Moins de dix ans après le lancement du satellite de télécommunications Nilesat, l’Egypte faisait placer sur orbite Misrsat 1, son premier satellite de télédétection des ressources naturelles.
Après l’épisode des fusées de Nasser destinées à la guerre et non à l’exploration spatiale, l’Egypte s’intéresse au cours des années soixante-dix aux technologies spatiales, en particulier les télécommunications et la télédétection, deux outils majeurs contribuant au développement du pays.
PARTIE I : LES TELECOMMUNICATIONS
L’Egypte est la première nation arabe à s’intéresser aux satellites de télédétection, en raison du fait que son territoire est vulnérable aux risques naturels (inondations, séismes, invasions de sauterelles, etc.), ainsi qu’au phénomène de la désertification. En 1973, elle met en place le Centre égyptien de télédétection et se tourne vers les Etats-Unis et leur système Landsat afin d’avoir une première cartographie de son territoire. Avec l’avènement de la filière française Spot en 1986, l’Egypte obtient des images de meilleures résolutions. Un partenariat s’engage entre le Ministère français de l’environnement et les scientifiques égyptiens de l’université d’Alexandrie. L’objectif est l’acquisition de méthodes d’inventaire et de cartographie sur la distribution des sols (sableux, limoneux, etc.), et l’occupation humaine (zones pastorales, périmètres irrigués, urbanisation, implantation de complexes touristiques, etc.).
L’Egypte cherche également à former ses propres spécialistes à la technologie de la télédétection spatiale. Pour cela, est mis en place en 1991 un centre dédié à la télédétection (relevant du Ministère de la recherche scientifique), qui devient en 1992 l’Autorité nationale pour la télédétection et les sciences spatiales (NARSS / National Authority for Remote sensing and Space Sciences), au service du développement durable de l’Egypte. Après l’effondrement de l’URSS, l’Egypte en profite pour obtenir des facilités d’expertise et de formation (de plusieurs dizaines d’ingénieurs) auprès des Ukrainiens et des Russes…
Pour obtenir leur premier satellite dédié à la télédétection, les Egyptiens lancent des appels d’offre entre 1999 et 2001. Les Ukrainiens remportent le contrat et un accord est signé le 24 octobre 2001 entre le NARSS et le bureau d’études KB Ioujnoïe, qui construit EgyptSat 1 ou MisrSat 1 – « Misr » désignant en arable l’Egypte, (signifiant « pays étroit »). Celui-ci est lancé le 17 avril 2007 par une fusée Dniepr depuis le centre de Baïkonour, sur une orbite géocentrique à environ 650 km d’altitude (inclinaison de 98°). D’une masse de 165 kg, le satellite emporte un imageur infrarouge (résolution de 39,5 m), un imageur multispectral haute résolution (7,8 m) et une charge utile de communication de stockage et de transfert.
Après la perte prématurée du satellite le 19 juillet 2010 (suite à une défaillance du système de communication), la construction du second exemplaire est momentanément suspendue, en raison d’un manque de financement. Le programme reprend avec l’aide du russe RKK Energia qui propose la fabrication du MisrSat 2 en partenariat avec le NARSS (qui fabrique 60% du satellite), la charge optique étant réalisée par OAO Peleng et NIRUP Geoinformatsionnye Sistemy en Biélorussie. D’une masse de 1050 kg, le satellite voit ses performances améliorées (4 m en mode multispectral et 1 m en panchromatique) ; il est lancé le 16 avril 2014 par un Soyouz-U depuis Baïkonour et placé sur une orbite de 436 à 703 km (inclinaison de 51,6°). Malheureusement, il tombe en panne lui aussi prématurément le 14 avril 2015. Un satellite de remplacement est construit et lancé le 21 février 2019 (par un Soyouz 2-1b), sous le nom de MisrSat A (grâce à l’assurance du MisrSat 2).
Les activités spatiales montant en puissance en Egypte, tant dans les télécommunications que la télédétection, il apparaît de plus en plus nécessaire aux autorités égyptiennes de mettre en place une agence spatiale. En 1998, un conseil pour la recherche en sciences et technologies spatiales (CRSST / Council for Research in Space Science and Technology) est créé. L’objectif est alors l’acquisition des technologies spatiales permettant à l’Egypte de fabriquer un jour ses propres satellites et les infrastructures nécessaires, d’accélérer le transfert de ces technologies dans plusieurs domaines (télécommunications, optique, nouveaux matériaux, etc.), de stimuler l’innovation dans les sciences spatiales, de renforcer la formation des spécialistes (par le biais de la coopération), etc., bref de faire éclore une base scientifique et un tissu industriel spatial.
Alors qu’il est conseiller auprès du président égyptien pour les affaires scientifiques, l’astronome et planétologue Essam Heggy tente de relancer la dynamique en faveur d’une agence spatiale. Toutefois, l’initiative est ralentie en raison des troubles politiques qui secouent l’Egypte depuis 2011 et qui se termine par le coup d’état du 3 juillet 2013 du général Abdel Fattah al-Sissi. La stabilité retrouvée, le Conseil des ministres approuve en août 2016 un projet de loi prévoyant le lancement d’un programme spatial national avec une agence spatiale, motivé par la crainte d’être distancé par d’autres nations arabes qui de plus se dotent d’agences spatiales (Algérie en 2002, Bahreïn en 2014, Emirats arabes unis en 2014). L’objectif est de permettre à l’Egypte de « profiter de la technologie satellitaire dans le domaine de la sécurité nationale, de l’éducation, ainsi que des recherches scientifiques et météorologiques ». Toutefois, le programme spatial prend du retard notamment en raison de la priorité donnée à investir dans les travaux d’agrandissement du canal de Suez.
Le 17 janvier 2018, les activités spatiales relèvent enfin de l’Agence égyptienne de l’espace (EGSA) et non plus du NARSS, installée dans la ville nouvelle du Nouveau Caire. Grâce à cette agence, un nouveau souffle va permettre à l’Egypte de lancer d’ambitieux programmes.
- Une étude : « L’espace dans les pays arabes : outil de développement et élément de reconnaissance nationale ou régionale », Florence Gaillard-Sborowsky, in L’information géographique 2010/2, vol.74.
- Deux articles : « L’Afrique à la conquête de l’espace », Benoît Almeras, RFI, 3 janvier 2020 ; « L’Egypte veut se doter d’une agence de l’espace », May Atta, 29 août 2016.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Moins de dix ans après le lancement du satellite de télécommunications Nilesat, l’Egypte faisait placer sur orbite Misrsat 1, son premier satellite de télédétection des ressources naturelles.
Après l’épisode des fusées de Nasser destinées à la guerre et non à l’exploration spatiale, l’Egypte s’intéresse au cours des années soixante-dix aux technologies spatiales, en particulier les télécommunications et la télédétection, deux outils majeurs contribuant au développement du pays.
PARTIE I : LES TELECOMMUNICATIONS
L’Egypte est la première nation arabe à s’intéresser aux satellites de télédétection, en raison du fait que son territoire est vulnérable aux risques naturels (inondations, séismes, invasions de sauterelles, etc.), ainsi qu’au phénomène de la désertification. En 1973, elle met en place le Centre égyptien de télédétection et se tourne vers les Etats-Unis et leur système Landsat afin d’avoir une première cartographie de son territoire. Avec l’avènement de la filière française Spot en 1986, l’Egypte obtient des images de meilleures résolutions. Un partenariat s’engage entre le Ministère français de l’environnement et les scientifiques égyptiens de l’université d’Alexandrie. L’objectif est l’acquisition de méthodes d’inventaire et de cartographie sur la distribution des sols (sableux, limoneux, etc.), et l’occupation humaine (zones pastorales, périmètres irrigués, urbanisation, implantation de complexes touristiques, etc.).
L’Egypte cherche également à former ses propres spécialistes à la technologie de la télédétection spatiale. Pour cela, est mis en place en 1991 un centre dédié à la télédétection (relevant du Ministère de la recherche scientifique), qui devient en 1992 l’Autorité nationale pour la télédétection et les sciences spatiales (NARSS / National Authority for Remote sensing and Space Sciences), au service du développement durable de l’Egypte. Après l’effondrement de l’URSS, l’Egypte en profite pour obtenir des facilités d’expertise et de formation (de plusieurs dizaines d’ingénieurs) auprès des Ukrainiens et des Russes…
Pour obtenir leur premier satellite dédié à la télédétection, les Egyptiens lancent des appels d’offre entre 1999 et 2001. Les Ukrainiens remportent le contrat et un accord est signé le 24 octobre 2001 entre le NARSS et le bureau d’études KB Ioujnoïe, qui construit EgyptSat 1 ou MisrSat 1 – « Misr » désignant en arable l’Egypte, (signifiant « pays étroit »). Celui-ci est lancé le 17 avril 2007 par une fusée Dniepr depuis le centre de Baïkonour, sur une orbite géocentrique à environ 650 km d’altitude (inclinaison de 98°). D’une masse de 165 kg, le satellite emporte un imageur infrarouge (résolution de 39,5 m), un imageur multispectral haute résolution (7,8 m) et une charge utile de communication de stockage et de transfert.
Après la perte prématurée du satellite le 19 juillet 2010 (suite à une défaillance du système de communication), la construction du second exemplaire est momentanément suspendue, en raison d’un manque de financement. Le programme reprend avec l’aide du russe RKK Energia qui propose la fabrication du MisrSat 2 en partenariat avec le NARSS (qui fabrique 60% du satellite), la charge optique étant réalisée par OAO Peleng et NIRUP Geoinformatsionnye Sistemy en Biélorussie. D’une masse de 1050 kg, le satellite voit ses performances améliorées (4 m en mode multispectral et 1 m en panchromatique) ; il est lancé le 16 avril 2014 par un Soyouz-U depuis Baïkonour et placé sur une orbite de 436 à 703 km (inclinaison de 51,6°). Malheureusement, il tombe en panne lui aussi prématurément le 14 avril 2015. Un satellite de remplacement est construit et lancé le 21 février 2019 (par un Soyouz 2-1b), sous le nom de MisrSat A (grâce à l’assurance du MisrSat 2).
Les activités spatiales montant en puissance en Egypte, tant dans les télécommunications que la télédétection, il apparaît de plus en plus nécessaire aux autorités égyptiennes de mettre en place une agence spatiale. En 1998, un conseil pour la recherche en sciences et technologies spatiales (CRSST / Council for Research in Space Science and Technology) est créé. L’objectif est alors l’acquisition des technologies spatiales permettant à l’Egypte de fabriquer un jour ses propres satellites et les infrastructures nécessaires, d’accélérer le transfert de ces technologies dans plusieurs domaines (télécommunications, optique, nouveaux matériaux, etc.), de stimuler l’innovation dans les sciences spatiales, de renforcer la formation des spécialistes (par le biais de la coopération), etc., bref de faire éclore une base scientifique et un tissu industriel spatial.
Alors qu’il est conseiller auprès du président égyptien pour les affaires scientifiques, l’astronome et planétologue Essam Heggy tente de relancer la dynamique en faveur d’une agence spatiale. Toutefois, l’initiative est ralentie en raison des troubles politiques qui secouent l’Egypte depuis 2011 et qui se termine par le coup d’état du 3 juillet 2013 du général Abdel Fattah al-Sissi. La stabilité retrouvée, le Conseil des ministres approuve en août 2016 un projet de loi prévoyant le lancement d’un programme spatial national avec une agence spatiale, motivé par la crainte d’être distancé par d’autres nations arabes qui de plus se dotent d’agences spatiales (Algérie en 2002, Bahreïn en 2014, Emirats arabes unis en 2014). L’objectif est de permettre à l’Egypte de « profiter de la technologie satellitaire dans le domaine de la sécurité nationale, de l’éducation, ainsi que des recherches scientifiques et météorologiques ». Toutefois, le programme spatial prend du retard notamment en raison de la priorité donnée à investir dans les travaux d’agrandissement du canal de Suez.
Le 17 janvier 2018, les activités spatiales relèvent enfin de l’Agence égyptienne de l’espace (EGSA) et non plus du NARSS, installée dans la ville nouvelle du Nouveau Caire. Grâce à cette agence, un nouveau souffle va permettre à l’Egypte de lancer d’ambitieux programmes.
- Une étude : « L’espace dans les pays arabes : outil de développement et élément de reconnaissance nationale ou régionale », Florence Gaillard-Sborowsky, in L’information géographique 2010/2, vol.74.
- Deux articles : « L’Afrique à la conquête de l’espace », Benoît Almeras, RFI, 3 janvier 2020 ; « L’Egypte veut se doter d’une agence de l’espace », May Atta, 29 août 2016.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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