La Russie asphyxiée : elle met fin à certaines de ses productions militaires modernes
La Russie asphyxiée : elle met fin à certaines de ses productions militaires modernes
© T-14 Armata, T-90M. Photo : Uralvagonzavod

publié le 20 avril 2022 à 08:00

916 mots

La Russie asphyxiée : elle met fin à certaines de ses productions militaires modernes

Le complexe militaro-industriel russe est en souffrance à la suite des sanctions économiques imposées par les pays occidentaux. Et pour cause : la Russie est largement dépendante à l'importation des hautes technologies dans sa production de matériels modernes.


Des industries de défense qui battent de l’aile

Fin des coopérations étrangères, hausse des taux d’intérêt sur les prêts et hausse des prix des matériaux, ont eu raison des entreprises de défense russes, qui sont désormais dans l’obligation de suspendre leur production. Le « War Bulletin », produit le 16 avril par l’ambassade d’Ukraine à Washington, fait état d’une vingtaine d’entreprises militaires russes ayant suspendu, partiellement ou totalement, leur activité en raison des conséquences des sanctions économiques des pays occidentaux. Parmi elles, Vympel qui produit des missiles pour avions, dont le missile de longue portée R-77 à guidage radar actif, et UralVagonZavod, qui produit les chars de combat T-90, T-72, mais aussi le char de nouvelle génération T-14 "Armatas". Selon la Direction du Renseignement ukrainien (GUR), l’entreprise, qui est la plus grande fabricante de chars de combat au monde, aurait complétement stoppé sa production de T-90 et de T-14, les travaux sur les T-72 étant pour l'instant simplement ralentis.

La Russie suspend également la production de certains de ses systèmes de défense aérienne comme les systèmes Buk, le 2K12 Kub et le 2K22 Tunguska. Les ouvriers de l’usine mécanique d’Ulyanovsk sont invités à soit prendre un congé sans solde ou bien, à rejoindre le combat en Ukraine en tant qu'opérateur sur les SAM (missile surface-air). Cet arrêt est particulièrement dû à la grande présence de pièces électroniques dans la fabrication des systèmes anti-aérien, dont l’Allemagne était le principal fournisseur.

Les difficultés sont également nombreuses du côté naval. Toujours selon le GUR, certains chantiers navals, comme celui de Vladivostok, seraient aujourd'hui incapables d’assurer la construction et la maintenance de navire de guerre. 

En conséquence, la Russie qui peinait déjà à se réapprovisionner sur le terrain et qui fait déjà état de plus de 3000 véhicules militaires mis hors d'état, est d’autant plus handicapée par les sanctions économiques occidentales qu'elles touchent ses capacités militaires.

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Le T-14 souvent appelé à tort "Armata", ce terme ne désignant que son chassis. ©Vitaly V. Kuzmin ©
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Des technologies modernes en stand by

Le T-14 Armatas de UralVagonZavod, est un char de nouvelle génération qui présente des qualités théoriques supérieures à ce qui est proposé en Occident : blindage plus lourd ; tourelle sans pilote ; canon tirant des obus de 125 millimètres ; portée de 12 km (3 fois plus que celle du M1A2 Abrams américain, considéré comme le meilleur char occidental) ; système de communication interconnecté aux autres T-14 et T-90 ; logiciel capable de suivre en autonomie différentes cibles afin de faire face à la faiblesse russe en matière de combat de nuit... Le T-14 Armatas, qui est sur le papier le meilleur char de combat au monde, n'a pour l'instant été livré qu'à quelques exemplaires de pré-série afin de valider les options techniques choisies. UralVagonZavod devait commencer la production en série et la livraison du T-14 cette année, et la suspension de sa production est un vrai coup dur pour la modernisation de l’armée russe.

Il en est de même du côté de l’aviation, où l'avion de veille aérienne (AWACS) flambant neuf "A-100" de Beriev Aircraft Company et Vega, voit sa production se stopper. À l’origine destiné à remplacer le A-50 datant des années 1980 et sa version modernisé A-50U, l’avion voit son développement a minima retardé par l'arrêt de livraisons des composants électroniques provoqué par les sanctions occidentales. Vanté comme 3 fois plus efficace que son prédécesseur, l’A-100 a une endurance de 4 heures et est équipé d’une avionique moderne comprenant des radars de surveillance panoramiques et des systèmes informatiques de pointe permettant de détecter des cibles aériennes à une distance de 600km et des cibles de surface à 400km.

Outre les lourdes sanctions économiques des pays occidentaux qui touchent tous les secteurs de l'industrie russe, l’objectif d'amputer l'armée russe de certaines de ses technologies modernes serait donc atteint.

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Prototype du A-100 © RussianPlane.net
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Vers des équipements 100% russe ?

Si les sanctions économiques commencent à avoir les effets escomptés, il n’en reste pas moins qu’elles sont impactantes uniquement sur le long terme. A court terme, l’armée russe n’est pas estropiée au-delà des pertes importantes subies en Ukraine ou de a consommation accélérée de ses consommables, dont les missile de croisière et bombes guidées.

Ces handicaps évidents n’empêchent pas la Russie de toujours disposer d’un arsenal de guerre important. Selon les données de Global Fire Power Index et de l’International Institute for Strategic Studies, la Russie est le pays disposant du plus grand nombre de chars au monde et de loin : on parle de 12 400 chars contre 6 600 pour les États-Unis et contre 400 pour la France. Même si le niveau de disponibilité de ces matériels en majeure partie stockés et non modernisés est très variable, la Russie dispose d’une capacité de renouvellement considérable malgré le nombre important d'équipements détruits et capturés par les Ukrainiens : la modernisation de vieux chars coûterait 3 fois moins cher et serait 3 fois plus rapide que la production de chars russes équivalents.  Comme l’affirme le récent rapport du ministère de la Défense russe, il semblerait que l’armée russe ait également adopté la pratique de la capture et de la remise en état de chars ukrainiens à leur profit, même si la mesure est sans doute plus symbolique qu'opérationnelle.

En dépit d’une coopération économique renouvelée, la Russie, plus que jamais, a intérêt à se tourner vers ses capacités de production nationale. C’est ce que le pays semble vouloir appliquer, puisque le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a déjà déclaré souhaiter une production de 36 MC-21 totalement russe d’ici 2025 et de 20 appareils régionaux Soukhoi SuperJet par année, un appareil civil dont la production pourrait permettre de compenser en partie l'indisponibilité des Airbus et Boeing...

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Tableau reprenant les armements en parc dans chaque armée. Au-dela des chiffres, le niveau de modernisation, la disponibilité de consommables en nombre suffisant, la complémentarité des équipements disponibles, la docrtrine d'emploi, l'entraînement ou la logistique sont autant d'éléments qui peuvent largement compenser un sous-équipement affiché... comme l'Ukraine est en train de le prouver ! ©
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Commentaires
user_picture JP 20/04/2022 12:34

@l'auteure. Merci pour cet intéressant article. Les premières leçons à tirer de la guerre en Ukraine sont au moins de deux ordres. La "consommation" ... à un rythme accéléré de matériels et de munitions souvent sophistiqués pose le problème du dimensionnement et de la gestion des stocks. Par ailleurs, la résilience des complexes industriels militaires apparaît fragile, même aux États-Unis où les moyens financiers du Pentagone sont considérables. Finalement, sauf à appliquer une stratégie militaire "inappropriée", le succès d'une aventure militaire est largement conditionnée par la capacité industrielle respective des parties en conflit et de leurs alliés. Bien cordialement. plus



user_picture Guillonjmarc@o... 20/04/2022 15:48

jmarc G. Dois-je reconnaitre le commentaire de Julie,avec laquelle je suis toujours en accord ?? Les grands esprits se comprennent: je vous ai compris ! ENTRE 1942/45 ... les bombardements sur le 3é Reich donnaient la priorité aux usines d'armements. Dans le cas présent, une coalition aussi large est sans précédent, d'où un blocus qui entraine des blocages industrielles et pas des moindres. La Russie implosera...mais dans combien de temps ? Bien à vous. plus



L'amateur d'aéroplanes Frédéric Goudo... 20/04/2022 17:13

Je pense qu'il y a un chiffre oublié sur l'autonomie des A-100. Cela doit être de 14 heures, pas de 4 heures. Concernant le ... tableau des matériels, 400 Leclerc ? On en à bien reçu 406, mais seulement dans les 230 sont en ligne, on pourrait sans doute en déstockant tout ce qui peut rouler en mettre en ordre de marche dans les 300 maximum. plus



20/04/2022 08:00
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La Russie asphyxiée : elle met fin à certaines de ses productions militaires modernes

Le complexe militaro-industriel russe est en souffrance à la suite des sanctions économiques imposées par les pays occidentaux. Et pour cause : la Russie est largement dépendante à l'importation des hautes technologies dans sa production de matériels modernes.

La Russie asphyxiée : elle met fin à certaines de ses productions militaires modernes
La Russie asphyxiée : elle met fin à certaines de ses productions militaires modernes

Des industries de défense qui battent de l’aile

Fin des coopérations étrangères, hausse des taux d’intérêt sur les prêts et hausse des prix des matériaux, ont eu raison des entreprises de défense russes, qui sont désormais dans l’obligation de suspendre leur production. Le « War Bulletin », produit le 16 avril par l’ambassade d’Ukraine à Washington, fait état d’une vingtaine d’entreprises militaires russes ayant suspendu, partiellement ou totalement, leur activité en raison des conséquences des sanctions économiques des pays occidentaux. Parmi elles, Vympel qui produit des missiles pour avions, dont le missile de longue portée R-77 à guidage radar actif, et UralVagonZavod, qui produit les chars de combat T-90, T-72, mais aussi le char de nouvelle génération T-14 "Armatas". Selon la Direction du Renseignement ukrainien (GUR), l’entreprise, qui est la plus grande fabricante de chars de combat au monde, aurait complétement stoppé sa production de T-90 et de T-14, les travaux sur les T-72 étant pour l'instant simplement ralentis.

La Russie suspend également la production de certains de ses systèmes de défense aérienne comme les systèmes Buk, le 2K12 Kub et le 2K22 Tunguska. Les ouvriers de l’usine mécanique d’Ulyanovsk sont invités à soit prendre un congé sans solde ou bien, à rejoindre le combat en Ukraine en tant qu'opérateur sur les SAM (missile surface-air). Cet arrêt est particulièrement dû à la grande présence de pièces électroniques dans la fabrication des systèmes anti-aérien, dont l’Allemagne était le principal fournisseur.

Les difficultés sont également nombreuses du côté naval. Toujours selon le GUR, certains chantiers navals, comme celui de Vladivostok, seraient aujourd'hui incapables d’assurer la construction et la maintenance de navire de guerre. 

En conséquence, la Russie qui peinait déjà à se réapprovisionner sur le terrain et qui fait déjà état de plus de 3000 véhicules militaires mis hors d'état, est d’autant plus handicapée par les sanctions économiques occidentales qu'elles touchent ses capacités militaires.

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Le T-14 souvent appelé à tort "Armata", ce terme ne désignant que son chassis. ©Vitaly V. Kuzmin ©
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@l'auteure. Merci pour cet intéressant article. Les premières leçons à tirer de la guerre en Ukraine sont au moins de deux ordres. La "consommation" ...  à un rythme accéléré de matériels et de munitions souvent sophistiqués pose le problème du dimensionnement et de la gestion des stocks. Par ailleurs, la résilience des complexes industriels militaires apparaît fragile, même aux États-Unis où les moyens financiers du Pentagone sont considérables. Finalement, sauf à appliquer une stratégie militaire "inappropriée", le succès d'une aventure militaire est largement conditionnée par la capacité industrielle respective des parties en conflit et de leurs alliés. Bien cordialement. plus


Des technologies modernes en stand by

Le T-14 Armatas de UralVagonZavod, est un char de nouvelle génération qui présente des qualités théoriques supérieures à ce qui est proposé en Occident : blindage plus lourd ; tourelle sans pilote ; canon tirant des obus de 125 millimètres ; portée de 12 km (3 fois plus que celle du M1A2 Abrams américain, considéré comme le meilleur char occidental) ; système de communication interconnecté aux autres T-14 et T-90 ; logiciel capable de suivre en autonomie différentes cibles afin de faire face à la faiblesse russe en matière de combat de nuit... Le T-14 Armatas, qui est sur le papier le meilleur char de combat au monde, n'a pour l'instant été livré qu'à quelques exemplaires de pré-série afin de valider les options techniques choisies. UralVagonZavod devait commencer la production en série et la livraison du T-14 cette année, et la suspension de sa production est un vrai coup dur pour la modernisation de l’armée russe.

Il en est de même du côté de l’aviation, où l'avion de veille aérienne (AWACS) flambant neuf "A-100" de Beriev Aircraft Company et Vega, voit sa production se stopper. À l’origine destiné à remplacer le A-50 datant des années 1980 et sa version modernisé A-50U, l’avion voit son développement a minima retardé par l'arrêt de livraisons des composants électroniques provoqué par les sanctions occidentales. Vanté comme 3 fois plus efficace que son prédécesseur, l’A-100 a une endurance de 4 heures et est équipé d’une avionique moderne comprenant des radars de surveillance panoramiques et des systèmes informatiques de pointe permettant de détecter des cibles aériennes à une distance de 600km et des cibles de surface à 400km.

Outre les lourdes sanctions économiques des pays occidentaux qui touchent tous les secteurs de l'industrie russe, l’objectif d'amputer l'armée russe de certaines de ses technologies modernes serait donc atteint.

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Prototype du A-100 © RussianPlane.net
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Si les sanctions économiques commencent à avoir les effets escomptés, il n’en reste pas moins qu’elles sont impactantes uniquement sur le long terme. A court terme, l’armée russe n’est pas estropiée au-delà des pertes importantes subies en Ukraine ou de a consommation accélérée de ses consommables, dont les missile de croisière et bombes guidées.

Ces handicaps évidents n’empêchent pas la Russie de toujours disposer d’un arsenal de guerre important. Selon les données de Global Fire Power Index et de l’International Institute for Strategic Studies, la Russie est le pays disposant du plus grand nombre de chars au monde et de loin : on parle de 12 400 chars contre 6 600 pour les États-Unis et contre 400 pour la France. Même si le niveau de disponibilité de ces matériels en majeure partie stockés et non modernisés est très variable, la Russie dispose d’une capacité de renouvellement considérable malgré le nombre important d'équipements détruits et capturés par les Ukrainiens : la modernisation de vieux chars coûterait 3 fois moins cher et serait 3 fois plus rapide que la production de chars russes équivalents.  Comme l’affirme le récent rapport du ministère de la Défense russe, il semblerait que l’armée russe ait également adopté la pratique de la capture et de la remise en état de chars ukrainiens à leur profit, même si la mesure est sans doute plus symbolique qu'opérationnelle.

En dépit d’une coopération économique renouvelée, la Russie, plus que jamais, a intérêt à se tourner vers ses capacités de production nationale. C’est ce que le pays semble vouloir appliquer, puisque le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a déjà déclaré souhaiter une production de 36 MC-21 totalement russe d’ici 2025 et de 20 appareils régionaux Soukhoi SuperJet par année, un appareil civil dont la production pourrait permettre de compenser en partie l'indisponibilité des Airbus et Boeing...

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Tableau reprenant les armements en parc dans chaque armée. Au-dela des chiffres, le niveau de modernisation, la disponibilité de consommables en nombre suffisant, la complémentarité des équipements disponibles, la docrtrine d'emploi, l'entraînement ou la logistique sont autant d'éléments qui peuvent largement compenser un sous-équipement affiché... comme l'Ukraine est en train de le prouver ! ©
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Commentaires
20/04/2022 12:34

@l'auteure. Merci pour cet intéressant article. Les premières leçons à tirer de la guerre en Ukraine sont au moins de deux ordres. La "consommation" ... à un rythme accéléré de matériels et de munitions souvent sophistiqués pose le problème du dimensionnement et de la gestion des stocks. Par ailleurs, la résilience des complexes industriels militaires apparaît fragile, même aux États-Unis où les moyens financiers du Pentagone sont considérables. Finalement, sauf à appliquer une stratégie militaire "inappropriée", le succès d'une aventure militaire est largement conditionnée par la capacité industrielle respective des parties en conflit et de leurs alliés. Bien cordialement. plus



20/04/2022 15:48

jmarc G. Dois-je reconnaitre le commentaire de Julie,avec laquelle je suis toujours en accord ?? Les grands esprits se comprennent: je vous ai compris ! ENTRE 1942/45 ... les bombardements sur le 3é Reich donnaient la priorité aux usines d'armements. Dans le cas présent, une coalition aussi large est sans précédent, d'où un blocus qui entraine des blocages industrielles et pas des moindres. La Russie implosera...mais dans combien de temps ? Bien à vous. plus



20/04/2022 17:13

Je pense qu'il y a un chiffre oublié sur l'autonomie des A-100. Cela doit être de 14 heures, pas de 4 heures. Concernant le ... tableau des matériels, 400 Leclerc ? On en à bien reçu 406, mais seulement dans les 230 sont en ligne, on pourrait sans doute en déstockant tout ce qui peut rouler en mettre en ordre de marche dans les 300 maximum. plus