalement, tous les voyants sont au vert pour eux», déclare Catherine Rossillon (CFDT-Airbus). «Or, ces jeunes, qui sortent des écoles d’ingénieurs ont appris à gérer de grosses charges de travail. Ce qui prouve que ce n’est pas juste une question de quantité de travail», complète Benoît Quatrevaux, élu CFDT à Airbus Atlantic.

«Chez nous, le phénomène de burn-out est relativement récent. Quinze cas l’année dernière, alors qu’avant, on n’en avait pratiquement pas. Ce sont quinze de trop. D’autant que nous sommes dans un secteur qui fait briller les yeux, où les gens viennent par plaisir», s’inquiètent les élus FO de Thales Alenia Space, au point qu’ils ont réclamé une enquête interne sur le sujet. Les résultats et recommandations étaient attendus pour la mi-septembre.

Facteur d’attractivité

La QVCT est aussi un facteur d’attractivité. Jean-François Bequet (CGT – Safran) : «Plus une société améliore la manière dont elle traite ses salariés, au-delà du salaire, plus son image est attractive. Et a contrario, si vous ne soignez pas cette qualité de vie au sens large, certains collaborateurs iront voir ailleurs».

Jean-Baptiste Ertlé est DRH de MBDA France : «Pour répondre à la croissance très forte que nous connaissons dans le secteur de la défense, il faut travailler sur tous les axes : recrutement, formation et qualité de vie au travail. Ce n’est pas l’un ou l’autre. MBDA s’inscrit pleinement dans la stratégie d’IPECA, qui est de privilégier la prévention, et je pense que le sujet de la QVCT va prendre de plus en plus de place. La santé coûte cher, mais c’est aussi un élément différenciateur. On n’y pense peut-être pas toujours, mais toutes les entreprises ne proposent pas les mêmes dispositions en matière de protection sociale. Dans certains pays, c’est même un vrai élément d’attractivité».

En complément des investissements et des dispositifs existants, MBDA a investi, au sortir de la crise sanitaire entre 2022 et 2024 en France, plus de 160 millions € dans la QVCT. «Ces investissements comprennent notamment un plan d’action dédié à améliorer le bien-être et à la qualité de vie au travail, en prenant en compte les nouvelles aspirations des collaborateurs et les transformations associées à cette période en matière d’organisation du travail et de QVCT. MBDA a également réalisé des investissements massifs dans ses sites en France afin d’améliorer les espaces de travail et de se doter de nouvelles infrastructures les plus attractives possible», explique Jean-Baptiste Ertlé. «Il y a de nombreux éléments d’attractivité qui peuvent paraître moins significatifs, et qui pourtant sont très appréciés de nos collaborateurs. Souvent, par exemple, dans les enquêtes de satisfaction complétées par les nouveaux embauchés vient en tête de liste la restauration collective ! ».

Rôle sociétal de l’entreprise

Soyons clairs : la hausse de l’absentéisme et l’épuisement décrits plus haut ne sont pas uniquement liés au travail. «Nous sommes dans un monde en perte de repères, où s’additionnent les crises environnementale, économique, géopolitique, et une méfiance croissante vis-à-vis des institutions fortes que sont l’éducation, la politique, la sécurité… Je pense dès lors qu’il est très important de réussir à protéger ce qui reste d’encore solide du vivre ensemble, à savoir l’entreprise», souligne Mikaël Butterbach. 

Selon Philippe Ricard, les salariés attendent aujourd’hui beaucoup de leur employeur. «C’est un peu comme si l’entreprise était le seul point de repère vraiment stable dans la société. Les salariés sont donc en attente de solutions à leurs difficultés. Ou en tout cas, ils attendent de leur employeur qu’il leur permette de se sentir mieux, de s’exprimer, de créer du lien social… » 

Cela fait écho aux propos de Sophie Guerin, représentante syndicale CFTC au CSEE et CSEC d’Airbus Operations : «Du côté de la CFTC, nous sommes convaincus que ce n’est pas que l’argent qui guide la volonté et l’ambition des salariés, et qu’il faut mettre le paquet sur les conditions de vie au travail et sur comment les salariés se projettent dans l’entreprise. La QVCT, ce n’est pas du babyfoot, des séances de yoga ou une salle de pause géniale, même si tout cela en fait partie. Le vrai sujet, c’est comment les salariés vivent leur travail au quotidien, comment leur avis est pris en compte, comment le lien se passe avec la hiérarchie et avec les collègues… ».

Qualité de vie tout court

D’ailleurs certains élus préfèrent parler de « qualité de vie tout court », puisque la vie professionnelle a inévitablement un impact sur la qualité de vie dans son ensemble. L’entreprise est poussée à penser plus largement que le simple cadre de travail et à accompagner ses salariés dans leurs épreuves personnelles. «Chez Safran, nous avons par exemple un accord sur le handicap qui prend en compte notamment les salariés qui ont un enfant ou un parent handicapé», relate Jean-François Bequet (CGT – Safran). «On va aussi démarrer un travail avec la direction sur l’accompagnement des personnes en affection de longue durée, comme des gens atteints de cancer par exemple. L’idée est de faciliter la vie des salariés, et du coup de leur permettre de se sentir plus à l’aise pour bosser sereinement».

Innovations sociales

La QVCT est clairement un sujet qui implique une notion d’innovation et qui est loin d’être au bout de son développement. Outre des sujets entrés désormais dans les mœurs comme le télétravail, les initiatives et dispositifs se multiplient. Parmi les initiatives recueillies pour ce dossier, citons en vrac des séances individuelles de sophrologie et de réflexologie plantaire proposées tout au long de l’année chez MBDA, des salles de sieste à l’étude à l’attention de compagnons chez Airbus, des cabines de téléconsultation où les salariés peuvent avoir l’avis d’un médecin sans devoir s’absenter de leur entreprise, de « retours doux au travail » pour les salariés victimes d’un burn-out ou d’une maladie grave chez Airbus, un accompagnement et allègement des fins de carrière chez Safran… 

Ou encore des réunions d’expression chez Dassault Aviation : «Ce dispositif a pour but d’inciter les salariés à s’exprimer sur leur travail », explique Dinh Lè, délégué CFDT chez Dassault Aviation. «La hiérarchie a ensuite l’obligation de faire un retour sur toutes les questions posées. Tous les sujets liés au travail sont abordés, cela va des modèles de perceuses à l’organisation, en passant par des questions d’horaire… Ces groupes de parole permettent non seulement de souder le collectif de travail, mais aussi aux salariés de se sentir considérés et écoutés par la hiérarchie». 

Gate QVCT chez Airbus

Chez Airbus, la QVCT a même fait son entrée dans la gestion de projets. «L’entreprise a en effet instauré une ‘Gate QVCT’. C’est-à-dire que désormais, quand un manager a un projet d’envergure à mener, il y a des critères liés à la QVCT à remplir avant de pouvoir passer à l’étape suivante, comme c’est déjà le cas avec les critères financiers et autres», explique Florent Veletchy (CFTC- Airbus). 

Catherine Rossillon (CFDT - Airbus Defence & Space) décrit ce dispositif préventif d’analyse des risques liés aux facteurs humains, en place depuis cet été. «Désormais, dans tous nos programmes, à côté des analyses de risques techniques, de planning, etc., la ligne hiérarchique du projet dispose d’une grille de questions qui va permettre d’identifier les risques liés aux facteurs humains. Cinq sujets sont abordés : la charge de travail, l’organisation du travail, la coopération avec les interfaces, le management et les relations de travail, l’environnement et les conditions de travail».

«On y retrouve par exemple des questions comme comment impliquez-vous l’équipe ? Proposez-vous un niveau d’autonomie et de latitude décisionnelle suffisant ? Comment essayez-vous de donner du sens au travail et à votre équipe ? Comment identifiez-vous les situations d’isolement, notamment pour celles et ceux qui ne sont pas forcément dédiés à 100% sur le projet ? Comment vous assurez-vous que le mode de fonctionnement dans le projet favorise un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée ? Etc. », précise-t-elle.

Dialogue social

Le DRH d’Airbus Defence & Space France, Mikaël Butterbach, termine en insistant sur la notion d’évolution collective. «Bien entendu, un bien vivre ensemble, une bonne ambiance au travail, cela ne se décrète pas. Mais, la première des choses est de le vouloir. A la fois du côté employeur que du côté des salariés et des organisations syndicales. On peut avoir des tas d’initiatives sur la sécurité ou la qualité de vie au travail, un des éléments essentiels reste pour moi le dialogue social. L’entreprise reste ce lieu où les gens se rassemblent, d’où qu’ils viennent. Le temps qu’ils y passent est plus qu’une ‘journée de travail’. C’est aussi du partage. En sécurisant le dialogue social, on valorise le vivre ensemble».

Commentaires
user_picture Xavier Xave 23/09/2024 17:57

Le problème c'est les salaires qui ont beaucoup baissé depuis 10 ans ... L industrie et son management mortifère ! Depuis que le management ... calque son système sur celui de l'automobile plus rien ne va!!! Et ça personne n en parle non personne... Les managers et leurs résultats financiers chez Airbus par exemple... Le management a tué l'industrie, la passion des compagnons et des jeunes. 24 ans que je suis dans l'aéronautique et je le vois tout les jours... C'est une catastrophe. plus



21/09/2024 16:22
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Qualité de vie et conditions de travail dans la filière aérospatiale : pourquoi il faut s'en préoccuper

Le recrutement et la formation, sur fond de cadence très soutenue et de monde en crises, restent les premières préoccupations de la filière aérospatiale en matière de RH. Néanmoins, quelques signaux sont à suivre avec attention sous peine de perturbations dans le ciel de la production. Absentéisme, désorganisation, épuisement des travailleurs ou désengagement guettent. La qualité de vie et les conditions de travail (QVCT) sont-elles le prochain défi RH stratégique de la filière?

Qualité de vie et conditions de travail dans la filière aérospatiale : pourquoi il faut s'en préoccuper
Qualité de vie et conditions de travail dans la filière aérospatiale : pourquoi il faut s'en préoccuper

8 000 absents de la chaîne de la chaîne de production

Ne dit-on pas que recruter de nouveaux clients ou collaborateurs coûte plus cher que de fidéliser ceux en place ? En tout cas, le directeur général d’IPECA PREVOYANCE (Institution de Prévoyance des Entreprises de Construction Aéronautique), Philippe Ricard en est convaincu : le sujet de la santé et de la QVCT (qualité de vie et conditions de travail) est tout aussi important en matière de politique sociale que le recrutement et la formation. «Ces sujets sont de vrais leviers d’attractivité et de rétention des salariés de la filière aéro». 

Or, il constate que le taux moyen d’absence au poste de travail dans la filière est passé de 3,6% en 2019 à 4,5% en 2022. «La situation s’est un peu améliorée en 2023 mais le taux reste toujours au-dessus du niveau de 2019, soit un peu plus de 4%. En fait, cela veut dire que sur les 200 000 salariés de la filière aéronautique (chiffres GIFAS), c’est comme si vous aviez 8.000 personnes par an qui ne produisent pas», s’inquiète-t-il. Une autre donnée l’interpelle : la durée moyenne des arrêts de travail tend elle aussi à évoluer à la hausse. «On est passé de 6 jours en moyenne en 2019 à un peu plus de 8 jours en 2022 et au-delà de 10 jours pour 2023». 

Arrêts de répit

Toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne en fonction de leur taille et des moyens qui sont associés à la santé et la sécurité des collaborateurs. Il est par contre intéressant d’examiner les données de manière plus fine sur l’ensemble de la chaîne de production. IPECA, en tant qu’assureur santé, exploite ses données pour identifier des comportements ou des signaux faibles qui peuvent être des indicateurs utiles. 

Par exemple, l’Institution de prévoyance constate que la baisse apparente de la durée des arrêts de travail en 2022 s’explique principalement par une forte augmentation des arrêts de courte durée, et non par une amélioration du risque global. «Comment expliquer cette augmentation ? En tout cas pas par les arrêts en lien avec les accidents de travail qui ont plutôt diminué. Ces questions d’accidentologie au travail, qui ont fait l’objet d’un débat public, apparaissent comme des sujets plutôt bien pris en compte dans la filière», affirme Philippe Ricard

Pour lui, les arrêts courts ressembleraient plutôt à des arrêts de répit. «Une de nos hypothèses est qu’il existe un changement important du rapport au travail, et notamment le niveau d’acceptation de la fatigue physique et mentale. C’est un fait que le rapport au travail a beaucoup évolué depuis la période Covid et que les salariés sont attentifs à leur santé physique et mentale». Sur le terrain, on confirme ce dernier constat. «Le Covid a changé les habitudes et a accéléré l’importance accordée à l’équilibre vie privée-vie professionnelle», souligne Didier Denaud, délégué syndical CFE-CGC chez Dassault Aviation. Florent Veletchy, Coordinateur CFTC du groupe Airbus embraye : «Depuis le Covid, tout le monde sait maintenant qu’il y a autre chose dans la vie que le travail».

Ralentissement de la production

«Lors d’un arrêt de travail long ou qui peut être anticipé, par exemple, lorsque l’absence va au-delà d’un mois, il est possible d’aller chercher des profils temporaires pour remplacer les absents», poursuit le Directeur général d’IPECA. «Par contre, lorsque l’absence est de courte durée, environ une semaine, il est difficile d’avoir la réactivité nécessaire pour le remplacement. La ligne de fabrication se retrouve donc avec une ressource en moins».

Il tient à préciser que la problématique posée par les arrêts de travail n’est pas spécifique à l’industrie aéronautique. Néanmoins, celle-ci présente une spécificité : toute la chaîne est interconnectée. Les retards des uns se répercutent donc sur la cadence des autres. «Et si vous ajoutez à cela la problématique du recrutement et de la formation, vous avez un troisième facteur qui peut impacter les cadences de production».

Certains évoquent même des situations vécues comme de la désorganisation. Didier Denaud (CFE-CGC - Dassault Aviation) : «Chez nous, l’absentéisme et les conditions de travail sont un sujet majeur. L’absentéisme est plus haut qu’il y a quelques années et touche toutes les catégories professionnelles, mais surtout dans les ateliers. Certains types d’absentéisme sont plus prévisibles et donc plus faciles à gérer. Par contre, l’absentéisme de courte durée peut conduire à désorganiser le travail et les équipes». 

A ce risque de ralentissement de la production s’ajoute celui de l’augmentation des coûts, comme l’évoque Mikaël Butterbach, DRH d’Airbus Defence & Space en France. Il est par ailleurs vice-Président d’IPECA : «Etant donné le transfert d’une partie de la sécurité sociale vers les institutions de prévoyance et les mutuelles, et donc les entreprises, combiné à une augmentation de la consommation des soins de santé par les utilisateurs, les frais de santé représentent un coût significatif qui vient peser sur les taux horaires de l’ensemble de la chaîne de production. Et cela doit retenir toute notre attention». Florent Veletchy (CFTC – Airbus) ajoute : «Nous venons de négocier un nouvel accord santé prévoyance chez Airbus. Et vu le désengagement croissant de l’Etat dans la santé, le budget santé et prévoyance pour les salariés a été augmenté de 20%. C’est gigantesque ! ».

Report de la charge

Puisqu’il faut continuer à produire, la charge des absents de courte durée se reporte inévitablement sur les collègues présents. Patrice Thébault, coordinateur adjoint CGT du groupe Airbus, mentionne une enquête interne menée en 2023 : «Celle-ci demandait aux collègues s’ils avaient assez de temps pour réaliser convenablement leur travail. Et la réponse est non. Souvent, leur travail dépasse les horaires de travail et ils ont tendance à écourter leurs temps de pause. Cela montre que les gens veulent bien faire leur job, mais que quelque part, on ne leur donne pas les moyens de le faire». 

Son collègue Jérémy Rondeau, délégué CGT à Airbus Atlantic, aborde une difficulté supplémentaire : la charge due à la formation des nouvelles recrues. «De plus en plus de nouveaux embauchés arrivent avec des expériences très faibles de l’industrie et de l’aéronautique. Nous n’étions pas habitués à voir cela chez Airbus». Les délégués CGT ont d’ailleurs alerté la direction sur le fait que pour eux, «l’entreprise n’a pas la capacité d’accompagner tous ces nouveaux. Là, on ne demande plus aux tuteurs de faire du tutorat mais de la formation. Or, il ne faut pas oublier qu’à côté, ils doivent aussi continuer à faire leur travail». 

Pas le temps non plus d’acculturer les nouveaux. «On leur demande de produire rapidement des résultats et ils ne connaissent pas forcément l’environnement et la culture de l’entreprise, ce qui peut effectivement générer des soucis», témoigne Marie-Hélène Miermont, déléguée syndicale centrale référente CFE-CGC chez Thales Alenia Space.

Epuisement croissant

Alors tout va-t-il bien dans le meilleur des mondes dans cette filière qui remplit ses carnets de commande et recrute à tire-larigot ? Quand on interroge les élus syndicaux, ils nous font part en tout cas d’une usure grandissante parmi les collègues. Une usure due au manque de personnel qui semble perdurer, mais aussi à une certaine désorganisation due aux difficultés d’approvisionnement dans la supply chain. Le burn-out n’est pas loin…

«Il y a un vrai décalage entre l’image d’Airbus à l’extérieur, à savoir une entreprise qui se porte bien financièrement et qui affiche dix ans de carnet de commandes assurés, et ce que vivent les salariés à l’intérieur», affirme Patrice Thébault (CGT – Airbus). «La compétitivité et la productivité se trouvent en préambule de tous les accords sociaux. Mais pour nous, ces objectifs de progression sont dimensionnés sans tenir compte de la réalité et de la capacité à les tenir au niveau de l’entreprise. Tout cela produit de la souffrance».

Il décrit aussi une crainte profonde de voir le statut social et les conditions de travail se dégrader. «Nous connaissons une montée des cadences depuis longtemps. Mais au moment de la crise Covid, le plan social nous a fait perdre de nombreux acquis sociaux sous couvert de sauvetage de l’entreprise, ainsi qu’une perte de terrain du côté de la vie privée. Par ailleurs, en débarquant de nombreux collaborateurs expérimentés et prestataires, ce plan social a été un gâchis humain. C’est vrai qu’Airbus a la ferme volonté d’embaucher massivement aujourd’hui, mais ils ont beaucoup de mal à trouver des profils qui matchent avec leurs objectifs de production».

Mode pompier

Alors en attendant, les élus observent une intensification très claire du temps de travail, un débordement fréquent de celui-ci sur la vie privée et le sentiment que la situation s’installe dans le temps. Sébastien Grenier, délégué CGT à Airbus : «Depuis déjà trois ans, beaucoup d’équipes fonctionnent en mode pompier, y compris en production. Les managers passent leur temps à éteindre des incendies et ne sont pas en mesure de réfléchir à demain. Et tout ce qui est projet d’amélioration continue est mis de côté».

«Quand on lit que la moyenne des salariés travaillant sur le 737 chez Boeing est de moins de six ans d’expérience, c’est impressionnant ! », poursuit son collègue Jérémy Rondeau. «Selon nous, soit Airbus va y perdre en qualité de travail et par le désengagement des gens. Soit ceux-ci vont continuer à tirer sur la corde et aller en burn-out. Nous avons besoin de gens expérimentés dans la chaîne. Investir dans les emplois, c’est aussi garantir la sécurité de demain».

Vision productiviste

Jean-François Bequet est coordinateur syndical CGT au niveau du groupe Safran. Il dénonce une vision productiviste du travail « à la manière de Boeing » : «Actuellement, avec la montée en cadence, on constate une tendance à resserrer la vis et à avoir un contrôle plus précis sur le rythme de travail et les temps de pause. Cela crée une ambiance un peu démotivante et risque d’avoir un effet contreproductif. Dans ce contexte de pression, certains pourraient décider de bosser un peu moins vite ou moins bien que d’habitude». 

On parle souvent de l’aéronautique comme d’un secteur que l’on choisit par passion. Jean-François Bequet observe un changement : «Il y a quelques décennies, quand on venait au travail, on venait voir les copains. Alors qu’aujourd’hui, les gens viennent au travail parce qu’il faut bosser. De même, avant on venait parce qu’on faisait des moteurs et des pièces d’avions. Aujourd’hui, on vient parce que c’est un secteur porteur qui peut aider à développer une carrière et à avoir un statut social un peu plus élevé que les autres. Mais j’ai le sentiment qu’il n’y a plus la passion aéro». 

Chez Thales Alenia Space, le contexte est différent. Ce ne sont pas les montées de cadence qui inquiètent, mais la restructuration annoncée (1 000 suppressions de postes rien que pour la France). « Les suppressions de postes vont inévitablement entrainer une surcharge pour ceux qui restent, et notre plus gros risque aujourd’hui est la charge de travail accrue», souligne Gilles Chassand-Delattre, délégué FO, Secrétaire CSSCT centrale et secrétaire CSSCT sur le site de Cannes. «Quand on observe l’amplitude horaire des gens, on se rend compte qu’elle est largement supérieure à la norme. Les personnes sont très investies, et en fin de compte, elles sont épuisées. Cela s’accompagne d’un changement de paradigme sur nos contrats : alors qu’il y a quelques années, on mettait environ dix ans pour sortir un satellite, aujourd’hui on nous demande de le faire en deux ou trois ans».

Managers en détresse

Beaucoup en appellent à un management davantage « bienveillant ». Surtout dans le chef du management de proximité qui joue un rôle clé dans la qualité de vie au travail.

Catherine Rossillon, élue CFDT à Airbus Defence & Space, souligne cependant que les Team leaders sont particulièrement exposés à la fatigue mentale et aux risques psychosociaux. "Face à la surcharge subie par leur équipe, ils cherchent à faire au mieux mais ils sont souvent démunis». Selon les élus CGT d’Airbus, une psychologue du travail aurait confié « ne jamais avoir vu autant de managers pleurer lors des consultations».

«Du côté de la CFE-CGC, nous trouvons qu’on demande beaucoup aux managers. Ils n’ont pas assez de temps pour faire du management car ils sont pris par leur boulot opérationnel. Pour pouvoir détecter des signaux faibles et mettre un peu de liant dans l’équipe, il faut pouvoir y passer un petit peu de temps», commente Marie-Hélène Miermont (CFE-CGC - Thales Alenia Space).

Burn-out… même les jeunes.

L’absentéisme et le burn-out sont en augmentation. Et ce qui inquiète, c’est qu’ils touchent aussi les plus jeunes. «C’est très préoccupant de voir ces jeunes proches de la sortie des études touchés par le burn-out, alors que normalement, tous les voyants sont au vert pour eux», déclare Catherine Rossillon (CFDT-Airbus). «Or, ces jeunes, qui sortent des écoles d’ingénieurs ont appris à gérer de grosses charges de travail. Ce qui prouve que ce n’est pas juste une question de quantité de travail», complète Benoît Quatrevaux, élu CFDT à Airbus Atlantic.

«Chez nous, le phénomène de burn-out est relativement récent. Quinze cas l’année dernière, alors qu’avant, on n’en avait pratiquement pas. Ce sont quinze de trop. D’autant que nous sommes dans un secteur qui fait briller les yeux, où les gens viennent par plaisir», s’inquiètent les élus FO de Thales Alenia Space, au point qu’ils ont réclamé une enquête interne sur le sujet. Les résultats et recommandations étaient attendus pour la mi-septembre.

Facteur d’attractivité

La QVCT est aussi un facteur d’attractivité. Jean-François Bequet (CGT – Safran) : «Plus une société améliore la manière dont elle traite ses salariés, au-delà du salaire, plus son image est attractive. Et a contrario, si vous ne soignez pas cette qualité de vie au sens large, certains collaborateurs iront voir ailleurs».

Jean-Baptiste Ertlé est DRH de MBDA France : «Pour répondre à la croissance très forte que nous connaissons dans le secteur de la défense, il faut travailler sur tous les axes : recrutement, formation et qualité de vie au travail. Ce n’est pas l’un ou l’autre. MBDA s’inscrit pleinement dans la stratégie d’IPECA, qui est de privilégier la prévention, et je pense que le sujet de la QVCT va prendre de plus en plus de place. La santé coûte cher, mais c’est aussi un élément différenciateur. On n’y pense peut-être pas toujours, mais toutes les entreprises ne proposent pas les mêmes dispositions en matière de protection sociale. Dans certains pays, c’est même un vrai élément d’attractivité».

En complément des investissements et des dispositifs existants, MBDA a investi, au sortir de la crise sanitaire entre 2022 et 2024 en France, plus de 160 millions € dans la QVCT. «Ces investissements comprennent notamment un plan d’action dédié à améliorer le bien-être et à la qualité de vie au travail, en prenant en compte les nouvelles aspirations des collaborateurs et les transformations associées à cette période en matière d’organisation du travail et de QVCT. MBDA a également réalisé des investissements massifs dans ses sites en France afin d’améliorer les espaces de travail et de se doter de nouvelles infrastructures les plus attractives possible», explique Jean-Baptiste Ertlé. «Il y a de nombreux éléments d’attractivité qui peuvent paraître moins significatifs, et qui pourtant sont très appréciés de nos collaborateurs. Souvent, par exemple, dans les enquêtes de satisfaction complétées par les nouveaux embauchés vient en tête de liste la restauration collective ! ».

Rôle sociétal de l’entreprise

Soyons clairs : la hausse de l’absentéisme et l’épuisement décrits plus haut ne sont pas uniquement liés au travail. «Nous sommes dans un monde en perte de repères, où s’additionnent les crises environnementale, économique, géopolitique, et une méfiance croissante vis-à-vis des institutions fortes que sont l’éducation, la politique, la sécurité… Je pense dès lors qu’il est très important de réussir à protéger ce qui reste d’encore solide du vivre ensemble, à savoir l’entreprise», souligne Mikaël Butterbach. 

Selon Philippe Ricard, les salariés attendent aujourd’hui beaucoup de leur employeur. «C’est un peu comme si l’entreprise était le seul point de repère vraiment stable dans la société. Les salariés sont donc en attente de solutions à leurs difficultés. Ou en tout cas, ils attendent de leur employeur qu’il leur permette de se sentir mieux, de s’exprimer, de créer du lien social… » 

Cela fait écho aux propos de Sophie Guerin, représentante syndicale CFTC au CSEE et CSEC d’Airbus Operations : «Du côté de la CFTC, nous sommes convaincus que ce n’est pas que l’argent qui guide la volonté et l’ambition des salariés, et qu’il faut mettre le paquet sur les conditions de vie au travail et sur comment les salariés se projettent dans l’entreprise. La QVCT, ce n’est pas du babyfoot, des séances de yoga ou une salle de pause géniale, même si tout cela en fait partie. Le vrai sujet, c’est comment les salariés vivent leur travail au quotidien, comment leur avis est pris en compte, comment le lien se passe avec la hiérarchie et avec les collègues… ».

Qualité de vie tout court

D’ailleurs certains élus préfèrent parler de « qualité de vie tout court », puisque la vie professionnelle a inévitablement un impact sur la qualité de vie dans son ensemble. L’entreprise est poussée à penser plus largement que le simple cadre de travail et à accompagner ses salariés dans leurs épreuves personnelles. «Chez Safran, nous avons par exemple un accord sur le handicap qui prend en compte notamment les salariés qui ont un enfant ou un parent handicapé», relate Jean-François Bequet (CGT – Safran). «On va aussi démarrer un travail avec la direction sur l’accompagnement des personnes en affection de longue durée, comme des gens atteints de cancer par exemple. L’idée est de faciliter la vie des salariés, et du coup de leur permettre de se sentir plus à l’aise pour bosser sereinement».

Innovations sociales

La QVCT est clairement un sujet qui implique une notion d’innovation et qui est loin d’être au bout de son développement. Outre des sujets entrés désormais dans les mœurs comme le télétravail, les initiatives et dispositifs se multiplient. Parmi les initiatives recueillies pour ce dossier, citons en vrac des séances individuelles de sophrologie et de réflexologie plantaire proposées tout au long de l’année chez MBDA, des salles de sieste à l’étude à l’attention de compagnons chez Airbus, des cabines de téléconsultation où les salariés peuvent avoir l’avis d’un médecin sans devoir s’absenter de leur entreprise, de « retours doux au travail » pour les salariés victimes d’un burn-out ou d’une maladie grave chez Airbus, un accompagnement et allègement des fins de carrière chez Safran… 

Ou encore des réunions d’expression chez Dassault Aviation : «Ce dispositif a pour but d’inciter les salariés à s’exprimer sur leur travail », explique Dinh Lè, délégué CFDT chez Dassault Aviation. «La hiérarchie a ensuite l’obligation de faire un retour sur toutes les questions posées. Tous les sujets liés au travail sont abordés, cela va des modèles de perceuses à l’organisation, en passant par des questions d’horaire… Ces groupes de parole permettent non seulement de souder le collectif de travail, mais aussi aux salariés de se sentir considérés et écoutés par la hiérarchie». 

Gate QVCT chez Airbus

Chez Airbus, la QVCT a même fait son entrée dans la gestion de projets. «L’entreprise a en effet instauré une ‘Gate QVCT’. C’est-à-dire que désormais, quand un manager a un projet d’envergure à mener, il y a des critères liés à la QVCT à remplir avant de pouvoir passer à l’étape suivante, comme c’est déjà le cas avec les critères financiers et autres», explique Florent Veletchy (CFTC- Airbus). 

Catherine Rossillon (CFDT - Airbus Defence & Space) décrit ce dispositif préventif d’analyse des risques liés aux facteurs humains, en place depuis cet été. «Désormais, dans tous nos programmes, à côté des analyses de risques techniques, de planning, etc., la ligne hiérarchique du projet dispose d’une grille de questions qui va permettre d’identifier les risques liés aux facteurs humains. Cinq sujets sont abordés : la charge de travail, l’organisation du travail, la coopération avec les interfaces, le management et les relations de travail, l’environnement et les conditions de travail».

«On y retrouve par exemple des questions comme comment impliquez-vous l’équipe ? Proposez-vous un niveau d’autonomie et de latitude décisionnelle suffisant ? Comment essayez-vous de donner du sens au travail et à votre équipe ? Comment identifiez-vous les situations d’isolement, notamment pour celles et ceux qui ne sont pas forcément dédiés à 100% sur le projet ? Comment vous assurez-vous que le mode de fonctionnement dans le projet favorise un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée ? Etc. », précise-t-elle.

Dialogue social

Le DRH d’Airbus Defence & Space France, Mikaël Butterbach, termine en insistant sur la notion d’évolution collective. «Bien entendu, un bien vivre ensemble, une bonne ambiance au travail, cela ne se décrète pas. Mais, la première des choses est de le vouloir. A la fois du côté employeur que du côté des salariés et des organisations syndicales. On peut avoir des tas d’initiatives sur la sécurité ou la qualité de vie au travail, un des éléments essentiels reste pour moi le dialogue social. L’entreprise reste ce lieu où les gens se rassemblent, d’où qu’ils viennent. Le temps qu’ils y passent est plus qu’une ‘journée de travail’. C’est aussi du partage. En sécurisant le dialogue social, on valorise le vivre ensemble».


23/09/2024 17:57

Le problème c'est les salaires qui ont beaucoup baissé depuis 10 ans ... L industrie et son management mortifère ! Depuis que le management ...  calque son système sur celui de l'automobile plus rien ne va!!! Et ça personne n en parle non personne... Les managers et leurs résultats financiers chez Airbus par exemple... Le management a tué l'industrie, la passion des compagnons et des jeunes. 24 ans que je suis dans l'aéronautique et je le vois tout les jours... C'est une catastrophe. plus




Commentaires
23/09/2024 17:57

Le problème c'est les salaires qui ont beaucoup baissé depuis 10 ans ... L industrie et son management mortifère ! Depuis que le management ... calque son système sur celui de l'automobile plus rien ne va!!! Et ça personne n en parle non personne... Les managers et leurs résultats financiers chez Airbus par exemple... Le management a tué l'industrie, la passion des compagnons et des jeunes. 24 ans que je suis dans l'aéronautique et je le vois tout les jours... C'est une catastrophe. plus