Le Nigeria à la conquête de l’espace (1/2)
Le Nigeria à la conquête de l’espace (1/2)
© SSLT

publié le 02 octobre 2023 à 18:48

1078 mots

Le Nigeria à la conquête de l’espace (1/2)

Le 27 septembre 2003, le lancement de Nigeriasat 1, premier satellite du Nigéria, marquait à la fois l’aboutissement d’une longue démarche et le début d’une conquête.


Dès les années 70, une poignée de scientifiques nigérians se passionne pour les études astronomiques et l’aventure spatiale. Alors que la jeune nation nigériane, née en 1960, est secouée par des conflits interethniques, une guerre civile (Biafra, 1967-70) et des coups d’Etat (1966, 1975, 1976), le jeune astrophysicien Samuel Okoye (1939-2009), premier africain ayant obtenu un doctorat en radioastronomie au Churchill College de l’université de Cambridge, lance les premières initiatives, sous l’influence des professeurs John Gaustad et Hans Haubolt qui ont introduit au cours des années 60 à l’Université du Nigeria l'enseignement de l'astronomie et de l'astrophysique.

 

Le Space Research Center

Les initiatives se concrétisent en 1972 par la création du Space Research Center au sein de l’Université du Nigeria à Nsukka (SRC-UNN). Un projet de satellite est même imaginé en 1976. Mais, faute de moyens et de spécialistes, le SRC végète pendant cinq ans.

En 1977, la situation s’améliore avec une généreuse donation financière de Nnamdi Azikiwe (gouverneur général en 1960-63, puis premier président du Nigeria en 1963-66). Cela permet à l’université de dessiner un premier programme portant sur l’astronomie, le développement de technologies spatiales et d’équipements d'observation au sol, et la mise en place d’un programme d’enseignement dans les sciences spatiales en favorisant la formation d’ingénieurs, de techniciens et de scientifiques au Royaume-Uni et en Inde. L’initiative est alors soutenue par le président Olusegun Obasanjo (1976-1979) qui porte ses efforts sur l’éducation.

 

La National Space Research and Development Agency

Si les années qui suivent sont de nouveau rythmées par des coups d’état (1983, 1985, 1993) et une répression plus ou moins endémique jusqu’à la mort du président Abacha (1999), le gouvernement fédéral se décide, suite au militantisme du SRC, à mettre en place le 5 mai 1999 la National Space Research and Development Agency (NASRDA). Relevant du Ministère fédéral des sciences et de la technologie, celle-ci est installée à Abuja, la direction étant confiée au professeur Robert Ajayi Boroffice. L’objectif est alors de « poursuivre vigoureusement l’acquisition de capacités spatiales en tant qu’outil essentiel pour le développement socio-économique et l’amélioration de la qualité de vie des Nigérians ».

La NASRDA, dont les compétences sont précisées en 2010, soutient et encourage les initiatives visant à déployer des organismes de recherche spécialisés comme le Center for Basic Space Sciences (CBSS / Centre pour les sciences spatiales fondamentales), le National Center for Remote Sensing (NCRS / Centre national de télédétection), le Center for Satellite Technology Development (CSTD / Centre pour le développement de la technologie satellitaire), etc. Hébergé à l’Université du Nigeria Nsukka, le CBSS, initié en 2001 par l’astrophysicien Pius N. Okeke, donne la priorité aux études sur la haute atmosphère, la physique solaire et l’astronomie optique. Quant au NCRS, installé à Jos dans l’Etat de Plateau, il est chargé de la recherche et du développement dans les applications des sciences et des technologies spatiales en réalisant notamment les premiers satellites nigérians en partenariat avec le CSTD (situé à Abuja).

 

NigeriaSat 1, premier satellite du Nigeria

Des négociations sont alors rapidement engagées avec la société britannique Surrey Satellite Technology Ltd (SSTL) qui propose à plusieurs pays la construction de petits satellites au service de la télédétection, au sein de la Disaster Monitoring Constellation (DMC / Constellation de surveillance des catastrophes). Lancé en 2001, le programme consiste à déployer plusieurs microsatellites à coûts réduits pour la détection des catastrophes naturelles ou humaines. En cas de besoin, chaque pays (Algérie, Chine, Nigeria, Royaume-Uni, Turquie) peut accéder aux autres satellites.

Ayant la forme d’un cube de 60 cm de côté pour une masse de 98 kg au lancement, Nigeriasat embarque d’une part des instruments pour le contrôle et le fonctionnement du satellite (senseurs solaires, mat pour le contrôle par gradient de gravité, système de propulseur à gaz froid pour les corrections orbitales, etc.) et, d’autre part, un imageur. Ce dernier, d’une résolution de 32 mètres dans 3 bandes spectrales (vert, rouge, proche infrarouge), a une fauchée de 600 km permettant de couvrir de vastes régions en un seul survol sans avoir à donner une mosaïque d’images, avec un cycle de revisite de 3 à 5 jours.

De son côté, le NCRS se dote des moyens pour acquérir, traiter, archiver et distribuer les données récoltées par le satellite. Pour cela, est créé un laboratoire d'applications spatiales réparti dans trois régions du pays (Ile-Ife au sud-ouest, Uyo au sud et Kano au nord-ouest).

 

Lancement et succès du Nigeriasat 1

Le satellite Nigeriasat est placé sur orbite le 27 septembre 2003 par une fusée russe Cosmos-3M, à environ 690 km d’altitude. Rejoignant la DMC, celui-ci fournit de nombreux signaux d'alerte contribuant à la gestion de catastrophes dans différents pays. Il apporte par exemple aux Américains des images sur l’ouragan Katrina qui frappe en août 2005 la côte américaine du Golfe du Mexique faisant plus de 1 800 morts ; NigeriaSat-1 livre des images montrant les ruptures dans le système des digues le long du littoral et les vastes inondations à l’intérieur de la ville. Bien d’autres événements sont suivis : les inondations en Argentine, Paraguay, Uruguay, Corée du Nord, Pakistan, Chine, Vietnam, etc., les éruptions volcaniques en Colombie et au Yémen, les incendies en Californie, les menaces acridiennes en Algérie et en Syrie, etc. A chaque fois, les images de Nigeriasat, ainsi que les autres satellites de la DMC, sont mises à disposition gratuitement.

Pour le Nigeria, Nigeriasat-1 est également utilisé pour repérer et lutter contre les risques de désertification (dans le nord du pays), gérer le déplacement et l’installation de populations, lutter contre de potentielles épidémies (paludisme), etc. Il contribue aussi à la résolution de conflits et de différents frontaliers en cartographiant les lieux contestés.

Prévu pour une durée initiale de 5 ans, Nigeriasat 1 fonctionne jusqu’en 2012, livrant plusieurs milliers d’images. Salué par le président fédéral du Nigeria, le succès, incontestable, encourage les équipes à construire un second Nigeriasat et à s’aventurer dans les communications par satellite.

 

(A suivre)

 

Quelques références

- Une étude : « The Space Research Centre, University of Nigeria, Nsukka », P.N. Okeke, in African Skies, Volume 4, p.39-40.

- Un témoignage : « Atterrissages spatiaux. Le Nigeria a rejoint la course à l'espace. D'autres devraient également nous rejoindre », Turner Isoun (ancien ministre de la science et de la technologie du Nigeria de 2000 à 2007), in Nature n°456, 30 octobre 2008, https://www.nature.com/articles/twas08.35a

- Le site de la NASRDA : https://www.nasrdacbss.com/our-historical-backgroud/

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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02/10/2023 18:48
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Le Nigeria à la conquête de l’espace (1/2)

Le 27 septembre 2003, le lancement de Nigeriasat 1, premier satellite du Nigéria, marquait à la fois l’aboutissement d’une longue démarche et le début d’une conquête.

Le Nigeria à la conquête de l’espace (1/2)
Le Nigeria à la conquête de l’espace (1/2)

Dès les années 70, une poignée de scientifiques nigérians se passionne pour les études astronomiques et l’aventure spatiale. Alors que la jeune nation nigériane, née en 1960, est secouée par des conflits interethniques, une guerre civile (Biafra, 1967-70) et des coups d’Etat (1966, 1975, 1976), le jeune astrophysicien Samuel Okoye (1939-2009), premier africain ayant obtenu un doctorat en radioastronomie au Churchill College de l’université de Cambridge, lance les premières initiatives, sous l’influence des professeurs John Gaustad et Hans Haubolt qui ont introduit au cours des années 60 à l’Université du Nigeria l'enseignement de l'astronomie et de l'astrophysique.

 

Le Space Research Center

Les initiatives se concrétisent en 1972 par la création du Space Research Center au sein de l’Université du Nigeria à Nsukka (SRC-UNN). Un projet de satellite est même imaginé en 1976. Mais, faute de moyens et de spécialistes, le SRC végète pendant cinq ans.

En 1977, la situation s’améliore avec une généreuse donation financière de Nnamdi Azikiwe (gouverneur général en 1960-63, puis premier président du Nigeria en 1963-66). Cela permet à l’université de dessiner un premier programme portant sur l’astronomie, le développement de technologies spatiales et d’équipements d'observation au sol, et la mise en place d’un programme d’enseignement dans les sciences spatiales en favorisant la formation d’ingénieurs, de techniciens et de scientifiques au Royaume-Uni et en Inde. L’initiative est alors soutenue par le président Olusegun Obasanjo (1976-1979) qui porte ses efforts sur l’éducation.

 

La National Space Research and Development Agency

Si les années qui suivent sont de nouveau rythmées par des coups d’état (1983, 1985, 1993) et une répression plus ou moins endémique jusqu’à la mort du président Abacha (1999), le gouvernement fédéral se décide, suite au militantisme du SRC, à mettre en place le 5 mai 1999 la National Space Research and Development Agency (NASRDA). Relevant du Ministère fédéral des sciences et de la technologie, celle-ci est installée à Abuja, la direction étant confiée au professeur Robert Ajayi Boroffice. L’objectif est alors de « poursuivre vigoureusement l’acquisition de capacités spatiales en tant qu’outil essentiel pour le développement socio-économique et l’amélioration de la qualité de vie des Nigérians ».

La NASRDA, dont les compétences sont précisées en 2010, soutient et encourage les initiatives visant à déployer des organismes de recherche spécialisés comme le Center for Basic Space Sciences (CBSS / Centre pour les sciences spatiales fondamentales), le National Center for Remote Sensing (NCRS / Centre national de télédétection), le Center for Satellite Technology Development (CSTD / Centre pour le développement de la technologie satellitaire), etc. Hébergé à l’Université du Nigeria Nsukka, le CBSS, initié en 2001 par l’astrophysicien Pius N. Okeke, donne la priorité aux études sur la haute atmosphère, la physique solaire et l’astronomie optique. Quant au NCRS, installé à Jos dans l’Etat de Plateau, il est chargé de la recherche et du développement dans les applications des sciences et des technologies spatiales en réalisant notamment les premiers satellites nigérians en partenariat avec le CSTD (situé à Abuja).

 

NigeriaSat 1, premier satellite du Nigeria

Des négociations sont alors rapidement engagées avec la société britannique Surrey Satellite Technology Ltd (SSTL) qui propose à plusieurs pays la construction de petits satellites au service de la télédétection, au sein de la Disaster Monitoring Constellation (DMC / Constellation de surveillance des catastrophes). Lancé en 2001, le programme consiste à déployer plusieurs microsatellites à coûts réduits pour la détection des catastrophes naturelles ou humaines. En cas de besoin, chaque pays (Algérie, Chine, Nigeria, Royaume-Uni, Turquie) peut accéder aux autres satellites.

Ayant la forme d’un cube de 60 cm de côté pour une masse de 98 kg au lancement, Nigeriasat embarque d’une part des instruments pour le contrôle et le fonctionnement du satellite (senseurs solaires, mat pour le contrôle par gradient de gravité, système de propulseur à gaz froid pour les corrections orbitales, etc.) et, d’autre part, un imageur. Ce dernier, d’une résolution de 32 mètres dans 3 bandes spectrales (vert, rouge, proche infrarouge), a une fauchée de 600 km permettant de couvrir de vastes régions en un seul survol sans avoir à donner une mosaïque d’images, avec un cycle de revisite de 3 à 5 jours.

De son côté, le NCRS se dote des moyens pour acquérir, traiter, archiver et distribuer les données récoltées par le satellite. Pour cela, est créé un laboratoire d'applications spatiales réparti dans trois régions du pays (Ile-Ife au sud-ouest, Uyo au sud et Kano au nord-ouest).

 

Lancement et succès du Nigeriasat 1

Le satellite Nigeriasat est placé sur orbite le 27 septembre 2003 par une fusée russe Cosmos-3M, à environ 690 km d’altitude. Rejoignant la DMC, celui-ci fournit de nombreux signaux d'alerte contribuant à la gestion de catastrophes dans différents pays. Il apporte par exemple aux Américains des images sur l’ouragan Katrina qui frappe en août 2005 la côte américaine du Golfe du Mexique faisant plus de 1 800 morts ; NigeriaSat-1 livre des images montrant les ruptures dans le système des digues le long du littoral et les vastes inondations à l’intérieur de la ville. Bien d’autres événements sont suivis : les inondations en Argentine, Paraguay, Uruguay, Corée du Nord, Pakistan, Chine, Vietnam, etc., les éruptions volcaniques en Colombie et au Yémen, les incendies en Californie, les menaces acridiennes en Algérie et en Syrie, etc. A chaque fois, les images de Nigeriasat, ainsi que les autres satellites de la DMC, sont mises à disposition gratuitement.

Pour le Nigeria, Nigeriasat-1 est également utilisé pour repérer et lutter contre les risques de désertification (dans le nord du pays), gérer le déplacement et l’installation de populations, lutter contre de potentielles épidémies (paludisme), etc. Il contribue aussi à la résolution de conflits et de différents frontaliers en cartographiant les lieux contestés.

Prévu pour une durée initiale de 5 ans, Nigeriasat 1 fonctionne jusqu’en 2012, livrant plusieurs milliers d’images. Salué par le président fédéral du Nigeria, le succès, incontestable, encourage les équipes à construire un second Nigeriasat et à s’aventurer dans les communications par satellite.

 

(A suivre)

 

Quelques références

- Une étude : « The Space Research Centre, University of Nigeria, Nsukka », P.N. Okeke, in African Skies, Volume 4, p.39-40.

- Un témoignage : « Atterrissages spatiaux. Le Nigeria a rejoint la course à l'espace. D'autres devraient également nous rejoindre », Turner Isoun (ancien ministre de la science et de la technologie du Nigeria de 2000 à 2007), in Nature n°456, 30 octobre 2008, https://www.nature.com/articles/twas08.35a

- Le site de la NASRDA : https://www.nasrdacbss.com/our-historical-backgroud/

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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