Le 6 avril 1965, les États-Unis plaçaient sur une orbite géosynchrone le tout premier satellite de télécommunications commercial, marquant l’avènement du « village planétaire ».
Spécialiste du radar et auteur de science-fiction britannique, Arthur C. Clarke publie en octobre 1945 dans la revue Wireless World l’article « Extra-terrestrial relays » dans lequel il imagine des satellites artificiels qui, depuis une orbite géostationnaire, assureraient aux communications une couverture mondiale permanente. Vingt ans plus tard, l’idée de Clarke devenait réalité...
« Au début des années 1960, constate l’historien Hervé Moulin, les États-Unis sont les premiers à développer des systèmes de communications par satellites. Constatant l’évolution rapide des techniques spatiales, les opérateurs américains de communications (AT&T, ITT, RCA, Western Union) s’intéressent aux satellites qui pourraient constituer un complément, voire une alternative aux câbles. Ils se rapprochent de la NASA pour expérimenter différentes techniques dans plusieurs programmes (ECHO, RELAY et plus tard SYNCOM) ». Le président John Kennedy cherche alors à profiter de l’avance technologique des États-Unis : dans son célèbre discours de mai 1961 devant le congrès dans lequel il lance le pari lunaire, il souligne également l’importance des satellites de communications et l’idée d’un système à l’échelle mondiale. La question est portée devant l’Assemblée générale de l’ONU qui, le 20 décembre 1961, adopte la résolution 1721 reconnaissant que « l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique devraient servir uniquement au bien de l’humanité et au bénéfice des États, quel que soit leur stade de développement économique ou scientifique ». Concernant les communications par satellite, la résolution considère qu’elles « devraient être accessibles aux nations du monde dès que possible, sur une base mondiale et non discriminatoire (…) ».
Pour réaliser et lancer les satellites de communications, le président Kennedy signe le 31 août 1962 le Communications Satellite Act permettant la mise en place de la COMSAT (Communications Satellite Corporation), société privée / publique qui contribue le 20 août 1964 à Washington à créer Intelsat (INternational TELecommunication SATellite), avec le soutien d’agences de télécommunications de dix-huit autres nations. Au sein d’Intelsat, les États-Unis détiennent alors 61 % des droits de vote, 31% pour les Européens.
Le Consortium Intelsat créé, un contrat est signé avec la NASA des États-Unis pour lancer le premier satellite Intelsat I, et dont le contrôle se fera depuis la station d’Andover dans le Maine (États-Unis), la construction étant assurée par le groupe américain Hughes Aircraft. Ayant la forme d’un cylindre, le satellite a une hauteur de 76 cm pour une masse totale de 34,5 kg. Disposant de 240 voies et d’un circuit télévision seulement, il s’inspire des satellites américains Syncom 1, 2 et 3 qui, construits par Hughes et lancés en 1963-64, ont expérimenté avec succès le concept de satellite de télécommunication géostationnaire. Intelsat I est surnommé « Early Bird », en référence au proverbe « The Early Bird catches the worm » (L’oiseau matinal attrape le vert / L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, en français).
Le 6 avril 1965, un lanceur Delta D américain place avec succès Early Bird sur une orbite géostationnaire au-dessus de l’océan Atlantique. Il doit assurer un contact direct entre l’Amérique du Nord et l’Europe en termes de transmissions (télégraphe, téléphone, télécopie, télévision). De nombreux tests sont alors effectués entre Andover et plusieurs centres européens dont le français Pleumeur-Bodou. Le 22 avril, au Journal télévisé de 20 heures, le journaliste Jean-Pierre Chapel rend compte des essais en cours : « Early Bird est maintenu fixe au-dessus de l’équateur à 36 000 km d’altitude et à égal distance de l’Europe et des États-Unis. Sous le radôme de Pleumeur-Bodou la gigantesque antenne est dirigée vers le satellite. Après les essais radios puis de transmissions téléphoniques, ce sont maintenant les essais de télévisions qui viennent d’avoir lieu. (…). D’abord, Early Bird a répercuté des signaux simples entre Andover aux États-Unis et Pleumeur-Bodou, les images parcourent 80 000 km en un quart de seconde, et c’est plus compliqué ensuite. Les techniciens ont envoyé vers Early Bird des images qu’ils avaient enregistrées sur magnétoscope, en l’occurrence le match de boxe Sonny Liston / Cassius Clay. Ces images que vous voyez sur les écrans de contrôle sont celles qui ont été renvoyées par le satellite. La qualité en semble excellente, ce qui permet donc de penser que, grâce à Early Bird, nous aurons bientôt des échanges d’images en mondovision ».
Le 7 mai, via Early Bird, le président américain Lyndon B. Johnson s’adresse aux Européens lors des commémorations du 20e anniversaire de la capitulation allemande. Le 28 juin, le satellite est déclaré « bon pour le service commercial ». Pour la petite histoire, soulignons que le claviériste et organiste belge André Brasseur réalise peu après le succès de Early Bird un single instrumental qui devient un véritable tube, obtenant la première place du classement flamand et entre même dans le top 10 en Allemagne !
Prévu pour une durée initiale de 18 mois, Early Bird fonctionne pendant quatre ans et quatre mois. En janvier 1969, il est placé sur une orbite de réserve, pour être remis en service en juin de la même année pour suivre la mission Apollo 11. Il est remis en réserve deux mois plus tard, pour être momentanément réactivé lors de son… 25e anniversaire.
Early Bird a incontestablement révolutionné les communications, comme le souligne Jean-Luc Froeliger, vice-président des opérations d’ingénierie des satellites à Intelsat : « C‘était très important pour l’industrie, ce satellite a quasiment doublé le nombre de circuits vocaux disponibles entre l’Europe et les États-Unis. A cette époque, quand on voulait passer un appel international, il fallait d’abord prendre rendez-vous avec le service téléphonique ». Dix ans après la création d’Intelsat, le nombre d’adhérents est passé à 86 pays avec un service qui s’est étoffé et pérennisé : a ainsi suivi la série de quatre Intelsat II lancés en 1966-67, puis huit Intelsat III qui, disposant chacun de 1200 voies et 4 canaux de télévision, ont été lancés en 1968-70 et ont assuré une couverture mondiale permanente. Les Intelsat ont joué un rôle essentiel dans la transmission mondiale de nombreux événements, comme la visite du pape Paul VI aux États-Unis (octobre 1965), l’amerrissage de la capsule Gemini 6 (décembre 1965), des compétitions sportives majeures, etc., permettant de faire de notre monde un véritable village planétaire.
- Une communication : « Le rôle de l’Etat dans le développement des communications spatiales », Hervé Moulin, in Entreprises de haute technologie, Etat et souveraineté depuis 1945 », sous la direction de Patrick Fridenson et Pascal Griset, IGPDE, Paris, 2013 ;
- Un article : « Satellites de communication : rendre le village planétaire possible », David J. Whalen, 30 novembre 2010, en ligne sur le site de la NASA ;
- La chanson Early Bird Satellite d’André Brasseur, sur Youtube ;
- Le Journal télévisé du 22 avril 1965, « Premières images de Early Bird », sur le site de l’INA (durée 2’08) ;
- Un épisode de « Legends of Space » : « Early Bird, pionnier des satellites », sur le site de la chaîne Euronews, 16 mars 2017.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 6 avril 1965, les États-Unis plaçaient sur une orbite géosynchrone le tout premier satellite de télécommunications commercial, marquant l’avènement du « village planétaire ».
Spécialiste du radar et auteur de science-fiction britannique, Arthur C. Clarke publie en octobre 1945 dans la revue Wireless World l’article « Extra-terrestrial relays » dans lequel il imagine des satellites artificiels qui, depuis une orbite géostationnaire, assureraient aux communications une couverture mondiale permanente. Vingt ans plus tard, l’idée de Clarke devenait réalité...
« Au début des années 1960, constate l’historien Hervé Moulin, les États-Unis sont les premiers à développer des systèmes de communications par satellites. Constatant l’évolution rapide des techniques spatiales, les opérateurs américains de communications (AT&T, ITT, RCA, Western Union) s’intéressent aux satellites qui pourraient constituer un complément, voire une alternative aux câbles. Ils se rapprochent de la NASA pour expérimenter différentes techniques dans plusieurs programmes (ECHO, RELAY et plus tard SYNCOM) ». Le président John Kennedy cherche alors à profiter de l’avance technologique des États-Unis : dans son célèbre discours de mai 1961 devant le congrès dans lequel il lance le pari lunaire, il souligne également l’importance des satellites de communications et l’idée d’un système à l’échelle mondiale. La question est portée devant l’Assemblée générale de l’ONU qui, le 20 décembre 1961, adopte la résolution 1721 reconnaissant que « l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique devraient servir uniquement au bien de l’humanité et au bénéfice des États, quel que soit leur stade de développement économique ou scientifique ». Concernant les communications par satellite, la résolution considère qu’elles « devraient être accessibles aux nations du monde dès que possible, sur une base mondiale et non discriminatoire (…) ».
Pour réaliser et lancer les satellites de communications, le président Kennedy signe le 31 août 1962 le Communications Satellite Act permettant la mise en place de la COMSAT (Communications Satellite Corporation), société privée / publique qui contribue le 20 août 1964 à Washington à créer Intelsat (INternational TELecommunication SATellite), avec le soutien d’agences de télécommunications de dix-huit autres nations. Au sein d’Intelsat, les États-Unis détiennent alors 61 % des droits de vote, 31% pour les Européens.
Le Consortium Intelsat créé, un contrat est signé avec la NASA des États-Unis pour lancer le premier satellite Intelsat I, et dont le contrôle se fera depuis la station d’Andover dans le Maine (États-Unis), la construction étant assurée par le groupe américain Hughes Aircraft. Ayant la forme d’un cylindre, le satellite a une hauteur de 76 cm pour une masse totale de 34,5 kg. Disposant de 240 voies et d’un circuit télévision seulement, il s’inspire des satellites américains Syncom 1, 2 et 3 qui, construits par Hughes et lancés en 1963-64, ont expérimenté avec succès le concept de satellite de télécommunication géostationnaire. Intelsat I est surnommé « Early Bird », en référence au proverbe « The Early Bird catches the worm » (L’oiseau matinal attrape le vert / L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, en français).
Le 6 avril 1965, un lanceur Delta D américain place avec succès Early Bird sur une orbite géostationnaire au-dessus de l’océan Atlantique. Il doit assurer un contact direct entre l’Amérique du Nord et l’Europe en termes de transmissions (télégraphe, téléphone, télécopie, télévision). De nombreux tests sont alors effectués entre Andover et plusieurs centres européens dont le français Pleumeur-Bodou. Le 22 avril, au Journal télévisé de 20 heures, le journaliste Jean-Pierre Chapel rend compte des essais en cours : « Early Bird est maintenu fixe au-dessus de l’équateur à 36 000 km d’altitude et à égal distance de l’Europe et des États-Unis. Sous le radôme de Pleumeur-Bodou la gigantesque antenne est dirigée vers le satellite. Après les essais radios puis de transmissions téléphoniques, ce sont maintenant les essais de télévisions qui viennent d’avoir lieu. (…). D’abord, Early Bird a répercuté des signaux simples entre Andover aux États-Unis et Pleumeur-Bodou, les images parcourent 80 000 km en un quart de seconde, et c’est plus compliqué ensuite. Les techniciens ont envoyé vers Early Bird des images qu’ils avaient enregistrées sur magnétoscope, en l’occurrence le match de boxe Sonny Liston / Cassius Clay. Ces images que vous voyez sur les écrans de contrôle sont celles qui ont été renvoyées par le satellite. La qualité en semble excellente, ce qui permet donc de penser que, grâce à Early Bird, nous aurons bientôt des échanges d’images en mondovision ».
Le 7 mai, via Early Bird, le président américain Lyndon B. Johnson s’adresse aux Européens lors des commémorations du 20e anniversaire de la capitulation allemande. Le 28 juin, le satellite est déclaré « bon pour le service commercial ». Pour la petite histoire, soulignons que le claviériste et organiste belge André Brasseur réalise peu après le succès de Early Bird un single instrumental qui devient un véritable tube, obtenant la première place du classement flamand et entre même dans le top 10 en Allemagne !
Prévu pour une durée initiale de 18 mois, Early Bird fonctionne pendant quatre ans et quatre mois. En janvier 1969, il est placé sur une orbite de réserve, pour être remis en service en juin de la même année pour suivre la mission Apollo 11. Il est remis en réserve deux mois plus tard, pour être momentanément réactivé lors de son… 25e anniversaire.
Early Bird a incontestablement révolutionné les communications, comme le souligne Jean-Luc Froeliger, vice-président des opérations d’ingénierie des satellites à Intelsat : « C‘était très important pour l’industrie, ce satellite a quasiment doublé le nombre de circuits vocaux disponibles entre l’Europe et les États-Unis. A cette époque, quand on voulait passer un appel international, il fallait d’abord prendre rendez-vous avec le service téléphonique ». Dix ans après la création d’Intelsat, le nombre d’adhérents est passé à 86 pays avec un service qui s’est étoffé et pérennisé : a ainsi suivi la série de quatre Intelsat II lancés en 1966-67, puis huit Intelsat III qui, disposant chacun de 1200 voies et 4 canaux de télévision, ont été lancés en 1968-70 et ont assuré une couverture mondiale permanente. Les Intelsat ont joué un rôle essentiel dans la transmission mondiale de nombreux événements, comme la visite du pape Paul VI aux États-Unis (octobre 1965), l’amerrissage de la capsule Gemini 6 (décembre 1965), des compétitions sportives majeures, etc., permettant de faire de notre monde un véritable village planétaire.
- Une communication : « Le rôle de l’Etat dans le développement des communications spatiales », Hervé Moulin, in Entreprises de haute technologie, Etat et souveraineté depuis 1945 », sous la direction de Patrick Fridenson et Pascal Griset, IGPDE, Paris, 2013 ;
- Un article : « Satellites de communication : rendre le village planétaire possible », David J. Whalen, 30 novembre 2010, en ligne sur le site de la NASA ;
- La chanson Early Bird Satellite d’André Brasseur, sur Youtube ;
- Le Journal télévisé du 22 avril 1965, « Premières images de Early Bird », sur le site de l’INA (durée 2’08) ;
- Un épisode de « Legends of Space » : « Early Bird, pionnier des satellites », sur le site de la chaîne Euronews, 16 mars 2017.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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