Il y a 40 ans, Sakigake, la première sonde interplanétaire japonaise
Il y a 40 ans, Sakigake, la première sonde interplanétaire japonaise
© ISAS

publié le 07 janvier 2025 à 10:21

1092 mots

Il y a 40 ans, Sakigake, la première sonde interplanétaire japonaise

Le 7 janvier 1985, les Japonais lançaient la sonde Sakigake, dont la mission principale était de préparer le survol de la comète de Halley par sa sœur jumelle Suisei.


L’astronomie japonaise s’est longtemps cantonnée à distinguer le déplacement des astres visibles, dont les comètes. Celle de Halley, surnommée un temps « l’étoile invitée » en raison de son passage tous les trois-quarts de siècle, semble avoir été observée au Japon pour la première fois (ou en tout cas mentionnée dans les textes) en l’an 837, mais sans connaître encore sa périodicité et son identité avec certitude. Pour cela, il faut attendre les calculs de l’astronome britannique Edmond Halley en 1682.

 

Le Japon dans l’IHW

A l’occasion du passage de 1986, Louis Friedman, Bruce Murray et Carl Sagan proposent à la NASA, dès les années 70, la mission Halley’s Comet Rendez-vous Solar Sail qui se ferait à l’aide d’une sonde spatiale équipée de voiles solaires. Estimant la conception trop complexe, la NASA rejette le projet mais pas l’idée d’étudier la célèbre comète. Ainsi, en 1979, le Jet Propulsion Laboratory de la NASA lance l’initiative d’une veille internationale d’observation de la comète pour « stimuler, normaliser, collecter et archiver » toutes les études qui seront faites à travers le monde. Approuvée par l’International Astronomical Union (IAU), elle devient en 1981 l’International Halley Watch (IHW). Un réseau international de scientifiques et d’astronomes professionnels et amateurs s’organise alors sous la dynamique de groupes d’étude de treize nations : Canada, Chili, Chine, Etats-Unis, France, Inde, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, RFA, Royaume-Uni, Tchécoslovaquie, URSS, ainsi que le Japon. Pour ce dernier, les observations sont placées sous la responsabilité de l’astronome Yoshihide Kozai qui, en 1985, devient le président de la Commission positions et mouvements des planètes mineures, des comètes et des satellites de l’IAU. Précisons qu’en 1988, il fondera l’Observatoire astronomique national du Japon (NAOJ).

 

Le Japon dans l’Armada de Halley

Dans le cadre de l’IHW, tous les observateurs sont invités à partager leurs données obtenues par des télescopes et des instruments aéroportés (ballons…) ou orbitaux. L’IHW préconise sept approches d’étude spécifique par la photographie grand-angle, la spectroscopie et spectrophotométrie, la photométrie et la polarimétrie, la radioscience, la spectroscopie infrarouge et radiométrie, les observations astrométriques, ainsi que par l’étude à proximité du noyau. Pour cette dernière, il faut alors disposer de vaisseaux spatiaux appropriés. Trois agences décident d’en construire : une (Giotto) par l’European Space Agency (ESA), deux (Vega 1 et 2) par Intercosmos de l’URSS (dans le cadre de la coopération franco-soviétique), deux (Sakigake et Suisei) par l’Institute of Space and Astronomical Science japonais (ISAS). N’ayant pas anticipé et n’ayant pas eu les crédits disponibles pour construire de nouveaux engins, la NASA décide de détourner ou de recycler trois vieilles sondes spatiales : Pioneer 7 (lancée en 1966), ICE (ex-ISEE 3, 1978) et Pioneer Venus Orbiter (1978).

 

Un lanceur pour une comète

Surpris par le fait que la NASA ne projette pas de construire un vaisseau dédié à la comète de Halley, l’ISAS décide en 1979 de se lancer dans l’aventure… alors que le premier satellite artificiel japonais (Ōsumi) n’a été lancé que neuf ans auparavant… Non seulement les ingénieurs de l’ISAS n’ont encore jamais construit et fait naviguer une sonde interplanétaire, mais en plus ils ne disposent pas de lanceur approprié !

Pour relever le défi du lanceur, l’ISAS augmente la puissance de son petit lanceur à propergol solide Mu-3S (pouvant emporter 300 kg de charge utile en orbite basse). Pour effectuer un lancement interplanétaire, les réservoirs des deuxième et troisième étages sont allongés, deux nouveaux propulseurs d’appoints sont réalisés, un quatrième étage est conçu, le tout permettant de fournir la poussée nécessaire à la sonde pour effectuer son voyage vers la comète. Le nouveau lanceur, Mu 3S II, doit ainsi lancer des sondes interplanétaires de l’ordre de 140 kg (ou placer sur orbite basse un satellite d’une masse de 770 kg).

 

Une sonde pour préparer l’exploration de Halley

Par ailleurs, pour espérer réussir l’approche de la comète, les responsables japonais décident MS-T5, cinquième satellite expérimental de la série des « Mu Satellite-Test » qui depuis 1971 valident des équipements spatiaux et vérifient les performances de nouveaux lanceurs (Mu 4S, Mu 3C, Mu 3H). L’objectif de MS-T5 est de tenter pour la première fois de faire naviguer dans l’espace interplanétaire un engin qui, s’il réussit, facilitera quelques mois plus tard le vol de la sonde suivante destinée, elle, à s’approcher de la comète de Halley.

De forme cylindrique, d’une hauteur de 80 cm et un diamètre de 1,4 m pour une masse totale de 139,5 kg, MS-T5, construit sous la maîtrise d’œuvre de Nippon Denki ou NEC (Nippon Electronics Corporation), emporte à l’occasion de son vol de démonstration trois instruments scientifiques : une sonde à plasma, un magnétomètre et un détecteur d’ions du vent solaire. Pour les communications, la sonde est équipée d’une antenne à grand gain de 80 cm de diamètre (en plus de deux autres moins puissantes).

 

Le vol

Le 7 janvier 1985, MS-T5, baptisé Sakigake (« Pionnier »), est lancé avec succès par la première fusée Mu 3S II depuis le centre de Uchinoura (préfecture de Kagoshima). L’engin rejoint une orbite héliocentrique avec un périapside de 0,81 UA (Unité Astronomique) et un apoapside de 1,01 UA (environ 150 millions de km), pour une période de révolution de 318,6 jours. L’engin effectue le 11 mars 1986 le survol de la comète de Halley… mais à une distance de 6,99 millions de kilomètres. Il n’en étudie pas moins la queue de la comète et les interactions entre celle-ci et le vent solaire. Le contact avec la sonde sera perdu le 15 novembre 1995 à une distance de 106 millions de km.

Les responsables japonais exultent. Ils ont réussi du premier coup à faire naviguer une sonde interplanétaire qui est devenue le premier engin à « approcher » la comète de Halley, à envoyer des données techniques et scientifiques sur des distances particulièrement grandes. Le succès autorise le 18 août 1985 le lancement de la sonde dédiée à la comète, Suisei (« Comète »).

A suivre…

 

Quelques références

- Trois articles : « La comète de Halley dans l’histoire du Japon », HIRAYAMA K., in The Observatory, vol. 33, 1910 ; « The Sakigake / Suisei Encounter with Comet p/Halley », in Astronomy and Astrophysics, vol. 187, novembre 1987 ; « Exploration Mission to Halley’s Comet », INOUE Kozaburo, in Space Japan Review n°73, avril-mai 2011.

- Le site officiel de l’ISAS

- Space Relics, le site de la conquête spatiale vue au travers des objets de collections de Stéphane Sébile, évoque les survols de la comète de Halley à travers la philatélie entre 1986 et 2016,

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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07/01/2025 10:21
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Il y a 40 ans, Sakigake, la première sonde interplanétaire japonaise

Le 7 janvier 1985, les Japonais lançaient la sonde Sakigake, dont la mission principale était de préparer le survol de la comète de Halley par sa sœur jumelle Suisei.

Il y a 40 ans, Sakigake, la première sonde interplanétaire japonaise
Il y a 40 ans, Sakigake, la première sonde interplanétaire japonaise

L’astronomie japonaise s’est longtemps cantonnée à distinguer le déplacement des astres visibles, dont les comètes. Celle de Halley, surnommée un temps « l’étoile invitée » en raison de son passage tous les trois-quarts de siècle, semble avoir été observée au Japon pour la première fois (ou en tout cas mentionnée dans les textes) en l’an 837, mais sans connaître encore sa périodicité et son identité avec certitude. Pour cela, il faut attendre les calculs de l’astronome britannique Edmond Halley en 1682.

 

Le Japon dans l’IHW

A l’occasion du passage de 1986, Louis Friedman, Bruce Murray et Carl Sagan proposent à la NASA, dès les années 70, la mission Halley’s Comet Rendez-vous Solar Sail qui se ferait à l’aide d’une sonde spatiale équipée de voiles solaires. Estimant la conception trop complexe, la NASA rejette le projet mais pas l’idée d’étudier la célèbre comète. Ainsi, en 1979, le Jet Propulsion Laboratory de la NASA lance l’initiative d’une veille internationale d’observation de la comète pour « stimuler, normaliser, collecter et archiver » toutes les études qui seront faites à travers le monde. Approuvée par l’International Astronomical Union (IAU), elle devient en 1981 l’International Halley Watch (IHW). Un réseau international de scientifiques et d’astronomes professionnels et amateurs s’organise alors sous la dynamique de groupes d’étude de treize nations : Canada, Chili, Chine, Etats-Unis, France, Inde, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, RFA, Royaume-Uni, Tchécoslovaquie, URSS, ainsi que le Japon. Pour ce dernier, les observations sont placées sous la responsabilité de l’astronome Yoshihide Kozai qui, en 1985, devient le président de la Commission positions et mouvements des planètes mineures, des comètes et des satellites de l’IAU. Précisons qu’en 1988, il fondera l’Observatoire astronomique national du Japon (NAOJ).

 

Le Japon dans l’Armada de Halley

Dans le cadre de l’IHW, tous les observateurs sont invités à partager leurs données obtenues par des télescopes et des instruments aéroportés (ballons…) ou orbitaux. L’IHW préconise sept approches d’étude spécifique par la photographie grand-angle, la spectroscopie et spectrophotométrie, la photométrie et la polarimétrie, la radioscience, la spectroscopie infrarouge et radiométrie, les observations astrométriques, ainsi que par l’étude à proximité du noyau. Pour cette dernière, il faut alors disposer de vaisseaux spatiaux appropriés. Trois agences décident d’en construire : une (Giotto) par l’European Space Agency (ESA), deux (Vega 1 et 2) par Intercosmos de l’URSS (dans le cadre de la coopération franco-soviétique), deux (Sakigake et Suisei) par l’Institute of Space and Astronomical Science japonais (ISAS). N’ayant pas anticipé et n’ayant pas eu les crédits disponibles pour construire de nouveaux engins, la NASA décide de détourner ou de recycler trois vieilles sondes spatiales : Pioneer 7 (lancée en 1966), ICE (ex-ISEE 3, 1978) et Pioneer Venus Orbiter (1978).

 

Un lanceur pour une comète

Surpris par le fait que la NASA ne projette pas de construire un vaisseau dédié à la comète de Halley, l’ISAS décide en 1979 de se lancer dans l’aventure… alors que le premier satellite artificiel japonais (Ōsumi) n’a été lancé que neuf ans auparavant… Non seulement les ingénieurs de l’ISAS n’ont encore jamais construit et fait naviguer une sonde interplanétaire, mais en plus ils ne disposent pas de lanceur approprié !

Pour relever le défi du lanceur, l’ISAS augmente la puissance de son petit lanceur à propergol solide Mu-3S (pouvant emporter 300 kg de charge utile en orbite basse). Pour effectuer un lancement interplanétaire, les réservoirs des deuxième et troisième étages sont allongés, deux nouveaux propulseurs d’appoints sont réalisés, un quatrième étage est conçu, le tout permettant de fournir la poussée nécessaire à la sonde pour effectuer son voyage vers la comète. Le nouveau lanceur, Mu 3S II, doit ainsi lancer des sondes interplanétaires de l’ordre de 140 kg (ou placer sur orbite basse un satellite d’une masse de 770 kg).

 

Une sonde pour préparer l’exploration de Halley

Par ailleurs, pour espérer réussir l’approche de la comète, les responsables japonais décident MS-T5, cinquième satellite expérimental de la série des « Mu Satellite-Test » qui depuis 1971 valident des équipements spatiaux et vérifient les performances de nouveaux lanceurs (Mu 4S, Mu 3C, Mu 3H). L’objectif de MS-T5 est de tenter pour la première fois de faire naviguer dans l’espace interplanétaire un engin qui, s’il réussit, facilitera quelques mois plus tard le vol de la sonde suivante destinée, elle, à s’approcher de la comète de Halley.

De forme cylindrique, d’une hauteur de 80 cm et un diamètre de 1,4 m pour une masse totale de 139,5 kg, MS-T5, construit sous la maîtrise d’œuvre de Nippon Denki ou NEC (Nippon Electronics Corporation), emporte à l’occasion de son vol de démonstration trois instruments scientifiques : une sonde à plasma, un magnétomètre et un détecteur d’ions du vent solaire. Pour les communications, la sonde est équipée d’une antenne à grand gain de 80 cm de diamètre (en plus de deux autres moins puissantes).

 

Le vol

Le 7 janvier 1985, MS-T5, baptisé Sakigake (« Pionnier »), est lancé avec succès par la première fusée Mu 3S II depuis le centre de Uchinoura (préfecture de Kagoshima). L’engin rejoint une orbite héliocentrique avec un périapside de 0,81 UA (Unité Astronomique) et un apoapside de 1,01 UA (environ 150 millions de km), pour une période de révolution de 318,6 jours. L’engin effectue le 11 mars 1986 le survol de la comète de Halley… mais à une distance de 6,99 millions de kilomètres. Il n’en étudie pas moins la queue de la comète et les interactions entre celle-ci et le vent solaire. Le contact avec la sonde sera perdu le 15 novembre 1995 à une distance de 106 millions de km.

Les responsables japonais exultent. Ils ont réussi du premier coup à faire naviguer une sonde interplanétaire qui est devenue le premier engin à « approcher » la comète de Halley, à envoyer des données techniques et scientifiques sur des distances particulièrement grandes. Le succès autorise le 18 août 1985 le lancement de la sonde dédiée à la comète, Suisei (« Comète »).

A suivre…

 

Quelques références

- Trois articles : « La comète de Halley dans l’histoire du Japon », HIRAYAMA K., in The Observatory, vol. 33, 1910 ; « The Sakigake / Suisei Encounter with Comet p/Halley », in Astronomy and Astrophysics, vol. 187, novembre 1987 ; « Exploration Mission to Halley’s Comet », INOUE Kozaburo, in Space Japan Review n°73, avril-mai 2011.

- Le site officiel de l’ISAS

- Space Relics, le site de la conquête spatiale vue au travers des objets de collections de Stéphane Sébile, évoque les survols de la comète de Halley à travers la philatélie entre 1986 et 2016,

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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