Le 28 avril 1998, avec le lancement du satellite Nilesat, le pays des Pharaons faisait son entrée dans l’ère des télécommunications spatiales.
Après l’épisode des fusées de Nasser destinées à la guerre et non à l’exploration spatiale, l’Egypte s’intéresse au cours des années soixante-dix aux technologies spatiales, en particulier les télécommunications et la télédétection, deux outils majeurs contribuant au développement du pays.
L’idée d’une organisation arabe de télécommunications remonte à la fin des années soixante. Il s’agissait alors de favoriser l’intégration des activités culturelles et sociales entre les différents pays de la Ligue arabe (fondée en 1945 par six pays dont l’Egypte). Pour renforcer les liens et favoriser la coopération entre les radiodiffuseurs des Etats arabes, est créée en février 1969 l’Union de radiodiffusion des Etats arabes (ASBU / Arab States Broadcasting Union). Le 14 février 1976, 21 nations arabes, au cours d’une conférence des ministres de l’Information, établissent le consortium Arabsat pour déployer un réseau régional de télécommunications par satellites. L’Egypte est alors un des plus gros contributeurs. La démarche est d’autant plus importante pour ces jeunes nations qu’elles revendiquent un non-alignement, mais aussi et surtout qu’elles recherchent la reconnaissance internationale du monde arabe et de sa culture.
Toutefois, en 1978, après avoir signé des accords de paix séparée (Camp David) avec Israël, nation honnie dans le monde arabe depuis 1945, l’Egypte subit des rétorsions et est exclue en 1979 de la Ligue arabe (pendant dix ans) et, de ce fait, du projet Arabsat. Se sentant frustrée et humiliée, l’Egypte cherche à développer son propre réseau de télécommunications. C’est d’autant plus important que l’audiovisuel égyptien est l’un des plus anciens du monde arabe avec le lancement en juillet 1960 de la première télévision (après l’Irak et l’Algérie en 1956 et le Liban en 1959), une initiative liée à la volonté politique du président Nasser (1956-1970) d’ « éduquer le peuple ».
N’ayant cependant ni les technologies, ni les compétences humaines pour fabriquer son premier satellite de télécommunications, l’Egypte entame des négociations au cours des années 1980, une époque où le pays renforce la libéralisation économique. Elles aboutissent en 1985 à la commande de deux satellites auprès du groupe franco-britannique Matra Marconi Space (créé en 1990, aujourd’hui intégré à Airbus Defence and Space)… au moment où sont placés sur orbite les deux premiers Arabsat (1A et 1B respectivement les 8 février et 17 juin 1985). Alors que le premier satellite égyptien est en construction, est créée en 1996 l’Egyptian Satellite Company (ESC) pour son exploitation et pour disposer d’une station de réception au sol et de traitement de données.
D’une masse totale de 1 666 kg, disposant de douze transpondeurs en bande Ku, le satellite, appelé Nilesat 101, est lancé le 28 avril 1998 par une Ariane 44P depuis Kourou en Guyane française. Il est placé à 7° Ouest sur une orbite géostationnaire (avec une inclinaison de 0,73°). Le 31 mai suivant, le président Hosni Moubarak (1981-2011), au centre spatial du Six-octobre, appuie officiellement sur le bouton mettant en marche le réseau satellite. Nilesat faisait ainsi de l’Egypte le premier pays africain à disposer de son propre réseau de télécommunications, ainsi que le premier pays arabe propriétaire d’un outil spatial national – suivi de peu des Emirats arabes unis (Thuraya 1 en 2000), puis de l’Algérie (Alcomsat 1, 2017) et de l’Arabie Saoudite (SGS 1, 2019).
A l’annonce de la mise à poste de Nilesat, la presse égyptienne exulte. Si les débuts sont difficiles (manque de programmes pertinents, peu de chaînes, etc.), Nilesat apparaît néanmoins comme une véritable « affaire de sécurité nationale », selon les mots du ministre égyptien de l’Information Safouat al-Chérif, permettant à l’Egypte de conserver un certain leadership en matière de médias dans le monde arabe. L’Etat égyptien y veille en soutenant la création de services et de chaînes satellitaires. Ainsi, en quelques années, le système Nilesat apporte d’importants services à travers une centaine de chaînes, radios et multimédias à plus de cinq millions de foyers, et pas seulement en Egypte mais dans toute l’Afrique du nord.
Un second satellite, Nilesat 102, est lancé le 17 août 2000 par une Ariane 4 depuis Kourou, et vient compléter le réseau, avec notamment 50 chaînes supplémentaires, des services sur la transmission de données, de l’internet, etc. Comme le souligne Dina El Khawaga, le second Nilesat « ouvre la voie à une nouvelle vague d’institutions médiatiques, télécommunicationnelles, voire simplement économiques, censées toutes participer à la démocratisation de l’Internet et à l’instauration des « autoroutes arabes de l’information ». L’Egypte est bel et bien entrée dans l’ère des télécommunications…
- Deux études : « Nilesat 101 et 102 : petite histoire d’un rêve de grandeur », Dina El Khawaga, in Hermès, la revue n°34, 2002/2 ; « La télévision publique égyptienne : histoire et politique », Armand Pignol, Chap.4 de Télévisions arabes sur orbite. Un système médiatique en mutation, CNRS Editions, Paris, 2005.
- Un article : « L’Egypte invente le satellite sans chaîne. Avant tout stratégique, Nilesat, lancé fin mai, tarde à émettre ses programmes », Christophe Ayad, 3 août 1998, Libération.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 28 avril 1998, avec le lancement du satellite Nilesat, le pays des Pharaons faisait son entrée dans l’ère des télécommunications spatiales.
Après l’épisode des fusées de Nasser destinées à la guerre et non à l’exploration spatiale, l’Egypte s’intéresse au cours des années soixante-dix aux technologies spatiales, en particulier les télécommunications et la télédétection, deux outils majeurs contribuant au développement du pays.
L’idée d’une organisation arabe de télécommunications remonte à la fin des années soixante. Il s’agissait alors de favoriser l’intégration des activités culturelles et sociales entre les différents pays de la Ligue arabe (fondée en 1945 par six pays dont l’Egypte). Pour renforcer les liens et favoriser la coopération entre les radiodiffuseurs des Etats arabes, est créée en février 1969 l’Union de radiodiffusion des Etats arabes (ASBU / Arab States Broadcasting Union). Le 14 février 1976, 21 nations arabes, au cours d’une conférence des ministres de l’Information, établissent le consortium Arabsat pour déployer un réseau régional de télécommunications par satellites. L’Egypte est alors un des plus gros contributeurs. La démarche est d’autant plus importante pour ces jeunes nations qu’elles revendiquent un non-alignement, mais aussi et surtout qu’elles recherchent la reconnaissance internationale du monde arabe et de sa culture.
Toutefois, en 1978, après avoir signé des accords de paix séparée (Camp David) avec Israël, nation honnie dans le monde arabe depuis 1945, l’Egypte subit des rétorsions et est exclue en 1979 de la Ligue arabe (pendant dix ans) et, de ce fait, du projet Arabsat. Se sentant frustrée et humiliée, l’Egypte cherche à développer son propre réseau de télécommunications. C’est d’autant plus important que l’audiovisuel égyptien est l’un des plus anciens du monde arabe avec le lancement en juillet 1960 de la première télévision (après l’Irak et l’Algérie en 1956 et le Liban en 1959), une initiative liée à la volonté politique du président Nasser (1956-1970) d’ « éduquer le peuple ».
N’ayant cependant ni les technologies, ni les compétences humaines pour fabriquer son premier satellite de télécommunications, l’Egypte entame des négociations au cours des années 1980, une époque où le pays renforce la libéralisation économique. Elles aboutissent en 1985 à la commande de deux satellites auprès du groupe franco-britannique Matra Marconi Space (créé en 1990, aujourd’hui intégré à Airbus Defence and Space)… au moment où sont placés sur orbite les deux premiers Arabsat (1A et 1B respectivement les 8 février et 17 juin 1985). Alors que le premier satellite égyptien est en construction, est créée en 1996 l’Egyptian Satellite Company (ESC) pour son exploitation et pour disposer d’une station de réception au sol et de traitement de données.
D’une masse totale de 1 666 kg, disposant de douze transpondeurs en bande Ku, le satellite, appelé Nilesat 101, est lancé le 28 avril 1998 par une Ariane 44P depuis Kourou en Guyane française. Il est placé à 7° Ouest sur une orbite géostationnaire (avec une inclinaison de 0,73°). Le 31 mai suivant, le président Hosni Moubarak (1981-2011), au centre spatial du Six-octobre, appuie officiellement sur le bouton mettant en marche le réseau satellite. Nilesat faisait ainsi de l’Egypte le premier pays africain à disposer de son propre réseau de télécommunications, ainsi que le premier pays arabe propriétaire d’un outil spatial national – suivi de peu des Emirats arabes unis (Thuraya 1 en 2000), puis de l’Algérie (Alcomsat 1, 2017) et de l’Arabie Saoudite (SGS 1, 2019).
A l’annonce de la mise à poste de Nilesat, la presse égyptienne exulte. Si les débuts sont difficiles (manque de programmes pertinents, peu de chaînes, etc.), Nilesat apparaît néanmoins comme une véritable « affaire de sécurité nationale », selon les mots du ministre égyptien de l’Information Safouat al-Chérif, permettant à l’Egypte de conserver un certain leadership en matière de médias dans le monde arabe. L’Etat égyptien y veille en soutenant la création de services et de chaînes satellitaires. Ainsi, en quelques années, le système Nilesat apporte d’importants services à travers une centaine de chaînes, radios et multimédias à plus de cinq millions de foyers, et pas seulement en Egypte mais dans toute l’Afrique du nord.
Un second satellite, Nilesat 102, est lancé le 17 août 2000 par une Ariane 4 depuis Kourou, et vient compléter le réseau, avec notamment 50 chaînes supplémentaires, des services sur la transmission de données, de l’internet, etc. Comme le souligne Dina El Khawaga, le second Nilesat « ouvre la voie à une nouvelle vague d’institutions médiatiques, télécommunicationnelles, voire simplement économiques, censées toutes participer à la démocratisation de l’Internet et à l’instauration des « autoroutes arabes de l’information ». L’Egypte est bel et bien entrée dans l’ère des télécommunications…
- Deux études : « Nilesat 101 et 102 : petite histoire d’un rêve de grandeur », Dina El Khawaga, in Hermès, la revue n°34, 2002/2 ; « La télévision publique égyptienne : histoire et politique », Armand Pignol, Chap.4 de Télévisions arabes sur orbite. Un système médiatique en mutation, CNRS Editions, Paris, 2005.
- Un article : « L’Egypte invente le satellite sans chaîne. Avant tout stratégique, Nilesat, lancé fin mai, tarde à émettre ses programmes », Christophe Ayad, 3 août 1998, Libération.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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