Le 27 septembre 1975, mis en œuvre depuis le Centre spatial guyanais, l’ultime lanceur Diamant plaçait avec succès sur orbite Aura, le dernier satellite français de la série D2.
En janvier 1972, une ultime version du lanceur Diamant est mise en chantier sous le nom de Diamant BP4, qui doit être opérationnel pour 1975. Au-delà, il ne sera plus exploité en raison des coûts engagés pour Ariane appelée à devenir une puissante fusée pour placer sur orbite les futurs satellites d’application européens. L’arrêt de Diamant perturbe toutefois le programme des satellites nationaux.
Le Centre national d’études spatiales (Cnes) reprogramme le lancement des satellites Pollux (D5A) et Castor (D5B) – les deux premiers exemplaires ayant été perdus lors de l’échec du dernier lanceur Diamant B en mai 1973 – et prévoit le lancement des Aura et Gamma (D2B). Si les D5 doivent valider des technologies spatiales, les D2B s’inscrivent dans un ambitieux programme d’astronomie défini au cours de la fin des années 60 (à la suite des D2A Tournesol et Polaire). Quant à Gamma, en raison de l’arrêt de Diamant BP4, il sera lancé en 1977 par une fusée soviétique sous le nom de Signe 3, grâce à la coopération spatiale franco-soviétique initiée par de Gaulle en 1966. Aura (Analyse Ultraviolette du Rayonnement Astral) est retenu le 1er mars 1969. Deux unités de recherche du CNRS définissent les expérimentations embarquées dans le satellite : le Laboratoire de Physique stellaire et planétaire (LPSP), sous la conduite de l’astronome Jean-Pierre Delaboudinière, propose une étude des rayonnements ultraviolets solaires et de leur absorption par l’atmosphère terrestre, et le Laboratoire d’astronomie spatiale (LAS), sous la responsabilité de Paul Cruvellier, compte étudier la lumière zodiacale et le rayonnement ultraviolet d’astres situés au voisinage du plan de l’écliptique.
Pour la première fois, le Cnes décide de confier la maîtrise d’œuvre d’un satellite à un industriel, en l’occurrence la société Matra. Ayant la forme d’un cylindre de 70 cm de diamètre (sans les panneaux solaires) et 80 cm de hauteur pour une masse totale de 115 kg, Aura est en aluminium et est composé d’une structure en nid d’abeilles. Il est doté de 1 400 cellules photovoltaïques (fournissant 50 Watt), réparties sur quatre panneaux solaires. Quatre antennes communiquent et transmettent les données récoltées en temps réel ou en différé. Dans ce dernier cas, les données sont enregistrées sur bande magnétique (avec une capacité de mémoire de 1,6 Mo), puis transférées à des stations au sol. En outre, pour assurer une meilleure répartition de la température, la surface du satellite est recouverte de feuilles d’or. Enfin, Aura, comme les autres satellites D2, a la particularité d’avoir un système de contrôle d’attitude actif, utilisant des micropropulseurs à gaz froid, pour assurer vers le Soleil le pointage de l’axe du satellite (tournant à environ 0,25 tour/minute). Quant aux instruments scientifiques, le satellite embarque deux spectromètres (pour observer le disque solaire dans 17 bandes spectrales jusqu’à l’ultraviolet lointain) fourni par le LPSP, un spectrohéliomètre (pour mesurer les émissions du Soleil) du LAS qui livre également une expérience pour mesurer le rayonnement ultraviolet provenant d’autres étoiles.
Le Cnes réalise un film vantant le « télescope de l’espace » considéré comme « un objet particulièrement précieux et complexe », « un instrument unique au monde » qui pourrait, ose la propagande, « modifier profondément la connaissance que nous avons de notre univers ». L’accent est mis sur le positionnement du satellite qui, pour effectuer ses observations, doit s’affranchir de l’atmosphère terrestre. Il est précisé que « là où va le placer la fusée Diamant, rien si ce n’est quelques atomes d’hydrogène ne gêneront la propagation de la lumière. Grâce à une stabilisation très précise, il sera toujours tourné vers le Soleil, un Soleil qu’il verra en pleine lumière, mais une lumière que nos yeux ne voient pas car D2B est sensible aux ultraviolets ». Mais, « Lorsqu’il traversera les courtes nuits, c’est l’arrière du satellite qui sera mis en fonctionnement pour observer le reste de la galaxie. A chaque passage, il enregistrera des portions de ciel. Les étoiles et l’espace interstellaire détectés dans l’ultraviolet permettront de mieux connaître la structure et la physique de la Galaxie, car le milieu interstellaire est le laboratoire de l’univers dans lequel se forment les étoiles, et les étoiles au cours de leur évolution régénèrent la matière interstellaire dont elle modifie progressivement la composition chimique ».
Le 27 septembre 1975, depuis le Centre spatial guyanais (CSG), la dernière fusée Diamant BP4 décolle avec succès et place Aura sur une orbite basse de 500 km de périgée et un apogée oscillant entre 500 et 800 km, avec une inclinaison de 37°, effectuant une révolution complète en 96 minutes et demie. Si l’axe du satellite orienté en permanence vers le Soleil est bien adapté à sa mission, en revanche, les performances de pointage s’avèrent parfois insuffisantes, limitant les résolutions spectrale et spatiale. Toutefois, les instruments sont capables de changer de longueur d'onde rapidement, offrant une souplesse d’emploi du satellite. Sa durée de vie s’étalant plusieurs mois, Aura peut ainsi scruter certains phénomènes du Soleil comme les éruptions.
Suite à la défaillance des batteries électriques et l’épuisement de la réserve d’azote (pour le contrôle du satellite), Aura cesse son activité le 28 décembre 1976, après avoir fonctionné sept mois de plus que prévu. Il se désagrège dans les couches denses de l’atmosphère le 30 septembre 1982.
Encouragé par ce succès, le Cnes poursuit ses observations en ultraviolet par le biais de la coopération avec l’Institut de la recherche spatiale de l’Académie des sciences de l’URSS – nation avec laquelle la France a établi une coopération spatiale depuis 1966. Le LAS place notamment un spectrographe UV dans le satellite Prognoz 6 lancé le 22 septembre 1977 avec, à bord, un instrument similaire au spectromètre embarqué sur Aura pour mesurer l’émission du ciel en ultraviolet.
Après Aura, une page se tourne : le CSG est mis en sommeil en attendant le premier lancement de la fusée Ariane qui interviendra en décembre 1979. Pour conserver l’ensemble des équipements de la base en état de fonctionnement et maintenir en activité les équipes, des petites fusées météorologiques américaines (Arcas) sont exploitées dans le cadre du programme Exametnet. Mais cela est une autre histoire.
Cet article est la version courte de celui paru dans le bulletin Espace & Temps de l’Institut Français d’Histoire de l’Espace.
- Un ouvrage général : Les trente premières années du Cnes, Claude Carlier et Marcel Gilli, Documentation française, Paris, 2007
- Un article : « Ultraviolet Observation of the Zodiacal Light from the D2B-Aura satellite », Maucherat-Joubert M., Cruvellier P., Deharveng J.M., in Astronomy and Astrophysics, vol. 74, n°2, avril 1979, en ligne
- Un film du Cnes sur le satellite D2B Aura, production Promoscience, réalisation Antonia Films, 1974, in vidéothèque du Cnes
- Le son du satellite D2B Aura: https://www.dd1us.de/spacesounds%204d.html
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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Le 27 septembre 1975, mis en œuvre depuis le Centre spatial guyanais, l’ultime lanceur Diamant plaçait avec succès sur orbite Aura, le dernier satellite français de la série D2.
En janvier 1972, une ultime version du lanceur Diamant est mise en chantier sous le nom de Diamant BP4, qui doit être opérationnel pour 1975. Au-delà, il ne sera plus exploité en raison des coûts engagés pour Ariane appelée à devenir une puissante fusée pour placer sur orbite les futurs satellites d’application européens. L’arrêt de Diamant perturbe toutefois le programme des satellites nationaux.
Le Centre national d’études spatiales (Cnes) reprogramme le lancement des satellites Pollux (D5A) et Castor (D5B) – les deux premiers exemplaires ayant été perdus lors de l’échec du dernier lanceur Diamant B en mai 1973 – et prévoit le lancement des Aura et Gamma (D2B). Si les D5 doivent valider des technologies spatiales, les D2B s’inscrivent dans un ambitieux programme d’astronomie défini au cours de la fin des années 60 (à la suite des D2A Tournesol et Polaire). Quant à Gamma, en raison de l’arrêt de Diamant BP4, il sera lancé en 1977 par une fusée soviétique sous le nom de Signe 3, grâce à la coopération spatiale franco-soviétique initiée par de Gaulle en 1966. Aura (Analyse Ultraviolette du Rayonnement Astral) est retenu le 1er mars 1969. Deux unités de recherche du CNRS définissent les expérimentations embarquées dans le satellite : le Laboratoire de Physique stellaire et planétaire (LPSP), sous la conduite de l’astronome Jean-Pierre Delaboudinière, propose une étude des rayonnements ultraviolets solaires et de leur absorption par l’atmosphère terrestre, et le Laboratoire d’astronomie spatiale (LAS), sous la responsabilité de Paul Cruvellier, compte étudier la lumière zodiacale et le rayonnement ultraviolet d’astres situés au voisinage du plan de l’écliptique.
Pour la première fois, le Cnes décide de confier la maîtrise d’œuvre d’un satellite à un industriel, en l’occurrence la société Matra. Ayant la forme d’un cylindre de 70 cm de diamètre (sans les panneaux solaires) et 80 cm de hauteur pour une masse totale de 115 kg, Aura est en aluminium et est composé d’une structure en nid d’abeilles. Il est doté de 1 400 cellules photovoltaïques (fournissant 50 Watt), réparties sur quatre panneaux solaires. Quatre antennes communiquent et transmettent les données récoltées en temps réel ou en différé. Dans ce dernier cas, les données sont enregistrées sur bande magnétique (avec une capacité de mémoire de 1,6 Mo), puis transférées à des stations au sol. En outre, pour assurer une meilleure répartition de la température, la surface du satellite est recouverte de feuilles d’or. Enfin, Aura, comme les autres satellites D2, a la particularité d’avoir un système de contrôle d’attitude actif, utilisant des micropropulseurs à gaz froid, pour assurer vers le Soleil le pointage de l’axe du satellite (tournant à environ 0,25 tour/minute). Quant aux instruments scientifiques, le satellite embarque deux spectromètres (pour observer le disque solaire dans 17 bandes spectrales jusqu’à l’ultraviolet lointain) fourni par le LPSP, un spectrohéliomètre (pour mesurer les émissions du Soleil) du LAS qui livre également une expérience pour mesurer le rayonnement ultraviolet provenant d’autres étoiles.
Le Cnes réalise un film vantant le « télescope de l’espace » considéré comme « un objet particulièrement précieux et complexe », « un instrument unique au monde » qui pourrait, ose la propagande, « modifier profondément la connaissance que nous avons de notre univers ». L’accent est mis sur le positionnement du satellite qui, pour effectuer ses observations, doit s’affranchir de l’atmosphère terrestre. Il est précisé que « là où va le placer la fusée Diamant, rien si ce n’est quelques atomes d’hydrogène ne gêneront la propagation de la lumière. Grâce à une stabilisation très précise, il sera toujours tourné vers le Soleil, un Soleil qu’il verra en pleine lumière, mais une lumière que nos yeux ne voient pas car D2B est sensible aux ultraviolets ». Mais, « Lorsqu’il traversera les courtes nuits, c’est l’arrière du satellite qui sera mis en fonctionnement pour observer le reste de la galaxie. A chaque passage, il enregistrera des portions de ciel. Les étoiles et l’espace interstellaire détectés dans l’ultraviolet permettront de mieux connaître la structure et la physique de la Galaxie, car le milieu interstellaire est le laboratoire de l’univers dans lequel se forment les étoiles, et les étoiles au cours de leur évolution régénèrent la matière interstellaire dont elle modifie progressivement la composition chimique ».
Le 27 septembre 1975, depuis le Centre spatial guyanais (CSG), la dernière fusée Diamant BP4 décolle avec succès et place Aura sur une orbite basse de 500 km de périgée et un apogée oscillant entre 500 et 800 km, avec une inclinaison de 37°, effectuant une révolution complète en 96 minutes et demie. Si l’axe du satellite orienté en permanence vers le Soleil est bien adapté à sa mission, en revanche, les performances de pointage s’avèrent parfois insuffisantes, limitant les résolutions spectrale et spatiale. Toutefois, les instruments sont capables de changer de longueur d'onde rapidement, offrant une souplesse d’emploi du satellite. Sa durée de vie s’étalant plusieurs mois, Aura peut ainsi scruter certains phénomènes du Soleil comme les éruptions.
Suite à la défaillance des batteries électriques et l’épuisement de la réserve d’azote (pour le contrôle du satellite), Aura cesse son activité le 28 décembre 1976, après avoir fonctionné sept mois de plus que prévu. Il se désagrège dans les couches denses de l’atmosphère le 30 septembre 1982.
Encouragé par ce succès, le Cnes poursuit ses observations en ultraviolet par le biais de la coopération avec l’Institut de la recherche spatiale de l’Académie des sciences de l’URSS – nation avec laquelle la France a établi une coopération spatiale depuis 1966. Le LAS place notamment un spectrographe UV dans le satellite Prognoz 6 lancé le 22 septembre 1977 avec, à bord, un instrument similaire au spectromètre embarqué sur Aura pour mesurer l’émission du ciel en ultraviolet.
Après Aura, une page se tourne : le CSG est mis en sommeil en attendant le premier lancement de la fusée Ariane qui interviendra en décembre 1979. Pour conserver l’ensemble des équipements de la base en état de fonctionnement et maintenir en activité les équipes, des petites fusées météorologiques américaines (Arcas) sont exploitées dans le cadre du programme Exametnet. Mais cela est une autre histoire.
Cet article est la version courte de celui paru dans le bulletin Espace & Temps de l’Institut Français d’Histoire de l’Espace.
- Un ouvrage général : Les trente premières années du Cnes, Claude Carlier et Marcel Gilli, Documentation française, Paris, 2007
- Un article : « Ultraviolet Observation of the Zodiacal Light from the D2B-Aura satellite », Maucherat-Joubert M., Cruvellier P., Deharveng J.M., in Astronomy and Astrophysics, vol. 74, n°2, avril 1979, en ligne
- Un film du Cnes sur le satellite D2B Aura, production Promoscience, réalisation Antonia Films, 1974, in vidéothèque du Cnes
- Le son du satellite D2B Aura: https://www.dd1us.de/spacesounds%204d.html
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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