Il y a 55 ans, le 8 novembre 1969, une fusée américaine lançait Azur, le premier satellite de l’Allemagne (de l’Ouest). Cette dernière entrait alors officiellement dans l’aventure spatiale commencée quelques années auparavant.
Parallèlement à son investissement dans la construction de l’Europe spatiale, l’Allemagne fédérale, à travers le département de la Recherche spatiale du ministère fédéral de la Recherche scientifique (BMwF), échafaude en 1961-62 un ambitieux programme. Ce dernier se décline en cinq points avec un partenariat industriel : Projet 620 pour le développement d’installations de recherche ; Projet 621 pour la conception d’une petite fusée-sonde ; Projet 622 pour l’élaboration de systèmes de propulsion (étudiés par Bölkow GmbH et ERNO dans le cadre des programmes ELDO) ; Projet 623 pour réfléchir à un transporteur aérospatial récupérable (par Junkers FM et ERNO) ; 624 pour mener des recherches sur de nouveaux systèmes de propulsion et des concepts technologiques avancés (par des industries et instituts) ; 625-A pour la réalisation du premier satellite de recherche allemand GRS (German Research Satellite) et 625-B, un satellite plus important confié à l’industrie pour embarquer diverses charges scientifiques et technologiques (devant être lancé par l’ELDO ou la NASA).
Par ailleurs, en 1963, des instituts de recherche aéronautique et spatiale sont regroupés pour donner en 1969 le DFVLR – Deutsche Forschungs- und Versuchsanstalt für Luft- und Raumfahrt (Établissement de recherche et d'essai allemand pour l'aéronautique et l'aérospatiale), et dont le grand ancêtre remonte à 1907 avec le Modellversuchsanstalt für Aerodynamik qui est devenu en 1924 l’Aerodynamische Versuchsanstalt Göttingen (Etablissement de recherche aérodynamique), attaché à la société Kaiser-Wilhem.
Ne maîtrisant pas encore les technologies spatiales et ne disposant pas d’autonomie d’accès à l’espace (le lanceur européen Europa prenant du retard), l’Allemagne compte sur la coopération avec les Etats-Unis pour construire et lancer son premier satellite artificiel GRS. Cette démarche est loin d’être unique, d’autres nations alliées aux Etats-Unis ont fait de même comme le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie, la France, etc. La coopération germano-américaine est signée le 17 juillet 1965. Pour les Américains, celle-ci offre également des intérêts comme le souligne le spécialiste allemand Niklas Reinke : « économiquement forte, [l’Allemagne fédérale] était un partenaire plein d'espoir pour les États-Unis (…). Ces derniers attendaient des avantages d'une coopération avec des secteurs sélectionnés de l'industrie allemande et de la recherche qu'ils considéraient comme particulièrement fiables. (…) Sur le plan politique, le projet visait à soutenir l'image positive et ouverte des Américains par rapport à l'Union soviétique et à renforcer le processus d'unification européenne par de nouveaux domaines de coopération interne. La coopération dans le domaine de la technologie spatiale était considérée comme une expansion des moyens de la diplomatie d’État ».
Le satellite GRS A (German Research Satellite A), fruit de la coopération entre la NASA et le Bundesministerium fur Wissenschaftliche Forschung (BMwF), est rebaptisé Azur (« Bleu ciel ») par le BMwF. Trois principaux objectifs lui sont assignés : mesurer les flux d’électrons d’énergie supérieure à 40 KeV au-dessus de la zone aurorale, analyser les spectres d’énergie des protons et des électrons de la zone interne de la ceinture de radiation, et enregistrer les protons solaires.
Construit par ERNO, Dornier-System, AEG-Telefunken, AEG-Hamburg, SEL, Siemens, sous la maîtrise d’œuvre de Bölkow GmbH, le satellite a la forme d’un cylindre d’une longueur de 1,15 m pour 66,2 cm de diamètre et une masse totale de 72,6 kg. Il embarque sept instruments spécifiques : un magnétomètre, un télescope Proton-Alpha, un télescope à protons, un détecteur de protons et d’électrons, un compteur d’électrons (à tube Geiger), un compteur Geiger Mueller et un photomètre auroral.
Le 8 novembre 1969, un lanceur américain Scout place avec succès Azur sur orbite polaire à 391 km de périgée et 3 228 km d’apogée, pour une inclinaison de près de 103°. L’Allemagne devient alors la huitième nation à disposer d’un satellite après l’URSS (Spoutnik, 1957), les Etats-Unis (Explorer, 1958), le Royaume-Uni (Ariel, 1962), le Canada (Alouette, 1962), l’Italie (San Marco, 1964), la France (A 1, 1965), l’Australie (Wresat, 1967).
Toutefois, au bout de 24 heures, les opérateurs notent une instabilité du système de commande qui sera plus ou moins persistant au cours de la mission. Le 8 décembre 1969, l’enregistreur tombe en panne réduisant le flux de données à environ 80 % de la quantité attendue. Puis, le 29 juin 1970, c’est au tour du système de télémétrie qui pose problème mettant fin à la mission après seulement sept mois de fonctionnement.
L’expérience Azur incite les Allemands à poursuivre en construisant de nouveaux satellites en coopération avec les Etats-Unis, comme les Aeros et Helios. Les premiers, Aeros A et B, consacrés à la compréhension de la haute atmosphère, sont lancés en 1972 et 1974, tandis que les Helios 1 et 2, destinés à l’étude des activités du Soleil et des conséquences pour notre planète et le milieu interplanétaire, sont lancés en 1974 et 1976. Ces derniers deviennent par ailleurs les premiers engins spatiaux européens à naviguer dans le milieu interplanétaire.
Avec l’ESRO, l’Allemagne participe à la construction des premiers satellites scientifiques européens. Ainsi, dans le cadre du programme HEOS (Highly Eccentric Orbiting Satellite), pour l’étude des incidences des éruptions solaires sur l’environnement terrestre, l’institut Max Planck fournit à HEOS 1, lancé le 5 décembre 1968 (par une fusée américaine), un container de baryum et d’oxyde de cuivre qui, vidé une fois le satellite éloigné de la Terre, permet de visualiser les lignes du champ magnétique. Précisons que les Allemands s’en sont fait une spécialité. En effet, dès le 10 mai 1963, le professeur Lüst a fait une tentative d’émission de baryum à l’aide d’une fusée-sonde française Véronique (AGI V48).
Ainsi, avant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne était à la pointe dans les études de fusée et disposait de remarquables instituts et de centres d’essais. Avec la défaite du régime nazi, elle s’est vu imposer un moratoire sur certaines activités, comme celle des fusées. Son retour dans le concert des nations a pris plusieurs années et, pour participer à l’aventure spatiale, elle a compté sur la coopération avec les Etats-Unis et ses partenaires européens. Elle est peu à peu devenue un pilier de l’Europe spatiale.
- Un ouvrage : The History if German Space Policy, REINKE Niklas, Ed. Beauchesne, Paris, 2007.
- Deux articles : « La recherche spatiale dans le monde », R. de NARBONNE, in Science et Vie numéro hors-série, 1966 ; « 35 Jahre AZUR – Am 08. November 1969 startete Deutschlands erster Forschungssatellit »,
REINKE Niklas, 5 novembre 2004, en ligne
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Il y a 55 ans, le 8 novembre 1969, une fusée américaine lançait Azur, le premier satellite de l’Allemagne (de l’Ouest). Cette dernière entrait alors officiellement dans l’aventure spatiale commencée quelques années auparavant.
Parallèlement à son investissement dans la construction de l’Europe spatiale, l’Allemagne fédérale, à travers le département de la Recherche spatiale du ministère fédéral de la Recherche scientifique (BMwF), échafaude en 1961-62 un ambitieux programme. Ce dernier se décline en cinq points avec un partenariat industriel : Projet 620 pour le développement d’installations de recherche ; Projet 621 pour la conception d’une petite fusée-sonde ; Projet 622 pour l’élaboration de systèmes de propulsion (étudiés par Bölkow GmbH et ERNO dans le cadre des programmes ELDO) ; Projet 623 pour réfléchir à un transporteur aérospatial récupérable (par Junkers FM et ERNO) ; 624 pour mener des recherches sur de nouveaux systèmes de propulsion et des concepts technologiques avancés (par des industries et instituts) ; 625-A pour la réalisation du premier satellite de recherche allemand GRS (German Research Satellite) et 625-B, un satellite plus important confié à l’industrie pour embarquer diverses charges scientifiques et technologiques (devant être lancé par l’ELDO ou la NASA).
Par ailleurs, en 1963, des instituts de recherche aéronautique et spatiale sont regroupés pour donner en 1969 le DFVLR – Deutsche Forschungs- und Versuchsanstalt für Luft- und Raumfahrt (Établissement de recherche et d'essai allemand pour l'aéronautique et l'aérospatiale), et dont le grand ancêtre remonte à 1907 avec le Modellversuchsanstalt für Aerodynamik qui est devenu en 1924 l’Aerodynamische Versuchsanstalt Göttingen (Etablissement de recherche aérodynamique), attaché à la société Kaiser-Wilhem.
Ne maîtrisant pas encore les technologies spatiales et ne disposant pas d’autonomie d’accès à l’espace (le lanceur européen Europa prenant du retard), l’Allemagne compte sur la coopération avec les Etats-Unis pour construire et lancer son premier satellite artificiel GRS. Cette démarche est loin d’être unique, d’autres nations alliées aux Etats-Unis ont fait de même comme le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie, la France, etc. La coopération germano-américaine est signée le 17 juillet 1965. Pour les Américains, celle-ci offre également des intérêts comme le souligne le spécialiste allemand Niklas Reinke : « économiquement forte, [l’Allemagne fédérale] était un partenaire plein d'espoir pour les États-Unis (…). Ces derniers attendaient des avantages d'une coopération avec des secteurs sélectionnés de l'industrie allemande et de la recherche qu'ils considéraient comme particulièrement fiables. (…) Sur le plan politique, le projet visait à soutenir l'image positive et ouverte des Américains par rapport à l'Union soviétique et à renforcer le processus d'unification européenne par de nouveaux domaines de coopération interne. La coopération dans le domaine de la technologie spatiale était considérée comme une expansion des moyens de la diplomatie d’État ».
Le satellite GRS A (German Research Satellite A), fruit de la coopération entre la NASA et le Bundesministerium fur Wissenschaftliche Forschung (BMwF), est rebaptisé Azur (« Bleu ciel ») par le BMwF. Trois principaux objectifs lui sont assignés : mesurer les flux d’électrons d’énergie supérieure à 40 KeV au-dessus de la zone aurorale, analyser les spectres d’énergie des protons et des électrons de la zone interne de la ceinture de radiation, et enregistrer les protons solaires.
Construit par ERNO, Dornier-System, AEG-Telefunken, AEG-Hamburg, SEL, Siemens, sous la maîtrise d’œuvre de Bölkow GmbH, le satellite a la forme d’un cylindre d’une longueur de 1,15 m pour 66,2 cm de diamètre et une masse totale de 72,6 kg. Il embarque sept instruments spécifiques : un magnétomètre, un télescope Proton-Alpha, un télescope à protons, un détecteur de protons et d’électrons, un compteur d’électrons (à tube Geiger), un compteur Geiger Mueller et un photomètre auroral.
Le 8 novembre 1969, un lanceur américain Scout place avec succès Azur sur orbite polaire à 391 km de périgée et 3 228 km d’apogée, pour une inclinaison de près de 103°. L’Allemagne devient alors la huitième nation à disposer d’un satellite après l’URSS (Spoutnik, 1957), les Etats-Unis (Explorer, 1958), le Royaume-Uni (Ariel, 1962), le Canada (Alouette, 1962), l’Italie (San Marco, 1964), la France (A 1, 1965), l’Australie (Wresat, 1967).
Toutefois, au bout de 24 heures, les opérateurs notent une instabilité du système de commande qui sera plus ou moins persistant au cours de la mission. Le 8 décembre 1969, l’enregistreur tombe en panne réduisant le flux de données à environ 80 % de la quantité attendue. Puis, le 29 juin 1970, c’est au tour du système de télémétrie qui pose problème mettant fin à la mission après seulement sept mois de fonctionnement.
L’expérience Azur incite les Allemands à poursuivre en construisant de nouveaux satellites en coopération avec les Etats-Unis, comme les Aeros et Helios. Les premiers, Aeros A et B, consacrés à la compréhension de la haute atmosphère, sont lancés en 1972 et 1974, tandis que les Helios 1 et 2, destinés à l’étude des activités du Soleil et des conséquences pour notre planète et le milieu interplanétaire, sont lancés en 1974 et 1976. Ces derniers deviennent par ailleurs les premiers engins spatiaux européens à naviguer dans le milieu interplanétaire.
Avec l’ESRO, l’Allemagne participe à la construction des premiers satellites scientifiques européens. Ainsi, dans le cadre du programme HEOS (Highly Eccentric Orbiting Satellite), pour l’étude des incidences des éruptions solaires sur l’environnement terrestre, l’institut Max Planck fournit à HEOS 1, lancé le 5 décembre 1968 (par une fusée américaine), un container de baryum et d’oxyde de cuivre qui, vidé une fois le satellite éloigné de la Terre, permet de visualiser les lignes du champ magnétique. Précisons que les Allemands s’en sont fait une spécialité. En effet, dès le 10 mai 1963, le professeur Lüst a fait une tentative d’émission de baryum à l’aide d’une fusée-sonde française Véronique (AGI V48).
Ainsi, avant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne était à la pointe dans les études de fusée et disposait de remarquables instituts et de centres d’essais. Avec la défaite du régime nazi, elle s’est vu imposer un moratoire sur certaines activités, comme celle des fusées. Son retour dans le concert des nations a pris plusieurs années et, pour participer à l’aventure spatiale, elle a compté sur la coopération avec les Etats-Unis et ses partenaires européens. Elle est peu à peu devenue un pilier de l’Europe spatiale.
- Un ouvrage : The History if German Space Policy, REINKE Niklas, Ed. Beauchesne, Paris, 2007.
- Deux articles : « La recherche spatiale dans le monde », R. de NARBONNE, in Science et Vie numéro hors-série, 1966 ; « 35 Jahre AZUR – Am 08. November 1969 startete Deutschlands erster Forschungssatellit »,
REINKE Niklas, 5 novembre 2004, en ligne
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Commentaires