Le 2 décembre 1995, un lanceur américain plaçait sur orbite l’observatoire Soho pour étudier la structure interne du Soleil, mais aussi son atmosphère et l’origine du vent solaire.
Dans le cadre du programme scientifique européen « Horizon 2000 », sous la conduite du physicien français Roger-Maurice Bonnet, l’Agence spatiale européenne adopte pour la période 1985-2000 quatre grands programmes d’étude appelés « pierres angulaires ». Le premier, s’articulant autour des missions Cluster et Soho, s’inscrit à partir de mai 1984 dans un programme international de physique solaire-terrestre (ISTP). Si Cluster doit observer en trois dimensions les interactions entre le vent solaire et la magnétosphère terrestre, Soho étudiera la structure interne du Soleil, son atmosphère externe et l’origine du vent solaire.
Proposé à l’ESA en novembre 1982, le programme Soho (SOlar Heliospheric Observatory) est confié à une équipe scientifique composée de Monique Malinovsky-Arduini, Frank van Beek, Jean-Pierre Delaboudinière, Martin Huber, Philippe Lemaire et Bruce Patchett. En 1983, les Américains se joignent au programme qui prend en 1984 une dimension internationale à travers l’ISTP. En février 1986, le Comité scientifique de l’ESA approuve Soho (et Cluster). Mais se pose le problème du coût prohibitif. L’ESA procède à des économies et des négociations réussissent à convaincre la NASA d’accroître sa participation qui, outre les trois instruments qu’elle fournira, procèdera au lancement et assurera les communications sol-satellite (à l’aide de son réseau d’antennes Deep Space Network). Quant à la construction de l’observatoire, elle est confiée à un consortium d’entreprises européennes placé sous la maîtrise d’œuvre de Matra Marconi.
De forme parallélépipédique haut de 4,3 mètres avec une partie de 2,7 sur 3,7 mètres, Soho a une masse totale de 1 850 kg, dont 250 kg d’ergols et 640 kg d’instruments scientifiques devant effectuer trois grandes études. La première se porte sur l’héliosismologie (vibration du Soleil) en utilisant un spectromètre à résonnance (France), des radiomètres à faible résolution (Suisse, Pays-Bas), un interféromètre à grand angle (Etats-Unis). La seconde vise à en savoir plus sur l’atmosphère solaire avec un télescope équipé de plusieurs spectromètres (Royaume-Uni), une caméra opérant en ultraviolet (France), une caméra dotée de trois coronographes (Etats-Unis, Allemagne), un télescope ultraviolet (Allemagne, France), une caméra fournissant des images en extrême ultraviolet (France), un télescope pour l’émission Lyman-Alpha (Finlande, France) et un télescope à occultation associé à des spectromètres à haute résolution (Etats-Unis). Enfin, la troisième étude consiste à prendre des mesures in situ du vent solaire avec trois détecteurs pour identifier la masse et la charge électrique des particules (Suisse), un spectromètre en extrême ultraviolet (Suisse), deux télescopes détecteurs et analyseurs électrostatiques (Allemagne) et un télescope à scintillateur (Finlande).
Comme le souligne Jean-François Augereau dans Le Monde du 6 décembre 1995, Soho part « pour “faire la lumière“ sur les profondeurs invisibles de notre étoile, enregistrera des oscillations visibles à sa surface, comme les géologues étudient les séismes pour connaître la structure interne du globe terrestre. De l'étude fine de ces phénomènes, on peut déduire des informations importantes sur la température du centre du Soleil, le comportement étonnant de « particules fantômes » que l'on appelle les neutrinos, la vitesse de rotation de cette boule de gaz (…), [mais aussi] aura la charge d'étudier (…) le vent solaire, ce flux continu de matière électrisée composée de minuscules particules produites par le Soleil et qui baigne l'espace interplanétaire ». Bref, une mission de haute précision au coût total de 5 milliards de francs d’époque.
Le 2 décembre 1995, depuis la base de Cape Canaveral, le lanceur américain Atlas 2AS envoie Soho sur une orbite héliosphèrique autour du point de Lagrange L1, à 1,5 million de kilomètres. Sa mise à poste prend quatre mois. Soho fonctionne correctement lorsque, le 24 juin 1998, le contact est perdu au cours d’une opération de maintenance ; les antennes de l'engin spatial ne sont plus pointées vers la Terre… C’est la frayeur pour les opérateurs. Le 23 juillet, une première localisation du satellite est obtenue grâce au radiotélescope d’Arecibo (Puerto Rico) et, le 3 août, le contact avec Soho reprend. Le 6 octobre, les opérateurs annoncent qu’ils ont entièrement repris le contrôle du satellite et, le 4 novembre, les observations reprennent. Seuls un instrument et deux des trois roues de réaction (pour maintenir l’orientation du satellite) ne fonctionnent plus. Mais le 21 décembre suivant, la dernière roue de réaction lâche à son tour, nécessitant désormais l’usage des moteurs-fusées de Soho pour pointer les instruments.
Les déboires n’empêchent pas la suite de la mission et même de la prolonger à plusieurs reprises. La dernière en date porte l’extension jusqu’au 31 décembre prochain.
Soho a obtenu des millions d’images et de mesures. Parmi les découvertes, Soho révèle en 2004 que le noyau du Soleil tourne comme un solide en une semaine. Cette découverte, obtenue grâce au spectromètre à résonnance français, permet « d’envisager une influence stabilisatrice importante du champ magnétique à l’intérieur de cette immense boule de gaz qu’est le Soleil ». Bien d’autres découvertes ont été obtenues, comme l’origine du vent solaire (qui prend naissance en bordure de la chromosphère) et son accélération, le grand nombre d’éjections de masse coronale (plusieurs par jour), le « chauffage » de la couronne solaire, etc. Soho découvre également des milliers de comètes, livrant même des images spectaculaires de bolides frôlant le Soleil !
Incontestablement, l’observatoire Soho a profondément fait progresser nos connaissances sur notre étoile. Selon l’Allemand Berhard Fleck, responsable scientifique de la mission Soho, il a « changé la vision populaire du Soleil, qui est passée de l'image d'un objet statique et immuable dans le ciel à celle de la bête dynamique qu'il est en réalité ». Soho a également fait naître une nouvelle science, celle de la « météorologie de l’espace », résultant de l’activité magnétique explosive du Soleil.
- deux articles : « The History of the Soho Mission », M.C.E Huber, R-M. Bonnet, D.C Dale, M. Arduini, C. Fröhlich, V. Domingo et G. Whitcomb, Bulletin de l’ESA n°86, mai 1996. « Le satellite européen Soho va observer les feux du Soleil », J-F. Augereau, in Le Monde, 6 décembre 1995
- le site Le Monde : « La mission spatiale qui a révolutionné notre image du Soleil », Pierre Bathélémy, 2 décembre 2015
- le site du CNES sur la mission Soho, actualisé le 6 février 2025
- un documentaire : Soho – Percer les mystères de notre Soleil, 2 février 2006, ESA.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 2 décembre 1995, un lanceur américain plaçait sur orbite l’observatoire Soho pour étudier la structure interne du Soleil, mais aussi son atmosphère et l’origine du vent solaire.
Dans le cadre du programme scientifique européen « Horizon 2000 », sous la conduite du physicien français Roger-Maurice Bonnet, l’Agence spatiale européenne adopte pour la période 1985-2000 quatre grands programmes d’étude appelés « pierres angulaires ». Le premier, s’articulant autour des missions Cluster et Soho, s’inscrit à partir de mai 1984 dans un programme international de physique solaire-terrestre (ISTP). Si Cluster doit observer en trois dimensions les interactions entre le vent solaire et la magnétosphère terrestre, Soho étudiera la structure interne du Soleil, son atmosphère externe et l’origine du vent solaire.
Proposé à l’ESA en novembre 1982, le programme Soho (SOlar Heliospheric Observatory) est confié à une équipe scientifique composée de Monique Malinovsky-Arduini, Frank van Beek, Jean-Pierre Delaboudinière, Martin Huber, Philippe Lemaire et Bruce Patchett. En 1983, les Américains se joignent au programme qui prend en 1984 une dimension internationale à travers l’ISTP. En février 1986, le Comité scientifique de l’ESA approuve Soho (et Cluster). Mais se pose le problème du coût prohibitif. L’ESA procède à des économies et des négociations réussissent à convaincre la NASA d’accroître sa participation qui, outre les trois instruments qu’elle fournira, procèdera au lancement et assurera les communications sol-satellite (à l’aide de son réseau d’antennes Deep Space Network). Quant à la construction de l’observatoire, elle est confiée à un consortium d’entreprises européennes placé sous la maîtrise d’œuvre de Matra Marconi.
De forme parallélépipédique haut de 4,3 mètres avec une partie de 2,7 sur 3,7 mètres, Soho a une masse totale de 1 850 kg, dont 250 kg d’ergols et 640 kg d’instruments scientifiques devant effectuer trois grandes études. La première se porte sur l’héliosismologie (vibration du Soleil) en utilisant un spectromètre à résonnance (France), des radiomètres à faible résolution (Suisse, Pays-Bas), un interféromètre à grand angle (Etats-Unis). La seconde vise à en savoir plus sur l’atmosphère solaire avec un télescope équipé de plusieurs spectromètres (Royaume-Uni), une caméra opérant en ultraviolet (France), une caméra dotée de trois coronographes (Etats-Unis, Allemagne), un télescope ultraviolet (Allemagne, France), une caméra fournissant des images en extrême ultraviolet (France), un télescope pour l’émission Lyman-Alpha (Finlande, France) et un télescope à occultation associé à des spectromètres à haute résolution (Etats-Unis). Enfin, la troisième étude consiste à prendre des mesures in situ du vent solaire avec trois détecteurs pour identifier la masse et la charge électrique des particules (Suisse), un spectromètre en extrême ultraviolet (Suisse), deux télescopes détecteurs et analyseurs électrostatiques (Allemagne) et un télescope à scintillateur (Finlande).
Comme le souligne Jean-François Augereau dans Le Monde du 6 décembre 1995, Soho part « pour “faire la lumière“ sur les profondeurs invisibles de notre étoile, enregistrera des oscillations visibles à sa surface, comme les géologues étudient les séismes pour connaître la structure interne du globe terrestre. De l'étude fine de ces phénomènes, on peut déduire des informations importantes sur la température du centre du Soleil, le comportement étonnant de « particules fantômes » que l'on appelle les neutrinos, la vitesse de rotation de cette boule de gaz (…), [mais aussi] aura la charge d'étudier (…) le vent solaire, ce flux continu de matière électrisée composée de minuscules particules produites par le Soleil et qui baigne l'espace interplanétaire ». Bref, une mission de haute précision au coût total de 5 milliards de francs d’époque.
Le 2 décembre 1995, depuis la base de Cape Canaveral, le lanceur américain Atlas 2AS envoie Soho sur une orbite héliosphèrique autour du point de Lagrange L1, à 1,5 million de kilomètres. Sa mise à poste prend quatre mois. Soho fonctionne correctement lorsque, le 24 juin 1998, le contact est perdu au cours d’une opération de maintenance ; les antennes de l'engin spatial ne sont plus pointées vers la Terre… C’est la frayeur pour les opérateurs. Le 23 juillet, une première localisation du satellite est obtenue grâce au radiotélescope d’Arecibo (Puerto Rico) et, le 3 août, le contact avec Soho reprend. Le 6 octobre, les opérateurs annoncent qu’ils ont entièrement repris le contrôle du satellite et, le 4 novembre, les observations reprennent. Seuls un instrument et deux des trois roues de réaction (pour maintenir l’orientation du satellite) ne fonctionnent plus. Mais le 21 décembre suivant, la dernière roue de réaction lâche à son tour, nécessitant désormais l’usage des moteurs-fusées de Soho pour pointer les instruments.
Les déboires n’empêchent pas la suite de la mission et même de la prolonger à plusieurs reprises. La dernière en date porte l’extension jusqu’au 31 décembre prochain.
Soho a obtenu des millions d’images et de mesures. Parmi les découvertes, Soho révèle en 2004 que le noyau du Soleil tourne comme un solide en une semaine. Cette découverte, obtenue grâce au spectromètre à résonnance français, permet « d’envisager une influence stabilisatrice importante du champ magnétique à l’intérieur de cette immense boule de gaz qu’est le Soleil ». Bien d’autres découvertes ont été obtenues, comme l’origine du vent solaire (qui prend naissance en bordure de la chromosphère) et son accélération, le grand nombre d’éjections de masse coronale (plusieurs par jour), le « chauffage » de la couronne solaire, etc. Soho découvre également des milliers de comètes, livrant même des images spectaculaires de bolides frôlant le Soleil !
Incontestablement, l’observatoire Soho a profondément fait progresser nos connaissances sur notre étoile. Selon l’Allemand Berhard Fleck, responsable scientifique de la mission Soho, il a « changé la vision populaire du Soleil, qui est passée de l'image d'un objet statique et immuable dans le ciel à celle de la bête dynamique qu'il est en réalité ». Soho a également fait naître une nouvelle science, celle de la « météorologie de l’espace », résultant de l’activité magnétique explosive du Soleil.
- deux articles : « The History of the Soho Mission », M.C.E Huber, R-M. Bonnet, D.C Dale, M. Arduini, C. Fröhlich, V. Domingo et G. Whitcomb, Bulletin de l’ESA n°86, mai 1996. « Le satellite européen Soho va observer les feux du Soleil », J-F. Augereau, in Le Monde, 6 décembre 1995
- le site Le Monde : « La mission spatiale qui a révolutionné notre image du Soleil », Pierre Bathélémy, 2 décembre 2015
- le site du CNES sur la mission Soho, actualisé le 6 février 2025
- un documentaire : Soho – Percer les mystères de notre Soleil, 2 février 2006, ESA.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Commentaires