La paix menacée sur orbite ?
La paix menacée sur orbite ?
© Nikausse

publié le 25 janvier 2025 à 10:30

1686 mots

La paix menacée sur orbite ?

Le contexte géopolitique actuel remet au centre des discours la question de l’arsenalisation de l’espace extra-atmosphérique, redéfinissant les frontières entre usages civils et militaires. Avec Brian Kalafatian, chercheur à l'Institut d'études de stratégie et de défense (IESD), nous examinons les implications de cette nouvelle dynamique et la nécessité d'un cadre légal clair.


L'espace a longtemps été mis en avant comme étant un milieu au service de la science et de l'observation de la Terre, caractérisé par des activités pacifiques. Cependant, avec l'essor des technologies militaires, le durcissement des relations internationales et un contexte géopolitique en constante évolution, la militarisation et l'arsenalisation de l'espace s'imposent comme de nouveaux enjeux cruciaux dans les relations internationales, après des années d'exacerbation de la coopération internationale. Alors que les tensions entre grandes puissances se ravivent, il devient essentiel de distinguer ces deux concepts et d'analyser leurs implications pour la sécurité mondiale. Au fil des décennies, « la dynamique s'est transformée au gré des doctrines et des technologies, émancipant peu à peu le milieu spatial des autres, jusqu'à en faire un milieu d'opérations à part entière », souligne Brian Kalafatian. Les avancées technologiques et la militarisation croissante des capacités spatiales « tendent à remettre en question la sanctuarisation du milieu spatial, jusqu'ici respectée en apparence malgré l’utilisation de politiques de puissance utilisant ce milieu ». Les satellites initialement conçus pour des fins scientifiques et usages civils peuvent également être utilisés à des fins militaires. Dans ce contexte, la « dualité des capacités spatiales soulève des interrogations, car les frontières entre utilisation civile et militaire deviennent de plus en plus floues, alors que de nouveaux usages, notamment des données, ne cessent de se développer ».

 

Concepts de militarisation et d’arsenalisation

La militarisation se réfère à « l'utilisation du domaine spatial pour soutenir des activités militaires au sol, et est le caractère fondateur de l'exploration spatiale, notamment par le lien entretenu avec la question nucléaire ». En revanche, l'arsenalisation évoque une étape plus avancée, où « des armements à but défensif, offensif ou de signalement sont non seulement déployés, mais également intégrés dans des stratégies de combats spatiaux ». Bien que ces concepts aient été pensés dès la guerre froide avec le développement des capacités de frappe orbitales, un « consensus a émergé dans les années 1970 pour éviter une course à l'armement dans l'espace ».

Cependant, ce consensus est aujourd'hui en train d'évoluer avec le « retour à des discours militaristes de la part des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine ». Les préoccupations se concentrent sur l'engagement de protéger les atouts spatiaux, comprendre l'infrastructure spatiale d'un pays, par le biais, par exemple du Space Control aux Etats-Unis, qui vise à « établir une supériorité spatiale par la mise en place d'une logistique et de doctrines facilitant la présence humaine et matérielle, dont des systèmes d'armes, afin de dissuader les adversaires et garantir la prévalence des Etats-Unis dans le milieu spatial ».

 

Les traités internationaux et leur ambiguïté

Aujourd'hui, les activités spatiales sont principalement régies par le Traité sur l’espace de l'ONU en vigueur depuis 1967, qui interdit le placement en orbite d'armes de destruction massive, dont nucléaires, ainsi que l'établissement de bases ou installations militaires sur les corps célestes (sur la Lune ou sur Mars, par exemple). En revanche, il n'interdit pas le déploiement d'armement en orbite et autorise l'utilisation de personnel militaire à des fins de recherche scientifique ou à toute autre activité pacifique. Cela explique pourquoi le programme Apollo et ses missions sur la Lune impliquaient des militaires, également présents à bord de chaque vol de navette. Mais face à l'utilisation croissante de l'espace à des fins militaires, « alors que le Traité de 1967 fait l'objet de larges interprétations par la doctrine, demeure la nécessité d'établir un cadre légal clair », car la communauté internationale est « notamment confrontée à la dualité entre usages civils et militaires des technologies, et des politiques qui sont menées dans l'espace extra-atmosphérique ». Dans ce contexte, les Etats peinent à s'accorder sur « ce qui peut être considéré comme une militarisation légitime ». La complexité est accentuée par des technologies, de sorte que quasiment tous les usages de satellites dits scientifiques ou commerciaux « peuvent être utilisés à la fois à des fins civiles et militaires et perçus comme des armes par destination ». Cela crée une ligne de crête juridique difficile à appréhender.

 

Impact des conflits contemporains

La guerre en Ukraine, marquée par des attaques cyber et spatiales, a révélé que « l'arsenalisation de l'espace n'est plus une question théorique, et pourrait toucher tant les capacités en orbite que les systèmes au sol ». Dans ce contexte, une attaque ciblée contre des systèmes spatiaux pourrait affaiblir considérablement un pays en quelques minutes, illustrant les risques d'une surprise stratégique, souvent désignée par l'expression « Pearl Harbor spatial ». Bien que les Etats évitent de dépasser le seuil de conflictualité et du conflit ouvert, la question persiste. « Jusqu'à quand cette retenue, intériorisée par les États et assimilée par leur culture partagée, pourra-t-elle perdurer ? », se demande Brian Kalafatian. Si l'idée d'un conflit ouvert dans l'espace peut paraître lointaine, la « banalisation de la menace nucléaire, associée à un potentiel accroissement de l'arsenalisation, pourrait mener à des changements de paradigme dramatiques dans les relations internationales ». Aujourd'hui, le spectre cybernétique et électronique « représente une alternative intéressante pour mener des opérations militaires dans l'espace ne dépassant pas le seuil de conflictualité, générant peu ou pas de débris et compliquant l'attribution des responsabilités à un Etat ». Cette approche permet d'effectuer de « petites attaques ciblées visant à rendre des satellites incapables de fonctionner normalement, sans nécessairement les détruire ». Cela sert également de « moyen de test pour évaluer les défenses adverses ». C'est ainsi qu'au cours des exercices de l'Otan, on observe fréquemment des perturbations du spectre électronique, telles que des « satellites temporairement aveuglés par des lasers, perturbés dans la transmission de données, quand ce n'est pas un satellite tiers qui s'approche de trop près ». Ces situations offrent l'opportunité d'analyser les « réactions des systèmes cibles et d'évaluer l'efficacité des contre-mesures ». Si les Etats semblent résolus à ne pas attaquer ouvertement d'autres atouts spatiaux, la Russie a récemment signalé sa volonté de « frapper des satellites commerciaux, soulignant la finesse de la question ». Dans un contexte où tout peut être considéré comme une arme par destination, la « complexité de la situation posée par le caractère évasif des traités internationaux, si ce n'est pour la définition de l'agression au regard de la Résolution 3314, est accentuée ».

 

Perspectives internationales

Même si la question de la création d’un « espace démilitarisé » s’est posée dès l’élaboration du Traité de 1967, les Etats-Unis et l’Union soviétique, puis la Russie, ont adopté une ligne politique durable, déclarant « qu'une démilitarisation totale est irréaliste, dans la lignée des tractations réalisées lors de l'élaboration du Traité de 1967 ». Il devient donc essentiel d'atteindre un « consensus sur les définitions juridiques autour des notions de militarisation et d'arsenalisation pour élaborer un traité international contraignant, bien que cela reste peu probable ». Etonnamment, cette difficulté à trouver un accord a des conséquences sur la gestion des débris spatiaux, pourtant au centre des enjeux pour un espace durable. Les initiatives pour résoudre ce problème stagnent, en partie à cause des « usages militaires potentiels des technologies impliquées, qui pourraient également être utilisées pour neutraliser des satellites ». Les avancées sont lentes, « freinées par les Etats qui cherchent à éviter le risque associé au développement en coopération internationale de capacités à vocation potentiellement militaire ». Quant à la France, sa doctrine se concentre sur « la protection de ses atouts, plutôt que sur le développement de capacités offensives ». En ce qui concerne la nucléarisation de l'espace, « la banalisation de cette question suggère que le point de bascule d'un changement de doctrine pourrait être proche afin d'inclure encore davantage le milieu spatial dans les stratégies multi-milieux et renforcer l’interconnexion entre les milieux aérien et spatial ».

 

Les accords Artemis, source de conflits futurs

A cela s'ajoute le fait que les prochaines phases d'exploration lunaire, martienne et à destination d’astéroïdes pourraient également devenir des sujets de conflit. L'installation humaine sur la Lune est annoncée comme « pacifique », mais « des questions de sécurité restent en suspens ». L’approche des accords Artemis, préconise de « créer des zones de protection autour des sites d'intérêt », une interprétation des textes internationaux que pourrait engendrer des tensions entre nations. La volonté principalement américaine « d'éviter les interférences nuisibles autour d'une base ou d'un site d'atterrissage pose la question de l'appropriation illicite de territoires lunaires, dénoncée par la Chine ». Or, il faut savoir que le pôle Sud lunaire, dont la superficie « habitable » n'est pas aussi grande qu'on l'imagine, est l'une des rares régions où l'installation de bases humaines est actuellement envisagée. Si les accords Artemis sont suivis, cela « pourrait en théorie considérablement restreindre les activités d'Etats non signataires, ou pour ceux moins dotés en termes de capacités, à faire respecter leurs intérêts ». Les « problèmes » pourraient surgir quant à la manière dont les Etats signataires de ces accords feront respecter ces zones d'intérêt. Un basculement « pourrait alors se produire, entraînant inévitablement une arsenalisation de la Lune, ou au moins, un recours à des stratégies inamicales, visant notamment à entraver les activités ou à dénier l’accès ». La polarisation autour de cette question sera si forte que les « différents traités onusiens pourraient s'avérer inefficaces pour traiter de ces tensions ». Ce flou juridique existe également en ce qui concerne les futures activités de minage des astéroïdes, de sorte que le défi « réside dans l'application et l'interprétation du droit international concernant l'usage de l'espace ».

La Chine, qui dénonce ces accords Artemis, aura à cœur de défendre ses intérêts sur la Lune, comme elle le fait en mer de Chine où, à l'aide d'îlots artificiels, elle repousse toujours plus loin sa frontière et sa sphère d'influence, jusqu'à menacer la souveraineté d'autres Etats.

 

Point de rupture ?

L'évolution des doctrines militaires entraîne des questions fondamentales sur la militarisation et l'arsenalisation de l'espace ainsi que leurs implications sur la sécurité, la coopération internationale et le droit. Dans un contexte géostratégique où les frontières se redessinent et où deux des trois grands blocs mondiaux semblent s'opposer, le véritable défi n'est peut-être pas de savoir s'il faut militariser l'espace, mais plutôt comment éviter une escalade incontrôlée tout en garantissant la sécurité des systèmes et infrastructures spatiales. Mais restons optimistes ; les Etats, qui “ont jusqu’ici préféré d’autres outils que le conflit direct afin de défendre leurs intérêts dans le milieu spatial”, ont généralement montré une « résilience notable en s'engageant dans des dialogues constructifs, et mettant en place des mécanismes de déconfliction quand les situations deviennent proches d'un point de rupture », conclut Brian Kalafatian.

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25/01/2025 10:30
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La paix menacée sur orbite ?

Le contexte géopolitique actuel remet au centre des discours la question de l’arsenalisation de l’espace extra-atmosphérique, redéfinissant les frontières entre usages civils et militaires. Avec Brian Kalafatian, chercheur à l'Institut d'études de stratégie et de défense (IESD), nous examinons les implications de cette nouvelle dynamique et la nécessité d'un cadre légal clair.

La paix menacée sur orbite ?
La paix menacée sur orbite ?

L'espace a longtemps été mis en avant comme étant un milieu au service de la science et de l'observation de la Terre, caractérisé par des activités pacifiques. Cependant, avec l'essor des technologies militaires, le durcissement des relations internationales et un contexte géopolitique en constante évolution, la militarisation et l'arsenalisation de l'espace s'imposent comme de nouveaux enjeux cruciaux dans les relations internationales, après des années d'exacerbation de la coopération internationale. Alors que les tensions entre grandes puissances se ravivent, il devient essentiel de distinguer ces deux concepts et d'analyser leurs implications pour la sécurité mondiale. Au fil des décennies, « la dynamique s'est transformée au gré des doctrines et des technologies, émancipant peu à peu le milieu spatial des autres, jusqu'à en faire un milieu d'opérations à part entière », souligne Brian Kalafatian. Les avancées technologiques et la militarisation croissante des capacités spatiales « tendent à remettre en question la sanctuarisation du milieu spatial, jusqu'ici respectée en apparence malgré l’utilisation de politiques de puissance utilisant ce milieu ». Les satellites initialement conçus pour des fins scientifiques et usages civils peuvent également être utilisés à des fins militaires. Dans ce contexte, la « dualité des capacités spatiales soulève des interrogations, car les frontières entre utilisation civile et militaire deviennent de plus en plus floues, alors que de nouveaux usages, notamment des données, ne cessent de se développer ».

 

Concepts de militarisation et d’arsenalisation

La militarisation se réfère à « l'utilisation du domaine spatial pour soutenir des activités militaires au sol, et est le caractère fondateur de l'exploration spatiale, notamment par le lien entretenu avec la question nucléaire ». En revanche, l'arsenalisation évoque une étape plus avancée, où « des armements à but défensif, offensif ou de signalement sont non seulement déployés, mais également intégrés dans des stratégies de combats spatiaux ». Bien que ces concepts aient été pensés dès la guerre froide avec le développement des capacités de frappe orbitales, un « consensus a émergé dans les années 1970 pour éviter une course à l'armement dans l'espace ».

Cependant, ce consensus est aujourd'hui en train d'évoluer avec le « retour à des discours militaristes de la part des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine ». Les préoccupations se concentrent sur l'engagement de protéger les atouts spatiaux, comprendre l'infrastructure spatiale d'un pays, par le biais, par exemple du Space Control aux Etats-Unis, qui vise à « établir une supériorité spatiale par la mise en place d'une logistique et de doctrines facilitant la présence humaine et matérielle, dont des systèmes d'armes, afin de dissuader les adversaires et garantir la prévalence des Etats-Unis dans le milieu spatial ».

 

Les traités internationaux et leur ambiguïté

Aujourd'hui, les activités spatiales sont principalement régies par le Traité sur l’espace de l'ONU en vigueur depuis 1967, qui interdit le placement en orbite d'armes de destruction massive, dont nucléaires, ainsi que l'établissement de bases ou installations militaires sur les corps célestes (sur la Lune ou sur Mars, par exemple). En revanche, il n'interdit pas le déploiement d'armement en orbite et autorise l'utilisation de personnel militaire à des fins de recherche scientifique ou à toute autre activité pacifique. Cela explique pourquoi le programme Apollo et ses missions sur la Lune impliquaient des militaires, également présents à bord de chaque vol de navette. Mais face à l'utilisation croissante de l'espace à des fins militaires, « alors que le Traité de 1967 fait l'objet de larges interprétations par la doctrine, demeure la nécessité d'établir un cadre légal clair », car la communauté internationale est « notamment confrontée à la dualité entre usages civils et militaires des technologies, et des politiques qui sont menées dans l'espace extra-atmosphérique ». Dans ce contexte, les Etats peinent à s'accorder sur « ce qui peut être considéré comme une militarisation légitime ». La complexité est accentuée par des technologies, de sorte que quasiment tous les usages de satellites dits scientifiques ou commerciaux « peuvent être utilisés à la fois à des fins civiles et militaires et perçus comme des armes par destination ». Cela crée une ligne de crête juridique difficile à appréhender.

 

Impact des conflits contemporains

La guerre en Ukraine, marquée par des attaques cyber et spatiales, a révélé que « l'arsenalisation de l'espace n'est plus une question théorique, et pourrait toucher tant les capacités en orbite que les systèmes au sol ». Dans ce contexte, une attaque ciblée contre des systèmes spatiaux pourrait affaiblir considérablement un pays en quelques minutes, illustrant les risques d'une surprise stratégique, souvent désignée par l'expression « Pearl Harbor spatial ». Bien que les Etats évitent de dépasser le seuil de conflictualité et du conflit ouvert, la question persiste. « Jusqu'à quand cette retenue, intériorisée par les États et assimilée par leur culture partagée, pourra-t-elle perdurer ? », se demande Brian Kalafatian. Si l'idée d'un conflit ouvert dans l'espace peut paraître lointaine, la « banalisation de la menace nucléaire, associée à un potentiel accroissement de l'arsenalisation, pourrait mener à des changements de paradigme dramatiques dans les relations internationales ». Aujourd'hui, le spectre cybernétique et électronique « représente une alternative intéressante pour mener des opérations militaires dans l'espace ne dépassant pas le seuil de conflictualité, générant peu ou pas de débris et compliquant l'attribution des responsabilités à un Etat ». Cette approche permet d'effectuer de « petites attaques ciblées visant à rendre des satellites incapables de fonctionner normalement, sans nécessairement les détruire ». Cela sert également de « moyen de test pour évaluer les défenses adverses ». C'est ainsi qu'au cours des exercices de l'Otan, on observe fréquemment des perturbations du spectre électronique, telles que des « satellites temporairement aveuglés par des lasers, perturbés dans la transmission de données, quand ce n'est pas un satellite tiers qui s'approche de trop près ». Ces situations offrent l'opportunité d'analyser les « réactions des systèmes cibles et d'évaluer l'efficacité des contre-mesures ». Si les Etats semblent résolus à ne pas attaquer ouvertement d'autres atouts spatiaux, la Russie a récemment signalé sa volonté de « frapper des satellites commerciaux, soulignant la finesse de la question ». Dans un contexte où tout peut être considéré comme une arme par destination, la « complexité de la situation posée par le caractère évasif des traités internationaux, si ce n'est pour la définition de l'agression au regard de la Résolution 3314, est accentuée ».

 

Perspectives internationales

Même si la question de la création d’un « espace démilitarisé » s’est posée dès l’élaboration du Traité de 1967, les Etats-Unis et l’Union soviétique, puis la Russie, ont adopté une ligne politique durable, déclarant « qu'une démilitarisation totale est irréaliste, dans la lignée des tractations réalisées lors de l'élaboration du Traité de 1967 ». Il devient donc essentiel d'atteindre un « consensus sur les définitions juridiques autour des notions de militarisation et d'arsenalisation pour élaborer un traité international contraignant, bien que cela reste peu probable ». Etonnamment, cette difficulté à trouver un accord a des conséquences sur la gestion des débris spatiaux, pourtant au centre des enjeux pour un espace durable. Les initiatives pour résoudre ce problème stagnent, en partie à cause des « usages militaires potentiels des technologies impliquées, qui pourraient également être utilisées pour neutraliser des satellites ». Les avancées sont lentes, « freinées par les Etats qui cherchent à éviter le risque associé au développement en coopération internationale de capacités à vocation potentiellement militaire ». Quant à la France, sa doctrine se concentre sur « la protection de ses atouts, plutôt que sur le développement de capacités offensives ». En ce qui concerne la nucléarisation de l'espace, « la banalisation de cette question suggère que le point de bascule d'un changement de doctrine pourrait être proche afin d'inclure encore davantage le milieu spatial dans les stratégies multi-milieux et renforcer l’interconnexion entre les milieux aérien et spatial ».

 

Les accords Artemis, source de conflits futurs

A cela s'ajoute le fait que les prochaines phases d'exploration lunaire, martienne et à destination d’astéroïdes pourraient également devenir des sujets de conflit. L'installation humaine sur la Lune est annoncée comme « pacifique », mais « des questions de sécurité restent en suspens ». L’approche des accords Artemis, préconise de « créer des zones de protection autour des sites d'intérêt », une interprétation des textes internationaux que pourrait engendrer des tensions entre nations. La volonté principalement américaine « d'éviter les interférences nuisibles autour d'une base ou d'un site d'atterrissage pose la question de l'appropriation illicite de territoires lunaires, dénoncée par la Chine ». Or, il faut savoir que le pôle Sud lunaire, dont la superficie « habitable » n'est pas aussi grande qu'on l'imagine, est l'une des rares régions où l'installation de bases humaines est actuellement envisagée. Si les accords Artemis sont suivis, cela « pourrait en théorie considérablement restreindre les activités d'Etats non signataires, ou pour ceux moins dotés en termes de capacités, à faire respecter leurs intérêts ». Les « problèmes » pourraient surgir quant à la manière dont les Etats signataires de ces accords feront respecter ces zones d'intérêt. Un basculement « pourrait alors se produire, entraînant inévitablement une arsenalisation de la Lune, ou au moins, un recours à des stratégies inamicales, visant notamment à entraver les activités ou à dénier l’accès ». La polarisation autour de cette question sera si forte que les « différents traités onusiens pourraient s'avérer inefficaces pour traiter de ces tensions ». Ce flou juridique existe également en ce qui concerne les futures activités de minage des astéroïdes, de sorte que le défi « réside dans l'application et l'interprétation du droit international concernant l'usage de l'espace ».

La Chine, qui dénonce ces accords Artemis, aura à cœur de défendre ses intérêts sur la Lune, comme elle le fait en mer de Chine où, à l'aide d'îlots artificiels, elle repousse toujours plus loin sa frontière et sa sphère d'influence, jusqu'à menacer la souveraineté d'autres Etats.

 

Point de rupture ?

L'évolution des doctrines militaires entraîne des questions fondamentales sur la militarisation et l'arsenalisation de l'espace ainsi que leurs implications sur la sécurité, la coopération internationale et le droit. Dans un contexte géostratégique où les frontières se redessinent et où deux des trois grands blocs mondiaux semblent s'opposer, le véritable défi n'est peut-être pas de savoir s'il faut militariser l'espace, mais plutôt comment éviter une escalade incontrôlée tout en garantissant la sécurité des systèmes et infrastructures spatiales. Mais restons optimistes ; les Etats, qui “ont jusqu’ici préféré d’autres outils que le conflit direct afin de défendre leurs intérêts dans le milieu spatial”, ont généralement montré une « résilience notable en s'engageant dans des dialogues constructifs, et mettant en place des mécanismes de déconfliction quand les situations deviennent proches d'un point de rupture », conclut Brian Kalafatian.



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