Les 4 et 25 janvier 2004 (UTC), deux astromobiles américaines se posaient sur Mars. Leur mission principale était l’étude géologique de deux sites où une présence ancienne de l’eau était suspectée.
Après le succès de la première astromobile martienne Sojourner (de la mission Pathfinder) – qui du 5 juillet au 27 septembre 1997 a parcouru 104 mètres, pris 550 photos (17 050 au total avec l’atterrisseur), effectué seize analyses de roche ou de terrain – les responsables de la NASA décident à l’été 2000 de retourner rouler à la surface de Mars. Afin d’accroître les chances de succès, deux engins identiques sont construits dans le cadre de la mission Mars Exploration Rover (MER).
Par rapport à Sojourner, les deux astromobiles sont plus puissantes et plus performantes. D’un poids d’environ 180 kg (contre 10,5 kg pour Sojourner), d’une longueur de 1,66 m pour 2,30 m de largeur, chacune est dotée de six roues (s’orientant de manière autonome), d’un moteur, de deux batteries rechargeables alimentées par des panneaux solaires (fournissant 140 watts), ainsi que de plusieurs instruments. Ces derniers, installés sur un bras articulé, consistent en un dispositif pour abraser la surface des roches, un spectromètre à particules alpha et à rayons X (pour analyser des éléments qui composent roches et sol), un spectromètre allemand Mössbauer (pour étudier les minerais de manière rapprochée) et une caméra microscope (pour photographier en gros plan). De plus, sur un mat télescopique de 1,5 m, sont positionnés un spectromètre infrarouge miniature d’émission thermique (pour analyser les roches et l’atmosphère) et des caméras panoramiques et de navigation (pour déplacer l’astromobile et pour observer la texture, la couleur et la structure du sol). A l’avant, sont également installés des aimants pour collecter des poussières magnétiques.
Dans un premier temps, les jumeaux MER doivent étudier l’environnement de leur site d’atterrissage en déterminant la nature des roches et du sol, observer la morphologie de la surface afin d’en savoir plus sur les phénomènes géologiques. Ensuite, au cours de leur déplacement, ils se rendent sur divers sites repérés au préalable notamment par satellite (Mars Global Surveyor), pour y photographier et analyser roches et surface. Il s’agit d’identifier la présence d’eau dans un passé plus ou moins lointain et ainsi de mieux connaître l’histoire climatique de Mars.
Restait à trouver aux MER un nom un peu plus « vendeur » pour le grand public. Pour cela, la NASA et la Planetary Society organisent auprès d’environ 10 000 écoliers un concours écrit que remporte Sofi Collis, une jeune orpheline adoptée de neuf ans de Scottsdale (Arizona) qui exprime : « In America, I can make all my dreams come true. Thank you for the Spirit and the Opportunity ». Séduite, la Nasa baptise ses MER A et B, « Spirit » et « Opportunity ».
Lancé le 10 juin 2003 (par un Delta II 7925), après un voyage d’environ six mois, Spirit s’apprête le 4 janvier 2004 à se poser sur Mars, tandis que son jumeau Opportunity, lancé le 7 juillet 2003 (par un Delta Heavy), arrive le 25 janvier. Les deux engins procèdent de la même manière, reprenant en grande partie la technique utilisée par Sojourner. Après avoir utilisé un parachute lors de la descente dans l’atmosphère, à 8 secondes avant d’atteindre le sol, des générateurs de gaz gonflent 24 airbags qui entourent les engins et, à 150 m du sol, des rétrofusées aident au ralentissement. A 12 m, ceux-ci sont libérés puis heurtent le sol, rebondissant pendant plusieurs minutes avant de se figer. Les airbags se dégonflent et, une heure plus tard, les atterrisseurs s’ouvrent et libèrent les astromobiles qui déploient leurs panneaux solaires, leur antenne à grand gain ainsi que leur mat supportant les caméras. La première mission est alors d’effectuer un panorama à 360° autour du site. Spirit vient de se poser dans le cratère Gusev, une dépression suspectée d’avoir abrité un ancien lac situé à l’embouchure d’une vallée fluviale, tandis qu’Opportunity se trouve sur une plaine de Sinus Meridiani.
Piloté depuis la Terre (au Jet Propulsion Laboratory), chaque engin possède trois antennes, deux permettant le contact direct avec la Terre, la troisième pour relayer des informations à un satellite en orbite martienne. La navigation n’est alors pas simple, car la communication des données par radio nécessite 8 à 42 minutes (en fonction du positionnement des deux planètes). De ce fait, les astromobiles doivent avoir une autonomie. Pour cela, elles sont dotées d’un logiciel de navigation (qui détermine la trajectoire) et sont assistées par des caméras de navigation et d’un odomètre. Par ailleurs, des détecteurs placés sur le châssis permettent de connaître l’inclinaison. Chaque jour, les pilotes téléchargent aux robots les instructions qui, s’ils repèrent un problème, s’arrêtent et attendent de nouvelles directives.
Après avoir parcouru 7,73 km, Spirit s’enlise en mai 2009 dans une dune et s’arrête de fonctionner le 22 mars 2010. Il a livré plus de 124 500 photographies, a permis de détecter des roches riches en carbonate de magnésium et de fer indiquant que Mars a connu une période plus chaude et plus humide, mais aussi de mettre en évidence des gisements de silice pure, un matériau qui sur Terre se forme en présence de sources chaudes. Sur le dernier site, à « Home Plate », Spirit découvre également qu’un ancien volcan a autrefois été en activité. Quant à Opportunity, il bat tous les records en fonctionnant jusqu’au 10 juin 2018 avec 45,16 km à son compteur. Survivant à sept durs hivers martiens, il est stoppé par une forte tempête qui recouvre ses panneaux solaires de sable et de poussière, empêchant les batteries de se recharger. Celui-ci a au total pris plus de 217 000 photos, analysé et observé 124 roches. La découverte majeure est celle de sphérules contenant de l’hématite, une substance qui se forme… en présence d’eau. Il a également trouvé des argiles et des veines de gypse, encore des signes d’une ancienne présence d’eau. Opportunity a aussi détecté des météorites qui se sont écrasées à la surface de Mars.
Ainsi, Spirit et Opportunity ont confirmé que de l’eau a bien coulé à la surface de Mars. Tous deux ont également fait des observations météorologiques, en étudiant les variations de températures dans l’atmosphère ou encore en détectant des « dust devils », des tourbillons se déplaçant à la surface de la planète. Le succès des deux jumeaux ouvre la voie à d’autres astromobiles plus performantes : Curiosity (899 kg) et Perseverance (1 025 kg) qui arpentent Mars respectivement depuis août 2012 et février 2021.
- Un ouvrage illustré : The Mighty Mars Rovers. The Incredible Adventures of Spirit and Opportunity, Elisabeth Rusch, Houghton Mifflin Harcourt, Boston, New York, 2012.
- Une vidéo : “A Tale of Two Rovers”, Nasa, 9 janvier 2009
- Le site de la Nasa présentant les rovers américains MER et leurs principales découvertes.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Les 4 et 25 janvier 2004 (UTC), deux astromobiles américaines se posaient sur Mars. Leur mission principale était l’étude géologique de deux sites où une présence ancienne de l’eau était suspectée.
Après le succès de la première astromobile martienne Sojourner (de la mission Pathfinder) – qui du 5 juillet au 27 septembre 1997 a parcouru 104 mètres, pris 550 photos (17 050 au total avec l’atterrisseur), effectué seize analyses de roche ou de terrain – les responsables de la NASA décident à l’été 2000 de retourner rouler à la surface de Mars. Afin d’accroître les chances de succès, deux engins identiques sont construits dans le cadre de la mission Mars Exploration Rover (MER).
Par rapport à Sojourner, les deux astromobiles sont plus puissantes et plus performantes. D’un poids d’environ 180 kg (contre 10,5 kg pour Sojourner), d’une longueur de 1,66 m pour 2,30 m de largeur, chacune est dotée de six roues (s’orientant de manière autonome), d’un moteur, de deux batteries rechargeables alimentées par des panneaux solaires (fournissant 140 watts), ainsi que de plusieurs instruments. Ces derniers, installés sur un bras articulé, consistent en un dispositif pour abraser la surface des roches, un spectromètre à particules alpha et à rayons X (pour analyser des éléments qui composent roches et sol), un spectromètre allemand Mössbauer (pour étudier les minerais de manière rapprochée) et une caméra microscope (pour photographier en gros plan). De plus, sur un mat télescopique de 1,5 m, sont positionnés un spectromètre infrarouge miniature d’émission thermique (pour analyser les roches et l’atmosphère) et des caméras panoramiques et de navigation (pour déplacer l’astromobile et pour observer la texture, la couleur et la structure du sol). A l’avant, sont également installés des aimants pour collecter des poussières magnétiques.
Dans un premier temps, les jumeaux MER doivent étudier l’environnement de leur site d’atterrissage en déterminant la nature des roches et du sol, observer la morphologie de la surface afin d’en savoir plus sur les phénomènes géologiques. Ensuite, au cours de leur déplacement, ils se rendent sur divers sites repérés au préalable notamment par satellite (Mars Global Surveyor), pour y photographier et analyser roches et surface. Il s’agit d’identifier la présence d’eau dans un passé plus ou moins lointain et ainsi de mieux connaître l’histoire climatique de Mars.
Restait à trouver aux MER un nom un peu plus « vendeur » pour le grand public. Pour cela, la NASA et la Planetary Society organisent auprès d’environ 10 000 écoliers un concours écrit que remporte Sofi Collis, une jeune orpheline adoptée de neuf ans de Scottsdale (Arizona) qui exprime : « In America, I can make all my dreams come true. Thank you for the Spirit and the Opportunity ». Séduite, la Nasa baptise ses MER A et B, « Spirit » et « Opportunity ».
Lancé le 10 juin 2003 (par un Delta II 7925), après un voyage d’environ six mois, Spirit s’apprête le 4 janvier 2004 à se poser sur Mars, tandis que son jumeau Opportunity, lancé le 7 juillet 2003 (par un Delta Heavy), arrive le 25 janvier. Les deux engins procèdent de la même manière, reprenant en grande partie la technique utilisée par Sojourner. Après avoir utilisé un parachute lors de la descente dans l’atmosphère, à 8 secondes avant d’atteindre le sol, des générateurs de gaz gonflent 24 airbags qui entourent les engins et, à 150 m du sol, des rétrofusées aident au ralentissement. A 12 m, ceux-ci sont libérés puis heurtent le sol, rebondissant pendant plusieurs minutes avant de se figer. Les airbags se dégonflent et, une heure plus tard, les atterrisseurs s’ouvrent et libèrent les astromobiles qui déploient leurs panneaux solaires, leur antenne à grand gain ainsi que leur mat supportant les caméras. La première mission est alors d’effectuer un panorama à 360° autour du site. Spirit vient de se poser dans le cratère Gusev, une dépression suspectée d’avoir abrité un ancien lac situé à l’embouchure d’une vallée fluviale, tandis qu’Opportunity se trouve sur une plaine de Sinus Meridiani.
Piloté depuis la Terre (au Jet Propulsion Laboratory), chaque engin possède trois antennes, deux permettant le contact direct avec la Terre, la troisième pour relayer des informations à un satellite en orbite martienne. La navigation n’est alors pas simple, car la communication des données par radio nécessite 8 à 42 minutes (en fonction du positionnement des deux planètes). De ce fait, les astromobiles doivent avoir une autonomie. Pour cela, elles sont dotées d’un logiciel de navigation (qui détermine la trajectoire) et sont assistées par des caméras de navigation et d’un odomètre. Par ailleurs, des détecteurs placés sur le châssis permettent de connaître l’inclinaison. Chaque jour, les pilotes téléchargent aux robots les instructions qui, s’ils repèrent un problème, s’arrêtent et attendent de nouvelles directives.
Après avoir parcouru 7,73 km, Spirit s’enlise en mai 2009 dans une dune et s’arrête de fonctionner le 22 mars 2010. Il a livré plus de 124 500 photographies, a permis de détecter des roches riches en carbonate de magnésium et de fer indiquant que Mars a connu une période plus chaude et plus humide, mais aussi de mettre en évidence des gisements de silice pure, un matériau qui sur Terre se forme en présence de sources chaudes. Sur le dernier site, à « Home Plate », Spirit découvre également qu’un ancien volcan a autrefois été en activité. Quant à Opportunity, il bat tous les records en fonctionnant jusqu’au 10 juin 2018 avec 45,16 km à son compteur. Survivant à sept durs hivers martiens, il est stoppé par une forte tempête qui recouvre ses panneaux solaires de sable et de poussière, empêchant les batteries de se recharger. Celui-ci a au total pris plus de 217 000 photos, analysé et observé 124 roches. La découverte majeure est celle de sphérules contenant de l’hématite, une substance qui se forme… en présence d’eau. Il a également trouvé des argiles et des veines de gypse, encore des signes d’une ancienne présence d’eau. Opportunity a aussi détecté des météorites qui se sont écrasées à la surface de Mars.
Ainsi, Spirit et Opportunity ont confirmé que de l’eau a bien coulé à la surface de Mars. Tous deux ont également fait des observations météorologiques, en étudiant les variations de températures dans l’atmosphère ou encore en détectant des « dust devils », des tourbillons se déplaçant à la surface de la planète. Le succès des deux jumeaux ouvre la voie à d’autres astromobiles plus performantes : Curiosity (899 kg) et Perseverance (1 025 kg) qui arpentent Mars respectivement depuis août 2012 et février 2021.
- Un ouvrage illustré : The Mighty Mars Rovers. The Incredible Adventures of Spirit and Opportunity, Elisabeth Rusch, Houghton Mifflin Harcourt, Boston, New York, 2012.
- Une vidéo : “A Tale of Two Rovers”, Nasa, 9 janvier 2009
- Le site de la Nasa présentant les rovers américains MER et leurs principales découvertes.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Commentaires