Le 17 septembre 1959, le gouvernement français créait la SEREB (Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques) qui, en novembre 1965, permettait de lancer le premier satellite français, Astérix.
Le retour aux affaires du général de Gaulle en juin 1958 s’accompagne d’une ambition qui se traduit par un nouveau souffle touchant de nombreux domaines politique, économique, scientifique, militaire, etc.
La question du missile balistique.
Lorsque de Gaulle revient au pouvoir, la France est engagée dans le développement d’une force de frappe nucléaire. A ce moment-là, celle-ci doit reposer sur le couple bombe atomique / bombardier stratégique (Mirage IV). Toutefois, les nouvelles autorités s’interrogent sur la suite à donner à ce couple : dans un avenir plus ou moins proche, ne faudrait-il pas remplacer le bombardier par un missile balistique intercontinental plus efficace et moins vulnérable ? La question prend tout son sens lorsque l’on sait que les Soviétiques expérimentent en premier et avec succès dès 1957 le missile balistique intercontinental ; les Américains font de même… Celui-ci apparait donc comme l’outil indispensable de la puissance. Toutefois, une autre question se pose : faut-il l’acheter sous licence américaine ou le concevoir soi-même ?
Un contexte favorable aux engins-fusées.
Les années cinquante sont, notamment pour la France, une période particulièrement féconde en matière d’études et d’expérimentations de missiles de tout type. Certains analystes parlent même d’une « furia francese ». En effet, toutes les armées à travers leur direction technique et/ou des entreprises développent des dizaines de programme et testent des milliers d’engins-fusées. Ainsi, l’ingénieur Louis Bonte, à la tête de la Direction technique et industrielle de l’aéronautique (DTIA) de l’armée de l’Air avance dès septembre 1958 l’idée de la création d’une société d’études de missiles balistiques. Le gouvernement réfléchit et poursuit néanmoins ses négociations avec les Américains, dont le groupe Boeing pour l’achat et le développement d’un missile balistique d’une portée de plusieurs milliers de kilomètres.
Un autre événement intervient. En mars 1959, les scientifiques du Comité des recherches spatiales (CRS), soutenus par les militaires du Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN), procèdent depuis le champs de tir d’Hammaguir du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES), dans le désert algérien, au lancement de plusieurs Véronique AGI, un modeste engin balistique exploité dans le cadre de l’exploration de la haute atmosphère, non guidé et avec une puissance limitée (en charge et en portée). Toutefois, la petite Véronique permet un double succès, scientifique (découverte de la turbopause par l’équipe du professeur Jacques Blamont) et médiatique. La presse ne cesse en effet de souligner qu’avec Véronique la France est devenue un acteur spatial. De plus, le 12 juin suivant, lors du 23e Salon international de l’aéronautique du Bourget, le général de Gaulle se rend à la manifestation ; il s’arrête notamment devant le stand où est présentée la frêle mais glorieuse Véronique. Cette dernière a peut-être contribué à convaincre du fait que la France pourrait bien construire par ses propres moyens des missiles balistiques plus ambitieux…
Les négociations entamées avec les Américains traînant en longueur et, face aux tergiversations du gouvernement des Etats-Unis imposant des conditions strictes dans notamment l’emploi éventuel des missiles balistiques, le général de Gaulle finit par opter pour un développement national.
Et la SEREB naquit…
Pour réaliser le premier missile balistique français, est créée le 17 septembre 1959 la Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques. Cette société regroupe les principales sociétés aéronautiques de l’époque ayant des compétences pour participer à la réalisation de ces engins : Nord Aviation, Sud Aviation, SNECMA, SEPR, Dassault, MATRA, ONERA et Service des Poudres. La SEREB est alors « une sorte d’arsenal civil qui dépend du ministère de la Défense », avec l’Etat comme seul client. Quant aux programmes, ils sont définis par les trois armées par l’intermédiaire de leur état-major et leur direction technique. La direction générale de la SEREB est confiée à Charles Cristofini, « un financier et meneur d’hommes » selon Hubert Gossot, ancien ingénieur à la SEREB. Par ailleurs, la direction technique revient à Roger Chevalier, ancien ingénieur en chef chez Nord Aviation, la direction industrielle à Pierre Usunier du LRBA (Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques qui réalisent alors Véronique), la direction des études à Jean Hugues de Sud Aviation, la direction des essais au colonel Michaud (qui connaissait parfaitement le CIEES et ses champs de tir pour en avoir été le directeur entre 1950 et 1952). Cette équipe remarquable s’engage dans un triple objectif : le développement d’études sur les propulsions à liquides et solide, la maîtrise de la rentrée d’ogive dans l’atmosphère et la conception d’engins expérimentaux (programme Pierres précieuses) devant aboutir aux premiers missiles balistiques nationaux.
L’idée de Bernard Dorléac.
A l’automne 1960, l’équipe menée par Bernard Dorléac – un ancien du Service technique de l’Aéronautique, responsable de la direction des études avancées à la SEREB – fait savoir qu’à partir d’un missile expérimental il serait possible de réaliser un lanceur capable de placer un satellite de 50 kg sur une orbite basse (300 km). Bernard Dorléac avait dès décembre 1959 fait travailler un petit groupe sur cette opportunité. En mai et juin 1960, plusieurs notes techniques avaient été réalisées décrivant ce qui allait devenir le lanceur Diamant.
Le projet est présenté le 23 septembre 1960 au délégué ministériel à l’Air, puis le 23 décembre au ministre des Armées. L’idée séduit les militaires, mais aussi les scientifiques du CRS qui, dans le même temps, songent à faire évoluer leur organisme en une structure plus importante et plus autonome capable de mener un programme spatial ambitieux. Il est intéressant de souligner que la presse, constatant les travaux d’aménagement à Hammaguir pour certains missiles de la SEREB, en déduit, comme l’annonce dès le 18 novembre 1960 La Nouvelle République, que « C’est décidé LA FRANCE LANCERA UN SATELLITE ».
Le temps des décisions et des ambitions.
L’accélération du contexte favorise les décisions politiques. Ainsi, le 12 avril 1961, le monde apprend le vol du cosmonaute soviétique Youri Gagarine, suivi le 25 mai par la décision américaine d’envoyer des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie. Cela ne manque pas d’influer tous ceux qui, de la SEREB ou du CRS, souhaitent, rêvent d’aller de l’avant, de rejoindre la compétition américano-soviétique.
Le 22 juillet 1961, à l’issue d’un conseil interministériel, de Gaulle et son gouvernement acceptent de soutenir le développement du lanceur de satellites Diamant de la SEREB et, dans la foulée, de créer une agence spatiale le Centre national d’études spatiales (CNES). Après discussion et adoption au Parlement, le CNES est créé le 19 décembre, tandis que le projet Diamant est adopté en Conseil interministériel dès le 18 décembre ; la SEREB reçoit la mission, sous la responsabilité de la Délégation ministérielle à l’Armement de construire Diamant, le premier lanceur de satellites français.
Références
Un numéro spécial : Empreinte du 20e siècle n°22, Mémoire de Bordeaux, décembre 1995.
Un ouvrage : La construction d’une politique spatiale en France, Hervé Moulin, Beauchesne, Paris, 2017.
Une vidéo :sur l’implication de la SEREB dans le début de l’aventure spatiale française, avec une interview de Jacques Blamont, premier directeur scientifique et technique du CNES (1962-1972), 25 novembre 2015, CNES.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Le 17 septembre 1959, le gouvernement français créait la SEREB (Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques) qui, en novembre 1965, permettait de lancer le premier satellite français, Astérix.
Le retour aux affaires du général de Gaulle en juin 1958 s’accompagne d’une ambition qui se traduit par un nouveau souffle touchant de nombreux domaines politique, économique, scientifique, militaire, etc.
La question du missile balistique.
Lorsque de Gaulle revient au pouvoir, la France est engagée dans le développement d’une force de frappe nucléaire. A ce moment-là, celle-ci doit reposer sur le couple bombe atomique / bombardier stratégique (Mirage IV). Toutefois, les nouvelles autorités s’interrogent sur la suite à donner à ce couple : dans un avenir plus ou moins proche, ne faudrait-il pas remplacer le bombardier par un missile balistique intercontinental plus efficace et moins vulnérable ? La question prend tout son sens lorsque l’on sait que les Soviétiques expérimentent en premier et avec succès dès 1957 le missile balistique intercontinental ; les Américains font de même… Celui-ci apparait donc comme l’outil indispensable de la puissance. Toutefois, une autre question se pose : faut-il l’acheter sous licence américaine ou le concevoir soi-même ?
Un contexte favorable aux engins-fusées.
Les années cinquante sont, notamment pour la France, une période particulièrement féconde en matière d’études et d’expérimentations de missiles de tout type. Certains analystes parlent même d’une « furia francese ». En effet, toutes les armées à travers leur direction technique et/ou des entreprises développent des dizaines de programme et testent des milliers d’engins-fusées. Ainsi, l’ingénieur Louis Bonte, à la tête de la Direction technique et industrielle de l’aéronautique (DTIA) de l’armée de l’Air avance dès septembre 1958 l’idée de la création d’une société d’études de missiles balistiques. Le gouvernement réfléchit et poursuit néanmoins ses négociations avec les Américains, dont le groupe Boeing pour l’achat et le développement d’un missile balistique d’une portée de plusieurs milliers de kilomètres.
Un autre événement intervient. En mars 1959, les scientifiques du Comité des recherches spatiales (CRS), soutenus par les militaires du Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN), procèdent depuis le champs de tir d’Hammaguir du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES), dans le désert algérien, au lancement de plusieurs Véronique AGI, un modeste engin balistique exploité dans le cadre de l’exploration de la haute atmosphère, non guidé et avec une puissance limitée (en charge et en portée). Toutefois, la petite Véronique permet un double succès, scientifique (découverte de la turbopause par l’équipe du professeur Jacques Blamont) et médiatique. La presse ne cesse en effet de souligner qu’avec Véronique la France est devenue un acteur spatial. De plus, le 12 juin suivant, lors du 23e Salon international de l’aéronautique du Bourget, le général de Gaulle se rend à la manifestation ; il s’arrête notamment devant le stand où est présentée la frêle mais glorieuse Véronique. Cette dernière a peut-être contribué à convaincre du fait que la France pourrait bien construire par ses propres moyens des missiles balistiques plus ambitieux…
Les négociations entamées avec les Américains traînant en longueur et, face aux tergiversations du gouvernement des Etats-Unis imposant des conditions strictes dans notamment l’emploi éventuel des missiles balistiques, le général de Gaulle finit par opter pour un développement national.
Et la SEREB naquit…
Pour réaliser le premier missile balistique français, est créée le 17 septembre 1959 la Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques. Cette société regroupe les principales sociétés aéronautiques de l’époque ayant des compétences pour participer à la réalisation de ces engins : Nord Aviation, Sud Aviation, SNECMA, SEPR, Dassault, MATRA, ONERA et Service des Poudres. La SEREB est alors « une sorte d’arsenal civil qui dépend du ministère de la Défense », avec l’Etat comme seul client. Quant aux programmes, ils sont définis par les trois armées par l’intermédiaire de leur état-major et leur direction technique. La direction générale de la SEREB est confiée à Charles Cristofini, « un financier et meneur d’hommes » selon Hubert Gossot, ancien ingénieur à la SEREB. Par ailleurs, la direction technique revient à Roger Chevalier, ancien ingénieur en chef chez Nord Aviation, la direction industrielle à Pierre Usunier du LRBA (Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques qui réalisent alors Véronique), la direction des études à Jean Hugues de Sud Aviation, la direction des essais au colonel Michaud (qui connaissait parfaitement le CIEES et ses champs de tir pour en avoir été le directeur entre 1950 et 1952). Cette équipe remarquable s’engage dans un triple objectif : le développement d’études sur les propulsions à liquides et solide, la maîtrise de la rentrée d’ogive dans l’atmosphère et la conception d’engins expérimentaux (programme Pierres précieuses) devant aboutir aux premiers missiles balistiques nationaux.
L’idée de Bernard Dorléac.
A l’automne 1960, l’équipe menée par Bernard Dorléac – un ancien du Service technique de l’Aéronautique, responsable de la direction des études avancées à la SEREB – fait savoir qu’à partir d’un missile expérimental il serait possible de réaliser un lanceur capable de placer un satellite de 50 kg sur une orbite basse (300 km). Bernard Dorléac avait dès décembre 1959 fait travailler un petit groupe sur cette opportunité. En mai et juin 1960, plusieurs notes techniques avaient été réalisées décrivant ce qui allait devenir le lanceur Diamant.
Le projet est présenté le 23 septembre 1960 au délégué ministériel à l’Air, puis le 23 décembre au ministre des Armées. L’idée séduit les militaires, mais aussi les scientifiques du CRS qui, dans le même temps, songent à faire évoluer leur organisme en une structure plus importante et plus autonome capable de mener un programme spatial ambitieux. Il est intéressant de souligner que la presse, constatant les travaux d’aménagement à Hammaguir pour certains missiles de la SEREB, en déduit, comme l’annonce dès le 18 novembre 1960 La Nouvelle République, que « C’est décidé LA FRANCE LANCERA UN SATELLITE ».
Le temps des décisions et des ambitions.
L’accélération du contexte favorise les décisions politiques. Ainsi, le 12 avril 1961, le monde apprend le vol du cosmonaute soviétique Youri Gagarine, suivi le 25 mai par la décision américaine d’envoyer des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie. Cela ne manque pas d’influer tous ceux qui, de la SEREB ou du CRS, souhaitent, rêvent d’aller de l’avant, de rejoindre la compétition américano-soviétique.
Le 22 juillet 1961, à l’issue d’un conseil interministériel, de Gaulle et son gouvernement acceptent de soutenir le développement du lanceur de satellites Diamant de la SEREB et, dans la foulée, de créer une agence spatiale le Centre national d’études spatiales (CNES). Après discussion et adoption au Parlement, le CNES est créé le 19 décembre, tandis que le projet Diamant est adopté en Conseil interministériel dès le 18 décembre ; la SEREB reçoit la mission, sous la responsabilité de la Délégation ministérielle à l’Armement de construire Diamant, le premier lanceur de satellites français.
Références
Un numéro spécial : Empreinte du 20e siècle n°22, Mémoire de Bordeaux, décembre 1995.
Un ouvrage : La construction d’une politique spatiale en France, Hervé Moulin, Beauchesne, Paris, 2017.
Une vidéo :sur l’implication de la SEREB dans le début de l’aventure spatiale française, avec une interview de Jacques Blamont, premier directeur scientifique et technique du CNES (1962-1972), 25 novembre 2015, CNES.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
C’était une belle épopée...!
Bonjour Monsieur. J'étais dessinateur en 1966, et ai participé dans cette socété à la réalisation des dossiers de plans constituant le VTE. Pour cela ... en collaboration avec Berliet, Latécoère. Je me suis rendu plusieurs fois au siège de la SEREB, mais, écrivant mes mémoires (pour la famille), je ne me souviens pas de son adresse. Il me semble, que c'était Quai Louis Blériot à Suresnes. Merci si vous pouvez confirmer ou infirmer cette adresse. Merci ! plus
Bonjour. Je suis moi même arrivé à la SEREB en mars 1967 dans l'équipe de Touchard,service de Jean Vilain et j,ai conduit les essais ... de séparation d'´etage á Bourges puis responsable des procédures puis de la sécurité nucléaire. L'adresse en 67 était a Puteaux quai national, l'ancien arsenal. Amitiés aux anciens plus
C’était une belle épopée...!