Le 6 février 1975, le lanceur français Diamant BP4 plaçait sur orbite Starlette, un petit « satellite boule » dédié à l’étude de la Terre en général, le champ de gravité en particulier.
Dès l’Antiquité, des philosophes grecs cherchent à connaître la forme de la Terre, à la mesurer. S’ils l’envisagent déjà comme une sphère, il faut cependant attendre les XVIIe et XVIIIe siècles pour comprendre que la forme n’est pas vraiment sphérique mais plutôt légèrement aplatie aux pôles (d’une vingtaine de kilomètres préciserons plus tard les satellite), et déformable par plusieurs facteurs (marées, chaleur du noyau, gravité, etc.). La révolution des satellites au cours de la seconde moitié du XXe siècle permet d’en savoir plus, favorisant l’essor de la science géodésique.
La science de la géodésie ne se limite pas à la connaissance de la forme de la Terre, elle peut être utilisée pour connaître le déplacement d’un humain ou d’un objet. Ainsi, en pleine Guerre froide, cela devient vital pour, par exemple, les missiles balistiques stratégiques. D’autres acteurs ont besoin de la géodésie, comme le génie civil pour la construction d’ouvrages, l’enfouissement de réseaux, etc. La géodésie est également importante pour l’étude des phénomènes lents de notre planète (niveau de la mer, mouvements de la croute terrestre, etc.).
L’avènement des satellites fait naître la géodésie spatiale. Ainsi, à partir d’avril 1960, les Transit américains mettent au point le premier système de positionnement par satellite en utilisant une nouvelle technique en mesurant l’effet Doppler ; les Transit préparent les futurs systèmes de géodésie mondiale et le fameux GPS. Avec Anna 1B fin octobre 1962, les Américains déploient le premier satellite entièrement dédié à la géodésie qui mesure notamment le champ gravitationnel de la Terre. D’autres satellites suivent comme Beacon B (ou Explorer 22) en octobre 1964, Explorer 29 (ou Geos 1) en novembre 1965, etc.
Dès qu’elle maîtrise la technologie des lanceurs (novembre 1965), la France emboîte le pas aux Américains avec Diapason qui embarque le 17 février 1966 une expérience de géodésie expérimentale Doppler. Lancés les 8 et 15 février 1967, les Diadème 1 et 2 embarquent le même matériel que Diapason, mais avec en plus 144 réflecteurs qui renvoient la lumière qu'ils reçoivent dans la direction d'où elle provient. Diadème 1 émet jusqu'en janvier 1970, Diadème 2 jusqu'en avril 1967. Prometteuses, ces expériences appellent à poursuivre les études géodésiques. Michel Lefebvre, ancien responsable du département de géodésie spatiale du CNES, se souvenait comment l’idée d’un nouveau satellite géodésique est né un midi de 1972 à la cafétéria du Centre spatial de Brétigny : « Jean-Claude Husson, responsable des programmes Terre et Planètes au CNES, nous a alors informés qu'une nouvelle version du lanceur Diamant B était en préparation, mais qu'aucun passager n'était prévu et qu'il n'y avait pas d'argent pour en réaliser un. Au café, nous avions les premiers paramètres orbitaux et le premier brouillon de la mission scientifique. Après un échange avec le Smithsonian Astrophysical Observatory aux États-Unis, avec lequel nous travaillions depuis 1968, les premières caractéristiques de notre satellite boule étaient établis ». Ce sera Starlet (Satellite de Taille Adaptée avec Réflecteurs Laser pour des Études de la Terre), conçu avec le Groupe de recherches en géodésie spatiale (GRGS) fondé le 17 février 1971, à la suite du regroupement de neuf organismes publics (CNES, IGN, Institut national des sciences de l’Univers, Service hydrographique et océanographique de la Marine, Bureau des longitudes, Observatoire de Paris, Observatoire Midi-Pyrénées, Observatoire de la Côte d'Azur, Université de la Polynésie française). Starlet s’inscrit alors dans le cadre de la mission « Terre Solide » du CNES.
Starlet, plus vendeur sous sa forme féminisée Starlette, est une sphère d’un diamètre de 25 cm pour une masse de 47,29 kg. Elle est particulièrement dense en raison de sa composition interne d’uranium. Elle est alors le premier satellite laser passif au monde destiné à la recherche sur la Terre solide. Pour cela, Starlette est couverte de 60 rétroréflecteurs de 33 mm chacun et, ainsi, le temps mis par un faisceau laser tiré depuis le sol sur le satellite pour faire un aller-retour permet de mesurer précisément la distance entre le satellite et un endroit précis de la surface de la Terre. L’objectif est l’étude du champ de gravité et de son changement temporel, afin d’en savoir plus notamment sur les marées océaniques.
Le 6 février 1975, le premier lanceur Diamant BP4 place Starlette sur une orbite oscillant entre 812 et 1 114 km d’altitude, avec une inclinaison de 49,8 degrés par rapport à l’équateur. Ainsi, Starlette peut survoler un grand nombre de pays. Les tirs laser commencent avec la station du GRGS installée à San Fernando, en Espagne, puis par l'ensemble des stations du réseau international Satellite Laser Ranging (SLR).
Starlette permet d’établir un modèle de marées océaniques global par l’analyse des perturbations de sa trajectoire. Par les variations de distance mesurées par le satellite, les mouvements des stations terrestres (d'un à quelques centimètres par an provoqués par la tectonique des plaques et les marées terrestres) sont également mesurés. L’accumulation des données de télémétrie laser pendant plusieurs années améliore au final les connaissances sur le champ de gravité, comme le soulignent en 2003 dans la revue Navigation Michel Lefebvre et François Barlier : « Les observations laser de Starlette faites depuis 25 ans ont un poids très grand dans les déterminations du champ de gravité de la Terre ». Mais pas seulement : « Starlette est et restera dans le livre des records comme le champion toute catégorie du concept "Faster, Better, Cheaper, et ... "Longer" ! En effet "Faster" : la décision fut prise en 6 mois ; "Better" : 25 ans de mesures ont été utilisés ; "Cheaper" : le coût total général fut de 1,6 MF ou 300 000 $, hors prix du lanceur ; et "Longer" : durée de vie 10 000 ans environ ! ».
Le succès de Starlette conduira le CNES à lancer le 26 septembre 1993 Stella, un satellite quasi similaire, permettant d’accroître les expérimentations.
- Deux articles : « Le satellite Starlette conçu pour étudier la Terre renverra au sol des impulsions émises par des lasers », VERGUESE Dominique, in Le Monde, 7 février 1975 ; « La Terre mesurée depuis l’espace », LEFEBVRE Michel et BARLIER François, in Navigation vol. 51, n°202, avril 2003
- Une vidéo du CNES, Starlette
Voir aussi le chapitre De la géodésie avec…une boule à facettes, dans l’ouvrage Soixante histoires d’espace en France, MOURIAUX Pierre-François et VARNOTEAUX Philippe (sous la direction), Ginkgo éditeur, 2021.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 6 février 1975, le lanceur français Diamant BP4 plaçait sur orbite Starlette, un petit « satellite boule » dédié à l’étude de la Terre en général, le champ de gravité en particulier.
Dès l’Antiquité, des philosophes grecs cherchent à connaître la forme de la Terre, à la mesurer. S’ils l’envisagent déjà comme une sphère, il faut cependant attendre les XVIIe et XVIIIe siècles pour comprendre que la forme n’est pas vraiment sphérique mais plutôt légèrement aplatie aux pôles (d’une vingtaine de kilomètres préciserons plus tard les satellite), et déformable par plusieurs facteurs (marées, chaleur du noyau, gravité, etc.). La révolution des satellites au cours de la seconde moitié du XXe siècle permet d’en savoir plus, favorisant l’essor de la science géodésique.
La science de la géodésie ne se limite pas à la connaissance de la forme de la Terre, elle peut être utilisée pour connaître le déplacement d’un humain ou d’un objet. Ainsi, en pleine Guerre froide, cela devient vital pour, par exemple, les missiles balistiques stratégiques. D’autres acteurs ont besoin de la géodésie, comme le génie civil pour la construction d’ouvrages, l’enfouissement de réseaux, etc. La géodésie est également importante pour l’étude des phénomènes lents de notre planète (niveau de la mer, mouvements de la croute terrestre, etc.).
L’avènement des satellites fait naître la géodésie spatiale. Ainsi, à partir d’avril 1960, les Transit américains mettent au point le premier système de positionnement par satellite en utilisant une nouvelle technique en mesurant l’effet Doppler ; les Transit préparent les futurs systèmes de géodésie mondiale et le fameux GPS. Avec Anna 1B fin octobre 1962, les Américains déploient le premier satellite entièrement dédié à la géodésie qui mesure notamment le champ gravitationnel de la Terre. D’autres satellites suivent comme Beacon B (ou Explorer 22) en octobre 1964, Explorer 29 (ou Geos 1) en novembre 1965, etc.
Dès qu’elle maîtrise la technologie des lanceurs (novembre 1965), la France emboîte le pas aux Américains avec Diapason qui embarque le 17 février 1966 une expérience de géodésie expérimentale Doppler. Lancés les 8 et 15 février 1967, les Diadème 1 et 2 embarquent le même matériel que Diapason, mais avec en plus 144 réflecteurs qui renvoient la lumière qu'ils reçoivent dans la direction d'où elle provient. Diadème 1 émet jusqu'en janvier 1970, Diadème 2 jusqu'en avril 1967. Prometteuses, ces expériences appellent à poursuivre les études géodésiques. Michel Lefebvre, ancien responsable du département de géodésie spatiale du CNES, se souvenait comment l’idée d’un nouveau satellite géodésique est né un midi de 1972 à la cafétéria du Centre spatial de Brétigny : « Jean-Claude Husson, responsable des programmes Terre et Planètes au CNES, nous a alors informés qu'une nouvelle version du lanceur Diamant B était en préparation, mais qu'aucun passager n'était prévu et qu'il n'y avait pas d'argent pour en réaliser un. Au café, nous avions les premiers paramètres orbitaux et le premier brouillon de la mission scientifique. Après un échange avec le Smithsonian Astrophysical Observatory aux États-Unis, avec lequel nous travaillions depuis 1968, les premières caractéristiques de notre satellite boule étaient établis ». Ce sera Starlet (Satellite de Taille Adaptée avec Réflecteurs Laser pour des Études de la Terre), conçu avec le Groupe de recherches en géodésie spatiale (GRGS) fondé le 17 février 1971, à la suite du regroupement de neuf organismes publics (CNES, IGN, Institut national des sciences de l’Univers, Service hydrographique et océanographique de la Marine, Bureau des longitudes, Observatoire de Paris, Observatoire Midi-Pyrénées, Observatoire de la Côte d'Azur, Université de la Polynésie française). Starlet s’inscrit alors dans le cadre de la mission « Terre Solide » du CNES.
Starlet, plus vendeur sous sa forme féminisée Starlette, est une sphère d’un diamètre de 25 cm pour une masse de 47,29 kg. Elle est particulièrement dense en raison de sa composition interne d’uranium. Elle est alors le premier satellite laser passif au monde destiné à la recherche sur la Terre solide. Pour cela, Starlette est couverte de 60 rétroréflecteurs de 33 mm chacun et, ainsi, le temps mis par un faisceau laser tiré depuis le sol sur le satellite pour faire un aller-retour permet de mesurer précisément la distance entre le satellite et un endroit précis de la surface de la Terre. L’objectif est l’étude du champ de gravité et de son changement temporel, afin d’en savoir plus notamment sur les marées océaniques.
Le 6 février 1975, le premier lanceur Diamant BP4 place Starlette sur une orbite oscillant entre 812 et 1 114 km d’altitude, avec une inclinaison de 49,8 degrés par rapport à l’équateur. Ainsi, Starlette peut survoler un grand nombre de pays. Les tirs laser commencent avec la station du GRGS installée à San Fernando, en Espagne, puis par l'ensemble des stations du réseau international Satellite Laser Ranging (SLR).
Starlette permet d’établir un modèle de marées océaniques global par l’analyse des perturbations de sa trajectoire. Par les variations de distance mesurées par le satellite, les mouvements des stations terrestres (d'un à quelques centimètres par an provoqués par la tectonique des plaques et les marées terrestres) sont également mesurés. L’accumulation des données de télémétrie laser pendant plusieurs années améliore au final les connaissances sur le champ de gravité, comme le soulignent en 2003 dans la revue Navigation Michel Lefebvre et François Barlier : « Les observations laser de Starlette faites depuis 25 ans ont un poids très grand dans les déterminations du champ de gravité de la Terre ». Mais pas seulement : « Starlette est et restera dans le livre des records comme le champion toute catégorie du concept "Faster, Better, Cheaper, et ... "Longer" ! En effet "Faster" : la décision fut prise en 6 mois ; "Better" : 25 ans de mesures ont été utilisés ; "Cheaper" : le coût total général fut de 1,6 MF ou 300 000 $, hors prix du lanceur ; et "Longer" : durée de vie 10 000 ans environ ! ».
Le succès de Starlette conduira le CNES à lancer le 26 septembre 1993 Stella, un satellite quasi similaire, permettant d’accroître les expérimentations.
- Deux articles : « Le satellite Starlette conçu pour étudier la Terre renverra au sol des impulsions émises par des lasers », VERGUESE Dominique, in Le Monde, 7 février 1975 ; « La Terre mesurée depuis l’espace », LEFEBVRE Michel et BARLIER François, in Navigation vol. 51, n°202, avril 2003
- Une vidéo du CNES, Starlette
Voir aussi le chapitre De la géodésie avec…une boule à facettes, dans l’ouvrage Soixante histoires d’espace en France, MOURIAUX Pierre-François et VARNOTEAUX Philippe (sous la direction), Ginkgo éditeur, 2021.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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