Crash d'Air India : Une coupure d’alimentation du carburant à l’origine de l’accident ?
Crash d'Air India : Une coupure d’alimentation du carburant à l’origine de l’accident ?

publié le 16 juillet 2025 à 01:41

1212 mots

Crash d'Air India : Une coupure d’alimentation du carburant à l’origine de l’accident ?

Le rapport préliminaire publié par le Bureau indien d’enquête sur les accidents d’avions (AAIB) à propos du crash du vol 171 d’Air India, intervenu le 12 juin à Ahmedabad, montre que les deux commutateurs d’alimentation en carburant du Boeing 787-8 étaient en position « off » trois secondes après le décollage et qu’ils n’auraient pas pu être relancés à temps, ce qui aurait entraîné la perte de puissance fatale.


S’agirait-il d’une erreur humaine ? Un mois après le crash du vol 171 d’Air India, intervenu le 12 juin à proximité de l’aéroport d’Ahmedabad, et qui a fait au total 260 victimes (241 à bord de l’avion, 19 au sol) et 1 survivant, le Bureau indien d’enquête sur les accidents d’avions (AAIB) a publié son rapport préliminaire sur les circonstances de l’accident, dont Air&Cosmos a pu se procurer une copie, en attendant une analyse plus complète des boîtes noires qui devrait encore durer plusieurs mois.

Rappelons que traditionnellement, les avions de lignes sont équipés de deux types de boîtes noires : les CVR (Cockpit Voice Recorder) qui enregistrent l’ensemble des conversations du cockpit, plus tous les sons, alarmes ou bruits inhabituels et les FDR (Flight Data Recorder) qui enregistrent tous les paramètres de vols. Dans les avions de dernière génération, comme c’est le cas pour le Boeing 787-8, il y a en fait deux EAFR (« Enhanced Airborne Flight Recorders »,  ou « enregistreurs de vol aérien améliorés) qui combinent chacun CVR et FDR ce qui donne de la redondance au système en cas de panne, et permet d’avoir accès à toute les informations du vol, même si une seule des deux boîtes noires seulement est retrouvée.

L’alimentation des moteurs en carburant coupée trois secondes après le décollage

C’est donc les informations recueillies auprès des EAFR qui ont montré que le Boeing a décollé à 8h38 et 39s (UTC), soit à 13h38 et 39 secondes en heure locale. L’avion a atteint sa vitesse maximale de 180 nœuds (soit 333,36 km/heure) à environ 13h38 et 42 secondes. C’est à ce moment même, soit trois secondes après le décollage, que les interrupteurs d’alimentation de carburant des moteurs gauche (n°1) et droit (n°2) sont passés de la position « RUN » (marche) à la position « CUT OFF » (arrêt) à une seconde d’intervalle. Le rapport indique que dans l’enregistrement vocal du cockpit, on entend un des pilotes demander à l’autre pourquoi il a coupé le moteur. L’autre pilote répond qu’il ne l’a pas fait. Les deux moteurs ont conséquemment perdu de la puissance et sont entrés dans une phase de décélération. Dans un intervalle de dix secondes, les deux interrupteurs ont été remis en position « marche », ce qui a déclenché une séquence de de rallumage automatique des moteurs par le système de commande numérique à pleine autorité (FADEC). « La température des gaz des deux moteurs a augmenté, indiquant un redémarrage », indique le rapport. « La décélération du cœur du moteur 1 s'est arrêtée, s'est inversée et a commencé à progresser vers la récupération. Le moteur 2 a pu redémarrer, mais n'a pas pu stopper la décélération de la vitesse du cœur et a réintroduit du carburant à plusieurs reprises pour augmenter l'accélération de la vitesse du cœur et la récupération. »

La séquence d'arrêt du moteur a déclenché l'alimentation de secours du 787. Sa turbine à air dynamique, appelée aussi « éolienne de secours » (ou « RAT », « Ram Air Turbine) a été déployée en quelques secondes et a commencé à fournir de l'énergie hydraulique à 13 h 38 min 47 s (heure locale). Le train d’atterrissage n’a alors pas pu être rentré, car l’énergie de secours fournie par le RAT est dirigée vers les commandes de vols les plus critiques. Le groupe auxiliaire de puissance (APU) a aussi entamé un processus de redémarrage automatique. Mais malgré le travail du FADEC et de l’alimentation de secours en énergie, la récupération de la puissance de poussée n’a pas été possible. Un des pilotes a envoyé un message d’urgence « Mayday » à 13 h 39 min et 5 secondes. Le contrôle aérien indien a alors demandé au pilote l’indicatif d’appel de l’appareil mais n’a reçu aucune réponse. Le Boeing 787-8 s’est finalement écrasé à 13 h 39 min et 09 secondes, au-delà de l’extrémité de la piste, heurtant plusieurs arbres et plusieurs bâtiments d’une faculté de médecine.

Dysfonctionnement ou acte volontaire ?

 Toute la question est maintenant de comprendre comment les deux interrupteurs d’alimentation en carburant ont pu passer sur la position « OFF ». Il va certainement falloir attendre les résultats définitifs de l’enquête, mais certains experts disent déjà qu’il est hautement improbable que ces commutateurs aient pu être actionnés de manière involontaire. Sur TF1, l’ancien pilote et spécialiste du transport aérien Gérard Feldzer, les commandes d’alimentation en carburant ne peuvent pas être abaissées par erreur, car elles nécessitent une succession de manipulations bien précises consistant à actionner des leviers manuellement. « Il s’agit d’un acte volontaire et non pas d’une fausse manipulation », affirme-t-il. « Il n’y pas a eu de double vérification de l’autre pilote pour le valider. Au contraire, il lui a distinctement demandé pourquoi il avait coupé le moteur », poursuit-il. L’équipage du cockpit comprenait deux pilotes : un commandant de bord âgé de 56 ans, titulaire d’une licence de pilote de transport aérien et totalisant 15 638 heures de vol, dont plus de la moitié sur Boeing 787. Le co-pilote était titulaire d’une licence de pilote de transport aérien, et totalisait 3 403 heures de vol, dont 1 128 heures sur Boeing 787. Pour l’instant, l’enquête est toujours à ses débuts et le rapport de l’AAIB ne fait pas de lien entre des actions spécifiques ou des transmissions radio et l’un ou l’autre des pilotes.

La DGCA ordonne un examen des Boeing 787 et 737

Dans l’immédiat, la DGCA (Direction Générale de l’Aviation Civile indienne) a ordonné lundi 14 juillet à l’ensemble des compagnies du pays d’examiner les commutateurs de carburant de leurs flottes de Boeing 787 et 737, afin de vérifier si leur mécanisme de verrouillage ne connaissaient pas de dysfonctionnements. La DGCA a indiqué qu’elle avait émis cet ordre après que des compagnies aériennes indiennes et internationales ont commencé à inspecter elles-mêmes les commutateurs de carburants. L’agence Reuters avait rapporté que la compagnie Air India avait déjà procédé à cet examen au cours du week-end des 12 et 13 juillet des commutateurs d’alimentation de carburant de ses Boeing 787 et 737, et n’avait pas découvert de problèmes. Pour information, un avis émis en 2018 par l’Administration fédérale américaine de l’Aviation (FAA) recommandait, sans toutefois que cela soit obligatoire, aux exploitants de plusieurs modèles de Boeing, dont le 787, d’inspecter le dispositif de verrouillage des interrupteurs de coupure d’alimentation en carburant, afin de s’assurer qu’ils ne pouvaient pas être déplacés accidentellement.

Les syndicats de pilotes montent au créneau

 Dans la foulée de la publication du rapport de l’AAIB, deux syndicats de pilotes de lignes indiens, l’Association des Pilotes de Ligne Indiens (Alpa) et l’Associations des pilotes commerciaux indiens (ICPA) ont d’emblée rejeté les conclusions du rapport préliminaire de l’AAIB, estimant que les investigations présumaient la responsabilité des pilotes et donc une erreur humaine. Même si, comme on l’a vu, l’AAIB se garde pour l’instant d’opérer des liens directs suite aux actions des pilotes, l’Alpa a déclaré : « Nous avons l’impression que l’enquête suit une piste qui présume la responsabilité des pilotes et nous nous y opposons fermement ». L’autre organisation syndicale, l’ICPA, s’est pour sa part déclarée « très perturbée par ces spéculations (…) notamment celles qui insinuent de façon infondée l’idée du suicide d’un pilote. Une telle hypothèse n’a aucune base en l’état actuel de l’enquête », a déclaré l’organisation syndicale, en réaction aux propos d’experts que le catastrophe du 12 juin pourrait être liée au suicide d’un des deux pilotes.

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16/07/2025 01:41
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Crash d'Air India : Une coupure d’alimentation du carburant à l’origine de l’accident ?

Le rapport préliminaire publié par le Bureau indien d’enquête sur les accidents d’avions (AAIB) à propos du crash du vol 171 d’Air India, intervenu le 12 juin à Ahmedabad, montre que les deux commutateurs d’alimentation en carburant du Boeing 787-8 étaient en position « off » trois secondes après le décollage et qu’ils n’auraient pas pu être relancés à temps, ce qui aurait entraîné la perte de puissance fatale.

Crash d'Air India : Une coupure d’alimentation du carburant à l’origine de l’accident ?
Crash d'Air India : Une coupure d’alimentation du carburant à l’origine de l’accident ?

S’agirait-il d’une erreur humaine ? Un mois après le crash du vol 171 d’Air India, intervenu le 12 juin à proximité de l’aéroport d’Ahmedabad, et qui a fait au total 260 victimes (241 à bord de l’avion, 19 au sol) et 1 survivant, le Bureau indien d’enquête sur les accidents d’avions (AAIB) a publié son rapport préliminaire sur les circonstances de l’accident, dont Air&Cosmos a pu se procurer une copie, en attendant une analyse plus complète des boîtes noires qui devrait encore durer plusieurs mois.

Rappelons que traditionnellement, les avions de lignes sont équipés de deux types de boîtes noires : les CVR (Cockpit Voice Recorder) qui enregistrent l’ensemble des conversations du cockpit, plus tous les sons, alarmes ou bruits inhabituels et les FDR (Flight Data Recorder) qui enregistrent tous les paramètres de vols. Dans les avions de dernière génération, comme c’est le cas pour le Boeing 787-8, il y a en fait deux EAFR (« Enhanced Airborne Flight Recorders »,  ou « enregistreurs de vol aérien améliorés) qui combinent chacun CVR et FDR ce qui donne de la redondance au système en cas de panne, et permet d’avoir accès à toute les informations du vol, même si une seule des deux boîtes noires seulement est retrouvée.

L’alimentation des moteurs en carburant coupée trois secondes après le décollage

C’est donc les informations recueillies auprès des EAFR qui ont montré que le Boeing a décollé à 8h38 et 39s (UTC), soit à 13h38 et 39 secondes en heure locale. L’avion a atteint sa vitesse maximale de 180 nœuds (soit 333,36 km/heure) à environ 13h38 et 42 secondes. C’est à ce moment même, soit trois secondes après le décollage, que les interrupteurs d’alimentation de carburant des moteurs gauche (n°1) et droit (n°2) sont passés de la position « RUN » (marche) à la position « CUT OFF » (arrêt) à une seconde d’intervalle. Le rapport indique que dans l’enregistrement vocal du cockpit, on entend un des pilotes demander à l’autre pourquoi il a coupé le moteur. L’autre pilote répond qu’il ne l’a pas fait. Les deux moteurs ont conséquemment perdu de la puissance et sont entrés dans une phase de décélération. Dans un intervalle de dix secondes, les deux interrupteurs ont été remis en position « marche », ce qui a déclenché une séquence de de rallumage automatique des moteurs par le système de commande numérique à pleine autorité (FADEC). « La température des gaz des deux moteurs a augmenté, indiquant un redémarrage », indique le rapport. « La décélération du cœur du moteur 1 s'est arrêtée, s'est inversée et a commencé à progresser vers la récupération. Le moteur 2 a pu redémarrer, mais n'a pas pu stopper la décélération de la vitesse du cœur et a réintroduit du carburant à plusieurs reprises pour augmenter l'accélération de la vitesse du cœur et la récupération. »

La séquence d'arrêt du moteur a déclenché l'alimentation de secours du 787. Sa turbine à air dynamique, appelée aussi « éolienne de secours » (ou « RAT », « Ram Air Turbine) a été déployée en quelques secondes et a commencé à fournir de l'énergie hydraulique à 13 h 38 min 47 s (heure locale). Le train d’atterrissage n’a alors pas pu être rentré, car l’énergie de secours fournie par le RAT est dirigée vers les commandes de vols les plus critiques. Le groupe auxiliaire de puissance (APU) a aussi entamé un processus de redémarrage automatique. Mais malgré le travail du FADEC et de l’alimentation de secours en énergie, la récupération de la puissance de poussée n’a pas été possible. Un des pilotes a envoyé un message d’urgence « Mayday » à 13 h 39 min et 5 secondes. Le contrôle aérien indien a alors demandé au pilote l’indicatif d’appel de l’appareil mais n’a reçu aucune réponse. Le Boeing 787-8 s’est finalement écrasé à 13 h 39 min et 09 secondes, au-delà de l’extrémité de la piste, heurtant plusieurs arbres et plusieurs bâtiments d’une faculté de médecine.

Dysfonctionnement ou acte volontaire ?

 Toute la question est maintenant de comprendre comment les deux interrupteurs d’alimentation en carburant ont pu passer sur la position « OFF ». Il va certainement falloir attendre les résultats définitifs de l’enquête, mais certains experts disent déjà qu’il est hautement improbable que ces commutateurs aient pu être actionnés de manière involontaire. Sur TF1, l’ancien pilote et spécialiste du transport aérien Gérard Feldzer, les commandes d’alimentation en carburant ne peuvent pas être abaissées par erreur, car elles nécessitent une succession de manipulations bien précises consistant à actionner des leviers manuellement. « Il s’agit d’un acte volontaire et non pas d’une fausse manipulation », affirme-t-il. « Il n’y pas a eu de double vérification de l’autre pilote pour le valider. Au contraire, il lui a distinctement demandé pourquoi il avait coupé le moteur », poursuit-il. L’équipage du cockpit comprenait deux pilotes : un commandant de bord âgé de 56 ans, titulaire d’une licence de pilote de transport aérien et totalisant 15 638 heures de vol, dont plus de la moitié sur Boeing 787. Le co-pilote était titulaire d’une licence de pilote de transport aérien, et totalisait 3 403 heures de vol, dont 1 128 heures sur Boeing 787. Pour l’instant, l’enquête est toujours à ses débuts et le rapport de l’AAIB ne fait pas de lien entre des actions spécifiques ou des transmissions radio et l’un ou l’autre des pilotes.

La DGCA ordonne un examen des Boeing 787 et 737

Dans l’immédiat, la DGCA (Direction Générale de l’Aviation Civile indienne) a ordonné lundi 14 juillet à l’ensemble des compagnies du pays d’examiner les commutateurs de carburant de leurs flottes de Boeing 787 et 737, afin de vérifier si leur mécanisme de verrouillage ne connaissaient pas de dysfonctionnements. La DGCA a indiqué qu’elle avait émis cet ordre après que des compagnies aériennes indiennes et internationales ont commencé à inspecter elles-mêmes les commutateurs de carburants. L’agence Reuters avait rapporté que la compagnie Air India avait déjà procédé à cet examen au cours du week-end des 12 et 13 juillet des commutateurs d’alimentation de carburant de ses Boeing 787 et 737, et n’avait pas découvert de problèmes. Pour information, un avis émis en 2018 par l’Administration fédérale américaine de l’Aviation (FAA) recommandait, sans toutefois que cela soit obligatoire, aux exploitants de plusieurs modèles de Boeing, dont le 787, d’inspecter le dispositif de verrouillage des interrupteurs de coupure d’alimentation en carburant, afin de s’assurer qu’ils ne pouvaient pas être déplacés accidentellement.

Les syndicats de pilotes montent au créneau

 Dans la foulée de la publication du rapport de l’AAIB, deux syndicats de pilotes de lignes indiens, l’Association des Pilotes de Ligne Indiens (Alpa) et l’Associations des pilotes commerciaux indiens (ICPA) ont d’emblée rejeté les conclusions du rapport préliminaire de l’AAIB, estimant que les investigations présumaient la responsabilité des pilotes et donc une erreur humaine. Même si, comme on l’a vu, l’AAIB se garde pour l’instant d’opérer des liens directs suite aux actions des pilotes, l’Alpa a déclaré : « Nous avons l’impression que l’enquête suit une piste qui présume la responsabilité des pilotes et nous nous y opposons fermement ». L’autre organisation syndicale, l’ICPA, s’est pour sa part déclarée « très perturbée par ces spéculations (…) notamment celles qui insinuent de façon infondée l’idée du suicide d’un pilote. Une telle hypothèse n’a aucune base en l’état actuel de l’enquête », a déclaré l’organisation syndicale, en réaction aux propos d’experts que le catastrophe du 12 juin pourrait être liée au suicide d’un des deux pilotes.



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