Retour sur les lancements de deux fusées-sondes Véronique, les 10 et 12 mars 1959 depuis le désert saharien. Les retombées furent nombreuses.
A l'issue de la première campagne de tir scientifique effectuée avec deux fusées-sondes Véronique AGI (voir article précédent), le directeur du CIEES, le colonel Robert Aubinière, organise une conférence de presse. L'occasion lui est donnée de souligner l'intérêt et les enjeux des fusées pour la science. Il présente le bilan des expériences menées par les scientifiques les 10 et 12 mars, puis il laisse la parole au professeur Jacques Blamont. Ce dernier insiste sur la découverte spectaculaire obtenue par Véronique-AGI : « Par chance, répétera-t-il plus tard à de nombreuses reprises, nous avons fait une découverte avec les premiers tirs de Véronique. Dès le premier nuage de sodium, on a mis en évidence la turbopause qui est la limite entre la basse atmosphère à 100 km d'altitude et la haute atmosphère ! ». Les conséquences de ce succès seront nombreuses, tant au niveau médiatique, scientifique que politique.
Une campagne hautement médiatisée.
En réalité, les médias s’intéressent à cette première campagne de tir scientifique avant même que celle-ci ne débute. Un certain nombre d’observateurs prend en effet conscience qu’il va se passer quelque chose d’important au cœur du Sahara (encore français). Ainsi, dès le 23 février 1959, L'Aurore n’hésite pas à comparer les activités spatiales françaises en préparation avec celles… des Superpuissances ! Il y est notamment écrit que les fusées françaises vont réaliser des expériences importantes ; le quotidien affirme même qu'il « apparaît déjà que des fusées françaises valent - si elles ne dépassent pas - les engins étrangers de la même catégorie ». Les propos du journaliste prêtent à confusion car, si Véronique vaut en effet les fusées-sondes étrangères dans sa catégorie (rapport poids / taille / propulsion), elle ne l'est pas dans la catégorie des fusées-sondes en général : la plus puissante est alors l'américaine Aerobee.
Jusqu’à présent, les commentateurs de l’aventure spatiale étaient habitués à ce que les tirs de fusée soient réalisés par les Etats-Unis et l’Union soviétique. Or, l’annonce de la première campagne scientifique française intrigue. Les médias en général, la presse en particulier se prend au jeu ; avec Véronique, la conquête de l'espace n’est plus un domaine réservé des grandes puissances.
Le succès des Véronique AGI 17 et 16 déclenche une impressionnante couverture médiatique. De nombreux quotidiens et hebdomadaires rapportent avec plus ou moins de détails le déroulement des opérations. Ainsi le 11 mars, en première page, Combat titre : « J’ai vu lancer la première comète artificielle française à 19h38 » ; le 14 mars, Le Monde fait état des expériences et de leurs intérêts ; le 21 mars, Paris Match fait même l’honneur à la petite Véronique (l’AGI-18) de lui offrir la page de couverture en couleur, etc.
Les autres médias ne sont pas en reste. Ainsi, le Journal télévisé de 20 heures du 13 mars 1959 présente, sur un fond musical très solennel, les temps forts de la campagne. Le commentateur termine en soulignant que « Véronique a apporté sa contribution à la science et les lancements continuent ». Les deuxième et troisième campagnes de tir interviendront respectivement en février-mars et juin 1960.
Véronique, l’ingéniosité à la française
Moins d'un mois après les premiers tirs de Véronique-AGI, le Comité des recherches spatiales (CRS) présente un rapport (daté du 8 avril 1959) qui établit un projet de programme et de budget. Le rapport fait notamment référence au succès de la première campagne scientifique en soulignant que « Tout d'abord, il faut constater que les véhicules spatiaux ont permis de développer une branche nouvelle de la science, se situant au carrefour de l'astronomie, de la géophysique et des sciences de l'atome, et comportant des contacts avec toutes les disciplines, depuis les mathématiques jusqu'à la biologie ». Un hommage est rendu à tous ceux qui viennent de permettre la réussite des expériences scientifiques menées à bord des premières Véronique-AGI, en soulignant que « Les succès récemment obtenus dans l’exécution d’un programme d’expériences sur fusées Véronique est le garant de la valeur des idées de nos savants et de leur ingéniosité à profiter des techniques encore si limitées qui sont actuellement à leur disposition ».
Ainsi, les résultats obtenus par la première campagne scientifique confortent et stimulent les projets avancés au sein du CRS…
Les répercussions politiques.
Si les premiers Spoutnik soviétiques ont frappé les esprits en général, ils n’ont cependant pas entrainé les politiques dans des actions spécifiques, notre pays étant il est vrai englué dans la guerre d’Algérie. En revanche, en 1959, le tir des Véronique intervient dans un contexte différent avec un pouvoir engagé dans des réformes structurelles importantes. La science et les techniques suscitaient de vifs intérêts. De ce fait, le succès des Véronique de mars 1959 étonne et interpelle le pouvoir politique. Etonne ?
En effet, avec peu de moyens - « avec des bouts de ficelle » comme le disent certains ingénieurs ou techniciens de l’époque - les résultats engrangés par les Véronique ont été spectaculaires. Dans un style quasi lyrique, Jacques Blamont ajoute que désormais « Nous aussi nous pouvions le faire ! [Aller dans l’espace, comme les deux superpuissances]. Avant 1958, les politiques ne s'intéressaient pas aux fusées. Seuls, les militaires appartenant au CASDN (…) en étaient passionnées. Ce sont eux qui ont financé Véronique-AGI et qui l'ont sortie de l'obscurité totale pour la projeter dans une lumière de sodium jusqu'au général de Gaulle ! ».
Véronique achève ainsi de convaincre le général de Gaulle et ses proches collaborateurs de l'intérêt de la fusée. Il était alors impératif « d'accomplir par ses seuls moyens et sans nul concours extérieur la série d'exploits scientifiques, techniques et industriels (…) » permettant l'indépendance du pays, comme il l’écrira quelques années plus tard dans ses Mémoires d'espoir (Le renouveau, tome 1, Plon, Paris, 1970). Si les Soviétiques et les Américains se dotaient de moyens pour partir à la conquête de l’espace, la France ne pouvait rester à l'écart, l'avenir était en jeu et à ce prix.
Lors d’une récente interview réalisée par l’association Odyssée Céleste, Jacques Blamont a souligné que « Le gouvernement français a été convaincu que la France disposait disons de connaissances dans le domaine des fusées, et cela a été beaucoup brossé par la presse, de sorte que les responsables politiques français étaient convaincus qu’on était très bon. En réalité, il n’y avait pas grand-chose. Il y avait juste ces fusées qui étaient une sorte de tuyau de poils qui marchait très bien, mais il n’y avait rien autour (…) ! La conséquence des tirs Véronique a été [décisive], et je crois que c’est cela qui a joué un rôle important dans l’esprit du général de Gaulle qui, trois ou quatre mois après le tir, a décidé que la France se doterait d’un missile balistique pour la force de frappe pour la bombe atomique ». En effet, le 17 septembre 1959, la Société d’études et de réalisations d’engins balistiques (SEREB) a été créée avec pour objectif la réalisation de missiles balistiques pour la force de frappe nucléaire, puis du premier lanceur de satellite Diamant…
Références.
Un article : « Les premières expériences d’aéronomie en France », Jacques Blamont, in Des premières expériences scientifiques aux premiers satellites, IFHE, ESA SP-472, Paris, 2001
Un rapport du Comité des recherches spatiales du 8 avril 1959 (AN, 81 / 0401, carton 65, liasse 162, CRESP / TS)
Une interview en ligne de Jacques Blamont, association Odyssée Céleste, 18 janvier 2019.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Retour sur les lancements de deux fusées-sondes Véronique, les 10 et 12 mars 1959 depuis le désert saharien. Les retombées furent nombreuses.
A l'issue de la première campagne de tir scientifique effectuée avec deux fusées-sondes Véronique AGI (voir article précédent), le directeur du CIEES, le colonel Robert Aubinière, organise une conférence de presse. L'occasion lui est donnée de souligner l'intérêt et les enjeux des fusées pour la science. Il présente le bilan des expériences menées par les scientifiques les 10 et 12 mars, puis il laisse la parole au professeur Jacques Blamont. Ce dernier insiste sur la découverte spectaculaire obtenue par Véronique-AGI : « Par chance, répétera-t-il plus tard à de nombreuses reprises, nous avons fait une découverte avec les premiers tirs de Véronique. Dès le premier nuage de sodium, on a mis en évidence la turbopause qui est la limite entre la basse atmosphère à 100 km d'altitude et la haute atmosphère ! ». Les conséquences de ce succès seront nombreuses, tant au niveau médiatique, scientifique que politique.
Une campagne hautement médiatisée.
En réalité, les médias s’intéressent à cette première campagne de tir scientifique avant même que celle-ci ne débute. Un certain nombre d’observateurs prend en effet conscience qu’il va se passer quelque chose d’important au cœur du Sahara (encore français). Ainsi, dès le 23 février 1959, L'Aurore n’hésite pas à comparer les activités spatiales françaises en préparation avec celles… des Superpuissances ! Il y est notamment écrit que les fusées françaises vont réaliser des expériences importantes ; le quotidien affirme même qu'il « apparaît déjà que des fusées françaises valent - si elles ne dépassent pas - les engins étrangers de la même catégorie ». Les propos du journaliste prêtent à confusion car, si Véronique vaut en effet les fusées-sondes étrangères dans sa catégorie (rapport poids / taille / propulsion), elle ne l'est pas dans la catégorie des fusées-sondes en général : la plus puissante est alors l'américaine Aerobee.
Jusqu’à présent, les commentateurs de l’aventure spatiale étaient habitués à ce que les tirs de fusée soient réalisés par les Etats-Unis et l’Union soviétique. Or, l’annonce de la première campagne scientifique française intrigue. Les médias en général, la presse en particulier se prend au jeu ; avec Véronique, la conquête de l'espace n’est plus un domaine réservé des grandes puissances.
Le succès des Véronique AGI 17 et 16 déclenche une impressionnante couverture médiatique. De nombreux quotidiens et hebdomadaires rapportent avec plus ou moins de détails le déroulement des opérations. Ainsi le 11 mars, en première page, Combat titre : « J’ai vu lancer la première comète artificielle française à 19h38 » ; le 14 mars, Le Monde fait état des expériences et de leurs intérêts ; le 21 mars, Paris Match fait même l’honneur à la petite Véronique (l’AGI-18) de lui offrir la page de couverture en couleur, etc.
Les autres médias ne sont pas en reste. Ainsi, le Journal télévisé de 20 heures du 13 mars 1959 présente, sur un fond musical très solennel, les temps forts de la campagne. Le commentateur termine en soulignant que « Véronique a apporté sa contribution à la science et les lancements continuent ». Les deuxième et troisième campagnes de tir interviendront respectivement en février-mars et juin 1960.
Véronique, l’ingéniosité à la française
Moins d'un mois après les premiers tirs de Véronique-AGI, le Comité des recherches spatiales (CRS) présente un rapport (daté du 8 avril 1959) qui établit un projet de programme et de budget. Le rapport fait notamment référence au succès de la première campagne scientifique en soulignant que « Tout d'abord, il faut constater que les véhicules spatiaux ont permis de développer une branche nouvelle de la science, se situant au carrefour de l'astronomie, de la géophysique et des sciences de l'atome, et comportant des contacts avec toutes les disciplines, depuis les mathématiques jusqu'à la biologie ». Un hommage est rendu à tous ceux qui viennent de permettre la réussite des expériences scientifiques menées à bord des premières Véronique-AGI, en soulignant que « Les succès récemment obtenus dans l’exécution d’un programme d’expériences sur fusées Véronique est le garant de la valeur des idées de nos savants et de leur ingéniosité à profiter des techniques encore si limitées qui sont actuellement à leur disposition ».
Ainsi, les résultats obtenus par la première campagne scientifique confortent et stimulent les projets avancés au sein du CRS…
Les répercussions politiques.
Si les premiers Spoutnik soviétiques ont frappé les esprits en général, ils n’ont cependant pas entrainé les politiques dans des actions spécifiques, notre pays étant il est vrai englué dans la guerre d’Algérie. En revanche, en 1959, le tir des Véronique intervient dans un contexte différent avec un pouvoir engagé dans des réformes structurelles importantes. La science et les techniques suscitaient de vifs intérêts. De ce fait, le succès des Véronique de mars 1959 étonne et interpelle le pouvoir politique. Etonne ?
En effet, avec peu de moyens - « avec des bouts de ficelle » comme le disent certains ingénieurs ou techniciens de l’époque - les résultats engrangés par les Véronique ont été spectaculaires. Dans un style quasi lyrique, Jacques Blamont ajoute que désormais « Nous aussi nous pouvions le faire ! [Aller dans l’espace, comme les deux superpuissances]. Avant 1958, les politiques ne s'intéressaient pas aux fusées. Seuls, les militaires appartenant au CASDN (…) en étaient passionnées. Ce sont eux qui ont financé Véronique-AGI et qui l'ont sortie de l'obscurité totale pour la projeter dans une lumière de sodium jusqu'au général de Gaulle ! ».
Véronique achève ainsi de convaincre le général de Gaulle et ses proches collaborateurs de l'intérêt de la fusée. Il était alors impératif « d'accomplir par ses seuls moyens et sans nul concours extérieur la série d'exploits scientifiques, techniques et industriels (…) » permettant l'indépendance du pays, comme il l’écrira quelques années plus tard dans ses Mémoires d'espoir (Le renouveau, tome 1, Plon, Paris, 1970). Si les Soviétiques et les Américains se dotaient de moyens pour partir à la conquête de l’espace, la France ne pouvait rester à l'écart, l'avenir était en jeu et à ce prix.
Lors d’une récente interview réalisée par l’association Odyssée Céleste, Jacques Blamont a souligné que « Le gouvernement français a été convaincu que la France disposait disons de connaissances dans le domaine des fusées, et cela a été beaucoup brossé par la presse, de sorte que les responsables politiques français étaient convaincus qu’on était très bon. En réalité, il n’y avait pas grand-chose. Il y avait juste ces fusées qui étaient une sorte de tuyau de poils qui marchait très bien, mais il n’y avait rien autour (…) ! La conséquence des tirs Véronique a été [décisive], et je crois que c’est cela qui a joué un rôle important dans l’esprit du général de Gaulle qui, trois ou quatre mois après le tir, a décidé que la France se doterait d’un missile balistique pour la force de frappe pour la bombe atomique ». En effet, le 17 septembre 1959, la Société d’études et de réalisations d’engins balistiques (SEREB) a été créée avec pour objectif la réalisation de missiles balistiques pour la force de frappe nucléaire, puis du premier lanceur de satellite Diamant…
Références.
Un article : « Les premières expériences d’aéronomie en France », Jacques Blamont, in Des premières expériences scientifiques aux premiers satellites, IFHE, ESA SP-472, Paris, 2001
Un rapport du Comité des recherches spatiales du 8 avril 1959 (AN, 81 / 0401, carton 65, liasse 162, CRESP / TS)
Une interview en ligne de Jacques Blamont, association Odyssée Céleste, 18 janvier 2019.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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