Le 21 octobre 2000, les Émirats arabes unis faisaient leurs premiers pas dans l’espace avec le satellite de télécommunications Thuraya. Quatorze ans plus tard, ils se dotaient d’une agence spatiale nationale.
L’intérêt pour le spatial aux Émirats arabes unis remontent aux années 1970, lorsque l’émir d’Abou Dabi (et père fondateur des Émirats arabes unis le 2 décembre 1971), Zayed bin Sultan Al Nahyan (1918-2004) rencontre des représentants de la Nasa investis dans le programme Apollo. « Cette rencontre a marqué le début d'un intérêt national pour l'espace (…) et a finalement conduit à la naissance d'un secteur spatial national avec la création de Thuraya Communications Company en 1997 et d'Al Yah Satellite Communications Company (Yahsat) en 2007 », souligne aujourd’hui l’agence spatiale des Émirats.
Au cours des années 1970, dans un contexte international de dérégulation, le monde arabe souhaite son réseau régional de télécommunications par satellite. A l’initiative de la Ligue arabe, est ainsi créé en 1976 le consortium Arabsat que les Émirats – membre de la Ligue depuis 1971 – intègrent. Les Émirats comptent sur ce réseau pour développer leur fédération et sortir de la pauvreté. Mais c’est surtout la découverte de gisements de pétrole qui accélère le développement et fournit une rente financière autorisant, au cours des années 1990, un investissement dans des télécommunications nationale et régionale. Ainsi, sur le modèle du système Inmarsat, est créée en 1997 la société Thuraya (« Pléiades » en arabe) avec pour principal actionnaire Etisalat – l’opérateur historique des Émirats fondé en 1976. Ne maîtrisant pas les technologiques spatiales, les Émirats sollicitent l’américain Boeing pour construire leurs trois premiers satellites.
D’une masse totale de 5 108 kg, Thuraya 1 est un satellite géostationnaire de forte puissance, grâce à une antenne circulaire de 12,5 m de diamètre, offrant toute une gamme de service de communications par le biais de ses 200 canaux (en bandes L et C). Ceux-ci peuvent être réorientés, permettant au système de s’adapter en temps réel aux besoins des entreprises. Thuraya 1 est lancé le 21 octobre 2000 par une fusée Zenit 3SL de Sea Launch (depuis la plateforme de lancement Odyssey) – le satellite est retiré du service en 2007, suite à la défaillance des panneaux solaires. L’entreprise assure la pérennité du réseau par le lancement de Thuraya 2 le 10 juin 2003, Thuraya 3 le 15 janvier 2008, Thuraya 4-NGS (New Generation Satellite) le 3 janvier 2025. Ce dernier, construit par l’européen Airbus, dispose d’une plateforme entièrement électrique avec davantage de canaux et de flexibilité.
Rapidement, les Émirats veulent avoir un « service de communications polyvalents gouvernemental [dont les armées] et commercial », avec une empreinte plus importante couvrant, outre le Moyen Orient, l’Asie centrale, l’Afrique et même l’Europe. Pour cela, est créée à Abou Dhabi en janvier 2007 la société Al Yah (« Céleste » en arabe) Satellite Communications Company (ou Yahsat), une entreprise en partie contrôlée financièrement par le gouvernement émirati. Pour fabriquer ses satellites, l’entreprise sollicite dès août 2007 le consortium européen EADS Astrium / Thales Alenia Space qui livre les deux premiers YahSat. Ayant une masse totale de 5 965 kg avec de nombreux canaux en bandes C, Ku et Ka (pour les militaires), le satellite dispose de 9 antennes, dont 4 déployables et 3 pointables. Yahsat 1A est placé sur orbite géostationnaire le 22 avril 2011 par Ariane 5 ECA, pour une durée initiale d’environ 15 ans ; Yahsat 1B est lancé le 23 avril 2012 par un Proton russe. D’autres suivront.
En 2018, Thuraya devient une filiale de Al Yah qui, en octobre 2024, fusionne à son tour avec le fournisseur saoudien de télécommunications Bayanat pour donner Space42 (basé aux Émirats). Ce dernier fait des Émirats un leader mondial des télécommunications, comme le souligne Mansoor Al Mansoori, le PDG de Space42 : « Space42 représente une avancée audacieuse (…) pour la vision des Émirats arabes unis de devenir un leader mondial de l'IA et de la technologie spatiale. En intégrant les atouts de Bayanat et Yahsat, nous élargissons l’horizon de ce qui est possible. Space42 est sur le point de redéfinir l'avenir de la SpaceTech (…) ». Toutefois, les Émirats ne s’intéressent pas qu’aux télécommunications.
Sur le chemin de la nation émergente, les Émirats veulent acquérir les technologies spatiales et investir dans les sciences spatiales. Ils mettent ainsi en place le 6 février 2006 l’Emirates Institute for Advanced Science & Technology (EIAST) qui, le 17 avril 2015, est rattaché au Mohammed bin Rashid Space Centre (MBRSC) – nom donné en hommage à l’émir de Dubaï et vice-président des Émirats. L’objectif est « de construire, développer et exploiter plusieurs satellites d'observation de la Terre, de fournir des services d'imagerie, de les analyser et de produire des données scientifiques pertinentes ». Pour cela, la coopération avec plusieurs agences spatiales est engagée comme avec la NASA, la Jaxa, Roscosmos, le Cnes ou encore le Kari sud-coréen. Avec ce dernier, un protocole d’accord est signé pour d’une part construire (avec l’aide de la société sud-coréenne Satrec) les satellites d’observation de la Terre DubaiSat (de 300 kg chacun avec une résolution spatiale de 1 à 4 m) et, d’autre part, obtenir le transfert progressif de technologies spatiales avec la formation d’ingénieurs émiratis. Dubaisat 1 et 2 sont placés sur des orbites héliosynchrones (682 et 600 km) par des lanceurs russes, respectivement les 29 juillet 2009 et 21 novembre 2013.
Afin de faciliter les coopérations et engager une politique spatiale, les Émirats décident en juillet 2014 de se doter d’une agence spatiale : l’United Arab Emirates Space Agency (UAESA), dont le siège principal est installé à Abou Dhabi. L’UAESA est « une entité publique fédérale indépendante (…) jouissant d'une autonomie financière et administrative (…), dans le but de développer le secteur spatial national, chargée d'établir des partenariats, de soutenir les programmes universitaires, de promouvoir l'exploration spatiale nationale et régionale, et d'investir dans la recherche, le développement et les projets spatiaux commerciaux (…), soit directement, soit par l’intermédiaire de sociétés nationales », comme le MBRSC qui s’investit dans plusieurs programmes : le vol habité du premier Emirati (Hazza Al Mansouri avec les Russes en septembre 2019), la sonde martienne Al Hamal (Hope / « l’Espoir ») pour étudier l'atmosphère et le climat de Mars (lancée le 19 juillet 2020 par un H2A japonais), sans oublier la poursuite du développement des satellites d’observation de la Terre, comme DubaiSat 3. Avec ce dernier, les Émiratis sont désormais capable de fabriquer le satellite (avec le soutien de la Satrec). Une première dans le monde arabe. D’une masse totale de 330 kg, le satellite, rebaptisé Khalifasat 1 en l’honneur du président des Émirats, fournit des images avec une résolution de 70 cm à 3 m ; il a été lancé le 29 octobre 2018 par un H2A.
En novembre 2015, dans Air & Cosmos n°2475, Pierre-François Mouriaux soulignait que « les Émirats arabes unis sont en train de s’imposer comme les leaders régionaux de l’industrie spatiale ». Incontestablement, ils le sont devenus.
Quelques références
- Quatre articles : « Les ambitions spatiales des Émirats », Pierre-François Mouriaux, in Air & Cosmos n°2475, 6 novembre 2015 ; « Émirats arabes unis : quelle politique spatiale ? », Amira Hadjali, in La Note du CERPA n°164, mars 2018 ; « Le spatial aux EAU : des ambitions et des moyens », Pierre-François Mouriaux, in Air & Cosmos n°2757, 12 novembre 2021 ; « Les Émirats arabes unis à la conquête de l’espace », Roland Lombardi, Le Dialogue / Editos, 7 août 2023.
- Le site de l’agence spatiale des Émirats arabes unis, https://space.gov.ae/en/home
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 21 octobre 2000, les Émirats arabes unis faisaient leurs premiers pas dans l’espace avec le satellite de télécommunications Thuraya. Quatorze ans plus tard, ils se dotaient d’une agence spatiale nationale.
L’intérêt pour le spatial aux Émirats arabes unis remontent aux années 1970, lorsque l’émir d’Abou Dabi (et père fondateur des Émirats arabes unis le 2 décembre 1971), Zayed bin Sultan Al Nahyan (1918-2004) rencontre des représentants de la Nasa investis dans le programme Apollo. « Cette rencontre a marqué le début d'un intérêt national pour l'espace (…) et a finalement conduit à la naissance d'un secteur spatial national avec la création de Thuraya Communications Company en 1997 et d'Al Yah Satellite Communications Company (Yahsat) en 2007 », souligne aujourd’hui l’agence spatiale des Émirats.
Au cours des années 1970, dans un contexte international de dérégulation, le monde arabe souhaite son réseau régional de télécommunications par satellite. A l’initiative de la Ligue arabe, est ainsi créé en 1976 le consortium Arabsat que les Émirats – membre de la Ligue depuis 1971 – intègrent. Les Émirats comptent sur ce réseau pour développer leur fédération et sortir de la pauvreté. Mais c’est surtout la découverte de gisements de pétrole qui accélère le développement et fournit une rente financière autorisant, au cours des années 1990, un investissement dans des télécommunications nationale et régionale. Ainsi, sur le modèle du système Inmarsat, est créée en 1997 la société Thuraya (« Pléiades » en arabe) avec pour principal actionnaire Etisalat – l’opérateur historique des Émirats fondé en 1976. Ne maîtrisant pas les technologiques spatiales, les Émirats sollicitent l’américain Boeing pour construire leurs trois premiers satellites.
D’une masse totale de 5 108 kg, Thuraya 1 est un satellite géostationnaire de forte puissance, grâce à une antenne circulaire de 12,5 m de diamètre, offrant toute une gamme de service de communications par le biais de ses 200 canaux (en bandes L et C). Ceux-ci peuvent être réorientés, permettant au système de s’adapter en temps réel aux besoins des entreprises. Thuraya 1 est lancé le 21 octobre 2000 par une fusée Zenit 3SL de Sea Launch (depuis la plateforme de lancement Odyssey) – le satellite est retiré du service en 2007, suite à la défaillance des panneaux solaires. L’entreprise assure la pérennité du réseau par le lancement de Thuraya 2 le 10 juin 2003, Thuraya 3 le 15 janvier 2008, Thuraya 4-NGS (New Generation Satellite) le 3 janvier 2025. Ce dernier, construit par l’européen Airbus, dispose d’une plateforme entièrement électrique avec davantage de canaux et de flexibilité.
Rapidement, les Émirats veulent avoir un « service de communications polyvalents gouvernemental [dont les armées] et commercial », avec une empreinte plus importante couvrant, outre le Moyen Orient, l’Asie centrale, l’Afrique et même l’Europe. Pour cela, est créée à Abou Dhabi en janvier 2007 la société Al Yah (« Céleste » en arabe) Satellite Communications Company (ou Yahsat), une entreprise en partie contrôlée financièrement par le gouvernement émirati. Pour fabriquer ses satellites, l’entreprise sollicite dès août 2007 le consortium européen EADS Astrium / Thales Alenia Space qui livre les deux premiers YahSat. Ayant une masse totale de 5 965 kg avec de nombreux canaux en bandes C, Ku et Ka (pour les militaires), le satellite dispose de 9 antennes, dont 4 déployables et 3 pointables. Yahsat 1A est placé sur orbite géostationnaire le 22 avril 2011 par Ariane 5 ECA, pour une durée initiale d’environ 15 ans ; Yahsat 1B est lancé le 23 avril 2012 par un Proton russe. D’autres suivront.
En 2018, Thuraya devient une filiale de Al Yah qui, en octobre 2024, fusionne à son tour avec le fournisseur saoudien de télécommunications Bayanat pour donner Space42 (basé aux Émirats). Ce dernier fait des Émirats un leader mondial des télécommunications, comme le souligne Mansoor Al Mansoori, le PDG de Space42 : « Space42 représente une avancée audacieuse (…) pour la vision des Émirats arabes unis de devenir un leader mondial de l'IA et de la technologie spatiale. En intégrant les atouts de Bayanat et Yahsat, nous élargissons l’horizon de ce qui est possible. Space42 est sur le point de redéfinir l'avenir de la SpaceTech (…) ». Toutefois, les Émirats ne s’intéressent pas qu’aux télécommunications.
Sur le chemin de la nation émergente, les Émirats veulent acquérir les technologies spatiales et investir dans les sciences spatiales. Ils mettent ainsi en place le 6 février 2006 l’Emirates Institute for Advanced Science & Technology (EIAST) qui, le 17 avril 2015, est rattaché au Mohammed bin Rashid Space Centre (MBRSC) – nom donné en hommage à l’émir de Dubaï et vice-président des Émirats. L’objectif est « de construire, développer et exploiter plusieurs satellites d'observation de la Terre, de fournir des services d'imagerie, de les analyser et de produire des données scientifiques pertinentes ». Pour cela, la coopération avec plusieurs agences spatiales est engagée comme avec la NASA, la Jaxa, Roscosmos, le Cnes ou encore le Kari sud-coréen. Avec ce dernier, un protocole d’accord est signé pour d’une part construire (avec l’aide de la société sud-coréenne Satrec) les satellites d’observation de la Terre DubaiSat (de 300 kg chacun avec une résolution spatiale de 1 à 4 m) et, d’autre part, obtenir le transfert progressif de technologies spatiales avec la formation d’ingénieurs émiratis. Dubaisat 1 et 2 sont placés sur des orbites héliosynchrones (682 et 600 km) par des lanceurs russes, respectivement les 29 juillet 2009 et 21 novembre 2013.
Afin de faciliter les coopérations et engager une politique spatiale, les Émirats décident en juillet 2014 de se doter d’une agence spatiale : l’United Arab Emirates Space Agency (UAESA), dont le siège principal est installé à Abou Dhabi. L’UAESA est « une entité publique fédérale indépendante (…) jouissant d'une autonomie financière et administrative (…), dans le but de développer le secteur spatial national, chargée d'établir des partenariats, de soutenir les programmes universitaires, de promouvoir l'exploration spatiale nationale et régionale, et d'investir dans la recherche, le développement et les projets spatiaux commerciaux (…), soit directement, soit par l’intermédiaire de sociétés nationales », comme le MBRSC qui s’investit dans plusieurs programmes : le vol habité du premier Emirati (Hazza Al Mansouri avec les Russes en septembre 2019), la sonde martienne Al Hamal (Hope / « l’Espoir ») pour étudier l'atmosphère et le climat de Mars (lancée le 19 juillet 2020 par un H2A japonais), sans oublier la poursuite du développement des satellites d’observation de la Terre, comme DubaiSat 3. Avec ce dernier, les Émiratis sont désormais capable de fabriquer le satellite (avec le soutien de la Satrec). Une première dans le monde arabe. D’une masse totale de 330 kg, le satellite, rebaptisé Khalifasat 1 en l’honneur du président des Émirats, fournit des images avec une résolution de 70 cm à 3 m ; il a été lancé le 29 octobre 2018 par un H2A.
En novembre 2015, dans Air & Cosmos n°2475, Pierre-François Mouriaux soulignait que « les Émirats arabes unis sont en train de s’imposer comme les leaders régionaux de l’industrie spatiale ». Incontestablement, ils le sont devenus.
Quelques références
- Quatre articles : « Les ambitions spatiales des Émirats », Pierre-François Mouriaux, in Air & Cosmos n°2475, 6 novembre 2015 ; « Émirats arabes unis : quelle politique spatiale ? », Amira Hadjali, in La Note du CERPA n°164, mars 2018 ; « Le spatial aux EAU : des ambitions et des moyens », Pierre-François Mouriaux, in Air & Cosmos n°2757, 12 novembre 2021 ; « Les Émirats arabes unis à la conquête de l’espace », Roland Lombardi, Le Dialogue / Editos, 7 août 2023.
- Le site de l’agence spatiale des Émirats arabes unis, https://space.gov.ae/en/home
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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