Il y a 50 ans, la création de l’Agence spatiale européenne
Il y a 50 ans, la création de l’Agence spatiale européenne
© ESA

publié le 30 mai 2025 à 09:40

983 mots

Il y a 50 ans, la création de l’Agence spatiale européenne

Le 30 mai 1975, dix Etats européens signaient une convention créant l’Agence spatiale européenne, prenant la suite des organisations ESRO et ELDO qui avaient permis aux Européens, quelques années auparavant, de faire leurs premiers pas dans l’espace.


PARTIE 1 : les débuts prometteurs de l’Europe spatiale

Avec l’avènement en 1957-58 des premiers satellites artificiels soviétiques et américains, plusieurs Etats d’Europe de l’ouest, constatant leur retard et le risque de devenir dépendant des Etats-Unis, s’interrogent sur l’opportunité de créer une organisation s’occupant de la science spatiale européenne.

 

Pour la science spatiale européenne : l’ESRO

Prenant modèle sur le succès du Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (créé en 1954 pour l’étude de la physique des particules), les délégués de plusieurs gouvernements européens, à l’initiative notamment des physiciens italien Edouardo Amaldi et français Pierre Auger, mettent en place le 28 novembre 1960 à Meyrin (Suisse) la Commission préparatoire européenne pour la recherche spatiale (COPERS) appelée à définir la future organisation européenne de l’espace. Le 24 octobre 1961, la COPERS approuve un premier programme et, le 14 juin 1962, un protocole d’accord est signé à Paris par dix Etats (Belgique, Danemark, France, Italie, Pays-Bas, Espagne, RFA, Royaume-Uni, Suède, Suisse), instituant l’European Space Research Organisation (ESRO ou CERS, Centre européen pour la recherche spatiale), qui entre en activité le 20 mars 1964.

 

Pour une Europe des lanceurs : l’ELDO

Parallèlement, les Britanniques proposent en septembre 1960 l’utilisation de leur fusée Blue Streak (issue des études balistiques) pour en faire le principal élément d’un lanceur de satellite. Après négociations et tractations, six Etats acceptent la proposition avec une répartition des tâches spécifique (sans maître d’œuvre) : la Grande-Bretagne fournit des Blue Streak en guise de premier étage ; la France, le deuxième étage Coralie ; l’Allemagne, le troisième étage Astris ; l’Italie, le satellite expérimental, l’équipement électronique et la coiffe ; la Belgique, la station de guidage au sol ; les Pays-Bas, des équipements au sol ; plus l’Australie qui met à disposition sa base de lancement de Woomera. Pour réaliser le lanceur ELDO A ou Europa 1 (capable de satelliser une charge de 1 tonne sur orbite basse), les Etats signent le 29 mars 1962 à Londres la convention créant l’European Launch Development Organisation (ELDO ou CECLES, Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux), qui devient opérationnelle le 29 février 1964.

 

La CETS, la troisième organisation spatiale européenne

A la même époque, les Etats-Unis déploient Intelsat, un système mondial de télécommunications par satellites. L’enjeu étant important, les nations européennes s’emparent de la question et, à l’initiative de la France et du Royaume-Uni, elles instaurent dès mai 1963 la Conférence européenne de télécommunications par satellites (CETS). Ne voulant pas interférer avec l’ESRO et l’ELDO, les Européens préfèrent établir parallèlement une sorte de « forum de discussions ».

Par ailleurs, si les Européens souhaitent lancer des satellites de télécommunications, il leur faudra nécessairement un lanceur à capacité géostationnaire, ce que ne pourra faire Europa 1. De ce fait, le 7 juillet 1966, à l’initiative de la France, Europa 2 est décidé. Peu après, en juin 1967, la France et l’Allemagne démarrent en commun le programme expérimental de télécommunications Symphonie.

 

Les premiers programmes scientifiques

Le temps de construire les premiers satellites scientifiques, l’ESRO exploite des fusées-sondes que Britanniques et Français mettent à disposition en raison de leur maîtrise depuis quelques années. Ainsi, les premières campagnes scientifiques peuvent commencer à l’été 1964 depuis différents champs de tir : l’île du Levant (France), Salto di Quirra (Sardaigne), Andoya (Norvège), Karistos (Grèce), Kiruna (Suède), Woomera (Australie). Au total, entre 1964 et 1972, l’ESRO emploie 168 fusées-sondes, la moitié étant consacrée à l’ionosphère, l’autre moitié à diverses études astronomiques (solaire, rayonnements cosmiques, X, Ultraviolet, etc.).

Quant aux satellites, l’ESRO construit rapidement ESRO 1A / 1B et ESRO 2A / 2B – tous lancés par une fusée américaine, Europa n’étant pas prête. Les ESRO 1 se concentrent sur le rayonnement solaire et cosmique et son interaction avec la Terre, les ESRO 2 sur les rayons X solaires, le rayonnement cosmique et les ceintures de radiation terrestres. De masse similaire (80 à 89 kg), les ESRO emportent 7 à 8 instruments scientifiques. Construits par le britannique Hawker Siddely Dynamics et le français Matra, ESRO 2A et 2B sont réalisés avant ESRO 1. Après l’échec au lancement d’ESRO 2A (29 mai 1967), ESRO 2B (alias Iris) est placé avec succès le 17 mai 1968 sur une orbite de 334 km à 1085 km, devenant le premier satellite artificiel européen. Réalisés sous la maîtrise d’œuvre du Laboratoire Central de Télécommunications (France), ESRO 1A (Aurorae) et 1B (Boreas) sont respectivement lancés les 3 octobre 1968 et 1er octobre 1969. L’ESRO conçoit ensuite un satellite plus ambitieux, le TD 1 (473 kg) qui, le 12 mars 1972, part étudier le rayonnement stellaire (ultraviolet, rayons X et gamma) et mesurer le rayonnement X et gamma du Soleil. Un dernier satellite, ESRO 4 (130 kg), consacré à l’étude de l’ionosphère et de la magnétosphère est lancé le 22 novembre 1972.

En 1964, l’ESRO engage la construction de sa première sonde spatiale, HEOS 1 (Highly Eccentric Orbiting Satellite), pour étudier le milieu interplanétaire (champs magnétiques, rayonnements cosmiques, vent solaire). D’une masse de 108 kg, construit sous la maîtrise d’œuvre de l’Allemand Junkers Flugzeug und Motorenwerke, HEOS 1 est envoyé le 5 décembre 1968 par une fusée américaine sur une orbite elliptique (de 424 km à 223 428 km). Un second HEOS suit le 31 janvier 1972.

Le succès est tel, que de nouveaux satellites sont envisagés. Tout semble aller pour le mieux à cette jeune Europe spatiale…

 

[A suivre…]

 

Quelques références

- Un ouvrage : A History of the European Space Agency 1958-1987, KRIGE John et RUSSO Arturo, volume 1 : The Story of ESRO and ELDO 1958-1973, Publication ESA, SP-1235, avril 2000.

- Un ouvrage choral sur les 50 ans de l’Agence spatiale européenne sous la direction de Pierre-François MOURIAUX et de Philippe VARNOTEAUX est en préparation aux éditions Ginkgo, à paraître à la rentrée de 2025 dans la collection Histoires d’espace.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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30/05/2025 09:40
983 mots

Il y a 50 ans, la création de l’Agence spatiale européenne

Le 30 mai 1975, dix Etats européens signaient une convention créant l’Agence spatiale européenne, prenant la suite des organisations ESRO et ELDO qui avaient permis aux Européens, quelques années auparavant, de faire leurs premiers pas dans l’espace.

Il y a 50 ans, la création de l’Agence spatiale européenne
Il y a 50 ans, la création de l’Agence spatiale européenne

PARTIE 1 : les débuts prometteurs de l’Europe spatiale

Avec l’avènement en 1957-58 des premiers satellites artificiels soviétiques et américains, plusieurs Etats d’Europe de l’ouest, constatant leur retard et le risque de devenir dépendant des Etats-Unis, s’interrogent sur l’opportunité de créer une organisation s’occupant de la science spatiale européenne.

 

Pour la science spatiale européenne : l’ESRO

Prenant modèle sur le succès du Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (créé en 1954 pour l’étude de la physique des particules), les délégués de plusieurs gouvernements européens, à l’initiative notamment des physiciens italien Edouardo Amaldi et français Pierre Auger, mettent en place le 28 novembre 1960 à Meyrin (Suisse) la Commission préparatoire européenne pour la recherche spatiale (COPERS) appelée à définir la future organisation européenne de l’espace. Le 24 octobre 1961, la COPERS approuve un premier programme et, le 14 juin 1962, un protocole d’accord est signé à Paris par dix Etats (Belgique, Danemark, France, Italie, Pays-Bas, Espagne, RFA, Royaume-Uni, Suède, Suisse), instituant l’European Space Research Organisation (ESRO ou CERS, Centre européen pour la recherche spatiale), qui entre en activité le 20 mars 1964.

 

Pour une Europe des lanceurs : l’ELDO

Parallèlement, les Britanniques proposent en septembre 1960 l’utilisation de leur fusée Blue Streak (issue des études balistiques) pour en faire le principal élément d’un lanceur de satellite. Après négociations et tractations, six Etats acceptent la proposition avec une répartition des tâches spécifique (sans maître d’œuvre) : la Grande-Bretagne fournit des Blue Streak en guise de premier étage ; la France, le deuxième étage Coralie ; l’Allemagne, le troisième étage Astris ; l’Italie, le satellite expérimental, l’équipement électronique et la coiffe ; la Belgique, la station de guidage au sol ; les Pays-Bas, des équipements au sol ; plus l’Australie qui met à disposition sa base de lancement de Woomera. Pour réaliser le lanceur ELDO A ou Europa 1 (capable de satelliser une charge de 1 tonne sur orbite basse), les Etats signent le 29 mars 1962 à Londres la convention créant l’European Launch Development Organisation (ELDO ou CECLES, Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux), qui devient opérationnelle le 29 février 1964.

 

La CETS, la troisième organisation spatiale européenne

A la même époque, les Etats-Unis déploient Intelsat, un système mondial de télécommunications par satellites. L’enjeu étant important, les nations européennes s’emparent de la question et, à l’initiative de la France et du Royaume-Uni, elles instaurent dès mai 1963 la Conférence européenne de télécommunications par satellites (CETS). Ne voulant pas interférer avec l’ESRO et l’ELDO, les Européens préfèrent établir parallèlement une sorte de « forum de discussions ».

Par ailleurs, si les Européens souhaitent lancer des satellites de télécommunications, il leur faudra nécessairement un lanceur à capacité géostationnaire, ce que ne pourra faire Europa 1. De ce fait, le 7 juillet 1966, à l’initiative de la France, Europa 2 est décidé. Peu après, en juin 1967, la France et l’Allemagne démarrent en commun le programme expérimental de télécommunications Symphonie.

 

Les premiers programmes scientifiques

Le temps de construire les premiers satellites scientifiques, l’ESRO exploite des fusées-sondes que Britanniques et Français mettent à disposition en raison de leur maîtrise depuis quelques années. Ainsi, les premières campagnes scientifiques peuvent commencer à l’été 1964 depuis différents champs de tir : l’île du Levant (France), Salto di Quirra (Sardaigne), Andoya (Norvège), Karistos (Grèce), Kiruna (Suède), Woomera (Australie). Au total, entre 1964 et 1972, l’ESRO emploie 168 fusées-sondes, la moitié étant consacrée à l’ionosphère, l’autre moitié à diverses études astronomiques (solaire, rayonnements cosmiques, X, Ultraviolet, etc.).

Quant aux satellites, l’ESRO construit rapidement ESRO 1A / 1B et ESRO 2A / 2B – tous lancés par une fusée américaine, Europa n’étant pas prête. Les ESRO 1 se concentrent sur le rayonnement solaire et cosmique et son interaction avec la Terre, les ESRO 2 sur les rayons X solaires, le rayonnement cosmique et les ceintures de radiation terrestres. De masse similaire (80 à 89 kg), les ESRO emportent 7 à 8 instruments scientifiques. Construits par le britannique Hawker Siddely Dynamics et le français Matra, ESRO 2A et 2B sont réalisés avant ESRO 1. Après l’échec au lancement d’ESRO 2A (29 mai 1967), ESRO 2B (alias Iris) est placé avec succès le 17 mai 1968 sur une orbite de 334 km à 1085 km, devenant le premier satellite artificiel européen. Réalisés sous la maîtrise d’œuvre du Laboratoire Central de Télécommunications (France), ESRO 1A (Aurorae) et 1B (Boreas) sont respectivement lancés les 3 octobre 1968 et 1er octobre 1969. L’ESRO conçoit ensuite un satellite plus ambitieux, le TD 1 (473 kg) qui, le 12 mars 1972, part étudier le rayonnement stellaire (ultraviolet, rayons X et gamma) et mesurer le rayonnement X et gamma du Soleil. Un dernier satellite, ESRO 4 (130 kg), consacré à l’étude de l’ionosphère et de la magnétosphère est lancé le 22 novembre 1972.

En 1964, l’ESRO engage la construction de sa première sonde spatiale, HEOS 1 (Highly Eccentric Orbiting Satellite), pour étudier le milieu interplanétaire (champs magnétiques, rayonnements cosmiques, vent solaire). D’une masse de 108 kg, construit sous la maîtrise d’œuvre de l’Allemand Junkers Flugzeug und Motorenwerke, HEOS 1 est envoyé le 5 décembre 1968 par une fusée américaine sur une orbite elliptique (de 424 km à 223 428 km). Un second HEOS suit le 31 janvier 1972.

Le succès est tel, que de nouveaux satellites sont envisagés. Tout semble aller pour le mieux à cette jeune Europe spatiale…

 

[A suivre…]

 

Quelques références

- Un ouvrage : A History of the European Space Agency 1958-1987, KRIGE John et RUSSO Arturo, volume 1 : The Story of ESRO and ELDO 1958-1973, Publication ESA, SP-1235, avril 2000.

- Un ouvrage choral sur les 50 ans de l’Agence spatiale européenne sous la direction de Pierre-François MOURIAUX et de Philippe VARNOTEAUX est en préparation aux éditions Ginkgo, à paraître à la rentrée de 2025 dans la collection Histoires d’espace.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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