Le 7 février 1984, l’astronaute américain Bruce McCandless quittait son vaisseau pour se mouvoir dans l’espace à l’aide d’un « fauteuil spatial », s’éloignant à une centaine de mètres, sans attaches. L’exploit marqua l’aventure spatiale.
La navette spatiale Challenger STS 41B décolle le 3 février 1984 depuis le centre spatial Kennedy avec cinq membres d’équipage : le commandant Vance Brand, le pilote Robert Gibson, les spécialistes de mission Bruce McCandless, Robert Stewart et Ronald McNair. Environ huit heures plus tard, l’équipage s’attache à déployer deux satellites de communication : l’américain Westar 6 et l’indonésien Palapa B2. Cependant, les systèmes propulsifs permettant aux satellites de rejoindre leur orbite fonctionnent mal ; les deux satellites n’atteignent pas leur orbite prévue (ils seront récupérés quelques mois plus tard lors de la mission STS-51A).
Le Manned Maneuvering Unit (MMU).
Parallèlement à la mise sur orbite des satellites, doit être testé le MMU, un système propulsif dorsal permettant à un astronaute d’évoluer librement, sans être relié à un vaisseau-mère. D’une masse de 148 kg, le MMU, construit par Martin Marietta, est équipé de 24 petits propulseurs placés à différents endroits commandés par l’astronaute à l’aide de manettes fixées sur des accoudoirs. Générant des petites accélérations en rotation pour le tangage, le lacet et le roulis, les propulseurs sont alimentés par deux réservoirs remplis d’azote liquide pour une autonomie d’environ six heures.
L’opération consiste alors à valider ce MMU qui, à l’avenir, pourrait être utilisé pour qu’un astronaute puisse rejoindre un satellite en panne, le réparer et/ou le ramener dans la soute de la navette, si le bras manipulateur robotique de cette dernière ne pouvait être employé. Précisons qu’en cas de problème, un second MMU se trouve dans la soute de la navette, prêt à l’emploi pour récupérer l’astronaute en perdition.
A l’origine du MMU.
Bruce McCandless a été pressenti pour expérimenter en premier le MMU en raison de son expertise. En effet, à l’époque de la station orbitale Skylab, celui-ci avait participé à l’élaboration de l’expérience M-509, consistant à tester (dans Skylab) une Unité de manœuvre stabilisée automatiquement (ASMU) et une Unité de manœuvre manuelle améliorée (AMU) - les deux utilisant de l’azote à haute pression. L’objectif avait été de mettre au point un système offrant une aide aux astronautes lors de sorties dans l’espace. Toutefois, l’arrêt prématuré de la station Skylab en 1974 avait mis un terme à ces expérimentations. Riches en enseignements, celles-ci contribuèrent quelques années plus tard la mise au point du MMU.
« L’incroyable exploit ».
Le 7 février 1984, Bruce McCandless et Robert Stewart effectuent une première sortie extravéhiculaire d’une durée de 5h55. Pendant que Stewart teste la retenue de pied fixée au bout du bras manipulateur dans la soute de la navette, McCandless endosse le MMU et quitte la soute. Il s’éloigne peu à peu jusqu’à une distance de 98 mètres. Rien ne le relie alors au vaisseau. Il donne la sensation de « flotter » dans le vide… Les images, quasi irréelles d’un homme seul dans l’immensité de l’espace noir « au-dessus » de la planète bleue, font le tour du monde et reçoivent une couverture journalistique exceptionnelle. Ainsi, en France, de nombreux quotidiens rapportent l’événement comme Le Parisien du 8 février qui titre : « L’incroyable exploit. Ils ont marché dans les étoiles ! » ; le même jour, Le Quotidien de Paris fait la une avec : « Espace : l’exploit » ; le 24 février, Paris Match souligne avec de belles photographies à l’appui : « Couleur : le fabuleux ballet de l’homme satellite ». Au-delà du choc de l’image, Bruce McCandless vient de réaliser un véritable exploit technologique.
Lors du 30e Congrès mondial des astronautes, en octobre 2017, Bruce McCandless est interpellé sur sa sortie du 7 février 1984. A la question de savoir s’il avait eu peur, Bruce McCandless déclara que « non » en raison du fait qu’il avait « tellement travaillé, testé pendant 300 heures le matériel ». Quant à ce qu’il avait éprouvé à ce moment précis, seul, à 98 mètres de la navette, il précisa : « La chose la plus extraordinaire, c’est la vision de la Terre juste à travers mon casque ».
La fin de la mission.
Le 9 février, Bruce McCandless et Robert Stewart réalisent une seconde sortie extravéhiculaire d’une durée de 6h17. A cette occasion, ils s’exercent aux procédures de capture de satellite, en prévision de la récupération du satellite Solar Maximum prévue pour la mission STS 41C. Par ailleurs, la mission comportait aussi des expérimentations de physique et de science de la vie. Le 11 février, la navette Challenger quitte son orbite (périgée : 307 km, apogée : 317 km) et revient sur Terre, sur la base du centre spatial Kennedy, lieu où elle avait d’ailleurs décollé. Précisons que pour la première fois, un vaisseau spatial atterrissait sur son site de lancement.
L’héritage du MMU.
Au total, le MMU sera utilisé à neuf reprises par six astronautes (Bruce McCandless, Robert Stewart, George Nelson, James van Hoften, Joseph Allen, Dale Gardner) au cours de trois vols de navette en 1984 (STS 41-B en février, STS 41-C en avril, STS 51-A en novembre), puis il sera abandonné. Le « fauteuil spatial » ne convainquit pas totalement en raison de risques éventuels, comme celui des gaz éjectés qui pouvaient provoquer des dommages. Toutefois, le MMU rencontra surtout un redoutable concurrent : le bras manipulateur robotique de la navette. Pleinement maîtrisé, ce dernier pouvait récupérer des satellites. Enfin, l’accident de Challenger en 1986 entraîna de nouvelles contraintes de sécurité rendant plus difficile l’emploi du MMU…
L’idée du système propulsif assistant un astronaute dans l’espace ne fut pas totalement abandonnée. Quelques années plus tard, fut mis au point le SAFER (Simplified Aid For Eva Rescue), testé pour la première fois en 1994. Il s’agit de cartouches de gaz comprimé ajoutés au scaphandre qui permettraient à un astronaute en perdition de pouvoir revenir à la station, au cas où le(s) filin(s) de sécurité se détacherai(en)t. Le SAFER n’est cependant qu’un système de sécurité qui n’est pas aussi performant que le MMU.
Quant à Bruce McCandless, il effectuera un second vol en avril 1990 (Discovery STS-31), puis quittera la NASA (et l’armée) pour devenir un consultant dans le domaine de l’aérospatial. Il est décédé le 21 décembre 2017.
Références.
Une biographie de Bruce McCandless sur le site de la NASA
Un article de Anne Millbrooke, « More Favored than the Birds : The Manned Maneuvering Unit in Space », in From Engineering Science, Pamela E. Mack Editor, NASA History Series, Washington, 1998.
Une vidéo sur le vol libre de Bruce McCandless du 7 février 1984
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Le 7 février 1984, l’astronaute américain Bruce McCandless quittait son vaisseau pour se mouvoir dans l’espace à l’aide d’un « fauteuil spatial », s’éloignant à une centaine de mètres, sans attaches. L’exploit marqua l’aventure spatiale.
La navette spatiale Challenger STS 41B décolle le 3 février 1984 depuis le centre spatial Kennedy avec cinq membres d’équipage : le commandant Vance Brand, le pilote Robert Gibson, les spécialistes de mission Bruce McCandless, Robert Stewart et Ronald McNair. Environ huit heures plus tard, l’équipage s’attache à déployer deux satellites de communication : l’américain Westar 6 et l’indonésien Palapa B2. Cependant, les systèmes propulsifs permettant aux satellites de rejoindre leur orbite fonctionnent mal ; les deux satellites n’atteignent pas leur orbite prévue (ils seront récupérés quelques mois plus tard lors de la mission STS-51A).
Le Manned Maneuvering Unit (MMU).
Parallèlement à la mise sur orbite des satellites, doit être testé le MMU, un système propulsif dorsal permettant à un astronaute d’évoluer librement, sans être relié à un vaisseau-mère. D’une masse de 148 kg, le MMU, construit par Martin Marietta, est équipé de 24 petits propulseurs placés à différents endroits commandés par l’astronaute à l’aide de manettes fixées sur des accoudoirs. Générant des petites accélérations en rotation pour le tangage, le lacet et le roulis, les propulseurs sont alimentés par deux réservoirs remplis d’azote liquide pour une autonomie d’environ six heures.
L’opération consiste alors à valider ce MMU qui, à l’avenir, pourrait être utilisé pour qu’un astronaute puisse rejoindre un satellite en panne, le réparer et/ou le ramener dans la soute de la navette, si le bras manipulateur robotique de cette dernière ne pouvait être employé. Précisons qu’en cas de problème, un second MMU se trouve dans la soute de la navette, prêt à l’emploi pour récupérer l’astronaute en perdition.
A l’origine du MMU.
Bruce McCandless a été pressenti pour expérimenter en premier le MMU en raison de son expertise. En effet, à l’époque de la station orbitale Skylab, celui-ci avait participé à l’élaboration de l’expérience M-509, consistant à tester (dans Skylab) une Unité de manœuvre stabilisée automatiquement (ASMU) et une Unité de manœuvre manuelle améliorée (AMU) - les deux utilisant de l’azote à haute pression. L’objectif avait été de mettre au point un système offrant une aide aux astronautes lors de sorties dans l’espace. Toutefois, l’arrêt prématuré de la station Skylab en 1974 avait mis un terme à ces expérimentations. Riches en enseignements, celles-ci contribuèrent quelques années plus tard la mise au point du MMU.
« L’incroyable exploit ».
Le 7 février 1984, Bruce McCandless et Robert Stewart effectuent une première sortie extravéhiculaire d’une durée de 5h55. Pendant que Stewart teste la retenue de pied fixée au bout du bras manipulateur dans la soute de la navette, McCandless endosse le MMU et quitte la soute. Il s’éloigne peu à peu jusqu’à une distance de 98 mètres. Rien ne le relie alors au vaisseau. Il donne la sensation de « flotter » dans le vide… Les images, quasi irréelles d’un homme seul dans l’immensité de l’espace noir « au-dessus » de la planète bleue, font le tour du monde et reçoivent une couverture journalistique exceptionnelle. Ainsi, en France, de nombreux quotidiens rapportent l’événement comme Le Parisien du 8 février qui titre : « L’incroyable exploit. Ils ont marché dans les étoiles ! » ; le même jour, Le Quotidien de Paris fait la une avec : « Espace : l’exploit » ; le 24 février, Paris Match souligne avec de belles photographies à l’appui : « Couleur : le fabuleux ballet de l’homme satellite ». Au-delà du choc de l’image, Bruce McCandless vient de réaliser un véritable exploit technologique.
Lors du 30e Congrès mondial des astronautes, en octobre 2017, Bruce McCandless est interpellé sur sa sortie du 7 février 1984. A la question de savoir s’il avait eu peur, Bruce McCandless déclara que « non » en raison du fait qu’il avait « tellement travaillé, testé pendant 300 heures le matériel ». Quant à ce qu’il avait éprouvé à ce moment précis, seul, à 98 mètres de la navette, il précisa : « La chose la plus extraordinaire, c’est la vision de la Terre juste à travers mon casque ».
La fin de la mission.
Le 9 février, Bruce McCandless et Robert Stewart réalisent une seconde sortie extravéhiculaire d’une durée de 6h17. A cette occasion, ils s’exercent aux procédures de capture de satellite, en prévision de la récupération du satellite Solar Maximum prévue pour la mission STS 41C. Par ailleurs, la mission comportait aussi des expérimentations de physique et de science de la vie. Le 11 février, la navette Challenger quitte son orbite (périgée : 307 km, apogée : 317 km) et revient sur Terre, sur la base du centre spatial Kennedy, lieu où elle avait d’ailleurs décollé. Précisons que pour la première fois, un vaisseau spatial atterrissait sur son site de lancement.
L’héritage du MMU.
Au total, le MMU sera utilisé à neuf reprises par six astronautes (Bruce McCandless, Robert Stewart, George Nelson, James van Hoften, Joseph Allen, Dale Gardner) au cours de trois vols de navette en 1984 (STS 41-B en février, STS 41-C en avril, STS 51-A en novembre), puis il sera abandonné. Le « fauteuil spatial » ne convainquit pas totalement en raison de risques éventuels, comme celui des gaz éjectés qui pouvaient provoquer des dommages. Toutefois, le MMU rencontra surtout un redoutable concurrent : le bras manipulateur robotique de la navette. Pleinement maîtrisé, ce dernier pouvait récupérer des satellites. Enfin, l’accident de Challenger en 1986 entraîna de nouvelles contraintes de sécurité rendant plus difficile l’emploi du MMU…
L’idée du système propulsif assistant un astronaute dans l’espace ne fut pas totalement abandonnée. Quelques années plus tard, fut mis au point le SAFER (Simplified Aid For Eva Rescue), testé pour la première fois en 1994. Il s’agit de cartouches de gaz comprimé ajoutés au scaphandre qui permettraient à un astronaute en perdition de pouvoir revenir à la station, au cas où le(s) filin(s) de sécurité se détacherai(en)t. Le SAFER n’est cependant qu’un système de sécurité qui n’est pas aussi performant que le MMU.
Quant à Bruce McCandless, il effectuera un second vol en avril 1990 (Discovery STS-31), puis quittera la NASA (et l’armée) pour devenir un consultant dans le domaine de l’aérospatial. Il est décédé le 21 décembre 2017.
Références.
Une biographie de Bruce McCandless sur le site de la NASA
Un article de Anne Millbrooke, « More Favored than the Birds : The Manned Maneuvering Unit in Space », in From Engineering Science, Pamela E. Mack Editor, NASA History Series, Washington, 1998.
Une vidéo sur le vol libre de Bruce McCandless du 7 février 1984
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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