Au moment où le programme Apollo signait le triomphe de l’Amérique, la NASA engageait un ambitieux programme de sondes interplanétaires destinées à explorer les planètes géantes et au-delà.
L’opportunité d’un alignement planétaire permettant un survol successif des planètes extérieures par plusieurs sondes conduit la NASA à planifier une mission exceptionnelle, appelée « Grand tour ». Imaginée par l’ingénieur Gary Flandro, la mission consiste à ce que deux sondes (conçues par l’ingénieur John Casani) utilisent la technique d’assistance gravitationnelle (reposant sur les travaux du mathématicien Michael Minovitch). Cela permet ainsi de réduire la durée du voyage d’une quarantaine à environ une douzaine d’années.
Cependant, fin 1971, en raison des contraintes budgétaires, le Grand Tour ne sera effectué qu’à l’aide de deux sondes, dénommées Voyager, pour un coût initial prévu jusqu’à Saturne de 250 millions de dollars (988 millions en 2013) ; l’opération est placée sous la responsabilité scientifique du physicien Edward Stone. Il n’en reste pas moins qu’il fallait réaliser une performance inédite : faire fonctionner des sondes dans le « vide spatial » pendant au moins 12 ans sans intervention humaine. John Casani : « La difficulté était le temps ; cela prend du temps de parcourir de grandes distances. Il nous fallait construire des machines capables de fonctionner sans que l’on puisse intervenir ou effectuer le moindre réglage. A l’époque, c’était une idée ahurissante… ».
Voyager 2 et 1 sont respectivement lancées les 20 août et 5 septembre 1977. D’une masse de 815 kg chacune, les sondes embarquent, en plus des appareils permettant la navigation et la communication, deux caméras et une bonne dizaine d’instruments scientifiques comme des capteurs de flux, un photopolarimètre, un spectromètre dans l’ultraviolet, des magnétomètres, un interféromètre, etc. Afin de faire fonctionner les instruments le plus longtemps (jusque vers 2020), les sondes sont équipées de générateurs radioisotopiques.
Placée sur une trajectoire plus directe, Voyager 1 rattrape sa jumelle et survole en premier Jupiter le 5 mars 1979, à une distance de 278 000 km (Voyager 2 le 9 juillet), puis Saturne le 12 novembre 1980, à 124 000 km (Voyager 2 le 26 août 1981). Voyager 1 devait ensuite se diriger vers Pluton, mais les responsables du programme ont préféré qu’elle survole l’énigmatique Titan, une Lune de Saturne dotée d’une atmosphère, conduisant ainsi la sonde à quitter le plan de l’écliptique et à s’enfoncer dans l’espace lointain.
Quant à Voyager 2, après Saturne, elle survole Uranus et Neptune respectivement les 24 janvier 1986 (à 81 000 km) et 25 août 1989 (à 48 000 km). Elle s’éloigne irrésistiblement depuis.
Les sondes Voyager ont engrangé de nombreuses découvertes. Parmi les plus spectaculaires, citons les détails inédits de Jupiter, de Saturne de ses anneaux, la découverte et/ou l’étude des anneaux de Jupiter et d’Uranus, l’identification de plus de vingt nouvelles lunes autour des planètes, la découverte de volcans en activité sur Io et des geysers sur Triton, la mise en évidence de magnétosphère autour d’Uranus et de Neptune, la détection de puissants vents sur Neptune, etc…
Le 14 février 1990, Voyager 1 se retourne vers la Terre pour prendre différentes photos, dont une qui montre la Terre, tel un « point bleu pâle » perdu dans l’infini étoilé. Carl Sagan : « Regardez ce petit point. C’est ici. C’est notre foyer. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui n’aient jamais vécu (…). Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir ce point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue ».
Alors que les instruments de bord fonctionnent encore, la mission des Voyager est étendue sous le nom de Voyager Interstellar Mission. Il s’agit désormais de récolter des informations sur le milieu spatial et de déterminer la frontière du système solaire. Cette dernière est en fait une frontière triple : la première frontière, le « choc terminal », correspond au moment où le vent solaire est perturbé par le milieu interstellaire ; la deuxième, « l’héliopause », est une zone d’équilibre entre le vent solaire et le milieu interstellaire ; la troisième est le moment où le milieu interstellaire est dominant et où il n’y a plus d’influence du Soleil. Devenu depuis 1998 l’objet humain le plus éloigné de nous fonçant à la vitesse d’environ 61 200 km/h, Voyager 1 aurait franchi le « choc terminal » en 2004-2005. Depuis, ne sachant pas réellement si Voyager 1 a quitté ou non le système solaire, Ed Stone préfère dire que « Voyager 1 baigne dans la matière d’autres étoiles »…
Telles des bouteilles lancées dans un océan, les sondes Voyager 1 et 2 emportent avec elles un disque en or sur lequel ont été enregistrés des données scientifiques, des sons, des images et des musiques de la civilisation humaine, avec des dessins symboliques sensés expliquer notamment la position de notre système solaire. Ainsi, les concepteurs des sondes ont imaginé que les Voyager pourraient peut-être un jour rencontrer dans 1000 ans, dans 10 000 ans ou plus, des entités intelligentes…
[Mise à jour d'un article du 12 septembre 2017]
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un ouvrage : SEGUELA Ph., Histoire visuelle des sondes spatiales, Fides, Québec, 2009
Un documentaire (44’59) : Sondes Voyager 1 : aux confins du système solaire, Christopher Riley, BBC, 2012
Un site dédié à La saga des sondes Voyager
Une vidéo de Donald Walther : « Les sondes Voyager : ce qu’il restera de l’humanité si la Terre disparaît »
Au moment où le programme Apollo signait le triomphe de l’Amérique, la NASA engageait un ambitieux programme de sondes interplanétaires destinées à explorer les planètes géantes et au-delà.
L’opportunité d’un alignement planétaire permettant un survol successif des planètes extérieures par plusieurs sondes conduit la NASA à planifier une mission exceptionnelle, appelée « Grand tour ». Imaginée par l’ingénieur Gary Flandro, la mission consiste à ce que deux sondes (conçues par l’ingénieur John Casani) utilisent la technique d’assistance gravitationnelle (reposant sur les travaux du mathématicien Michael Minovitch). Cela permet ainsi de réduire la durée du voyage d’une quarantaine à environ une douzaine d’années.
Cependant, fin 1971, en raison des contraintes budgétaires, le Grand Tour ne sera effectué qu’à l’aide de deux sondes, dénommées Voyager, pour un coût initial prévu jusqu’à Saturne de 250 millions de dollars (988 millions en 2013) ; l’opération est placée sous la responsabilité scientifique du physicien Edward Stone. Il n’en reste pas moins qu’il fallait réaliser une performance inédite : faire fonctionner des sondes dans le « vide spatial » pendant au moins 12 ans sans intervention humaine. John Casani : « La difficulté était le temps ; cela prend du temps de parcourir de grandes distances. Il nous fallait construire des machines capables de fonctionner sans que l’on puisse intervenir ou effectuer le moindre réglage. A l’époque, c’était une idée ahurissante… ».
Voyager 2 et 1 sont respectivement lancées les 20 août et 5 septembre 1977. D’une masse de 815 kg chacune, les sondes embarquent, en plus des appareils permettant la navigation et la communication, deux caméras et une bonne dizaine d’instruments scientifiques comme des capteurs de flux, un photopolarimètre, un spectromètre dans l’ultraviolet, des magnétomètres, un interféromètre, etc. Afin de faire fonctionner les instruments le plus longtemps (jusque vers 2020), les sondes sont équipées de générateurs radioisotopiques.
Placée sur une trajectoire plus directe, Voyager 1 rattrape sa jumelle et survole en premier Jupiter le 5 mars 1979, à une distance de 278 000 km (Voyager 2 le 9 juillet), puis Saturne le 12 novembre 1980, à 124 000 km (Voyager 2 le 26 août 1981). Voyager 1 devait ensuite se diriger vers Pluton, mais les responsables du programme ont préféré qu’elle survole l’énigmatique Titan, une Lune de Saturne dotée d’une atmosphère, conduisant ainsi la sonde à quitter le plan de l’écliptique et à s’enfoncer dans l’espace lointain.
Quant à Voyager 2, après Saturne, elle survole Uranus et Neptune respectivement les 24 janvier 1986 (à 81 000 km) et 25 août 1989 (à 48 000 km). Elle s’éloigne irrésistiblement depuis.
Les sondes Voyager ont engrangé de nombreuses découvertes. Parmi les plus spectaculaires, citons les détails inédits de Jupiter, de Saturne de ses anneaux, la découverte et/ou l’étude des anneaux de Jupiter et d’Uranus, l’identification de plus de vingt nouvelles lunes autour des planètes, la découverte de volcans en activité sur Io et des geysers sur Triton, la mise en évidence de magnétosphère autour d’Uranus et de Neptune, la détection de puissants vents sur Neptune, etc…
Le 14 février 1990, Voyager 1 se retourne vers la Terre pour prendre différentes photos, dont une qui montre la Terre, tel un « point bleu pâle » perdu dans l’infini étoilé. Carl Sagan : « Regardez ce petit point. C’est ici. C’est notre foyer. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui n’aient jamais vécu (…). Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir ce point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue ».
Alors que les instruments de bord fonctionnent encore, la mission des Voyager est étendue sous le nom de Voyager Interstellar Mission. Il s’agit désormais de récolter des informations sur le milieu spatial et de déterminer la frontière du système solaire. Cette dernière est en fait une frontière triple : la première frontière, le « choc terminal », correspond au moment où le vent solaire est perturbé par le milieu interstellaire ; la deuxième, « l’héliopause », est une zone d’équilibre entre le vent solaire et le milieu interstellaire ; la troisième est le moment où le milieu interstellaire est dominant et où il n’y a plus d’influence du Soleil. Devenu depuis 1998 l’objet humain le plus éloigné de nous fonçant à la vitesse d’environ 61 200 km/h, Voyager 1 aurait franchi le « choc terminal » en 2004-2005. Depuis, ne sachant pas réellement si Voyager 1 a quitté ou non le système solaire, Ed Stone préfère dire que « Voyager 1 baigne dans la matière d’autres étoiles »…
Telles des bouteilles lancées dans un océan, les sondes Voyager 1 et 2 emportent avec elles un disque en or sur lequel ont été enregistrés des données scientifiques, des sons, des images et des musiques de la civilisation humaine, avec des dessins symboliques sensés expliquer notamment la position de notre système solaire. Ainsi, les concepteurs des sondes ont imaginé que les Voyager pourraient peut-être un jour rencontrer dans 1000 ans, dans 10 000 ans ou plus, des entités intelligentes…
[Mise à jour d'un article du 12 septembre 2017]
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un ouvrage : SEGUELA Ph., Histoire visuelle des sondes spatiales, Fides, Québec, 2009
Un documentaire (44’59) : Sondes Voyager 1 : aux confins du système solaire, Christopher Riley, BBC, 2012
Un site dédié à La saga des sondes Voyager
Une vidéo de Donald Walther : « Les sondes Voyager : ce qu’il restera de l’humanité si la Terre disparaît »
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