Les 15 ans de LRO : la Lune redécouverte
Les 15 ans de LRO : la Lune redécouverte
© NASA

publié le 15 juillet 2024 à 10:05

1270 mots

Les 15 ans de LRO : la Lune redécouverte

En juin 2009, la sonde américaine Lunar Reconnaissance Orbiter partait pour la Lune où, depuis maintenant 15 ans, elle continue de nous livrer de nombreuses photographies et données…


Avec la sonde japonaise Hiten lancée en janvier 1990, la Lune redevient d’actualité dans les programmes spatiaux des grandes puissances. Les Etats-Unis emboîtent le pas aux Japonais avec Clémentine (1994) et Lunar Prospector (1998), la première effectuant de l’imagerie multispectrale et évaluant la minéralogie de la surface, la seconde étudiant la chimie, les champs magnétique et gravitationnelle de la Lune. Dans les années qui suivent, un ambitieux programme lunaire américain se dessine.

 

Constellation ou le grand retour des États-Unis sur la Lune

En 2004, le président Georges W. Bush initie la Vision for Space Exploration dans laquelle s’inscrit le programme Constellation consistant à relancer la « conquête de la Lune », suspendue depuis fin 1972 pour les Américains (Apollo 17) – et août 1976 pour les Soviétiques (Luna 24). Il s’agit alors d’effectuer des missions habitées de longue durée. Sont prévus de nouveaux lanceurs (Ares I et V), un vaisseau habité (Orion), un atterrisseur (Altaïr) et, pour sélectionner au mieux les futurs sites d’alunissage, la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO). Dans le sillage de cette dernière, d’autres engins explorateurs sont envisagés…

 

Les caractéristiques de LRO

D’une masse totale de 1 916 kg, LRO embarque sept instruments scientifiques : l’altimètre laser LOLA (Lunar Orbiter Laser Altimeter) pour effectuer une topographie à haute résolution de la surface lunaire ; les caméras LROC (Lunar Reconnaissance Orbiter Camera) composé de deux caméras à haute définition (résolution de 0,5 m) et une autre à grand angle (résolution 100 m) ; le détecteur LEND (Lunar Exploration Neutron Detector) pour mesurer les flux de neutrons à la surface lunaire et cartographier la répartition de l’hydrogène ; le radiomètre infrarouge DLRE (Diviner Lunar Radiometer Experiment) pour mesurer la température de surface ; le spectromètre ultraviolet LAMP (Lyman-Alpha Mapping Project) pour déterminer la composition minéralogique et évaluer les dépôts de glace d’eau ; le télescope CRaTER (Cosmic Ray Telescope for the Effects of Radiation) pour mesurer les rayons cosmiques ; enfin, le radar Mini-RF à synthèse d’ouverture en bandes S et X pour contribuer à détecter l’eau. Cette dernière est alors un enjeu central dans le cas d’installation d’une base permanente sur la Lune.

 

Fin des ambitions mais pas de LRO

Le 18 juin 2009, un lanceur Atlas V EELV décolle et envoie vers la Lune la sonde LRO qui se place sur une orbite circulaire basse (50 km) favorisant ainsi les observations. Précisons qu’Atlas emporte aussi la sonde LCROSS (Lunar CRater Observation and Sensing Satellite), mission complémentaire à LRO, chargée d’impacter la surface pour réaliser un nuage de poussière afin d’y détecter d’éventuelles molécules d’eau.

Entre-temps, le contexte n’évolue pas en faveur du programme Constellation qui, nécessitant de considérables investissements, subit de plein fouet en 2007-2008 la crise des subprimes. En 2010, le président Barack Obama met fin à Constellation, LRO se retrouve alors bien seul autour de la Lune… jusqu’en 2017, date à laquelle le président Trump décide à travers le programme Artemis le retour sur et autour de la Lune. En attendant, LRO voit régulièrement sa mission prolongée.

 

Une impressionnante moisson scientifique…

En 15 ans d'opérations sur orbite lunaire, LRO a considérablement enrichi notre connaissance de la Lune grâce à ses instruments scientifiques. Voici quelques-uns des résultats les plus marquants qui serviront pour la plupart aux missions futures :

- Cartographie haute résolution. LRO a créé les cartes les plus détaillées de la surface lunaire jamais réalisées de l’ensemble de ce corps planétaire, révélant des détails topographiques, des cratères d'impact, des formations géologiques et des sites d'alunissage potentiels avec une précision inégalée.

- Détection de glace d'eau. Les instruments de LRO ont confirmé la présence de glace d'eau dans les régions polaires de la Lune, notamment dans les cratères d’impact plongés en permanence dans l’ombre. Cette découverte pourrait avoir des implications importantes pour l'exploration lunaire future et la possibilité d'utiliser cette ressource locale sur place ou pour des destinations plus lointaines.

- Étude de l'environnement lunaire. LRO a mesuré le rayonnement à la surface de la Lune, caractérisé son exosphère (l'atmosphère très ténue de la Lune) et étudié les interactions entre le vent solaire et la surface lunaire. Ces éléments sont eux aussi fondamentaux pour le futur des explorations de surface, notamment si l’on envisage des séjours de longue durée.

- Recherche de sites d'alunissage. Les données de LRO ont été utilisées pour identifier des sites d'alunissage potentiels pour de futures missions automatiques et pilotées, en tenant compte de la topographie, de l'éclairage solaire et de la présence potentielle de ressources locales.

- Étude de l'histoire géologique de la Lune. Les observations de LRO ont permis de mieux comprendre l'histoire de la formation et de l'évolution de la Lune, notamment en étudiant les cratères d'impact, les coulées de lave et les autres caractéristiques géologiques.

Ces résultats, et bien d'autres, ont considérablement amélioré notre compréhension de la Lune, ouvrant la voie à de nouvelles découvertes et à de futures missions d'exploration robotiques complexes, mais également à de possibles missions humaines.

 

… et technique

Du fait des capacités d'observation exceptionnelles de ses caméras, LRO a très régulièrement photographié sur la Lune les sites d’atterrissage ou de crash d’autres engins d’exploration. Ainsi LRO a imagé à haute résolution les sites d'atterrissage des sondes Surveyor, le programme américain des années 1960 qui a envoyé des atterrisseurs robotiques sur la Lune pour préparer les missions Apollo. LRO a également photographié les sites des six missions Apollo, en détectant les équipements scientifiques laissés au sol et même les traces de pas ou les drapeaux laissés par les astronautes. En 2017, la sonde a imagé le site du crash volontaire de la sonde européenne Smart 1.

LRO a par ailleurs retrouvé les deux astromobiles soviétiques Lunokhod et les traces de leurs roues laissées pour toujours à la surface lunaire, ainsi que le site d'impact de la sonde LCROSS qui s'est écrasée intentionnellement en 2009 pour rechercher de la glace d'eau dans le sous-sol. Depuis, LRO a pu préciser les coordonnées des sites des crashes de la sonde chinoise Chang’e 1, de la sonde israélienne Beresheet, de la sonde indienne Vikram (Chandrayaan-2), de la sonde japonaise SLIM, de la sonde russe Luna-25, ainsi que les sites d’atterrissage des sondes chinoises Chang'e 4, Chang’e 5, Chang’e 6, celui de la sonde indienne Chandrayaan-3 et enfin celui de l’atterrisseur américain privé Odysseus (mission IM-1).

Notons enfin une prouesse aussi cocasse qu’inattendue : depuis son orbite lunaire, la sonde sud-coréenne Danuri a photographié le 7 avril 2023, la sonde LRO à 18 kilomètres de distance. La vitesse relative entre les deux satellites était alors de 3 180 mètres par seconde.

 

Bilan et avenir de LRO

Ainsi, selon ses concepteurs, LRO « est une mission ambitieuse visant à explorer le paysage lunaire, comme jamais auparavant. Ses données permettront l’exploration future de la Lune pour les décennies à venir ». LRO, bien plus qu'une sonde automatique, aura été les yeux de l'humanité sur une Lune redécouverte. Ses données, précieuses archives, sont désormais les fondations sur lesquelles se bâtira le futur de l'exploration lunaire. L'aventure démarrée avec les Surveyor ne fait que se poursuivre…

 

Quelques références

- Une communication : « Mission Design and Operations Considerations for NASA’s Lunar Reconnaissance Orbiter », Martin B. Houghton, Craig R. Tooley et Richard S. Saylor Jr, Congrès international d’astronautique, 2007

- Le site de la NASA sur la mission LRO

- Le site de la mission LRO.

 

Gilles Dawidowicz est géographe de formation, spécialisé dans l’étude des surfaces planétaires. Auteur de nombreuses publications, il est aussi vice-président de la Société Astronomique de France

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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15/07/2024 10:05
1270 mots

Les 15 ans de LRO : la Lune redécouverte

En juin 2009, la sonde américaine Lunar Reconnaissance Orbiter partait pour la Lune où, depuis maintenant 15 ans, elle continue de nous livrer de nombreuses photographies et données…

Les 15 ans de LRO : la Lune redécouverte
Les 15 ans de LRO : la Lune redécouverte

Avec la sonde japonaise Hiten lancée en janvier 1990, la Lune redevient d’actualité dans les programmes spatiaux des grandes puissances. Les Etats-Unis emboîtent le pas aux Japonais avec Clémentine (1994) et Lunar Prospector (1998), la première effectuant de l’imagerie multispectrale et évaluant la minéralogie de la surface, la seconde étudiant la chimie, les champs magnétique et gravitationnelle de la Lune. Dans les années qui suivent, un ambitieux programme lunaire américain se dessine.

 

Constellation ou le grand retour des États-Unis sur la Lune

En 2004, le président Georges W. Bush initie la Vision for Space Exploration dans laquelle s’inscrit le programme Constellation consistant à relancer la « conquête de la Lune », suspendue depuis fin 1972 pour les Américains (Apollo 17) – et août 1976 pour les Soviétiques (Luna 24). Il s’agit alors d’effectuer des missions habitées de longue durée. Sont prévus de nouveaux lanceurs (Ares I et V), un vaisseau habité (Orion), un atterrisseur (Altaïr) et, pour sélectionner au mieux les futurs sites d’alunissage, la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO). Dans le sillage de cette dernière, d’autres engins explorateurs sont envisagés…

 

Les caractéristiques de LRO

D’une masse totale de 1 916 kg, LRO embarque sept instruments scientifiques : l’altimètre laser LOLA (Lunar Orbiter Laser Altimeter) pour effectuer une topographie à haute résolution de la surface lunaire ; les caméras LROC (Lunar Reconnaissance Orbiter Camera) composé de deux caméras à haute définition (résolution de 0,5 m) et une autre à grand angle (résolution 100 m) ; le détecteur LEND (Lunar Exploration Neutron Detector) pour mesurer les flux de neutrons à la surface lunaire et cartographier la répartition de l’hydrogène ; le radiomètre infrarouge DLRE (Diviner Lunar Radiometer Experiment) pour mesurer la température de surface ; le spectromètre ultraviolet LAMP (Lyman-Alpha Mapping Project) pour déterminer la composition minéralogique et évaluer les dépôts de glace d’eau ; le télescope CRaTER (Cosmic Ray Telescope for the Effects of Radiation) pour mesurer les rayons cosmiques ; enfin, le radar Mini-RF à synthèse d’ouverture en bandes S et X pour contribuer à détecter l’eau. Cette dernière est alors un enjeu central dans le cas d’installation d’une base permanente sur la Lune.

 

Fin des ambitions mais pas de LRO

Le 18 juin 2009, un lanceur Atlas V EELV décolle et envoie vers la Lune la sonde LRO qui se place sur une orbite circulaire basse (50 km) favorisant ainsi les observations. Précisons qu’Atlas emporte aussi la sonde LCROSS (Lunar CRater Observation and Sensing Satellite), mission complémentaire à LRO, chargée d’impacter la surface pour réaliser un nuage de poussière afin d’y détecter d’éventuelles molécules d’eau.

Entre-temps, le contexte n’évolue pas en faveur du programme Constellation qui, nécessitant de considérables investissements, subit de plein fouet en 2007-2008 la crise des subprimes. En 2010, le président Barack Obama met fin à Constellation, LRO se retrouve alors bien seul autour de la Lune… jusqu’en 2017, date à laquelle le président Trump décide à travers le programme Artemis le retour sur et autour de la Lune. En attendant, LRO voit régulièrement sa mission prolongée.

 

Une impressionnante moisson scientifique…

En 15 ans d'opérations sur orbite lunaire, LRO a considérablement enrichi notre connaissance de la Lune grâce à ses instruments scientifiques. Voici quelques-uns des résultats les plus marquants qui serviront pour la plupart aux missions futures :

- Cartographie haute résolution. LRO a créé les cartes les plus détaillées de la surface lunaire jamais réalisées de l’ensemble de ce corps planétaire, révélant des détails topographiques, des cratères d'impact, des formations géologiques et des sites d'alunissage potentiels avec une précision inégalée.

- Détection de glace d'eau. Les instruments de LRO ont confirmé la présence de glace d'eau dans les régions polaires de la Lune, notamment dans les cratères d’impact plongés en permanence dans l’ombre. Cette découverte pourrait avoir des implications importantes pour l'exploration lunaire future et la possibilité d'utiliser cette ressource locale sur place ou pour des destinations plus lointaines.

- Étude de l'environnement lunaire. LRO a mesuré le rayonnement à la surface de la Lune, caractérisé son exosphère (l'atmosphère très ténue de la Lune) et étudié les interactions entre le vent solaire et la surface lunaire. Ces éléments sont eux aussi fondamentaux pour le futur des explorations de surface, notamment si l’on envisage des séjours de longue durée.

- Recherche de sites d'alunissage. Les données de LRO ont été utilisées pour identifier des sites d'alunissage potentiels pour de futures missions automatiques et pilotées, en tenant compte de la topographie, de l'éclairage solaire et de la présence potentielle de ressources locales.

- Étude de l'histoire géologique de la Lune. Les observations de LRO ont permis de mieux comprendre l'histoire de la formation et de l'évolution de la Lune, notamment en étudiant les cratères d'impact, les coulées de lave et les autres caractéristiques géologiques.

Ces résultats, et bien d'autres, ont considérablement amélioré notre compréhension de la Lune, ouvrant la voie à de nouvelles découvertes et à de futures missions d'exploration robotiques complexes, mais également à de possibles missions humaines.

 

… et technique

Du fait des capacités d'observation exceptionnelles de ses caméras, LRO a très régulièrement photographié sur la Lune les sites d’atterrissage ou de crash d’autres engins d’exploration. Ainsi LRO a imagé à haute résolution les sites d'atterrissage des sondes Surveyor, le programme américain des années 1960 qui a envoyé des atterrisseurs robotiques sur la Lune pour préparer les missions Apollo. LRO a également photographié les sites des six missions Apollo, en détectant les équipements scientifiques laissés au sol et même les traces de pas ou les drapeaux laissés par les astronautes. En 2017, la sonde a imagé le site du crash volontaire de la sonde européenne Smart 1.

LRO a par ailleurs retrouvé les deux astromobiles soviétiques Lunokhod et les traces de leurs roues laissées pour toujours à la surface lunaire, ainsi que le site d'impact de la sonde LCROSS qui s'est écrasée intentionnellement en 2009 pour rechercher de la glace d'eau dans le sous-sol. Depuis, LRO a pu préciser les coordonnées des sites des crashes de la sonde chinoise Chang’e 1, de la sonde israélienne Beresheet, de la sonde indienne Vikram (Chandrayaan-2), de la sonde japonaise SLIM, de la sonde russe Luna-25, ainsi que les sites d’atterrissage des sondes chinoises Chang'e 4, Chang’e 5, Chang’e 6, celui de la sonde indienne Chandrayaan-3 et enfin celui de l’atterrisseur américain privé Odysseus (mission IM-1).

Notons enfin une prouesse aussi cocasse qu’inattendue : depuis son orbite lunaire, la sonde sud-coréenne Danuri a photographié le 7 avril 2023, la sonde LRO à 18 kilomètres de distance. La vitesse relative entre les deux satellites était alors de 3 180 mètres par seconde.

 

Bilan et avenir de LRO

Ainsi, selon ses concepteurs, LRO « est une mission ambitieuse visant à explorer le paysage lunaire, comme jamais auparavant. Ses données permettront l’exploration future de la Lune pour les décennies à venir ». LRO, bien plus qu'une sonde automatique, aura été les yeux de l'humanité sur une Lune redécouverte. Ses données, précieuses archives, sont désormais les fondations sur lesquelles se bâtira le futur de l'exploration lunaire. L'aventure démarrée avec les Surveyor ne fait que se poursuivre…

 

Quelques références

- Une communication : « Mission Design and Operations Considerations for NASA’s Lunar Reconnaissance Orbiter », Martin B. Houghton, Craig R. Tooley et Richard S. Saylor Jr, Congrès international d’astronautique, 2007

- Le site de la NASA sur la mission LRO

- Le site de la mission LRO.

 

Gilles Dawidowicz est géographe de formation, spécialisé dans l’étude des surfaces planétaires. Auteur de nombreuses publications, il est aussi vice-président de la Société Astronomique de France

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence


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lro Lune NASA ANNIVERSAIRE


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