En plaçant sur orbite le 19 avril 1971 la station Saliout 1, les Soviétiques ouvraient une nouvelle page de l’histoire de l’astronautique.
Si le concept de la station orbitale est esquissé par le précurseur russe Constantin Tsiolkovski (qui définit dès 1903 des plateformes orbitales permettant le départ de fusées vers d’autres planètes), d’autres le reprennent et le font évoluer comme les pionniers américain Goddard et roumano-allemand Oberth, puis von Braun dans les années 1950 avec la célèbre roue.
Avec l’avènement des premiers Spoutnik, les bureaux de recherche aux Etats-Unis comme en URSS se (re)mettent à étudier le concept de la station orbitale. Si pendant plusieurs décennies la structure en forme de roue prévalait, en raison notamment de l’idée de recréer une gravitation artificielle, sa réalisation semblait néanmoins compliquée. Le concept de la roue a alors cédé la place à celui, plus simple, du système modulaire consistant à emboîter un ou plusieurs modules.
Dans les années 1960, en Union Soviétique, deux équipes s’engagent alors dans le projet de développement d’une station orbitale : celle de Vladimir Tchelomeï qui propose une station militaire Almaz (« Diamant »), puis celle de Vassili Michine (ancien bras droit de Sergueï Korolev, à qui il succède en 1966 après son décès) qui étudie une station modulaire géante. Mais avant tout, la maîtrise des vols et des différentes manœuvres, dont l’amarrage, était indispensable...
Si les Américains effectuent entre mars et novembre 1966 les premiers amarrages (Gemini 8, 10, 11 et 12), les Soviétiques réalisent le 30 octobre 1967 avec les Cosmos 186 et 188 le premier amarrage automatique, démontrant qu’il est possible d’assembler dans l’espace des vaisseaux sans la présence humaine. Le 16 janvier 1969, l’opération est cette fois-ci entreprise avec les vaisseaux habités Soyouz 4 et 5 qui forment un embryon de station orbitale de 12,9 tonnes (mais il n’y avait alors pas de tunnel pour passer d’un vaisseau à l’autre). Ces démarches s’inscrivaient cependant dans le cadre du programme de débarquement lunaire…
En décembre 1968, les Américains procèdent au premier vol circumlunaire habité (Apollo 8). Les Soviétiques comprennent qu’ils ne remporteront probablement pas « la course à la Lune ». Le succès d’Apollo 11 achève de convaincre des ingénieurs soviétiques qui proposent en août 1969 de réaliser une « station orbitale de longue durée » (DOS) à partir d’un Almaz (dont la construction est déjà avancée) auquel serait ajouté un collier d’amarrage ; cela permettrait ainsi d’obtenir au plus vite une petite station orbitale. Les responsables politiques sont enthousiastes, à commencer par le maréchal Dimitri Oustinov, secrétaire à la Défense et à l’espace du Comité central du Parti, ainsi que Leonid Brejnev, le secrétaire général du Parti communiste, qui donne son aval.
Le 9 février 1970, le Ministère de la construction générale des machines (MOM) engage officiellement la réalisation de la première DOS (d’abord baptisée « Zarya » (Aube), puis « Saliout » (Salut) en avril 1971), sous la responsabilité de Michine. Entre temps, les vols Soyouz se poursuivent avec notamment Soyouz 9 qui, du 1er au 19 juin 1970, effectue un vol record d’endurance, ouvrant la voie aux futures missions de longue durée.
Le 19 avril 1971, un lanceur Proton-K décolle de Baïkonour et place avec succès Saliout 1 sur une orbite quasi circulaire à 220 km d’altitude (inclinaison de 51,6°). D’une masse totale de 18 425 kg, Saliout ressemble à une sorte de cylindre d’une longueur de 15,8 m, pour un diamètre maximal de 4,15 m et un volume habitable de 82,5 m3. Emportant 1 200 kg d’appareils scientifiques (dont les télescopes solaire OST-1, UV Orion-1 et gamma Anna-3), Saliout est structurée en deux parties pressurisées dans lesquelles se trouvent sept postes de travail ainsi que celui du contrôle central de la station, plus une partie non pressurisée pour divers instruments. Les cosmonautes disposent également d’appareils de gymnastique, de sacs de couchage, d’un cabinet de toilette, de réserves d’eau et d’aliments, etc. Quant à l’énergie, elle est fournie par quatre panneaux solaires d’une longueur d’environ 10 m. Toutefois, la station ne dispose que d’un seul port d’amarrage, situé à l’avant, ce qui n’autorise la présence que d’un seul équipage à la fois, sans ravitaillement possible par un autre vaisseau.
Quelques jours plus tard, le 23 avril, Vladimir Chatalov, Alexei Elisseïev et Nikolai Roukavichnikov partent vers Saliout à bord de Soyouz 10, une nouvelle version du Soyouz dotée d’une écoutille permettant de passer du vaisseau à la station. L’URSS renoue avec les succès. Toutefois, si Soyouz 10 réussit à s’amarrer à la station, l’équipage n’arrive pas à ouvrir l’écoutille. Celui-ci reçoit l’ordre de rentrer sur Terre, ce sera à la prochaine mission de réitérer la manœuvre. La propagande se charge de souligner que le vol Soyouz 10 consistait d’abord en une visite d’inspection.
Le 6 juin suivant, Soyouz 11 est lancé avec Gueorgui Dobrovolski, Viktor Patsaïev et Vladislav Volkov. Quelques heures plus tard, l’équipage s’amarre et réussit à entrer dans la station. Les trois hommes effectuent environ 140 expériences scientifiques, médicales (cardio-vasculaire, densité osseuse, acuité visuelle, etc.), biologiques (mouches, algues, graines, etc.), astrophysiques (rayonnements cosmiques, UV, gamma, etc.), sans oublier la prise de photographies de la Terre. Les cosmonautes rencontrent néanmoins quelques difficultés comme des dysfonctionnements d’appareils et un court circuit électrique déclenchant un départ de feu.
Après avoir battu le record de longévité dans l’espace avec 23 jours et 18 heures, l’équipage revient sur Terre le 29 juin. Malheureusement, la cabine du vaisseau Soyouz 11 subit une dépressurisation et les trois cosmonautes, ne portant pas de scaphandre, meurent sans avoir pu empêcher l’accident. Ils ont droit à des funérailles nationales. Le deuil est unanimement partagé y compris en Occident, comme en France où Paris Match leur dédie la une de son numéro daté du 10 juillet sous le titre : « La mort tragique des trois cosmonautes de Soyouz. L’ESPACE LES A TUES ». L’auteur de l’article, Marc Heimer, termine son hommage en soulignant que cela « n’interrompra pas la conquête de l’espace. Au contraire, tout porte à croire qu’elle facilitera l’instauration d’une véritable coopération entre les deux géants du cosmos (…) ».
Après le drame de Soyouz 11, la poursuite de l’exploitation de la station est annulée, et il est décidé de la désorbiter, afin d’éviter que celle-ci n’échappe à tout contrôle. Après être restée sur orbite pendant 175 jours, Saliout 1 retombe le 11 octobre 1971 dans les couches denses de l’atmosphère au-dessus de l’océan Pacifique.
L’occupation de l’orbite basse par les Soviétiques reprendra en juillet 1974, avec la mission Soyouz 14 lancée vers la station Saliout 3 (entre temps, un vol de presque deux jours aura été effectué par deux cosmonautes à bord de Soyouz 12).
- Un ouvrage : L’Astronautique soviétique, par Christian Lardier, A. Colin, Paris, 1992
- Un fascicule de propagande soviétique : Les stations orbitales Saliout, Editions de l'Agence de Presse Novosti, Moscou, 1975
- Un article sur le site Kosmonavtika de Nicolas Pillet, DOS – Naissance du projet
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
En plaçant sur orbite le 19 avril 1971 la station Saliout 1, les Soviétiques ouvraient une nouvelle page de l’histoire de l’astronautique.
Si le concept de la station orbitale est esquissé par le précurseur russe Constantin Tsiolkovski (qui définit dès 1903 des plateformes orbitales permettant le départ de fusées vers d’autres planètes), d’autres le reprennent et le font évoluer comme les pionniers américain Goddard et roumano-allemand Oberth, puis von Braun dans les années 1950 avec la célèbre roue.
Avec l’avènement des premiers Spoutnik, les bureaux de recherche aux Etats-Unis comme en URSS se (re)mettent à étudier le concept de la station orbitale. Si pendant plusieurs décennies la structure en forme de roue prévalait, en raison notamment de l’idée de recréer une gravitation artificielle, sa réalisation semblait néanmoins compliquée. Le concept de la roue a alors cédé la place à celui, plus simple, du système modulaire consistant à emboîter un ou plusieurs modules.
Dans les années 1960, en Union Soviétique, deux équipes s’engagent alors dans le projet de développement d’une station orbitale : celle de Vladimir Tchelomeï qui propose une station militaire Almaz (« Diamant »), puis celle de Vassili Michine (ancien bras droit de Sergueï Korolev, à qui il succède en 1966 après son décès) qui étudie une station modulaire géante. Mais avant tout, la maîtrise des vols et des différentes manœuvres, dont l’amarrage, était indispensable...
Si les Américains effectuent entre mars et novembre 1966 les premiers amarrages (Gemini 8, 10, 11 et 12), les Soviétiques réalisent le 30 octobre 1967 avec les Cosmos 186 et 188 le premier amarrage automatique, démontrant qu’il est possible d’assembler dans l’espace des vaisseaux sans la présence humaine. Le 16 janvier 1969, l’opération est cette fois-ci entreprise avec les vaisseaux habités Soyouz 4 et 5 qui forment un embryon de station orbitale de 12,9 tonnes (mais il n’y avait alors pas de tunnel pour passer d’un vaisseau à l’autre). Ces démarches s’inscrivaient cependant dans le cadre du programme de débarquement lunaire…
En décembre 1968, les Américains procèdent au premier vol circumlunaire habité (Apollo 8). Les Soviétiques comprennent qu’ils ne remporteront probablement pas « la course à la Lune ». Le succès d’Apollo 11 achève de convaincre des ingénieurs soviétiques qui proposent en août 1969 de réaliser une « station orbitale de longue durée » (DOS) à partir d’un Almaz (dont la construction est déjà avancée) auquel serait ajouté un collier d’amarrage ; cela permettrait ainsi d’obtenir au plus vite une petite station orbitale. Les responsables politiques sont enthousiastes, à commencer par le maréchal Dimitri Oustinov, secrétaire à la Défense et à l’espace du Comité central du Parti, ainsi que Leonid Brejnev, le secrétaire général du Parti communiste, qui donne son aval.
Le 9 février 1970, le Ministère de la construction générale des machines (MOM) engage officiellement la réalisation de la première DOS (d’abord baptisée « Zarya » (Aube), puis « Saliout » (Salut) en avril 1971), sous la responsabilité de Michine. Entre temps, les vols Soyouz se poursuivent avec notamment Soyouz 9 qui, du 1er au 19 juin 1970, effectue un vol record d’endurance, ouvrant la voie aux futures missions de longue durée.
Le 19 avril 1971, un lanceur Proton-K décolle de Baïkonour et place avec succès Saliout 1 sur une orbite quasi circulaire à 220 km d’altitude (inclinaison de 51,6°). D’une masse totale de 18 425 kg, Saliout ressemble à une sorte de cylindre d’une longueur de 15,8 m, pour un diamètre maximal de 4,15 m et un volume habitable de 82,5 m3. Emportant 1 200 kg d’appareils scientifiques (dont les télescopes solaire OST-1, UV Orion-1 et gamma Anna-3), Saliout est structurée en deux parties pressurisées dans lesquelles se trouvent sept postes de travail ainsi que celui du contrôle central de la station, plus une partie non pressurisée pour divers instruments. Les cosmonautes disposent également d’appareils de gymnastique, de sacs de couchage, d’un cabinet de toilette, de réserves d’eau et d’aliments, etc. Quant à l’énergie, elle est fournie par quatre panneaux solaires d’une longueur d’environ 10 m. Toutefois, la station ne dispose que d’un seul port d’amarrage, situé à l’avant, ce qui n’autorise la présence que d’un seul équipage à la fois, sans ravitaillement possible par un autre vaisseau.
Quelques jours plus tard, le 23 avril, Vladimir Chatalov, Alexei Elisseïev et Nikolai Roukavichnikov partent vers Saliout à bord de Soyouz 10, une nouvelle version du Soyouz dotée d’une écoutille permettant de passer du vaisseau à la station. L’URSS renoue avec les succès. Toutefois, si Soyouz 10 réussit à s’amarrer à la station, l’équipage n’arrive pas à ouvrir l’écoutille. Celui-ci reçoit l’ordre de rentrer sur Terre, ce sera à la prochaine mission de réitérer la manœuvre. La propagande se charge de souligner que le vol Soyouz 10 consistait d’abord en une visite d’inspection.
Le 6 juin suivant, Soyouz 11 est lancé avec Gueorgui Dobrovolski, Viktor Patsaïev et Vladislav Volkov. Quelques heures plus tard, l’équipage s’amarre et réussit à entrer dans la station. Les trois hommes effectuent environ 140 expériences scientifiques, médicales (cardio-vasculaire, densité osseuse, acuité visuelle, etc.), biologiques (mouches, algues, graines, etc.), astrophysiques (rayonnements cosmiques, UV, gamma, etc.), sans oublier la prise de photographies de la Terre. Les cosmonautes rencontrent néanmoins quelques difficultés comme des dysfonctionnements d’appareils et un court circuit électrique déclenchant un départ de feu.
Après avoir battu le record de longévité dans l’espace avec 23 jours et 18 heures, l’équipage revient sur Terre le 29 juin. Malheureusement, la cabine du vaisseau Soyouz 11 subit une dépressurisation et les trois cosmonautes, ne portant pas de scaphandre, meurent sans avoir pu empêcher l’accident. Ils ont droit à des funérailles nationales. Le deuil est unanimement partagé y compris en Occident, comme en France où Paris Match leur dédie la une de son numéro daté du 10 juillet sous le titre : « La mort tragique des trois cosmonautes de Soyouz. L’ESPACE LES A TUES ». L’auteur de l’article, Marc Heimer, termine son hommage en soulignant que cela « n’interrompra pas la conquête de l’espace. Au contraire, tout porte à croire qu’elle facilitera l’instauration d’une véritable coopération entre les deux géants du cosmos (…) ».
Après le drame de Soyouz 11, la poursuite de l’exploitation de la station est annulée, et il est décidé de la désorbiter, afin d’éviter que celle-ci n’échappe à tout contrôle. Après être restée sur orbite pendant 175 jours, Saliout 1 retombe le 11 octobre 1971 dans les couches denses de l’atmosphère au-dessus de l’océan Pacifique.
L’occupation de l’orbite basse par les Soviétiques reprendra en juillet 1974, avec la mission Soyouz 14 lancée vers la station Saliout 3 (entre temps, un vol de presque deux jours aura été effectué par deux cosmonautes à bord de Soyouz 12).
- Un ouvrage : L’Astronautique soviétique, par Christian Lardier, A. Colin, Paris, 1992
- Un fascicule de propagande soviétique : Les stations orbitales Saliout, Editions de l'Agence de Presse Novosti, Moscou, 1975
- Un article sur le site Kosmonavtika de Nicolas Pillet, DOS – Naissance du projet
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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