Le 30 mai 1975, dix Etats européens signaient une convention créant l’Agence spatiale européenne, prenant la suite des organisations ESRO et ELDO qui avaient permis aux Européens, depuis le début des années 60, de faire leurs premiers pas dans l’espace.
[Partie 1 publiée le 30 mai 2025]
Le 13 décembre 1966, se tient à Paris la première Conférence spatiale européenne (CSE) au cours de laquelle tous les acteurs européens cherchent à mieux assurer la coordination et la répartition des efforts. Cette première CSE insuffle une nouvelle dynamique, marquant une prise de conscience générale sur l’importance que vont acquérir dans les prochaines années les satellites d’application, à commencer par les télécommunications. Les Européens élaborent peu à peu une véritable politique spatiale à l’échelle européenne.
En 1967, le français Jean-Pierre Causse présente un rapport dans lequel il préconise une organisation spatiale européenne unifiée et l’adoption de nouvelles pratiques comme, par exemple, des programmes facultatifs qui ne nécessiteraient plus un investissement obligatoire pour les Etats réticents. Il suggère également un lanceur Europa 3 à capacité géostationnaire plus importante (500 à 700 kg) qu’Europa 2 (200 à 360 kg). Le rapport soutient enfin la cause des satellites d’application. A l’ELDO, le contexte financier empoisonne le bon fonctionnement de l’organisation ; les Britanniques annoncent en avril 1968 une limitation à leur participation.
Face aux difficultés, il est proposé en novembre 1969, lors de la troisième CSE (Bad Godesberg, Allemagne), la création d’une seule organisation européenne avec un programme de base (lanceur, satellite) et des programmes optionnels. Mais, en décembre, les Britanniques informent qu’ils ne financeront plus les lanceurs après 1971.
Bien que du retard soit pris et bien que les coûts financiers augmentent et divisent les protagonistes, les premiers lancements d’Europa 1 (avec les trois étages actifs) interviennent enfin à Woomera les 29 novembre 1968, 2 juillet 1969 et 12 juin 1970. Tous échouent… Le dernier échec donne la priorité à Europa 2 qui n’est plus guère financé que par la France et l’Allemagne. Un nouveau champ de tir est installé au Centre Spatial de Kourou, en Guyane française. Le 4 novembre 1971, Europa 2 y décolle… mais c’est un nouvel et dramatique échec qui entraîne une grave crise. L’ELDO est discréditée et remise en cause. Les Allemands et les Italiens, désorientés, sont de plus en plus tentés de coopérer avec les Américains qui, depuis fin 1969, invitent les Européens à les rejoindre dans leurs projets de navette spatiale et de station orbitale ; en juin 1972, ils leur proposent même de réaliser un laboratoire spatial habité (Spacelab) intégrable dans la soute des futures navettes spatiales.
En janvier 1972, l’ELDO tente de changer les méthodes d’action et de développement en mettant en place une véritable direction des programmes. Si Europa 2 n’est pas abandonné, les efforts se portent sur Europa 3. Toutefois, les difficultés technologiques (étage supérieur trop novateur et risqué, etc.), et les remises en cause politiques (l’Allemagne annonce en juillet 1972 qu’elle mettra fin aux dérives de l’ELDO, etc.) menacent l’avenir du programme. De ce fait, en France, l’inquiétude grandit et la division des Lanceurs du CNES réfléchit alors entre avril et décembre 1972 à une alternative, si Europa 3 n’aboutit pas. Tablant sur une technologie moins novatrice, elle échafaude le projet L3S (« Lanceur à 3 étages de Substitution ») qui, de plus, aura notamment une capacité orbitale plus ou moins similaire à celui d’Europa 3 avec les avantages d’être plus simple de conception et moins cher. Reste alors à convaincre les partenaires…
Lors de la sixième CSE à Bruxelles, le 31 juillet 1973, le ministre belge Charles Hanin, en charge des conférences spatiales européennes, mène avec brio les discussions avec les nations européennes. De compromis en compromis, il réussit à définir un nouvel accord global (ou Package Deal) autour de trois grands programmes phares : le L3S (plus tard baptisé Ariane), placé sous la maîtrise d’œuvre de la France ; le laboratoire Spacelab, sous la responsabilité de l’Allemagne ; le programme expérimental de télécommunications maritimes Marots, porté par les Britanniques. Enfin, la fusion de l’ELDO et de l’ESRO est actée : une agence européenne de l’espace prendra corps en 1975 sous le nom de European Space Agency (ESA).
Le 31 mai 1975, l’ELDO et l’ESRO cèdent définitivement la place à l’ESA, dont la convention et le règlement intérieur sont signés le 30 mai 1975 par dix Etats européens : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays‑Bas, le Royaume‑Uni, la Suède et la Suisse. L’entrée en fonction juridique de la nouvelle organisation intervient le 30 octobre 1980, après que ladite convention ait été approuvée et ratifiée au sein de chaque Etat. Installée à Paris, l’Agence spatiale européenne voit une forte augmentation de son budget, reçoit la mission d’élaborer et de mettre en œuvre la politique spatiale européenne à long terme, ainsi que les activités et les programmes.
En un demi-siècle, l’ESA a incontestablement acquis une place prépondérante parmi les autres agences spatiales du monde. La coopération, d’abord entre les Etats européens membres de l’ESA, ensuite avec d’autres puissances spatiales, a joué un rôle clé dans le succès de l’ESA. Cette dernière a obtenu de spectaculaires réussites dans des domaines comme la météorologie (Meteosat, 1977), les télécommunications (OTS, 1977 ; Marecs, 1981, etc.), l’observation de la Terre (ERS, 1991, Envisat, 2002 ; Sentinel, 2014, etc.), ainsi que des satellites scientifiques (Geos, 1977 ; ISEE 2, 1977 ; Eureca, 1992, etc.) et des observatoires spatiaux (COS B, 1975 ; Hipparcos, 1989 ; Cluster, 1996 ; Herschel et Planck, 2009, etc.)… Sans oublier les sondes spatiales qui sillonnent le système solaire (Giotto, 1985 ; Ulysses, 1990, etc.) ou qui explorent d’autres mondes (Huygens, 1997 ; Mars Express, 2003 ; Rosetta, 2004, etc.). Soulignons que les vols habités sont cependant un des rares domaines où les Européens ont jusqu’alors refusé d’assurer leur indépendance…
- Une publication de l’ESA : « Les trente ans de l’ESA : un bilan remarquable pour l’Europe spatiale », 31 mai 2005
- Un article : Les débuts chaotiques de l’Europe spatiale. Des conférences spatiales à l’ASE : le rôle stratégique de la Belgique, DAWINKA Laureys, in La revue pour l’histoire du CNRS, n°10, 2004
- Un ouvrage choral sur les 50 ans de l’Agence spatiale européenne sous la direction de Pierre-François MOURIAUX et de Philippe VARNOTEAUX est en préparation aux éditions Ginkgo, à paraître à la rentrée de 2025 dans la collection Histoires d’espace.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 30 mai 1975, dix Etats européens signaient une convention créant l’Agence spatiale européenne, prenant la suite des organisations ESRO et ELDO qui avaient permis aux Européens, depuis le début des années 60, de faire leurs premiers pas dans l’espace.
[Partie 1 publiée le 30 mai 2025]
Le 13 décembre 1966, se tient à Paris la première Conférence spatiale européenne (CSE) au cours de laquelle tous les acteurs européens cherchent à mieux assurer la coordination et la répartition des efforts. Cette première CSE insuffle une nouvelle dynamique, marquant une prise de conscience générale sur l’importance que vont acquérir dans les prochaines années les satellites d’application, à commencer par les télécommunications. Les Européens élaborent peu à peu une véritable politique spatiale à l’échelle européenne.
En 1967, le français Jean-Pierre Causse présente un rapport dans lequel il préconise une organisation spatiale européenne unifiée et l’adoption de nouvelles pratiques comme, par exemple, des programmes facultatifs qui ne nécessiteraient plus un investissement obligatoire pour les Etats réticents. Il suggère également un lanceur Europa 3 à capacité géostationnaire plus importante (500 à 700 kg) qu’Europa 2 (200 à 360 kg). Le rapport soutient enfin la cause des satellites d’application. A l’ELDO, le contexte financier empoisonne le bon fonctionnement de l’organisation ; les Britanniques annoncent en avril 1968 une limitation à leur participation.
Face aux difficultés, il est proposé en novembre 1969, lors de la troisième CSE (Bad Godesberg, Allemagne), la création d’une seule organisation européenne avec un programme de base (lanceur, satellite) et des programmes optionnels. Mais, en décembre, les Britanniques informent qu’ils ne financeront plus les lanceurs après 1971.
Bien que du retard soit pris et bien que les coûts financiers augmentent et divisent les protagonistes, les premiers lancements d’Europa 1 (avec les trois étages actifs) interviennent enfin à Woomera les 29 novembre 1968, 2 juillet 1969 et 12 juin 1970. Tous échouent… Le dernier échec donne la priorité à Europa 2 qui n’est plus guère financé que par la France et l’Allemagne. Un nouveau champ de tir est installé au Centre Spatial de Kourou, en Guyane française. Le 4 novembre 1971, Europa 2 y décolle… mais c’est un nouvel et dramatique échec qui entraîne une grave crise. L’ELDO est discréditée et remise en cause. Les Allemands et les Italiens, désorientés, sont de plus en plus tentés de coopérer avec les Américains qui, depuis fin 1969, invitent les Européens à les rejoindre dans leurs projets de navette spatiale et de station orbitale ; en juin 1972, ils leur proposent même de réaliser un laboratoire spatial habité (Spacelab) intégrable dans la soute des futures navettes spatiales.
En janvier 1972, l’ELDO tente de changer les méthodes d’action et de développement en mettant en place une véritable direction des programmes. Si Europa 2 n’est pas abandonné, les efforts se portent sur Europa 3. Toutefois, les difficultés technologiques (étage supérieur trop novateur et risqué, etc.), et les remises en cause politiques (l’Allemagne annonce en juillet 1972 qu’elle mettra fin aux dérives de l’ELDO, etc.) menacent l’avenir du programme. De ce fait, en France, l’inquiétude grandit et la division des Lanceurs du CNES réfléchit alors entre avril et décembre 1972 à une alternative, si Europa 3 n’aboutit pas. Tablant sur une technologie moins novatrice, elle échafaude le projet L3S (« Lanceur à 3 étages de Substitution ») qui, de plus, aura notamment une capacité orbitale plus ou moins similaire à celui d’Europa 3 avec les avantages d’être plus simple de conception et moins cher. Reste alors à convaincre les partenaires…
Lors de la sixième CSE à Bruxelles, le 31 juillet 1973, le ministre belge Charles Hanin, en charge des conférences spatiales européennes, mène avec brio les discussions avec les nations européennes. De compromis en compromis, il réussit à définir un nouvel accord global (ou Package Deal) autour de trois grands programmes phares : le L3S (plus tard baptisé Ariane), placé sous la maîtrise d’œuvre de la France ; le laboratoire Spacelab, sous la responsabilité de l’Allemagne ; le programme expérimental de télécommunications maritimes Marots, porté par les Britanniques. Enfin, la fusion de l’ELDO et de l’ESRO est actée : une agence européenne de l’espace prendra corps en 1975 sous le nom de European Space Agency (ESA).
Le 31 mai 1975, l’ELDO et l’ESRO cèdent définitivement la place à l’ESA, dont la convention et le règlement intérieur sont signés le 30 mai 1975 par dix Etats européens : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays‑Bas, le Royaume‑Uni, la Suède et la Suisse. L’entrée en fonction juridique de la nouvelle organisation intervient le 30 octobre 1980, après que ladite convention ait été approuvée et ratifiée au sein de chaque Etat. Installée à Paris, l’Agence spatiale européenne voit une forte augmentation de son budget, reçoit la mission d’élaborer et de mettre en œuvre la politique spatiale européenne à long terme, ainsi que les activités et les programmes.
En un demi-siècle, l’ESA a incontestablement acquis une place prépondérante parmi les autres agences spatiales du monde. La coopération, d’abord entre les Etats européens membres de l’ESA, ensuite avec d’autres puissances spatiales, a joué un rôle clé dans le succès de l’ESA. Cette dernière a obtenu de spectaculaires réussites dans des domaines comme la météorologie (Meteosat, 1977), les télécommunications (OTS, 1977 ; Marecs, 1981, etc.), l’observation de la Terre (ERS, 1991, Envisat, 2002 ; Sentinel, 2014, etc.), ainsi que des satellites scientifiques (Geos, 1977 ; ISEE 2, 1977 ; Eureca, 1992, etc.) et des observatoires spatiaux (COS B, 1975 ; Hipparcos, 1989 ; Cluster, 1996 ; Herschel et Planck, 2009, etc.)… Sans oublier les sondes spatiales qui sillonnent le système solaire (Giotto, 1985 ; Ulysses, 1990, etc.) ou qui explorent d’autres mondes (Huygens, 1997 ; Mars Express, 2003 ; Rosetta, 2004, etc.). Soulignons que les vols habités sont cependant un des rares domaines où les Européens ont jusqu’alors refusé d’assurer leur indépendance…
- Une publication de l’ESA : « Les trente ans de l’ESA : un bilan remarquable pour l’Europe spatiale », 31 mai 2005
- Un article : Les débuts chaotiques de l’Europe spatiale. Des conférences spatiales à l’ASE : le rôle stratégique de la Belgique, DAWINKA Laureys, in La revue pour l’histoire du CNRS, n°10, 2004
- Un ouvrage choral sur les 50 ans de l’Agence spatiale européenne sous la direction de Pierre-François MOURIAUX et de Philippe VARNOTEAUX est en préparation aux éditions Ginkgo, à paraître à la rentrée de 2025 dans la collection Histoires d’espace.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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