L'Ukraine transforme un ULM en drone kamikaze et l'envoie à plus de 1100 km en Russie
L'Ukraine transforme un ULM en drone kamikaze et l'envoie à plus de 1100 km en Russie
© Open source (capture d'écran), Arpingstone (A-22), Gaétan Powis

publié le 03 avril 2024 à 17:11

955 mots

L'Ukraine transforme un ULM en drone kamikaze et l'envoie à plus de 1100 km en Russie

Le 2 avril, un ULM Aeroprakt A-22 s’écrasait à Ielabouga, en Russie… à plus de 1.100 kilomètres des premières lignes ukrainiennes. La cible visée était clairement le site de production des drones Shahed. C’est la première fois qu’un ULM est modifié par les ingénieurs ukrainiens en tant que drone suicide. Une raffinerie toute proche a également été touchée mais par un drone plus classique.


Attaque très longue distance

Le 2 avril, une vidéo publiée sur les réseaux sociaux confirmait qu'un drone ukrainien s'était écrasé dans la zone industrielle de Iebelouga (Tatarstan, Russie), soit plus de 1.100 kilomètres au-delà des premières lignes ukrainiennes. L'engin utilisé pour cette frappe était bel et bien un drone (engin sans pilote) mais au départ, il s'agit d'un appareil piloté ultra léger motorisé (ULM) : c'était un Aeroprakt A-22 Foxbat. Conçu et développé par l'entreprise ukrainienne Aeroprakt, l'A-22 est capable d'emporter deux personnes et dispose d'une masse maximale au décollage de 600,1 kg. Cet appareil est surtout utilisé pour le tourisme à travers le monde.

La portée théorique de cet appareil est de 979,71 kilomètres (529 miles nautiques) et ne correspond donc pas avec la distance de la frappe effectuée le 2 avril. Cependant, cette distance franchissable comprend aussi une réserve de carburant de 30 minutes. Il faut aussi ajouter que l'appareil utilisé n'emportait aucun être humain, soit une masse réduite de plusieurs dizaines de précieux kg. Les ingénieurs ukrainiens ont peut-être même ajouté un petit réservoir supplémentaire pour encore augmenter la portée. Actuellement, aucune information sur la charge militaire transportée n'a été publiée.

Cette dronisation est une première depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine en 2022. Au début, les Forces armées ukrainiennes avaient modifiés d'anciens drones Tu-141 et Tu-143 de l'époque soviétique en un drone kamikaze, parvenant notamment à toucher les bases aériennes d'Engels-2 et Ryazan, endommageant deux bombardiers stratégiques. Par après, les industriels ukrainiens ont développé plusieurs types de drones kamikazes, allant du drone ultra low cost au drone Beaver, capable de toucher Moscou. L'utilisation d'un ULM dronisé fait donc office d’exception dans la liste des drones kamikazes longue portée ukrainiens.

Un coup dans l'eau ?

La cible visée était très certainement l'usine de production de drone Shahed 136 de Ielabouga, qui permet à la Russie de produire directement les fameux drones kamikazes développés par l'Iran. Cependant, comme démontré sur la vidéo, l'A-22 ne frappe en aucun cas les deux énormes hangars, abritant les lignes de production des drones. En revanche, mais bel et bien des petits bâtiments annexes. Concrètement, comme démontré sur les images ci-dessous, l'A-22 s'est écrasé à environ 400 voire 500 mètres au sud-ouest du premier hangar de l'usine.

Géolocalisation de l'attaque du 2 avril 2024 sur Iebelouga (Russie).
Géolocalisation de l'attaque du 2 avril 2024 sur Iebelouga (Russie). © Google Earth, Air&Cosmos
Géolocalisation de l'attaque du 2 avril 2024 sur Iebelouga (Russie).

Un trou dans la raquette

Contrairement aux précédentes attaques de drones, l'utilisation d'un ULM pose de nombreuses questions pratiques. Il ne s'agit plus d'un drone de petite taille, difficilement détectable car construit en matériaux composites. L'A-22 n'est certainement pas un appareil de grande taille mais fait tout de même 9,55 mètres d'envergure, 6,23 mètres de long et 2,47 mètres de haut. Les Ukrainiens ont donc été obligés de prévoir un plan de vol à très basse altitude et de fait, très complexe : prendre en compte le relief, les obstacles éventuels comme les lignes à haute tension ou ouvrages d'art,... À l'inverse, il est impossible, même pour les Forces armées russes de verrouiller la frontière avec l'Ukraine avec un "mur de Chine" de systèmes antiaériens. Cependant, avec une vitesse de croisière de 150 km/h (81 nœuds), l'appareil ukrainien a survolé la Russie pendant plus de 7 heures et 20 minutes, le tout, sans être détecté. Historiquement, ce n'est pas la première fois qu'un petit avion fait la une en Russie : le 27 mai 1987, Mathias Rust faisait atterrir son Cessna Skyhawk sur le pont Bolchoï Moskvoretski (Moscou, Russie) sans aucun plan de vol ni autorisation de survol du territoire soviétique. Cependant, comme expliqué précédemment, si les Ukrainiens gagnent en portée, la précision dans ce cas-ci est pour ainsi dire médiocre, avec un drone qui s'est écrasé à un peu moins de 500 mètres d'une cible stratégique : brouillage GPS ? Réservoir vide ? Système de guidage peu fiable ?

Décollage d'un ulm Aeroprakt A-22 Foxbat depuis l'aérodrome de Kemble (Angleterre, Royaume-Uni).
Décollage d'un ulm Aeroprakt A-22 Foxbat depuis l'aérodrome de Kemble (Angleterre, Royaume-Uni). © Arpingstone (domaine public)
Décollage d'un ulm Aeroprakt A-22 Foxbat depuis l'aérodrome de Kemble (Angleterre, Royaume-Uni).

Une raffinerie aussi attaquée

Le même jour que cette attaque sur Ialebouga, la raffinerie de Nijnekamsk, située à 27 kilomètres au sud du point d'impact du A-22 ukrainien, a également été attaquée par au moins un drone ukrainien. Les différentes images de cette attaque montrent qu'une seule installation a été touchée. Une vidéo filmée plus que probablement sur le site de l'attaque montre l'épave de ce qui semble être un drone de petite taille : il ne s'agit pas d'un autre A-22 dronisé. Certains pensaient à un UJ-22 mais ce dernier a une portée de "seulement" 800 kilomètres, soit une portée bien trop courte pour atteindre la raffinerie depuis l'Ukraine. Le type de drone utilisé par les Ukrainiens pour l'attaque de cette raffinerie est donc encore inconnu.

À noter que depuis plusieurs semaines, l'Ukraine vise spécifiquement les installations de raffinage en Russie. D'après S&P Global (image ci-après), ces attaques de drones ont endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie, représentant un risque certain pour les exportations de l'or noir russe.

Au 3 avril 2024, les drones ukrainiens avaient endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie.
Au 3 avril 2024, les drones ukrainiens avaient endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie. © S&P Global
Au 3 avril 2024, les drones ukrainiens avaient endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie.
Commentaires
03/04/2024 17:11
955 mots

L'Ukraine transforme un ULM en drone kamikaze et l'envoie à plus de 1100 km en Russie

Le 2 avril, un ULM Aeroprakt A-22 s’écrasait à Ielabouga, en Russie… à plus de 1.100 kilomètres des premières lignes ukrainiennes. La cible visée était clairement le site de production des drones Shahed. C’est la première fois qu’un ULM est modifié par les ingénieurs ukrainiens en tant que drone suicide. Une raffinerie toute proche a également été touchée mais par un drone plus classique.

L'Ukraine transforme un ULM en drone kamikaze et l'envoie à plus de 1100 km en Russie
L'Ukraine transforme un ULM en drone kamikaze et l'envoie à plus de 1100 km en Russie

Attaque très longue distance

Le 2 avril, une vidéo publiée sur les réseaux sociaux confirmait qu'un drone ukrainien s'était écrasé dans la zone industrielle de Iebelouga (Tatarstan, Russie), soit plus de 1.100 kilomètres au-delà des premières lignes ukrainiennes. L'engin utilisé pour cette frappe était bel et bien un drone (engin sans pilote) mais au départ, il s'agit d'un appareil piloté ultra léger motorisé (ULM) : c'était un Aeroprakt A-22 Foxbat. Conçu et développé par l'entreprise ukrainienne Aeroprakt, l'A-22 est capable d'emporter deux personnes et dispose d'une masse maximale au décollage de 600,1 kg. Cet appareil est surtout utilisé pour le tourisme à travers le monde.

La portée théorique de cet appareil est de 979,71 kilomètres (529 miles nautiques) et ne correspond donc pas avec la distance de la frappe effectuée le 2 avril. Cependant, cette distance franchissable comprend aussi une réserve de carburant de 30 minutes. Il faut aussi ajouter que l'appareil utilisé n'emportait aucun être humain, soit une masse réduite de plusieurs dizaines de précieux kg. Les ingénieurs ukrainiens ont peut-être même ajouté un petit réservoir supplémentaire pour encore augmenter la portée. Actuellement, aucune information sur la charge militaire transportée n'a été publiée.

Cette dronisation est une première depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine en 2022. Au début, les Forces armées ukrainiennes avaient modifiés d'anciens drones Tu-141 et Tu-143 de l'époque soviétique en un drone kamikaze, parvenant notamment à toucher les bases aériennes d'Engels-2 et Ryazan, endommageant deux bombardiers stratégiques. Par après, les industriels ukrainiens ont développé plusieurs types de drones kamikazes, allant du drone ultra low cost au drone Beaver, capable de toucher Moscou. L'utilisation d'un ULM dronisé fait donc office d’exception dans la liste des drones kamikazes longue portée ukrainiens.

Un coup dans l'eau ?

La cible visée était très certainement l'usine de production de drone Shahed 136 de Ielabouga, qui permet à la Russie de produire directement les fameux drones kamikazes développés par l'Iran. Cependant, comme démontré sur la vidéo, l'A-22 ne frappe en aucun cas les deux énormes hangars, abritant les lignes de production des drones. En revanche, mais bel et bien des petits bâtiments annexes. Concrètement, comme démontré sur les images ci-dessous, l'A-22 s'est écrasé à environ 400 voire 500 mètres au sud-ouest du premier hangar de l'usine.

Géolocalisation de l'attaque du 2 avril 2024 sur Iebelouga (Russie).
Géolocalisation de l'attaque du 2 avril 2024 sur Iebelouga (Russie). © Google Earth, Air&Cosmos
Géolocalisation de l'attaque du 2 avril 2024 sur Iebelouga (Russie).

Un trou dans la raquette

Contrairement aux précédentes attaques de drones, l'utilisation d'un ULM pose de nombreuses questions pratiques. Il ne s'agit plus d'un drone de petite taille, difficilement détectable car construit en matériaux composites. L'A-22 n'est certainement pas un appareil de grande taille mais fait tout de même 9,55 mètres d'envergure, 6,23 mètres de long et 2,47 mètres de haut. Les Ukrainiens ont donc été obligés de prévoir un plan de vol à très basse altitude et de fait, très complexe : prendre en compte le relief, les obstacles éventuels comme les lignes à haute tension ou ouvrages d'art,... À l'inverse, il est impossible, même pour les Forces armées russes de verrouiller la frontière avec l'Ukraine avec un "mur de Chine" de systèmes antiaériens. Cependant, avec une vitesse de croisière de 150 km/h (81 nœuds), l'appareil ukrainien a survolé la Russie pendant plus de 7 heures et 20 minutes, le tout, sans être détecté. Historiquement, ce n'est pas la première fois qu'un petit avion fait la une en Russie : le 27 mai 1987, Mathias Rust faisait atterrir son Cessna Skyhawk sur le pont Bolchoï Moskvoretski (Moscou, Russie) sans aucun plan de vol ni autorisation de survol du territoire soviétique. Cependant, comme expliqué précédemment, si les Ukrainiens gagnent en portée, la précision dans ce cas-ci est pour ainsi dire médiocre, avec un drone qui s'est écrasé à un peu moins de 500 mètres d'une cible stratégique : brouillage GPS ? Réservoir vide ? Système de guidage peu fiable ?

Décollage d'un ulm Aeroprakt A-22 Foxbat depuis l'aérodrome de Kemble (Angleterre, Royaume-Uni).
Décollage d'un ulm Aeroprakt A-22 Foxbat depuis l'aérodrome de Kemble (Angleterre, Royaume-Uni). © Arpingstone (domaine public)
Décollage d'un ulm Aeroprakt A-22 Foxbat depuis l'aérodrome de Kemble (Angleterre, Royaume-Uni).

Une raffinerie aussi attaquée

Le même jour que cette attaque sur Ialebouga, la raffinerie de Nijnekamsk, située à 27 kilomètres au sud du point d'impact du A-22 ukrainien, a également été attaquée par au moins un drone ukrainien. Les différentes images de cette attaque montrent qu'une seule installation a été touchée. Une vidéo filmée plus que probablement sur le site de l'attaque montre l'épave de ce qui semble être un drone de petite taille : il ne s'agit pas d'un autre A-22 dronisé. Certains pensaient à un UJ-22 mais ce dernier a une portée de "seulement" 800 kilomètres, soit une portée bien trop courte pour atteindre la raffinerie depuis l'Ukraine. Le type de drone utilisé par les Ukrainiens pour l'attaque de cette raffinerie est donc encore inconnu.

À noter que depuis plusieurs semaines, l'Ukraine vise spécifiquement les installations de raffinage en Russie. D'après S&P Global (image ci-après), ces attaques de drones ont endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie, représentant un risque certain pour les exportations de l'or noir russe.

Au 3 avril 2024, les drones ukrainiens avaient endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie.
Au 3 avril 2024, les drones ukrainiens avaient endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie. © S&P Global
Au 3 avril 2024, les drones ukrainiens avaient endommagé plus de 20 % des capacités de raffinage en Russie.


Commentaires