Il y a 40 ans, Brasilsat faisait entrer le Brésil dans la conquête de l’espace (Partie 1)
Il y a 40 ans, Brasilsat faisait entrer le Brésil dans la conquête de l’espace (Partie 1)
© GETEPE

publié le 10 février 2025 à 08:00

1218 mots

Il y a 40 ans, Brasilsat faisait entrer le Brésil dans la conquête de l’espace (Partie 1)

Le 8 février 1985, le lanceur européen Ariane plaçait sur orbite Brasilsat, le premier satellite artificiel brésilien (dédié aux télécommunications). Pour autant, l’intérêt du spatial au Brésil remonte aux années soixante.


Le lancement des premiers satellites artificiels soviétiques et américains suscite de l’intérêt au sein de l’Instituto Tecnologico de Aeronautica (ITA) – fondé en janvier 1950 pour l’armée de l’Air à São José dos Campos (Etat de São Paulo). Deux membres de l’ITA, Fernando de Mendonça (né en 1924) et Julio Alberto de Morais Coutinho (1929-2009), construisent l’une des premières stations de suivi au Brésil pour capter les signaux des satellites. Également interpellée par l’avènement du spatial, la Sociedade interplanetária brasileira sollicite le président de la république Jãnio Quadros, en soulignant que « le Brésil ne peut pas rester silencieux dans le domaine des activités spatiales ». Convaincu, Quadro créé le 3 août 1961 le GOCNAE (Grupo de Organização da Comissão Nacional de Atividades Espaciais / Groupe d’organisation de la Commission nationale sur les activités spatiales), confié au brigadier et ingénieur en génie électrique de l’ITA Aldo Vieira da Rosa (1917-2015). Ce dernier contribue à la mise en place du Laboratório de Física Espacial à São José dos Campos, premier laboratoire brésilien dédié au spatial. Quant à l’ingénieur militaire Mendonça, il est nommé directeur scientifique du GOCNAE puis, à partir de 1963, président de la CNAE (Comissão Nacional de Atividades Espaciais / Commission nationale des activités spatiales) qui remplace le GOCNAE.

 

La CNAE et l’entrée du Brésil dans les activités spatiales

Dans un premier temps, la CNAE porte ses efforts sur les échanges technico-scientifiques et la coopération internationale (Etats-Unis, Canada), afin de former des spécialistes pour faire naître une industrie spatiale brésilienne. Des groupes de recherche sont notamment envoyés aux Etats-Unis pour parfaire leur formation. Les secteurs d’activités qui intéressent alors la CNAE sont la géophysique, la météorologie, les télécommunications, la télédétection. Ainsi, pour la météorologie, une station est réalisée en 1966 pour recevoir les photographies des satellites météorologiques américains ; pour la télédétection, une autre station (à Cuiabá) recueille à partir de 1973 les images satellites du Landsat américain. Quant aux télécommunications, le Brésil rejoint dès 1965 le consortium international Intelsat créé l’année précédente. Les premières antennes paraboliques pour se connecter au réseau se déploient à partir de 1969. Dès cette époque, Mendonça échafaude le projet SACI (Sistema Avancado de Communicacoes Interdisciplinares / Système avancé de communication interdisciplinaire), consistant en un réseau satellitaire de télé-éducation national pour désenclaver les territoires les plus reculés du Brésil. Mendonça se heurte toutefois aux politiques qui ne souhaitent pas financer son projet estimé coûteux, et à des oppositions comme celle de l’opérateur longue distance et international Embratel qui, affilié à l’entreprise d’Etat Telebras (Telecomunicações Brasileiras, créée le 9 novembre 1972), table alors sur la location de canaux auprès d’Intelsat.

 

Les militaires et fusées-sondes

Parallèlement au CNAE, le ministère de l’Aéronautique émet en 1961 le souhait de développer pour l’armée de l’Air des fusées-sondes météorologiques. Pour cela, est mis en place en 1963, au sein du Centre technique de l’aéronautique (CTA) du ministère, le GETEPE (Grupo de estudo trabalho executivo para projetos especiais / Groupe exécutif de travail et d’étude pour les projets spéciaux). Celui-ci est chargé de réaliser les premières fusées-sondes Sonda (« sonde »), développées à l’aide de la société Avibras (fondée en 1961) avec une assistance américaine. Engin à deux étages à propulsion solide, d’une hauteur de près de 4 m pour une masse totale de 65 kg, Sonda 1 culmine à 65 km avec une charge utile de 4 kg. Pour effectuer les lancements, le ministère de l’Aéronautique aménage le CLBI (Centro de lançamento da barreira do inferno / Centre de lancement de la barrière de l’Enfer), à 12 km de Natal (Etat du Rio Grande do Norte). Inauguré le 12 octobre 1965, le centre y voit le lancement de nombreuses fusées-sondes nationales (Sonda 1, 2, 3, etc.), mais aussi américaines (Nike-Apache – première à être lancée le 15 décembre 1965 – Loki, Aerobee, Javelin, Super-Arcas, etc.), britanniques (Skylark), canadiennes (Black Brant). Avec ces fusées-sondes, mais aussi des ballons-sondes, de nombreuses campagnes scientifiques soutenues par la CNAE sont menées sur l’atmosphère, l’astronomie, la géodésie, le champ magnétique.

 

COBAE, INPE, un spatial sous le contrôle des militaires

En janvier 1971, un comité civilo-militaire se met en place avec la COBAE (Comissão Brasileira de Atividades Espaciais / Commission brésilienne des activités spatiales), placée sous la tutelle du Conseil national de sécurité. Désormais, et jusqu’à la fin de la dictature (1985), toutes les activités spatiales sont entre les mains des militaires. L’objectif est de réunir toutes les compétences de la nation pour engager une véritable politique spatiale nationale et… pour contrôler la CNAE qui devient l’INPE (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais / Institut national de recherches spatiales). Ce dernier, sous la direction de Mendonça, joue alors le rôle d’une agence interministérielle pour mener les recherches spatiales et météorologiques, et pour développer des satellites. Quant aux forces armées, elles conservent la mainmise sur le CLBI et les fusées-sondes Sonda qui voient leurs performances améliorées en 1970 avec Sonda 2 (70 kg à 100 km d’altitude), en 1976 avec Sonda 3 (150 km à 600 km), etc. Mendonça profite de sa position pour réactiver la question du satellite de télécommunications national. Le projet SACI revient et entre en 1972 en phase expérimentale sous le nom de EXERN (Experimento Educacional do Rio Grande do Norte). Toutefois, l’INPE subit des pressions de la part d’autres groupes, dont Embratel qui souhaite récupérer les affaires de télécommunications, ainsi que le ministère de l’Education estimant les coûts du projet de Mendonça trop élevés. Déçu, ce dernier démissionne de l’INPE. A ce moment-là, le ministère des Télécommunications reprend à son compte le projet de satellite, mais il est abandonné en 1977, toujours en raison des coûts financiers. Toutefois, l’augmentation de la demande des télécommunications à travers le pays incite à louer davantage de canaux auprès d’Intelsat, ce qui relance une énième fois le projet de satellite national…

 

Le tournant de l’année 1979

La situation nationale évolue en novembre 1979 : à l’initiative de la COBAE est créée la MECB (Missão Espacial Completa Brasileira / Mission spatiale complète brésilienne), pour déployer un ambitieux programme spatial national, visant à faire du Brésil une nation autonome avec des moyens devant assurer l’indépendance (satellites et lanceur). La MECB est alors entre les mains de l’INPE. Quant au satellite de télécommunications, il échappe à l’INPE pour finalement être confié à Embratel qui, soutenu par le ministère des télécommunications, a entre-temps acquis de l’expérience. Pour les coûts financiers, l’entreprise annonce qu’en arrêtant la location des canaux sur Intelsat, elle récupérera des fonds ; elle joue également sur le fait que les signaux d’un satellite national seront de meilleures qualités que ceux d’Intelsat. En 1982, le programme de télécommunications national Brasilsat est enfin décidé.

 

[A suivre]

 

Quelques références

- Un ouvrage : Emerging space powers : The New Space Programs of Asia, the Middle East and South America, HARVEY Brian, PIRARD Théo, SMID Henk H.F., Ed. Springer Praxis, 2010. 

- Deux articles : « Le projet brésilien SACI / EXERN : Etude analytique de cas », Emile Mc ANANY et João Batista A. Oliveira, in Etudes et documents d’information, n°89, UNESCO, 1981 ; « Le satellite national brésilien », Mc ANANY Emile et NETTLETON Greta, in Revue Tiers Monde, 111, année 1987, pp.651-658. 

- Le site de l’INPE consacré à « l’histoire l’INPE dans la course à l’espace »

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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10/02/2025 08:00
1218 mots

Il y a 40 ans, Brasilsat faisait entrer le Brésil dans la conquête de l’espace (Partie 1)

Le 8 février 1985, le lanceur européen Ariane plaçait sur orbite Brasilsat, le premier satellite artificiel brésilien (dédié aux télécommunications). Pour autant, l’intérêt du spatial au Brésil remonte aux années soixante.

Il y a 40 ans, Brasilsat faisait entrer le Brésil dans la conquête de l’espace (Partie 1)
Il y a 40 ans, Brasilsat faisait entrer le Brésil dans la conquête de l’espace (Partie 1)

Le lancement des premiers satellites artificiels soviétiques et américains suscite de l’intérêt au sein de l’Instituto Tecnologico de Aeronautica (ITA) – fondé en janvier 1950 pour l’armée de l’Air à São José dos Campos (Etat de São Paulo). Deux membres de l’ITA, Fernando de Mendonça (né en 1924) et Julio Alberto de Morais Coutinho (1929-2009), construisent l’une des premières stations de suivi au Brésil pour capter les signaux des satellites. Également interpellée par l’avènement du spatial, la Sociedade interplanetária brasileira sollicite le président de la république Jãnio Quadros, en soulignant que « le Brésil ne peut pas rester silencieux dans le domaine des activités spatiales ». Convaincu, Quadro créé le 3 août 1961 le GOCNAE (Grupo de Organização da Comissão Nacional de Atividades Espaciais / Groupe d’organisation de la Commission nationale sur les activités spatiales), confié au brigadier et ingénieur en génie électrique de l’ITA Aldo Vieira da Rosa (1917-2015). Ce dernier contribue à la mise en place du Laboratório de Física Espacial à São José dos Campos, premier laboratoire brésilien dédié au spatial. Quant à l’ingénieur militaire Mendonça, il est nommé directeur scientifique du GOCNAE puis, à partir de 1963, président de la CNAE (Comissão Nacional de Atividades Espaciais / Commission nationale des activités spatiales) qui remplace le GOCNAE.

 

La CNAE et l’entrée du Brésil dans les activités spatiales

Dans un premier temps, la CNAE porte ses efforts sur les échanges technico-scientifiques et la coopération internationale (Etats-Unis, Canada), afin de former des spécialistes pour faire naître une industrie spatiale brésilienne. Des groupes de recherche sont notamment envoyés aux Etats-Unis pour parfaire leur formation. Les secteurs d’activités qui intéressent alors la CNAE sont la géophysique, la météorologie, les télécommunications, la télédétection. Ainsi, pour la météorologie, une station est réalisée en 1966 pour recevoir les photographies des satellites météorologiques américains ; pour la télédétection, une autre station (à Cuiabá) recueille à partir de 1973 les images satellites du Landsat américain. Quant aux télécommunications, le Brésil rejoint dès 1965 le consortium international Intelsat créé l’année précédente. Les premières antennes paraboliques pour se connecter au réseau se déploient à partir de 1969. Dès cette époque, Mendonça échafaude le projet SACI (Sistema Avancado de Communicacoes Interdisciplinares / Système avancé de communication interdisciplinaire), consistant en un réseau satellitaire de télé-éducation national pour désenclaver les territoires les plus reculés du Brésil. Mendonça se heurte toutefois aux politiques qui ne souhaitent pas financer son projet estimé coûteux, et à des oppositions comme celle de l’opérateur longue distance et international Embratel qui, affilié à l’entreprise d’Etat Telebras (Telecomunicações Brasileiras, créée le 9 novembre 1972), table alors sur la location de canaux auprès d’Intelsat.

 

Les militaires et fusées-sondes

Parallèlement au CNAE, le ministère de l’Aéronautique émet en 1961 le souhait de développer pour l’armée de l’Air des fusées-sondes météorologiques. Pour cela, est mis en place en 1963, au sein du Centre technique de l’aéronautique (CTA) du ministère, le GETEPE (Grupo de estudo trabalho executivo para projetos especiais / Groupe exécutif de travail et d’étude pour les projets spéciaux). Celui-ci est chargé de réaliser les premières fusées-sondes Sonda (« sonde »), développées à l’aide de la société Avibras (fondée en 1961) avec une assistance américaine. Engin à deux étages à propulsion solide, d’une hauteur de près de 4 m pour une masse totale de 65 kg, Sonda 1 culmine à 65 km avec une charge utile de 4 kg. Pour effectuer les lancements, le ministère de l’Aéronautique aménage le CLBI (Centro de lançamento da barreira do inferno / Centre de lancement de la barrière de l’Enfer), à 12 km de Natal (Etat du Rio Grande do Norte). Inauguré le 12 octobre 1965, le centre y voit le lancement de nombreuses fusées-sondes nationales (Sonda 1, 2, 3, etc.), mais aussi américaines (Nike-Apache – première à être lancée le 15 décembre 1965 – Loki, Aerobee, Javelin, Super-Arcas, etc.), britanniques (Skylark), canadiennes (Black Brant). Avec ces fusées-sondes, mais aussi des ballons-sondes, de nombreuses campagnes scientifiques soutenues par la CNAE sont menées sur l’atmosphère, l’astronomie, la géodésie, le champ magnétique.

 

COBAE, INPE, un spatial sous le contrôle des militaires

En janvier 1971, un comité civilo-militaire se met en place avec la COBAE (Comissão Brasileira de Atividades Espaciais / Commission brésilienne des activités spatiales), placée sous la tutelle du Conseil national de sécurité. Désormais, et jusqu’à la fin de la dictature (1985), toutes les activités spatiales sont entre les mains des militaires. L’objectif est de réunir toutes les compétences de la nation pour engager une véritable politique spatiale nationale et… pour contrôler la CNAE qui devient l’INPE (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais / Institut national de recherches spatiales). Ce dernier, sous la direction de Mendonça, joue alors le rôle d’une agence interministérielle pour mener les recherches spatiales et météorologiques, et pour développer des satellites. Quant aux forces armées, elles conservent la mainmise sur le CLBI et les fusées-sondes Sonda qui voient leurs performances améliorées en 1970 avec Sonda 2 (70 kg à 100 km d’altitude), en 1976 avec Sonda 3 (150 km à 600 km), etc. Mendonça profite de sa position pour réactiver la question du satellite de télécommunications national. Le projet SACI revient et entre en 1972 en phase expérimentale sous le nom de EXERN (Experimento Educacional do Rio Grande do Norte). Toutefois, l’INPE subit des pressions de la part d’autres groupes, dont Embratel qui souhaite récupérer les affaires de télécommunications, ainsi que le ministère de l’Education estimant les coûts du projet de Mendonça trop élevés. Déçu, ce dernier démissionne de l’INPE. A ce moment-là, le ministère des Télécommunications reprend à son compte le projet de satellite, mais il est abandonné en 1977, toujours en raison des coûts financiers. Toutefois, l’augmentation de la demande des télécommunications à travers le pays incite à louer davantage de canaux auprès d’Intelsat, ce qui relance une énième fois le projet de satellite national…

 

Le tournant de l’année 1979

La situation nationale évolue en novembre 1979 : à l’initiative de la COBAE est créée la MECB (Missão Espacial Completa Brasileira / Mission spatiale complète brésilienne), pour déployer un ambitieux programme spatial national, visant à faire du Brésil une nation autonome avec des moyens devant assurer l’indépendance (satellites et lanceur). La MECB est alors entre les mains de l’INPE. Quant au satellite de télécommunications, il échappe à l’INPE pour finalement être confié à Embratel qui, soutenu par le ministère des télécommunications, a entre-temps acquis de l’expérience. Pour les coûts financiers, l’entreprise annonce qu’en arrêtant la location des canaux sur Intelsat, elle récupérera des fonds ; elle joue également sur le fait que les signaux d’un satellite national seront de meilleures qualités que ceux d’Intelsat. En 1982, le programme de télécommunications national Brasilsat est enfin décidé.

 

[A suivre]

 

Quelques références

- Un ouvrage : Emerging space powers : The New Space Programs of Asia, the Middle East and South America, HARVEY Brian, PIRARD Théo, SMID Henk H.F., Ed. Springer Praxis, 2010. 

- Deux articles : « Le projet brésilien SACI / EXERN : Etude analytique de cas », Emile Mc ANANY et João Batista A. Oliveira, in Etudes et documents d’information, n°89, UNESCO, 1981 ; « Le satellite national brésilien », Mc ANANY Emile et NETTLETON Greta, in Revue Tiers Monde, 111, année 1987, pp.651-658. 

- Le site de l’INPE consacré à « l’histoire l’INPE dans la course à l’espace »

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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