Le secteur spatial, par nature dual, implique des acteurs présents tant dans le domaine civil que militaire. Toutefois, en France, les technologies spatiales, qu'elles concernent les véhicules (lanceurs, satellites, sondes), leurs composants ou encore les installations au sol, sont classées comme matériel de guerre, dès qu’elles possèdent certaines caractéristiques.
C’est pourquoi les mesures relatives à l'économie de guerre introduites par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (dite LPM 2024-2030) concernent spécialement les acteurs du spatial, dont les pépites françaises du New Space, qu’elles aient pour nom Dark, Exotrail, Hemeria, ION-X, Kinéis, The Exploration Company, ThrustMe ou Unseenlabs, pour ne citer qu’elles.
Ces nouvelles dispositions s’ajoutent aux réquisitions de biens et services spatiaux introduites par l’ordonnance du 23 février 2022, qui réformait pour la première fois la loi spatiale de 2008. Ces réquisitions, visant les opérateurs et exploitants de moyens spatiaux, peuvent être amiables ou imposées par décret. Elles se traduisent par des prestations de services au profit de la défense nationale ou bien par le transfert temporaire de la maîtrise d’objets spatiaux. Les requis, qui sont déchargés de leur responsabilité à ce titre, sont indemnisés pour les dépenses et dommages subis. Un emprisonnement de cinq ans et une amende de 500 000 euros sont prévus en cas de manquement aux réquisitions. Ce régime s'applique aux opérateurs français, ainsi qu’aux opérateurs étrangers utilisant des moyens sous juridiction française.
Si la constitution de stocks stratégiques - nouvelle obligation de la LPM 2024-2030 - peut concerner les acteurs du spatial, c’est surtout la priorisation de livraison qui risque de les toucher. Un nouvel article du Code de la défense permet aux autorités d’imposer « à toute entreprise avec laquelle elle a conclu un marché de défense ou de sécurité (…) de réaliser tout ou partie des prestations faisant l’objet de marché par priorité sur tout engagement contractuel ». Cet article permet également à l’autorité de fixer unilatéralement un délai de livraison réduit.
Prises sur simple arrêté du ministre, ces mesures doivent être justifiées par la continuité de l’exécution des missions des forces armées, la sécurisation de leur approvisionnement, le respect des engagement internationaux de la France en matière de défense ou la poursuite de coopérations internationales dans le domaine de la défense. Le ministre de la Défense peut ainsi imposer la réalisation prioritaire d’un contrat de défense au profit de l’OTAN ou d’un État partenaire de la France, comme l’Ukraine. Cette priorisation s’applique non seulement à l’entreprise titulaire du marché ou du contrat de défense, mais également à l’ensemble de ses sous-traitants et fournisseurs.
Tout ordre d’exécution par priorité fait l’objet d’une indemnisation « des préjudicies matériels résultant de manière directe et certaine des mesures prescrites ». L’État prendra ainsi en charge l’ensemble des pénalités de retard que pourrait infliger un client à l’entreprise et ses partenaires contractuels. Le non-respect des mesures de priorisation est sanctionné par une amende « dont le montant ne peut excéder le double de la valeur des prestations (…) dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires annuel moyen » de l’entreprise.
Ces mesures sont entrées en vigueur le 1er avril 2024 avec la publication du décret d’application pris par la ministre de la Défense, qui en avait profité pour menacer les industriels de les mettre en œuvre si les livraisons à l’Ukraine n’étaient pas assez rapides…
Nombre d’acteurs du secteur spatial ont conclu des marchés de défense ou de sécurité avec l’État. Certains d’entre eux sont également titulaires d’une autorisation de fabrication et de commerce de matériels de guerre et assimilés (dite « AFC »), car utilisant ou exploitant des moyens classés comme matériels de guerre. Leur liste est fixée par arrêté ministériel du 27 juin 2012, lequel reprend la liste commune des équipements militaires de l’Union Européenne, dite Military List ou « ML ». Si la rubrique ML11 comprend les « "véhicules spatiaux" spécialement conçus ou modifiés pour l'usage militaire et leurs composants spécialement conçus pour l'usage militaire », la France y ajoute une seconde partie comprenant notamment depuis peu les « Satellites de détection, de renseignement, de télécommunication ou d'observation, véhicules dotés d'une capacité d'approche ou de rendez-vous en orbite, leurs sous-ensembles et leurs équipements, dont les caractéristiques leur confèrent des capacités militaires ».
Cette définition française est ainsi beaucoup plus large que la terminologie internationale usuelle visant les biens « spécialement conçus ou modifiés pour l’usage militaire ». Cela signifie qu’un équipement, bien qu’il n’ait pas été conçu à l’origine, ni modifié ultérieurement, pour répondre à des exigences militaires sera considéré par la France comme un matériel de guerre si ses caractéristiques et performances, sa résistance ou longévité, etc. sont similaires, voire meilleures que celles exigées par les standards militaires. Ceci est particulièrement le cas pour des équipements qui ont vocation à être envoyés dans l’espace pour y fonctionner plusieurs années !
La liste des équipements spatiaux de la seconde partie de l’arrêté figurait également à l’article L.2335-18 du Code de la défense, qui soumet à autorisation de l’Etat (licence) les transferts intracommunautaires des matériels concernés du secteur spatial. Le renforcement de l’arrêté de 2012 risquait donc une incompatibilité avec une loi d’une valeur juridique supérieure. Afin de gagner en souplesse et d’éviter de passer par la procédure législative, le gouvernement a demandé au Conseil constitutionnel de déclasser cette disposition pour lui donner un caractère simplement réglementaire. Dans sa décision du 16 mars 2023, le Conseil Constitutionnel a suivi le gouvernement et décidé que les dispositions de l’article L.2335-18 du Code de la défense pouvaient être modifiée par simple décret. Le décret du 29 juin 2023 a donc « allégé » le contenu de l’article L.2335-18, d’une part, en donnant une valeur quasi légale à la notion de « caractéristiques leur confér[ant] des capacités militaires » et, d’autre part, en laissant le ministre de la Défense décider seul de la liste des matériels spatiaux concernés. C’est ce qu’il fit par un arrêté du 4 décembre 2023, ajoutant aussi aux satellites « les véhicules dotés d’une capacité d’approche ou de rendez-vous en orbite », ainsi que les équipements et composants, les produits non finis et les logiciels.
C’est désormais toute la chaîne de valeur du spatial, tant les matériels que leurs composants, ainsi que les technologies, logiciels et produits non finis, qui est désormais visée. Les satellites conçus pour fournir des services en orbite (ravitaillement, réparation, réorbitation, collecte des débris, etc.) sont en effet « dotés d’une capacité d’approche ou de rendez-vous » qui ne diffère en rien de capacités militaires... Dès lors, ceux-ci, leurs stations au sol, leurs composants, leurs logiciels, ainsi que leurs outillages spécialisés de fabrication risquent fort d’être classés matériels de guerre.
Si le New Space souffle un vent de liberté, d’audace et d’innovation sur le secteur spatial, force est de constater que les réformes du droit spatial français, tant l’ordonnance de février 2022 que la LPM 2024-2030 ou encore la discrète modification du classement des matériels de guerre - toutes mises en œuvre sous l’égide du ministère des Armées - consacrent un renforcement de l’emprise de l’État et marquent une militarisation accrue des activités spatiales.
Le secteur spatial, par nature dual, implique des acteurs présents tant dans le domaine civil que militaire. Toutefois, en France, les technologies spatiales, qu'elles concernent les véhicules (lanceurs, satellites, sondes), leurs composants ou encore les installations au sol, sont classées comme matériel de guerre, dès qu’elles possèdent certaines caractéristiques.
C’est pourquoi les mesures relatives à l'économie de guerre introduites par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (dite LPM 2024-2030) concernent spécialement les acteurs du spatial, dont les pépites françaises du New Space, qu’elles aient pour nom Dark, Exotrail, Hemeria, ION-X, Kinéis, The Exploration Company, ThrustMe ou Unseenlabs, pour ne citer qu’elles.
Ces nouvelles dispositions s’ajoutent aux réquisitions de biens et services spatiaux introduites par l’ordonnance du 23 février 2022, qui réformait pour la première fois la loi spatiale de 2008. Ces réquisitions, visant les opérateurs et exploitants de moyens spatiaux, peuvent être amiables ou imposées par décret. Elles se traduisent par des prestations de services au profit de la défense nationale ou bien par le transfert temporaire de la maîtrise d’objets spatiaux. Les requis, qui sont déchargés de leur responsabilité à ce titre, sont indemnisés pour les dépenses et dommages subis. Un emprisonnement de cinq ans et une amende de 500 000 euros sont prévus en cas de manquement aux réquisitions. Ce régime s'applique aux opérateurs français, ainsi qu’aux opérateurs étrangers utilisant des moyens sous juridiction française.
Si la constitution de stocks stratégiques - nouvelle obligation de la LPM 2024-2030 - peut concerner les acteurs du spatial, c’est surtout la priorisation de livraison qui risque de les toucher. Un nouvel article du Code de la défense permet aux autorités d’imposer « à toute entreprise avec laquelle elle a conclu un marché de défense ou de sécurité (…) de réaliser tout ou partie des prestations faisant l’objet de marché par priorité sur tout engagement contractuel ». Cet article permet également à l’autorité de fixer unilatéralement un délai de livraison réduit.
Prises sur simple arrêté du ministre, ces mesures doivent être justifiées par la continuité de l’exécution des missions des forces armées, la sécurisation de leur approvisionnement, le respect des engagement internationaux de la France en matière de défense ou la poursuite de coopérations internationales dans le domaine de la défense. Le ministre de la Défense peut ainsi imposer la réalisation prioritaire d’un contrat de défense au profit de l’OTAN ou d’un État partenaire de la France, comme l’Ukraine. Cette priorisation s’applique non seulement à l’entreprise titulaire du marché ou du contrat de défense, mais également à l’ensemble de ses sous-traitants et fournisseurs.
Tout ordre d’exécution par priorité fait l’objet d’une indemnisation « des préjudicies matériels résultant de manière directe et certaine des mesures prescrites ». L’État prendra ainsi en charge l’ensemble des pénalités de retard que pourrait infliger un client à l’entreprise et ses partenaires contractuels. Le non-respect des mesures de priorisation est sanctionné par une amende « dont le montant ne peut excéder le double de la valeur des prestations (…) dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires annuel moyen » de l’entreprise.
Ces mesures sont entrées en vigueur le 1er avril 2024 avec la publication du décret d’application pris par la ministre de la Défense, qui en avait profité pour menacer les industriels de les mettre en œuvre si les livraisons à l’Ukraine n’étaient pas assez rapides…
Nombre d’acteurs du secteur spatial ont conclu des marchés de défense ou de sécurité avec l’État. Certains d’entre eux sont également titulaires d’une autorisation de fabrication et de commerce de matériels de guerre et assimilés (dite « AFC »), car utilisant ou exploitant des moyens classés comme matériels de guerre. Leur liste est fixée par arrêté ministériel du 27 juin 2012, lequel reprend la liste commune des équipements militaires de l’Union Européenne, dite Military List ou « ML ». Si la rubrique ML11 comprend les « "véhicules spatiaux" spécialement conçus ou modifiés pour l'usage militaire et leurs composants spécialement conçus pour l'usage militaire », la France y ajoute une seconde partie comprenant notamment depuis peu les « Satellites de détection, de renseignement, de télécommunication ou d'observation, véhicules dotés d'une capacité d'approche ou de rendez-vous en orbite, leurs sous-ensembles et leurs équipements, dont les caractéristiques leur confèrent des capacités militaires ».
Cette définition française est ainsi beaucoup plus large que la terminologie internationale usuelle visant les biens « spécialement conçus ou modifiés pour l’usage militaire ». Cela signifie qu’un équipement, bien qu’il n’ait pas été conçu à l’origine, ni modifié ultérieurement, pour répondre à des exigences militaires sera considéré par la France comme un matériel de guerre si ses caractéristiques et performances, sa résistance ou longévité, etc. sont similaires, voire meilleures que celles exigées par les standards militaires. Ceci est particulièrement le cas pour des équipements qui ont vocation à être envoyés dans l’espace pour y fonctionner plusieurs années !
La liste des équipements spatiaux de la seconde partie de l’arrêté figurait également à l’article L.2335-18 du Code de la défense, qui soumet à autorisation de l’Etat (licence) les transferts intracommunautaires des matériels concernés du secteur spatial. Le renforcement de l’arrêté de 2012 risquait donc une incompatibilité avec une loi d’une valeur juridique supérieure. Afin de gagner en souplesse et d’éviter de passer par la procédure législative, le gouvernement a demandé au Conseil constitutionnel de déclasser cette disposition pour lui donner un caractère simplement réglementaire. Dans sa décision du 16 mars 2023, le Conseil Constitutionnel a suivi le gouvernement et décidé que les dispositions de l’article L.2335-18 du Code de la défense pouvaient être modifiée par simple décret. Le décret du 29 juin 2023 a donc « allégé » le contenu de l’article L.2335-18, d’une part, en donnant une valeur quasi légale à la notion de « caractéristiques leur confér[ant] des capacités militaires » et, d’autre part, en laissant le ministre de la Défense décider seul de la liste des matériels spatiaux concernés. C’est ce qu’il fit par un arrêté du 4 décembre 2023, ajoutant aussi aux satellites « les véhicules dotés d’une capacité d’approche ou de rendez-vous en orbite », ainsi que les équipements et composants, les produits non finis et les logiciels.
C’est désormais toute la chaîne de valeur du spatial, tant les matériels que leurs composants, ainsi que les technologies, logiciels et produits non finis, qui est désormais visée. Les satellites conçus pour fournir des services en orbite (ravitaillement, réparation, réorbitation, collecte des débris, etc.) sont en effet « dotés d’une capacité d’approche ou de rendez-vous » qui ne diffère en rien de capacités militaires... Dès lors, ceux-ci, leurs stations au sol, leurs composants, leurs logiciels, ainsi que leurs outillages spécialisés de fabrication risquent fort d’être classés matériels de guerre.
Si le New Space souffle un vent de liberté, d’audace et d’innovation sur le secteur spatial, force est de constater que les réformes du droit spatial français, tant l’ordonnance de février 2022 que la LPM 2024-2030 ou encore la discrète modification du classement des matériels de guerre - toutes mises en œuvre sous l’égide du ministère des Armées - consacrent un renforcement de l’emprise de l’État et marquent une militarisation accrue des activités spatiales.
Commentaires