Le 8 février 1985, le lanceur européen Ariane plaçait sur orbite Brasilsat, le premier satellite artificiel brésilien (dédié aux télécommunications). Pour autant, l’intérêt du spatial au Brésil remonte aux années soixante.
[Première partie publiée le 10 février 2025]
Avec la mise en place fin 1979 de la MECB (Mission spatiale complète brésilienne) sous l’autorité de l’INPE, se dessine un ambitieux programme spatial national, consistant à développer quatre satellites – deux pour la collecte de données, deux pour l’observation de la Terre – avec des infrastructures spécifiques (au sol pour le fonctionnement et le suivi des satellites), ainsi qu’un lanceur (Veículo Lançador de Satélites) avec une nouvelle base de lancement, à Alcântara (inaugurée en 1990). En attendant, le satellite de télécommunications est sur le point de devenir réalité.
Le satellite Brasilsat est motivé par trois choix stratégiques : occuper l’orbite géostationnaire avant que les Américains (ou d’autres) ne prennent la place ; acquérir par le bais de la coopération un transfert de technologie en matière de télécommunications ; maîtriser un pays-continent de 8 millions et demi de kilomètres carrés.
Si Embratel est une des entreprises les plus innovantes et la seule capable de fournir des infrastructures de communication de premier plan, elle ne dispose cependant pas de capacités industrielles pour construire le premier satellite de télécommunications brésilien. C’est pourquoi l’entreprise contracte en août 1982 un accord avec le canadien Spar Aerospace qui, en partenariat avec l'américain Hughes Space, construit deux Brasilsat. Par ailleurs, un accord entre la COBAE et le CNES français est conclu en 1982 pour notamment l’installation d’un réseau de transmissions de données et un soutien du CNES au lancement du satellite.
Ayant la forme d'un cylindre d’un diamètre de 2,19 m, d’une hauteur de 7 m pour une masse orbitale de 671 kg, Brasilsat dispose de 24 canaux émetteurs en bande C (plus 6 en réserve), permettant de couvrir une majeure partie du territoire brésilien, pour une durée initiale de 9 ans. Brasilsat A1 est lancé le 8 février 1985 par une fusée européenne Ariane 3 depuis la base de Kourou en Guyane française. Rejoignant une orbite géostationnaire, le satellite offre au Brésil son indépendance dans les services de télécommunications par satellite, par l'intermédiaire d’Embratel (privatisée en 1998). Brasilsat A2 suit le 28 mars 1986 (par Ariane 3), complétant le réseau brésilien. Précisons qu’en fin de vie, Brasilsat 1 est vendu en octobre 1995 à Hughes Communications (qui l’exploite jusqu’en mars 2002), et est remplacé par le satellite de deuxième génération Brasilsat B2 lancé en 1995 (le B1 ayant été lancé en 1994), pérennisant ainsi le réseau.
Alors que se déploie Brasilsat, s’engage la construction du SCD 1 (Satélite de Coleta de Dados / Satellite de collecte de données), pour collecter et transmettre des informations. Développé par une trentaine d’entreprises brésiliennes sous la responsabilité de l’INPE, SCD, d’une masse de 115 kg, est équipé d'un transpondeur qui reçoit les signaux émis par des plates-formes automatiques au sol, pour les retransmettre en temps réel à la station de réception et de traitement à Cuiabá qui, à son tour, communique les données à Cachoeira Paulista qui les met à la disposition des entreprises et institutions gouvernementales. SCD embarque également une expérience de cellule solaire en silicium conçue au Brésil afin d’en maîtriser la technologie.
Lancé le 9 février 1993 par une fusée américaine Pegasus (larguée d’un bombardier B-52 au-dessus de l’Atlantique), SCD 1 est placé sur une orbite basse entre 700 et 800 km. Le satellite mesure des paramètres environnementaux, comme le niveau des eaux (rivières, barrages), les précipitations, la pression atmosphérique, la température ambiante, l’intensité du rayonnement solaire, etc.
L’INPE considère que « le lancement du SCD 1 a marqué l’entrée définitive du Brésil dans le domaine de la technologie spatiale. Il s’agit de la réalisation d’un vieux rêve, qui ouvre de nouvelles voies pour la société brésilienne et de nouvelles possibilités d’échange et de collaboration avec d’autres pays ». Prévu pour fonctionner un an, SCD 1 est encore en activité… 30 ans plus tard à la surprise générale, comme en témoigne Adenilson Roberto da Silva, le coordinateur général de l'ingénierie, de la technologie et des sciences spatiales à l'INPE : « Aujourd'hui, on sait que le rookie est devenu le recordman du monde en opération. Ce lancement a été une grande réussite pour le Brésil. Le premier aspect important de ce record est qu'il s'agit du premier développement d'une nation dans le domaine des satellites. Cela montre une compétence à la fois dans la conception et la fabrication ». SCD 1 est suivi du SCD 2, lancé le 23 octobre 1998 (par un Pegasus/Lockheed L-1011).
Ce beau succès, mais aussi la pression des Etats-Unis qui s’inquiètent de ce que le spatial brésilien soit toujours entre les mains des militaires, incite le président Itamar Franco à créer le 10 février 1994 l’AEB (Agência espacial brasileira / Agence spatiale brésilienne), une agence civile qui désormais prend la tutelle des activités spatiales en lieu et place de la COBAE. L’AEB supervise la MECB, tandis que l’INPE continue de s’occuper du développement des satellites et le ministère de l’Aéronautique conserve les installations et la question du lanceur.
L’AEB poursuit la dynamique engagée par l’INPE et, pour s’affranchir des Etats-Unis, accentue la coopération avec d’autres pays comme le Canada, l’Europe, la France, la Russie ou encore la Chine, nation avec laquelle est engagée dès 1988 la construction de deux satellites d’observation de la Terre CBERS (China-Brazil Earth Resources Satellite), dont le premier exemplaire est lancé le 14 octobre 1999 par un lanceur chinois Longue Marche 4B. Un point noir cependant vient alors ternir l’essor du spatial brésilien : l’échec à trois reprises (1997, 1999, 2003) du lancement de la fusée nationale VLS entraînant la suspension de ce programme.
- Un ouvrage : Emerging space powers : The New Space Programs of Asia, the Middle East and South America, HARVEY Brian, PIRARD Théo, SMID Henk H.F., Ed. Springer Praxis, 2010
- Deux articles : « Le satellite national brésilien », Mc ANANY Emile et NETTLETON Greta, in Revue Tiers Monde, 111, année 1987, pp.651-658 ; « Le programme spatial brésilien atteint sa maturité », Reichhardt T, in Nature 398 (Suppl. 6726), 1999
- Le site BrasilSat
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 8 février 1985, le lanceur européen Ariane plaçait sur orbite Brasilsat, le premier satellite artificiel brésilien (dédié aux télécommunications). Pour autant, l’intérêt du spatial au Brésil remonte aux années soixante.
[Première partie publiée le 10 février 2025]
Avec la mise en place fin 1979 de la MECB (Mission spatiale complète brésilienne) sous l’autorité de l’INPE, se dessine un ambitieux programme spatial national, consistant à développer quatre satellites – deux pour la collecte de données, deux pour l’observation de la Terre – avec des infrastructures spécifiques (au sol pour le fonctionnement et le suivi des satellites), ainsi qu’un lanceur (Veículo Lançador de Satélites) avec une nouvelle base de lancement, à Alcântara (inaugurée en 1990). En attendant, le satellite de télécommunications est sur le point de devenir réalité.
Le satellite Brasilsat est motivé par trois choix stratégiques : occuper l’orbite géostationnaire avant que les Américains (ou d’autres) ne prennent la place ; acquérir par le bais de la coopération un transfert de technologie en matière de télécommunications ; maîtriser un pays-continent de 8 millions et demi de kilomètres carrés.
Si Embratel est une des entreprises les plus innovantes et la seule capable de fournir des infrastructures de communication de premier plan, elle ne dispose cependant pas de capacités industrielles pour construire le premier satellite de télécommunications brésilien. C’est pourquoi l’entreprise contracte en août 1982 un accord avec le canadien Spar Aerospace qui, en partenariat avec l'américain Hughes Space, construit deux Brasilsat. Par ailleurs, un accord entre la COBAE et le CNES français est conclu en 1982 pour notamment l’installation d’un réseau de transmissions de données et un soutien du CNES au lancement du satellite.
Ayant la forme d'un cylindre d’un diamètre de 2,19 m, d’une hauteur de 7 m pour une masse orbitale de 671 kg, Brasilsat dispose de 24 canaux émetteurs en bande C (plus 6 en réserve), permettant de couvrir une majeure partie du territoire brésilien, pour une durée initiale de 9 ans. Brasilsat A1 est lancé le 8 février 1985 par une fusée européenne Ariane 3 depuis la base de Kourou en Guyane française. Rejoignant une orbite géostationnaire, le satellite offre au Brésil son indépendance dans les services de télécommunications par satellite, par l'intermédiaire d’Embratel (privatisée en 1998). Brasilsat A2 suit le 28 mars 1986 (par Ariane 3), complétant le réseau brésilien. Précisons qu’en fin de vie, Brasilsat 1 est vendu en octobre 1995 à Hughes Communications (qui l’exploite jusqu’en mars 2002), et est remplacé par le satellite de deuxième génération Brasilsat B2 lancé en 1995 (le B1 ayant été lancé en 1994), pérennisant ainsi le réseau.
Alors que se déploie Brasilsat, s’engage la construction du SCD 1 (Satélite de Coleta de Dados / Satellite de collecte de données), pour collecter et transmettre des informations. Développé par une trentaine d’entreprises brésiliennes sous la responsabilité de l’INPE, SCD, d’une masse de 115 kg, est équipé d'un transpondeur qui reçoit les signaux émis par des plates-formes automatiques au sol, pour les retransmettre en temps réel à la station de réception et de traitement à Cuiabá qui, à son tour, communique les données à Cachoeira Paulista qui les met à la disposition des entreprises et institutions gouvernementales. SCD embarque également une expérience de cellule solaire en silicium conçue au Brésil afin d’en maîtriser la technologie.
Lancé le 9 février 1993 par une fusée américaine Pegasus (larguée d’un bombardier B-52 au-dessus de l’Atlantique), SCD 1 est placé sur une orbite basse entre 700 et 800 km. Le satellite mesure des paramètres environnementaux, comme le niveau des eaux (rivières, barrages), les précipitations, la pression atmosphérique, la température ambiante, l’intensité du rayonnement solaire, etc.
L’INPE considère que « le lancement du SCD 1 a marqué l’entrée définitive du Brésil dans le domaine de la technologie spatiale. Il s’agit de la réalisation d’un vieux rêve, qui ouvre de nouvelles voies pour la société brésilienne et de nouvelles possibilités d’échange et de collaboration avec d’autres pays ». Prévu pour fonctionner un an, SCD 1 est encore en activité… 30 ans plus tard à la surprise générale, comme en témoigne Adenilson Roberto da Silva, le coordinateur général de l'ingénierie, de la technologie et des sciences spatiales à l'INPE : « Aujourd'hui, on sait que le rookie est devenu le recordman du monde en opération. Ce lancement a été une grande réussite pour le Brésil. Le premier aspect important de ce record est qu'il s'agit du premier développement d'une nation dans le domaine des satellites. Cela montre une compétence à la fois dans la conception et la fabrication ». SCD 1 est suivi du SCD 2, lancé le 23 octobre 1998 (par un Pegasus/Lockheed L-1011).
Ce beau succès, mais aussi la pression des Etats-Unis qui s’inquiètent de ce que le spatial brésilien soit toujours entre les mains des militaires, incite le président Itamar Franco à créer le 10 février 1994 l’AEB (Agência espacial brasileira / Agence spatiale brésilienne), une agence civile qui désormais prend la tutelle des activités spatiales en lieu et place de la COBAE. L’AEB supervise la MECB, tandis que l’INPE continue de s’occuper du développement des satellites et le ministère de l’Aéronautique conserve les installations et la question du lanceur.
L’AEB poursuit la dynamique engagée par l’INPE et, pour s’affranchir des Etats-Unis, accentue la coopération avec d’autres pays comme le Canada, l’Europe, la France, la Russie ou encore la Chine, nation avec laquelle est engagée dès 1988 la construction de deux satellites d’observation de la Terre CBERS (China-Brazil Earth Resources Satellite), dont le premier exemplaire est lancé le 14 octobre 1999 par un lanceur chinois Longue Marche 4B. Un point noir cependant vient alors ternir l’essor du spatial brésilien : l’échec à trois reprises (1997, 1999, 2003) du lancement de la fusée nationale VLS entraînant la suspension de ce programme.
- Un ouvrage : Emerging space powers : The New Space Programs of Asia, the Middle East and South America, HARVEY Brian, PIRARD Théo, SMID Henk H.F., Ed. Springer Praxis, 2010
- Deux articles : « Le satellite national brésilien », Mc ANANY Emile et NETTLETON Greta, in Revue Tiers Monde, 111, année 1987, pp.651-658 ; « Le programme spatial brésilien atteint sa maturité », Reichhardt T, in Nature 398 (Suppl. 6726), 1999
- Le site BrasilSat
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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