Le 10 décembre 1974, l’Allemagne de l’Ouest faisait lancer par une fusée américaine Helios 1, première sonde interplanétaire d’une nation européenne.
Précédemment dans une série d’articles consacrés à l’Allemagne dans les débuts de la conquête spatiale, nous avons esquissé le programme Helios qui, à travers deux sondes spatiales, a étudié les activités du Soleil et les conséquences pour notre planète et le milieu interplanétaire. Retour sur ce beau succès scientifique et technologique méconnu.
Avec l’arrivée au pouvoir du chancelier Ludwig Erhard en octobre 1963, les relations américano-ouest-allemandes se renforcent. Au niveau du spatial, une coopération est initiée en juillet 1965, aboutissant à la réalisation d’Azur, le premier satellite ouest-allemand. En décembre 1965, à l’occasion de son voyage aux Etats-Unis, le chancelier est invité par le président Johnson à Cape Canaveral qui veut le convaincre d’accroître la coopération spatiale germano-américaine car, comme le souligne le spécialiste Niklas Reinke, « les Etats-Unis considéraient clairement la coopération avec la République fédérale économiquement forte, comme une voie prometteuse (…) ». Pour l’Allemagne, cette coopération allait permettre de retrouver puissance et prestige.
Alors que le premier satellite allemand (Azur) s’apprête à partir pour l’espace (8 novembre 1969), un protocole d’accord est signé le 10 juin 1969 par le ministre allemand de la recherche scientifique Gerhard Stoltenberg, et le directeur de la NASA Thomas Paine, pour réaliser (plusieurs) Aeros et Helios, des sondes plus complexes et plus ambitieuses, les premières pour étudier la haute atmosphère terrestre, les secondes les activités du Soleil et de ses conséquences pour la Terre. Cet accord est important, car il marque le début d’une longue et fructueuse tradition de coopération bilatérale dans le secteur spatial.
Avec l’accord du 10 juin, pour la première fois en Allemagne, le principe de « maître d’œuvre » est acté, signifiant qu’une entreprise allemande allait assurer la construction des vaisseaux. Ainsi, pour Helios, celle-ci est confiée à MBB (Messerschmitt-Bölkow-Blohm) qui, groupe créé en 1968, rassemble autour de lui des entreprises dynamiques comme ERNO, AEG Telefunken, etc. Précisons que le français Thomson-CSF est sollicité pour la fourniture des transpondeurs chargés de la réception des signaux de télécommande, de l'émission des signaux de télémesure, et de l'acheminement des signaux de mesure de distance. Cette démarche est le résultat des relations établies avec l'industrie allemande depuis juin 1967 pour construire deux satellites de télécommunication Symphonie (programme évoqué dans le prochain article). Quant aux Américains, ils fournissent trois instruments scientifiques (sur les 10 prévus), aident à suivre la trajectoire de la sonde (grâce au Deep Space Network) et assurent le lancement.
Ayant la forme d’une bobine de fil, Helios a une hauteur de 2,1 m, un diamètre allant de 2,7 m (haut et bas) à 1,7 m (milieu) pour une masse totale de 370 kg. L’énergie est fournie par des cellules solaires placées sur les bords supérieur et inférieur de la sonde. Plusieurs antennes l’équipent afin d’assurer les communications et les transmissions des données. La sonde est prévue pour fonctionner 18 mois et effectuer trois révolutions solaires. Par ailleurs la sonde avec ses instruments, devant être capable de résister à de fortes irradiations solaires, est équipée de systèmes de régulation passifs et actifs.
Helios embarque 73,2 kg d’instruments scientifiques : deux pour la mesure du plasma (par l’Institut Max-Planck et par l’université de l’Iowa), deux pour l’analyse des rayons cosmiques (université de Kiel, centre de Goddard), trois magnétomètres (deux par l’université technique de Brunswick, un par le centre de Goddard), un détecteur d’électrons (Institut Max-Planck), trois photomètres (Observatoire d’Heidelberg), un détecteur et un analyseur (avec un petit spectromètre de masse) de micrométéorites (Institut Max-Planck).
Lancée le 10 décembre 1974 par un lanceur américain Titan IIIE-Centaur, Helios 1, après avoir rencontré quelques problèmes (une antenne mal déployée, l’interférence entre une antenne et des instruments), se rapproche du Soleil. En mars 1975, la sonde allemande se trouve à son premier périhélie, à savoir à 46,5 millions de km du Soleil, effectuant une opération inédite dans l’histoire de l’astronautique.
Tout au long de son voyage, Hélios mesure le champ magnétique du Soleil, mais aussi la vitesse du vent solaire, c’est-à-dire des particules éjectées par l’étoile. De nombreuses découvertes scientifiques sont obtenues, comme la détection des ions d’hélium isolés dans le vent solaire, la présence jusqu’à 10 fois plus de poussières dans le système solaire interne que dans l’environnement terrestre, la démonstration que les phénomènes d'accélération à grande vitesse du vent solaire sont liés à la présence de trous coronaux, etc. Hélios a même obtenu des informations sur des comètes passant à proximité du Soleil.
En difficulté à l’été 1984, Helios 1 envoie ses dernières données télémétriques le 10 février 1986, tandis que sa sœur jumelle Helios 2, lancée le 15 janvier 1976, dysfonctionne dès mars 1980. Précisons que cette dernière obtient le record de la sonde la plus rapide de l’histoire (252 292 km/h)… record qui ne sera détrôné que plusieurs décennies plus tard par l’américaine Parker Solar Probe (343 112 km/h en 2018, plus de 635 000 km/h en 2023 !).
Ainsi, la politique de coopération avec les Etats-Unis (mais aussi avec l’Europe), a permis à l’Allemagne « non seulement de rattraper le retard industriel accumulé après la guerre (…), mais aussi d’affirmer et d’asseoir sa puissance politique retrouvée », comme l’observe Dominique Verguèse dès 1971. Helios a contribué à ce que les industries allemandes acquièrent un savoir-faire qui ne se démentira pas par la suite : des instruments scientifiques allemands voleront à bord de nombreuses sondes américaines (Galileo, Cassini, Pathfinder, Stardust, Contour, etc.), mais aussi européennes (ISEE, Smart 1, Huygens, Mars Express, Rosetta, Venus Express, etc.).
- Un ouvrage : The History if German Space Policy, REINKE Niklas, Ed. Beauchesne, Paris, 2007.
- Deux articles : « Les Etats-Unis et l’Allemagne vont signer un nouvel accord de coopération pour le lancement d’une sonde autour du Soleil », in Le Monde, 7 juin 1969 ; « Après plus de dix années de coopération les intérêts nationaux restent prioritaires », Dominique Verguèse, in Le Monde Diplomatique, février 1971.
- Le dossier de presse de la NASA sur la sonde Helios A, 25 novembre 1974.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 10 décembre 1974, l’Allemagne de l’Ouest faisait lancer par une fusée américaine Helios 1, première sonde interplanétaire d’une nation européenne.
Précédemment dans une série d’articles consacrés à l’Allemagne dans les débuts de la conquête spatiale, nous avons esquissé le programme Helios qui, à travers deux sondes spatiales, a étudié les activités du Soleil et les conséquences pour notre planète et le milieu interplanétaire. Retour sur ce beau succès scientifique et technologique méconnu.
Avec l’arrivée au pouvoir du chancelier Ludwig Erhard en octobre 1963, les relations américano-ouest-allemandes se renforcent. Au niveau du spatial, une coopération est initiée en juillet 1965, aboutissant à la réalisation d’Azur, le premier satellite ouest-allemand. En décembre 1965, à l’occasion de son voyage aux Etats-Unis, le chancelier est invité par le président Johnson à Cape Canaveral qui veut le convaincre d’accroître la coopération spatiale germano-américaine car, comme le souligne le spécialiste Niklas Reinke, « les Etats-Unis considéraient clairement la coopération avec la République fédérale économiquement forte, comme une voie prometteuse (…) ». Pour l’Allemagne, cette coopération allait permettre de retrouver puissance et prestige.
Alors que le premier satellite allemand (Azur) s’apprête à partir pour l’espace (8 novembre 1969), un protocole d’accord est signé le 10 juin 1969 par le ministre allemand de la recherche scientifique Gerhard Stoltenberg, et le directeur de la NASA Thomas Paine, pour réaliser (plusieurs) Aeros et Helios, des sondes plus complexes et plus ambitieuses, les premières pour étudier la haute atmosphère terrestre, les secondes les activités du Soleil et de ses conséquences pour la Terre. Cet accord est important, car il marque le début d’une longue et fructueuse tradition de coopération bilatérale dans le secteur spatial.
Avec l’accord du 10 juin, pour la première fois en Allemagne, le principe de « maître d’œuvre » est acté, signifiant qu’une entreprise allemande allait assurer la construction des vaisseaux. Ainsi, pour Helios, celle-ci est confiée à MBB (Messerschmitt-Bölkow-Blohm) qui, groupe créé en 1968, rassemble autour de lui des entreprises dynamiques comme ERNO, AEG Telefunken, etc. Précisons que le français Thomson-CSF est sollicité pour la fourniture des transpondeurs chargés de la réception des signaux de télécommande, de l'émission des signaux de télémesure, et de l'acheminement des signaux de mesure de distance. Cette démarche est le résultat des relations établies avec l'industrie allemande depuis juin 1967 pour construire deux satellites de télécommunication Symphonie (programme évoqué dans le prochain article). Quant aux Américains, ils fournissent trois instruments scientifiques (sur les 10 prévus), aident à suivre la trajectoire de la sonde (grâce au Deep Space Network) et assurent le lancement.
Ayant la forme d’une bobine de fil, Helios a une hauteur de 2,1 m, un diamètre allant de 2,7 m (haut et bas) à 1,7 m (milieu) pour une masse totale de 370 kg. L’énergie est fournie par des cellules solaires placées sur les bords supérieur et inférieur de la sonde. Plusieurs antennes l’équipent afin d’assurer les communications et les transmissions des données. La sonde est prévue pour fonctionner 18 mois et effectuer trois révolutions solaires. Par ailleurs la sonde avec ses instruments, devant être capable de résister à de fortes irradiations solaires, est équipée de systèmes de régulation passifs et actifs.
Helios embarque 73,2 kg d’instruments scientifiques : deux pour la mesure du plasma (par l’Institut Max-Planck et par l’université de l’Iowa), deux pour l’analyse des rayons cosmiques (université de Kiel, centre de Goddard), trois magnétomètres (deux par l’université technique de Brunswick, un par le centre de Goddard), un détecteur d’électrons (Institut Max-Planck), trois photomètres (Observatoire d’Heidelberg), un détecteur et un analyseur (avec un petit spectromètre de masse) de micrométéorites (Institut Max-Planck).
Lancée le 10 décembre 1974 par un lanceur américain Titan IIIE-Centaur, Helios 1, après avoir rencontré quelques problèmes (une antenne mal déployée, l’interférence entre une antenne et des instruments), se rapproche du Soleil. En mars 1975, la sonde allemande se trouve à son premier périhélie, à savoir à 46,5 millions de km du Soleil, effectuant une opération inédite dans l’histoire de l’astronautique.
Tout au long de son voyage, Hélios mesure le champ magnétique du Soleil, mais aussi la vitesse du vent solaire, c’est-à-dire des particules éjectées par l’étoile. De nombreuses découvertes scientifiques sont obtenues, comme la détection des ions d’hélium isolés dans le vent solaire, la présence jusqu’à 10 fois plus de poussières dans le système solaire interne que dans l’environnement terrestre, la démonstration que les phénomènes d'accélération à grande vitesse du vent solaire sont liés à la présence de trous coronaux, etc. Hélios a même obtenu des informations sur des comètes passant à proximité du Soleil.
En difficulté à l’été 1984, Helios 1 envoie ses dernières données télémétriques le 10 février 1986, tandis que sa sœur jumelle Helios 2, lancée le 15 janvier 1976, dysfonctionne dès mars 1980. Précisons que cette dernière obtient le record de la sonde la plus rapide de l’histoire (252 292 km/h)… record qui ne sera détrôné que plusieurs décennies plus tard par l’américaine Parker Solar Probe (343 112 km/h en 2018, plus de 635 000 km/h en 2023 !).
Ainsi, la politique de coopération avec les Etats-Unis (mais aussi avec l’Europe), a permis à l’Allemagne « non seulement de rattraper le retard industriel accumulé après la guerre (…), mais aussi d’affirmer et d’asseoir sa puissance politique retrouvée », comme l’observe Dominique Verguèse dès 1971. Helios a contribué à ce que les industries allemandes acquièrent un savoir-faire qui ne se démentira pas par la suite : des instruments scientifiques allemands voleront à bord de nombreuses sondes américaines (Galileo, Cassini, Pathfinder, Stardust, Contour, etc.), mais aussi européennes (ISEE, Smart 1, Huygens, Mars Express, Rosetta, Venus Express, etc.).
- Un ouvrage : The History if German Space Policy, REINKE Niklas, Ed. Beauchesne, Paris, 2007.
- Deux articles : « Les Etats-Unis et l’Allemagne vont signer un nouvel accord de coopération pour le lancement d’une sonde autour du Soleil », in Le Monde, 7 juin 1969 ; « Après plus de dix années de coopération les intérêts nationaux restent prioritaires », Dominique Verguèse, in Le Monde Diplomatique, février 1971.
- Le dossier de presse de la NASA sur la sonde Helios A, 25 novembre 1974.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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