Le Nigeria à la conquête de l’espace (2/2)
Le Nigeria à la conquête de l’espace (2/2)
© SSTL

publié le 09 octobre 2023 à 08:30

1155 mots

Le Nigeria à la conquête de l’espace (2/2)

Suite au succès du Nigeriasat 1 en 2003, le Nigéria poursuit son engagement dans les activités spatiales, principalement les télécommunications.


[Suite de l’article paru le 2 octobre 2023]

Les retombées et les perspectives du Nigeriasat 1 sont telles que la NASRDA poursuit sa coopération avec le SSTL britannique en signant, en novembre 2006 à Abuja, un contrat pour la fourniture de deux nouveaux satellites d'observation de la Terre Nigeriasat, avec l’amélioration des infrastructures au sol. Le contrat prévoit également la formation de 26 ingénieurs appelés à travailler à la construction d’un des deux satellites (Nigeriasat X) avec l’aide des spécialistes du SSTL.

 

Nigeriasat 2, Nigeriasat X

De nouvelle génération, Nigeriasat 2 dispose d’une capacité à haute résolution. Il est pour cela équipé d’un capteur offrant des images avec des détails de 2,5 m (en bandes panchromatiques) à 5 m (en bandes multispectrales). Utilisant une plateforme SSTL-100, d’une masse de 286 kg, il dispose en plus d’un autre capteur à moyenne résolution de 32 m (en bandes multispectrales). Les données sont récoltées par une station de réception au sol à Abuja. Quant au Nigeriasat X (X pour eXpérience), d’une masse de 87 kg et utilisant une plateforme SSTL-100, il n’est équipé que d’un seul capteur à moyenne résolution (22 m) pour observer à la fois dans le visible et dans le proche infrarouge, ce qui permet d’avoir des images des terres et de la couverture végétale. Il est par ailleurs le premier satellite construit par des Africains.

Les deux Nigeriasat doivent poursuivre la surveillance des catastrophes naturelles (au sein de la Disaster Monitoring Constellation), mais aussi contribuer à la gestion des ressources du pays, à la sécurité alimentaire (en observant les cultures, les ressources en eau, etc.), à l’aménagement urbain (notamment la tentaculaire et incontrôlable mégapole Lagos) et, aussi, à assurer des fonctions militaires et sécuritaires. Dans le dernier cas, ils doivent notamment aider à repérer les activités des criminels, comme le mouvement terroriste Boko Haram qui sévit dans le nord-est, mais aussi des voleurs de pétrole. En effet, cette question est cruciale lorsque l’on sait que l’insécurité fait alors perdre au Nigeria environ 25 millions de dollars par an…

 

Lancements et succès

Le 17 août 2011, un lanceur russo-ukrainien Dnepr 1 place les Nigeriasat 2 et X sur une orbite héliosynchrone respectivement à 718 et 700 km d’altitude (tous les deux avec une inclinaison de 98°). Pleinement opérationnels en mars 2012, les satellites sont confiés à la NASRDA en juillet 2012. Nigeriasat 2 permet de livrer 100 à 400 images par jour.

Avec le succès du premier Nigeriasat, la NASRDA, enthousiaste, décide dès les années 2003-04 d’étendre son champ d’action aux communications, un domaine qui suscite de l’intérêt depuis plusieurs décennies.

 

Le Nigeria dans les communications

Ne disposant pas ou peu de réseaux terrestres par câbles et ayant un immense territoire fortement peuplé avec une complexité ethnique et religieuse, le Nigeria comprend très tôt l’enjeu des satellites de communication. C’est la raison pour laquelle celui-ci adhère en 1971 aux accords d’exploitation de l’organisation Intelsat, lui permettant d’accéder au réseau satellite déployé par les Etats-Unis (à partir de 1964) en échange d’une contribution. Le pays se dote alors de ses premières antennes de réception permettant d’utiliser les Intelsat III.

Comme pour l’observation de la Terre, le Nigeria ne dispose pas de technologies spatiales et, de ce fait, est contraint de se tourner vers d’autres nations. En ce début des années 2000, le contexte étant devenu favorable et les ambitions étant désormais au rendez-vous, un appel d’offre est lancé et, sur les 21 concurrents, la Chine remporte la mise en 2004. Pour la Chine, l’enjeu est de taille car, pour la première fois, elle propose la livraison d’un réseau « clé en main », de la fabrication à la livraison d’un satellite (Nigcomsat sur la base d’un DFH chinois), en passant par la construction de stations au sol (Abuja au Nigeria, Kashi en Chine), l’assurance et la formation de spécialistes nigérians, à un coût qui défie la concurrence. Un protocole d’accord est signé le 14 décembre 2004 entre la NASRDA et la CGWIC chinoise. De son côté, le Nigeria met en place le 4 avril 2006 une compagnie d’exploitation sous le nom de Nigerian Communications Satellite Limited (NCSL), placée sous la tutelle du Ministère fédéral des Communications et de l’Economie numérique. Le satellite Nigcomsat 1 est lancé le 13 mai 2007 depuis Xichang par une fusée chinoise Longue Marche 3B/E, alors le fer de lance de la Chine pour s’immiscer dans le marché international des satellites de communication. Le 6 juillet, CGWIC confie officiellement le satellite à NCSL.

 

Les déboires de Nigcomsat 1

D’une masse de 5 150 kg, Nigcomsat dispose de 28 transpondeurs (4 en bandes C, 8 Ka, 14 Ku et 2 L). Prévu pour fonctionner durant une quinzaine d’années, il doit assurer la couverture d’une majeure partie de l’Afrique, jusqu’au sud de l’Europe. Mais, dix-huit mois plus tard le 10 novembre 2008, Nigcomsat 1 tombe en panne, suite à une anomalie des panneaux solaires, au grand désarroi des autorités nigérianes et surtout chinoises qui jouent leur réputation face aux autres grandes nations du spatial, d’autant plus que le Nigcomsat 1 était le premier satellite de télécommunications commercial placé en orbite de Chine. Comme l’évoque Jean-Philippe Rémy dans Le Monde du 25 septembre 2009, certains n’ont pas hésité à ironiser sur la qualité de la technologie chinoise et du pauvre Nigeria qui « a réussi à exporter jusque dans l’espace ses problèmes d’électricité »

Qu’à cela ne tienne, un nouvel accord est signé le 24 mars 2009 entre le Ministère fédéral nigérian des Sciences et de la Technologie, NigComSat Ltd. et CGWIC stipulant la livraison en orbite du satellite Nigcomsat 1R (également un bus DFH-4) en remplacement du Nigcomsat 1. Pour le Nigeria, l’affaire est importante car, avec le réseau Nigcomsat, il s’agit de relier les régions les plus éloignées du pays et d’accroître la connectivité des zones rurales, favorisant ainsi le développement du territoire national, y compris la jeune industrie cinématographique.

Le 19 décembre 2011, la Chine place sur orbite le Nigcomsat 1R, à la grande joie du président nigérian Goodluck Jonathan affirmant que le nouveau satellite « améliorera le système de communications (et) permettra un accès moins cher à Internet dans le but de relier les communautés urbaines et rurales ». L’humiliation de 2008 était alors effacée.

 

Quelques références

- Deux études : sur le site eoPortal (dont les données proviennent du livre d'Herbert Kramer, « Observation of the Earth and Its Environment », Springer Verlag, 2002), https://www.eoportal.org/satellite-missions/nigeriasat-2#n2-ground-segment pour Nigeriasat 2 et https://www.eoportal.org/satellite-missions/nigeriasat-x pour Nigeriasat X.

- Deux articles : « Gouverner, c’est pourvoir. Comment la Chine a perdu le satellite nigérian de télécommunications », in Entreprendre Afrique, février-mars 2009 ; « Rions un peu avec le Nigeria dans l’espace », in Le Monde, 25 septembre 2009.

- Un rapport : « Eighth report by the international telecommunication union on telecommunication and the peaceful uses of outer space », ITU, Genève, 1969,

https://search.itu.int/history/HistoryDigitalCollectionDocLibrary/8.8.70.en.100.pdf

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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09/10/2023 08:30
1155 mots

Le Nigeria à la conquête de l’espace (2/2)

Suite au succès du Nigeriasat 1 en 2003, le Nigéria poursuit son engagement dans les activités spatiales, principalement les télécommunications.

Le Nigeria à la conquête de l’espace (2/2)
Le Nigeria à la conquête de l’espace (2/2)

[Suite de l’article paru le 2 octobre 2023]

Les retombées et les perspectives du Nigeriasat 1 sont telles que la NASRDA poursuit sa coopération avec le SSTL britannique en signant, en novembre 2006 à Abuja, un contrat pour la fourniture de deux nouveaux satellites d'observation de la Terre Nigeriasat, avec l’amélioration des infrastructures au sol. Le contrat prévoit également la formation de 26 ingénieurs appelés à travailler à la construction d’un des deux satellites (Nigeriasat X) avec l’aide des spécialistes du SSTL.

 

Nigeriasat 2, Nigeriasat X

De nouvelle génération, Nigeriasat 2 dispose d’une capacité à haute résolution. Il est pour cela équipé d’un capteur offrant des images avec des détails de 2,5 m (en bandes panchromatiques) à 5 m (en bandes multispectrales). Utilisant une plateforme SSTL-100, d’une masse de 286 kg, il dispose en plus d’un autre capteur à moyenne résolution de 32 m (en bandes multispectrales). Les données sont récoltées par une station de réception au sol à Abuja. Quant au Nigeriasat X (X pour eXpérience), d’une masse de 87 kg et utilisant une plateforme SSTL-100, il n’est équipé que d’un seul capteur à moyenne résolution (22 m) pour observer à la fois dans le visible et dans le proche infrarouge, ce qui permet d’avoir des images des terres et de la couverture végétale. Il est par ailleurs le premier satellite construit par des Africains.

Les deux Nigeriasat doivent poursuivre la surveillance des catastrophes naturelles (au sein de la Disaster Monitoring Constellation), mais aussi contribuer à la gestion des ressources du pays, à la sécurité alimentaire (en observant les cultures, les ressources en eau, etc.), à l’aménagement urbain (notamment la tentaculaire et incontrôlable mégapole Lagos) et, aussi, à assurer des fonctions militaires et sécuritaires. Dans le dernier cas, ils doivent notamment aider à repérer les activités des criminels, comme le mouvement terroriste Boko Haram qui sévit dans le nord-est, mais aussi des voleurs de pétrole. En effet, cette question est cruciale lorsque l’on sait que l’insécurité fait alors perdre au Nigeria environ 25 millions de dollars par an…

 

Lancements et succès

Le 17 août 2011, un lanceur russo-ukrainien Dnepr 1 place les Nigeriasat 2 et X sur une orbite héliosynchrone respectivement à 718 et 700 km d’altitude (tous les deux avec une inclinaison de 98°). Pleinement opérationnels en mars 2012, les satellites sont confiés à la NASRDA en juillet 2012. Nigeriasat 2 permet de livrer 100 à 400 images par jour.

Avec le succès du premier Nigeriasat, la NASRDA, enthousiaste, décide dès les années 2003-04 d’étendre son champ d’action aux communications, un domaine qui suscite de l’intérêt depuis plusieurs décennies.

 

Le Nigeria dans les communications

Ne disposant pas ou peu de réseaux terrestres par câbles et ayant un immense territoire fortement peuplé avec une complexité ethnique et religieuse, le Nigeria comprend très tôt l’enjeu des satellites de communication. C’est la raison pour laquelle celui-ci adhère en 1971 aux accords d’exploitation de l’organisation Intelsat, lui permettant d’accéder au réseau satellite déployé par les Etats-Unis (à partir de 1964) en échange d’une contribution. Le pays se dote alors de ses premières antennes de réception permettant d’utiliser les Intelsat III.

Comme pour l’observation de la Terre, le Nigeria ne dispose pas de technologies spatiales et, de ce fait, est contraint de se tourner vers d’autres nations. En ce début des années 2000, le contexte étant devenu favorable et les ambitions étant désormais au rendez-vous, un appel d’offre est lancé et, sur les 21 concurrents, la Chine remporte la mise en 2004. Pour la Chine, l’enjeu est de taille car, pour la première fois, elle propose la livraison d’un réseau « clé en main », de la fabrication à la livraison d’un satellite (Nigcomsat sur la base d’un DFH chinois), en passant par la construction de stations au sol (Abuja au Nigeria, Kashi en Chine), l’assurance et la formation de spécialistes nigérians, à un coût qui défie la concurrence. Un protocole d’accord est signé le 14 décembre 2004 entre la NASRDA et la CGWIC chinoise. De son côté, le Nigeria met en place le 4 avril 2006 une compagnie d’exploitation sous le nom de Nigerian Communications Satellite Limited (NCSL), placée sous la tutelle du Ministère fédéral des Communications et de l’Economie numérique. Le satellite Nigcomsat 1 est lancé le 13 mai 2007 depuis Xichang par une fusée chinoise Longue Marche 3B/E, alors le fer de lance de la Chine pour s’immiscer dans le marché international des satellites de communication. Le 6 juillet, CGWIC confie officiellement le satellite à NCSL.

 

Les déboires de Nigcomsat 1

D’une masse de 5 150 kg, Nigcomsat dispose de 28 transpondeurs (4 en bandes C, 8 Ka, 14 Ku et 2 L). Prévu pour fonctionner durant une quinzaine d’années, il doit assurer la couverture d’une majeure partie de l’Afrique, jusqu’au sud de l’Europe. Mais, dix-huit mois plus tard le 10 novembre 2008, Nigcomsat 1 tombe en panne, suite à une anomalie des panneaux solaires, au grand désarroi des autorités nigérianes et surtout chinoises qui jouent leur réputation face aux autres grandes nations du spatial, d’autant plus que le Nigcomsat 1 était le premier satellite de télécommunications commercial placé en orbite de Chine. Comme l’évoque Jean-Philippe Rémy dans Le Monde du 25 septembre 2009, certains n’ont pas hésité à ironiser sur la qualité de la technologie chinoise et du pauvre Nigeria qui « a réussi à exporter jusque dans l’espace ses problèmes d’électricité »

Qu’à cela ne tienne, un nouvel accord est signé le 24 mars 2009 entre le Ministère fédéral nigérian des Sciences et de la Technologie, NigComSat Ltd. et CGWIC stipulant la livraison en orbite du satellite Nigcomsat 1R (également un bus DFH-4) en remplacement du Nigcomsat 1. Pour le Nigeria, l’affaire est importante car, avec le réseau Nigcomsat, il s’agit de relier les régions les plus éloignées du pays et d’accroître la connectivité des zones rurales, favorisant ainsi le développement du territoire national, y compris la jeune industrie cinématographique.

Le 19 décembre 2011, la Chine place sur orbite le Nigcomsat 1R, à la grande joie du président nigérian Goodluck Jonathan affirmant que le nouveau satellite « améliorera le système de communications (et) permettra un accès moins cher à Internet dans le but de relier les communautés urbaines et rurales ». L’humiliation de 2008 était alors effacée.

 

Quelques références

- Deux études : sur le site eoPortal (dont les données proviennent du livre d'Herbert Kramer, « Observation of the Earth and Its Environment », Springer Verlag, 2002), https://www.eoportal.org/satellite-missions/nigeriasat-2#n2-ground-segment pour Nigeriasat 2 et https://www.eoportal.org/satellite-missions/nigeriasat-x pour Nigeriasat X.

- Deux articles : « Gouverner, c’est pourvoir. Comment la Chine a perdu le satellite nigérian de télécommunications », in Entreprendre Afrique, février-mars 2009 ; « Rions un peu avec le Nigeria dans l’espace », in Le Monde, 25 septembre 2009.

- Un rapport : « Eighth report by the international telecommunication union on telecommunication and the peaceful uses of outer space », ITU, Genève, 1969,

https://search.itu.int/history/HistoryDigitalCollectionDocLibrary/8.8.70.en.100.pdf

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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