Premier missile piloté de l’Onera pour les études de rentrée atmosphérique, Bérénice a également bien failli devenir le premier lanceur de satellite français.
Depuis le retour au pouvoir de De Gaulle en juin 1958, la question de s’équiper en matière de missile balistique pour la force de dissuasion nucléaire se pose. Deux voies s’offrent alors : les acheter sous licence américaine ou les développer soi-même. En attendant que la question soit tranchée, l’Office national d’études et de recherches aéronautiques (Onera) - qui devient aérospatiales à partir de 1963 - engage des études préliminaires sur la rentrée atmosphérique d’une ogive.
Plusieurs domaines doivent être défrichés, comme l’aérodynamique, les matériaux, l’échauffement cinétique, etc. Les essais en vol sont alors indispensables pour obtenir des données. Pour cela, la direction Physique générale de l’Onera propose, à partir de ses petites fusées technologiques OPd, le développement d’un missile expérimental à quatre étages à propulsion à poudre : l’OPd 56-39-22-D. Le premier essai intervient le 2 mai 1959 depuis l’île du Levant, où l’Onera a l’habitude d’y tester ses engins avec l’aide logistique de la Marine (qui y dispose de son Centre d’essais et de recherches des engins spéciaux). Les trois premiers étages servent à la montée (jusqu’à environ 150 km), tandis que le quatrième accélère la pointe durant la descente. Si le premier essai démontre la qualité des instruments et des moyens de transmissions, le second teste le 22 octobre suivant une pointe d’étude obtenant des informations sur les phénomènes aérodynamiques et thermiques. Entre temps, le contexte évolue…
Le 17 septembre 1959, est créée la Société d’étude et de réalisation d’engins balistiques (Sereb), chargée de concevoir les missiles balistiques porteurs de l’arme atomique. Le succès des premières fusées-sondes Véronique AGI en mars 1959 (depuis Hammaguir en Algérie) suivi de l’OPd 56-39-22-D en mai, achève de convaincre le gouvernement de mettre en place la Sereb. Cette dernière regroupe alors autour d’elle en tant qu’actionnaires Nord-Aviation, Sud-Aviation, la SEPR, la Snecma, Dassault, Matra, l’Onera, mais aussi les directions techniques des armées (DEFA, DTIA, DCCAN), et le Service des poudres. A partir de mai 1960, les essais de l’Onera sont effectués sur contrat pour Sud-Aviation (qui fournit les têtes de rentrée) et la Sereb. Au total, douze OPd 56-39-22-D – rebaptisés « Antarès » en octobre 1960 – testent jusqu’en mars 1961 différentes ogives à des vitesses jusqu’à Mach 8. Sur les douze, sept livrent des résultats prometteurs, mais insuffisants.
La question des fusées est devenue tellement importante, qu’au sein de l’Office est créée dès 1958 la Division des systèmes et moyens d’essais (DSME). André Rémondière, alors chef de groupe de recherche sur les questions de pilotage et de stabilisation automatique, se souvenait que « à partir de 1962, Pierre Contensou (qui était déjà à la tête de la DSME) fait évoluer la DSME en Département des études de synthèse (DES), une sorte de super direction. Celle-ci a trois domaines d’action : l’aéronautique (l’échauffement des ailes du Concorde), la défense (les têtes de rentrée pour les missiles de la force de frappe) et l’espace (les fusées-sondes et l’aide aux projets de lanceur) ». En ce qui concerne le second domaine, il est décidé d’améliorer les performances d’Antarès et de viser des vitesses plus importantes. Pour cela, est réalisé un nouveau « laboratoire volant » appelé Bérénice. « Après Antarès, on a décidé de choisir encore un nom d’étoile ou de constellation commençant par un B [Chevelure de Bérénice], d’où le nom de Bérénice », confiait il y a quelques années André Rémondière.
D’une masse totale de 3 340 kg (contre 1 785 pour Antarès) et d’une hauteur de 13,25 m (contre 12,3 m), Bérénice est également une fusée à quatre étages, utilisant des blocs propulseurs à poudre fournis par la Société d’études pour la propulsion à réaction (SEPR). Toutefois, elle profite de plusieurs innovations, à commencer par son premier étage « BER » qui dispose d’un pilote automatique commandant l’orientation des jets de quatre petits propulseurs auxiliaires orientables (équipés du bloc SEPR 167), fixés en barillet à la base de l’étage. Après la séparation du premier étage (SEPR 739 / Stromboli), la fusée est stabilisée par quatre empennages fixes sur le deuxième étage (SEPR 740 / Stromboli), tandis que les troisième (SEPR 200 / Tramontane) et quatrième (bloc Onera / Mélanie) le sont par des jupes coniques. Lors de l’expérimentation, le missile est tiré presque à la verticale (85°). Le premier étage fonctionne pendant 20 secondes, amenant le missile à 8 km d’altitude, puis suit le deuxième étage pendant 18 secondes jusqu’à 40 km ; l’engin continue ensuite à monter jusqu’à environ 270 km, puis il redescend. A partir de là, les troisième et quatrième étages accélèrent le missile vers 55 km d’altitude. L’expérimentation proprement dite commence et ne dure que 20 secondes.
Le 27 juin 1962, les techniciens de l’Onera procèdent au premier tir de Bérénice depuis l’île du Levant. Toutefois, c’est un échec, en raison d’un problème lié à la rupture du câble d’antenne de la télémesure. Après un succès le 6 juillet, les essais des 30 octobre et 13 novembre 1962 échouent de nouveau, à cause de leur deuxième étage qui ne s’allume pas correctement. Il faut attendre le 27 juin 1963 pour assister à un succès total : ce jour-là, Bérénice 05 culmine à près de 270 km d’altitude puis, lors de la descente, atteint Mach 12, une vitesse record à l’époque en Europe ! Au total, entre juin 1962 et décembre 1965, onze Bérénice sont utilisés pour tester du matériel à des vitesses et à des altitudes élevées, approfondir les connaissances en matière de mécanique du vol, de pilotage, d’aérothermodynamique. Précisons qu’à partir de 1965, l’Onera développe un nouveau programme d’expérimentation sur la rentrée sous le nom d’Electre. Deux essais en vols seront effectués en 1971-72 à l’aide de Tibère, une fusée à trois étages, dont le premier sera un composite BER.
Avec l’essor du spatial, l’Onera est sollicité par le Cnes. Ainsi, ce dernier souhaite effectuer en 1966 l’observation du Soleil lors d’une l’éclipse visible en Argentine. Pour cela, l’Onera fournit « clé en main » deux fusées-sondes (Titus) qui reprennent les deux premiers étages de Bérénice (avec un deuxième étage SEPR 740-3 un peu plus long). Celles-ci sont lancées avec succès le 12 novembre 1966 près de Las Palmas (province du Chaco). Précisons que l’étage BER, efficace, a assuré une grande précision de la trajectoire, ce qui était vital pour les expériences. Pour préparer au mieux la délicate opération, un douzième (et dernier) Bérénice a été utilisé le 4 mai 1966 à l’île du Levant. Après cette date, il n’y aura pas de suite pour Bérénice quant à l’aventure spatiale.
Enfin, en avril 1963, l’Onera propose une Bérénice modifiée pour placer un satellite de 3,5 kg (Satmos) sur une orbite elliptique (périgée : 250 km, apogée : 1 800 km, inclinaison : 51°), pour une durée de vie évaluée à 78 jours. Celui-ci pourrait être lancé dès 1964… annonce l’Onera. Mais l’utilité d’une telle opération n’était pas évidente, sans compter que la Sereb était engagée dans la construction du lanceur Diamant qui, lui, prévoyait une capacité de 80 kg à 500 km. Et c’est bien Diamant qui effectue le 26 novembre 1965 la première satellisation…
- Un article : « Bérénice, Mach 12 », Jacques Morisset, Air et Cosmos n°17, 15 juillet 1963
- Un rapport de l’Onera, Bérénice, fusée d’étude de la rentrée, Pierre Contensou, 1965
- Des correspondances entre André Rémondière et Philippe Varnoteaux, 2009, 2010, 2019
- Un site : Les fusées en Europe, Jean-Jacques Serra.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Premier missile piloté de l’Onera pour les études de rentrée atmosphérique, Bérénice a également bien failli devenir le premier lanceur de satellite français.
Depuis le retour au pouvoir de De Gaulle en juin 1958, la question de s’équiper en matière de missile balistique pour la force de dissuasion nucléaire se pose. Deux voies s’offrent alors : les acheter sous licence américaine ou les développer soi-même. En attendant que la question soit tranchée, l’Office national d’études et de recherches aéronautiques (Onera) - qui devient aérospatiales à partir de 1963 - engage des études préliminaires sur la rentrée atmosphérique d’une ogive.
Plusieurs domaines doivent être défrichés, comme l’aérodynamique, les matériaux, l’échauffement cinétique, etc. Les essais en vol sont alors indispensables pour obtenir des données. Pour cela, la direction Physique générale de l’Onera propose, à partir de ses petites fusées technologiques OPd, le développement d’un missile expérimental à quatre étages à propulsion à poudre : l’OPd 56-39-22-D. Le premier essai intervient le 2 mai 1959 depuis l’île du Levant, où l’Onera a l’habitude d’y tester ses engins avec l’aide logistique de la Marine (qui y dispose de son Centre d’essais et de recherches des engins spéciaux). Les trois premiers étages servent à la montée (jusqu’à environ 150 km), tandis que le quatrième accélère la pointe durant la descente. Si le premier essai démontre la qualité des instruments et des moyens de transmissions, le second teste le 22 octobre suivant une pointe d’étude obtenant des informations sur les phénomènes aérodynamiques et thermiques. Entre temps, le contexte évolue…
Le 17 septembre 1959, est créée la Société d’étude et de réalisation d’engins balistiques (Sereb), chargée de concevoir les missiles balistiques porteurs de l’arme atomique. Le succès des premières fusées-sondes Véronique AGI en mars 1959 (depuis Hammaguir en Algérie) suivi de l’OPd 56-39-22-D en mai, achève de convaincre le gouvernement de mettre en place la Sereb. Cette dernière regroupe alors autour d’elle en tant qu’actionnaires Nord-Aviation, Sud-Aviation, la SEPR, la Snecma, Dassault, Matra, l’Onera, mais aussi les directions techniques des armées (DEFA, DTIA, DCCAN), et le Service des poudres. A partir de mai 1960, les essais de l’Onera sont effectués sur contrat pour Sud-Aviation (qui fournit les têtes de rentrée) et la Sereb. Au total, douze OPd 56-39-22-D – rebaptisés « Antarès » en octobre 1960 – testent jusqu’en mars 1961 différentes ogives à des vitesses jusqu’à Mach 8. Sur les douze, sept livrent des résultats prometteurs, mais insuffisants.
La question des fusées est devenue tellement importante, qu’au sein de l’Office est créée dès 1958 la Division des systèmes et moyens d’essais (DSME). André Rémondière, alors chef de groupe de recherche sur les questions de pilotage et de stabilisation automatique, se souvenait que « à partir de 1962, Pierre Contensou (qui était déjà à la tête de la DSME) fait évoluer la DSME en Département des études de synthèse (DES), une sorte de super direction. Celle-ci a trois domaines d’action : l’aéronautique (l’échauffement des ailes du Concorde), la défense (les têtes de rentrée pour les missiles de la force de frappe) et l’espace (les fusées-sondes et l’aide aux projets de lanceur) ». En ce qui concerne le second domaine, il est décidé d’améliorer les performances d’Antarès et de viser des vitesses plus importantes. Pour cela, est réalisé un nouveau « laboratoire volant » appelé Bérénice. « Après Antarès, on a décidé de choisir encore un nom d’étoile ou de constellation commençant par un B [Chevelure de Bérénice], d’où le nom de Bérénice », confiait il y a quelques années André Rémondière.
D’une masse totale de 3 340 kg (contre 1 785 pour Antarès) et d’une hauteur de 13,25 m (contre 12,3 m), Bérénice est également une fusée à quatre étages, utilisant des blocs propulseurs à poudre fournis par la Société d’études pour la propulsion à réaction (SEPR). Toutefois, elle profite de plusieurs innovations, à commencer par son premier étage « BER » qui dispose d’un pilote automatique commandant l’orientation des jets de quatre petits propulseurs auxiliaires orientables (équipés du bloc SEPR 167), fixés en barillet à la base de l’étage. Après la séparation du premier étage (SEPR 739 / Stromboli), la fusée est stabilisée par quatre empennages fixes sur le deuxième étage (SEPR 740 / Stromboli), tandis que les troisième (SEPR 200 / Tramontane) et quatrième (bloc Onera / Mélanie) le sont par des jupes coniques. Lors de l’expérimentation, le missile est tiré presque à la verticale (85°). Le premier étage fonctionne pendant 20 secondes, amenant le missile à 8 km d’altitude, puis suit le deuxième étage pendant 18 secondes jusqu’à 40 km ; l’engin continue ensuite à monter jusqu’à environ 270 km, puis il redescend. A partir de là, les troisième et quatrième étages accélèrent le missile vers 55 km d’altitude. L’expérimentation proprement dite commence et ne dure que 20 secondes.
Le 27 juin 1962, les techniciens de l’Onera procèdent au premier tir de Bérénice depuis l’île du Levant. Toutefois, c’est un échec, en raison d’un problème lié à la rupture du câble d’antenne de la télémesure. Après un succès le 6 juillet, les essais des 30 octobre et 13 novembre 1962 échouent de nouveau, à cause de leur deuxième étage qui ne s’allume pas correctement. Il faut attendre le 27 juin 1963 pour assister à un succès total : ce jour-là, Bérénice 05 culmine à près de 270 km d’altitude puis, lors de la descente, atteint Mach 12, une vitesse record à l’époque en Europe ! Au total, entre juin 1962 et décembre 1965, onze Bérénice sont utilisés pour tester du matériel à des vitesses et à des altitudes élevées, approfondir les connaissances en matière de mécanique du vol, de pilotage, d’aérothermodynamique. Précisons qu’à partir de 1965, l’Onera développe un nouveau programme d’expérimentation sur la rentrée sous le nom d’Electre. Deux essais en vols seront effectués en 1971-72 à l’aide de Tibère, une fusée à trois étages, dont le premier sera un composite BER.
Avec l’essor du spatial, l’Onera est sollicité par le Cnes. Ainsi, ce dernier souhaite effectuer en 1966 l’observation du Soleil lors d’une l’éclipse visible en Argentine. Pour cela, l’Onera fournit « clé en main » deux fusées-sondes (Titus) qui reprennent les deux premiers étages de Bérénice (avec un deuxième étage SEPR 740-3 un peu plus long). Celles-ci sont lancées avec succès le 12 novembre 1966 près de Las Palmas (province du Chaco). Précisons que l’étage BER, efficace, a assuré une grande précision de la trajectoire, ce qui était vital pour les expériences. Pour préparer au mieux la délicate opération, un douzième (et dernier) Bérénice a été utilisé le 4 mai 1966 à l’île du Levant. Après cette date, il n’y aura pas de suite pour Bérénice quant à l’aventure spatiale.
Enfin, en avril 1963, l’Onera propose une Bérénice modifiée pour placer un satellite de 3,5 kg (Satmos) sur une orbite elliptique (périgée : 250 km, apogée : 1 800 km, inclinaison : 51°), pour une durée de vie évaluée à 78 jours. Celui-ci pourrait être lancé dès 1964… annonce l’Onera. Mais l’utilité d’une telle opération n’était pas évidente, sans compter que la Sereb était engagée dans la construction du lanceur Diamant qui, lui, prévoyait une capacité de 80 kg à 500 km. Et c’est bien Diamant qui effectue le 26 novembre 1965 la première satellisation…
- Un article : « Bérénice, Mach 12 », Jacques Morisset, Air et Cosmos n°17, 15 juillet 1963
- Un rapport de l’Onera, Bérénice, fusée d’étude de la rentrée, Pierre Contensou, 1965
- Des correspondances entre André Rémondière et Philippe Varnoteaux, 2009, 2010, 2019
- Un site : Les fusées en Europe, Jean-Jacques Serra.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Merci pour cet article Domaine peu connu , mais passionnant !!
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