Longtemps épargné par les tensions commerciales grâce à l’Accord sur le commerce des aéronefs civils de 1980 (« ATCA ») supprimant les droits de douane entre l’UE et les États-Unis, le secteur aéronautique est aujourd’hui confronté à la mise en place, aux Etats-Unis, d’une politique protectionniste
Longtemps épargné par les tensions commerciales grâce à l’Accord sur le commerce des aéronefs civils de 1980 (« ATCA ») supprimant les droits de douane entre l’UE et les États-Unis, le secteur aéronautique est aujourd’hui confronté à la mise en place, aux Etats-Unis, d’une politique protectionniste passant par une hausse massive des droits de douane dont la presse économique s’est fait largement l’écho.
Au-delà des enjeux économiques, cette mesure soulève des questions juridiques complexes. Certains s’interrogent naturellement sur sa compatibilité avec l’ATCA ; d’autres, sur sa conformité au droit interne américain, en particulier la Constitution, les droits de douane imposés par Donald Trump étant à ce jour contestés en justice par douze Etats.
Se pose également la question du devenir des contrats internationaux en cours au regard notamment des notions de force majeure et d’imprévision, et des stipulations contractuelles.
La force majeure est une notion que tout étudiant en droit connaît bien, mais qui, jusqu’à la crise sanitaire due au COVID, était peu rencontrée dans la pratique.
La crise sanitaire a conduit les tribunaux à se pencher sur cette notion, définie par l’article 1218 du Code civil selon lequel il y a force majeure lorsque survient « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées ».
Selon ce même texte, si l’événement de force majeure « est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». S’il est définitif, le contrat prend fin automatiquement.
Ainsi, un événement, aussi inattendu soit-il, n’est constitutif de force majeure que s’il est extérieur, irrésistible et imprévisible.
En l’espèce, la hausse des droits de douane, décidée par la puissance publique, échappe évidemment au contrôle des parties au contrat, qui n’y peuvent pas grand-chose !
La condition d’extériorité est donc bien remplie.
Le critère de l'imprévisibilité est plus difficile à caractériser.
Il s'apprécie au jour de la conclusion du contrat : si l'événement était prévisible à cette date, les parties sont présumées avoir assumé le risque qu’il se produise.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le blocage en douane de marchandises importées en raison d’une contestation sur le pays d’origine n’était pas un événement imprévisible pour l’importateur, dès lors qu’il était connu que le pays dont elles provenaient ne contrôlait pas systématiquement l’origine des produits lors de la délivrance des certificats d’origine (1).
Dans notre cas, les tribunaux pourraient estimer que le risque d’un retour de mesures protectionnistes aux États-Unis était connu au moins depuis l’annonce de la candidature de Donald Trump.
Dès lors, une entreprise contractant en 2024 ou début 2025 avec des partenaires américains, notamment dans le secteur aéronautique, déjà visé en 2019 et 2020 (même si la hausse des droits de douane était alors davantage liée au contentieux engagé par les États-Unis en 2004 concernant les avances remboursables accordées à Airbus), ne pouvait ignorer qu’une hausse des droits de douane était probable.
La condition d’imprévisibilité ne peut donc que difficilement être considérée comme remplie.
Comme n’est pas remplie la condition d’irrésistibilité.
L’irrésistibilité s’entend de l’impossibilité absolue, en raison de la force majeure, d’exécuter le contrat.
Ainsi, une simple augmentation du coût d’exécution, même significative, ne suffit pas car elle ne rend pas l’exécution impossible, mais simplement plus difficile ou plus coûteuse (2).
Les tribunaux ont eu à trancher cette question en présence de hausses de droits de douane et ils ont jugé qu’elles n’empêchaient pas l’exécution du contrat, mais en modifiaient seulement les conditions économiques.
Dans ces conditions, invoquer la force majeure pour tenter de suspendre l’exécution du contrat subissant l’effet de la hausse des droits de douane ou d’y mettre un terme est peine perdue.
Grande nouveauté issue de la réforme du Code civil en 2016, l’article 1195 du Code civil permet à une partie de demander la révision du contrat lorsque trois conditions cumulatives sont réunies : un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, qui rend l’exécution de ce dernier excessivement onéreuse pour une partie, partie qui n’a pas accepté contractuellement d’assumer ce risque.
Concrètement, la partie qui supporte des obligations dont l’exécution est devenue excessivement onéreuse peut demander la renégociation du contrat à l’autre partie. Mais, cette dernière n’est pas contrainte d’accepter une renégociation. Et, pendant cette phase de renégociation, le contrat doit continuer à être exécuté.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent mettre un terme au contrat ou demander au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, l’une d’elles peut saisir unilatéralement le juge, qui pourra alors réviser le contrat ou y mettre fin.
Ce dispositif peut trouver à s’appliquer dans un contexte de hausse brutale des droits de douane. Mais, il n’est pas sans défauts : d’une part, même en cas de renégociation de ses termes, le contrat demeure applicable malgré son caractère excessivement onéreux pour l’un des cocontractants ; d’autre part, le juge pourra être amené à s’immiscer dans le contrat et à en réviser les termes, ce qui est source d’aléa pour les parties alors que le contrat était censé constituer leur loi.
D’où l’exclusion fréquente de l’application de l’article 1195 du Code civil dans les contrats et la nécessité d’attacher une attention toute particulière à la rédaction de ce dernier.
Tout d’abord, il est essentiel d’examiner si le contrat (ou les conditions générales de vente ou d’achat qui en font office) fait référence à un Incoterm et, dans l’affirmative, lequel.
Les Incoterms sont des règles internationales qui encadrent les obligations des parties et les risques qu’elles supportent dans une transaction commerciale. Les Incoterms n’ont pas de caractère obligatoire, mais ils sont très utilisés en pratique. Ils sont au nombre de onze et, pour dix d’entre eux, ils prévoient que c’est l’acheteur qui paie les droits de douane à l’importation.
Outre l’application d’un Incoterm, le contrat peut contenir des clauses permettant d’appréhender les imprévus :
Clause de révision de prix qui permet d’ajuster le prix contractuel en fonction de l’évolution d’indicateurs objectifs, comme les droits de douane ;
Clause de force majeure qui peut prévoir que les modifications réglementaires ou législatives de nature à rendre plus onéreuse l’exécution du contrat constitueront des cas de force majeure ; les conditions de la force majeure (comme ses effets) peuvent en effet être aménagées contractuellement ;
Clause d’imprévision (ou de « hardship ») qui permet d’anticiper la survenance de circonstances imprévues en imposant dans cette hypothèse une renégociation du contrat ; les parties peuvent librement définir les événements déclencheurs (hausse des droits de douane par exemple), ainsi que les modalités de renégociation et, en cas d’échec, la solution à mettre en œuvre (résiliation, un recours à la médiation, etc.).
Ce rapide aperçu des clauses qui peuvent être insérées dans le contrat montre que les parties disposent d’une boîte à outils qui leur permet d’éviter les déconvenues telles que d’avoir à supporter des hausses de droits de douane aussi brutales que significatives. L’effectivité de ces clauses est, sous réserve parfois du respect de conditions de validité particulières, reconnue par la grande majorité des droits étatiques et des juridictions. Elles sécurisent donc les parties à un contrat et les décisions intempestives et volte-face d’un certain Président des Etats-Unis sont l’occasion d’en faire la promotion.
(1) Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-18.567
(2) Soc. 8 mars 1972, no 71-40.429; Cass. com. 31 mai 1976, no 75-14.625; Cass. com., 4 janv. 1980, n° 78-13.904
Longtemps épargné par les tensions commerciales grâce à l’Accord sur le commerce des aéronefs civils de 1980 (« ATCA ») supprimant les droits de douane entre l’UE et les États-Unis, le secteur aéronautique est aujourd’hui confronté à la mise en place, aux Etats-Unis, d’une politique protectionniste
Longtemps épargné par les tensions commerciales grâce à l’Accord sur le commerce des aéronefs civils de 1980 (« ATCA ») supprimant les droits de douane entre l’UE et les États-Unis, le secteur aéronautique est aujourd’hui confronté à la mise en place, aux Etats-Unis, d’une politique protectionniste passant par une hausse massive des droits de douane dont la presse économique s’est fait largement l’écho.
Au-delà des enjeux économiques, cette mesure soulève des questions juridiques complexes. Certains s’interrogent naturellement sur sa compatibilité avec l’ATCA ; d’autres, sur sa conformité au droit interne américain, en particulier la Constitution, les droits de douane imposés par Donald Trump étant à ce jour contestés en justice par douze Etats.
Se pose également la question du devenir des contrats internationaux en cours au regard notamment des notions de force majeure et d’imprévision, et des stipulations contractuelles.
La force majeure est une notion que tout étudiant en droit connaît bien, mais qui, jusqu’à la crise sanitaire due au COVID, était peu rencontrée dans la pratique.
La crise sanitaire a conduit les tribunaux à se pencher sur cette notion, définie par l’article 1218 du Code civil selon lequel il y a force majeure lorsque survient « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées ».
Selon ce même texte, si l’événement de force majeure « est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». S’il est définitif, le contrat prend fin automatiquement.
Ainsi, un événement, aussi inattendu soit-il, n’est constitutif de force majeure que s’il est extérieur, irrésistible et imprévisible.
En l’espèce, la hausse des droits de douane, décidée par la puissance publique, échappe évidemment au contrôle des parties au contrat, qui n’y peuvent pas grand-chose !
La condition d’extériorité est donc bien remplie.
Le critère de l'imprévisibilité est plus difficile à caractériser.
Il s'apprécie au jour de la conclusion du contrat : si l'événement était prévisible à cette date, les parties sont présumées avoir assumé le risque qu’il se produise.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le blocage en douane de marchandises importées en raison d’une contestation sur le pays d’origine n’était pas un événement imprévisible pour l’importateur, dès lors qu’il était connu que le pays dont elles provenaient ne contrôlait pas systématiquement l’origine des produits lors de la délivrance des certificats d’origine (1).
Dans notre cas, les tribunaux pourraient estimer que le risque d’un retour de mesures protectionnistes aux États-Unis était connu au moins depuis l’annonce de la candidature de Donald Trump.
Dès lors, une entreprise contractant en 2024 ou début 2025 avec des partenaires américains, notamment dans le secteur aéronautique, déjà visé en 2019 et 2020 (même si la hausse des droits de douane était alors davantage liée au contentieux engagé par les États-Unis en 2004 concernant les avances remboursables accordées à Airbus), ne pouvait ignorer qu’une hausse des droits de douane était probable.
La condition d’imprévisibilité ne peut donc que difficilement être considérée comme remplie.
Comme n’est pas remplie la condition d’irrésistibilité.
L’irrésistibilité s’entend de l’impossibilité absolue, en raison de la force majeure, d’exécuter le contrat.
Ainsi, une simple augmentation du coût d’exécution, même significative, ne suffit pas car elle ne rend pas l’exécution impossible, mais simplement plus difficile ou plus coûteuse (2).
Les tribunaux ont eu à trancher cette question en présence de hausses de droits de douane et ils ont jugé qu’elles n’empêchaient pas l’exécution du contrat, mais en modifiaient seulement les conditions économiques.
Dans ces conditions, invoquer la force majeure pour tenter de suspendre l’exécution du contrat subissant l’effet de la hausse des droits de douane ou d’y mettre un terme est peine perdue.
Grande nouveauté issue de la réforme du Code civil en 2016, l’article 1195 du Code civil permet à une partie de demander la révision du contrat lorsque trois conditions cumulatives sont réunies : un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, qui rend l’exécution de ce dernier excessivement onéreuse pour une partie, partie qui n’a pas accepté contractuellement d’assumer ce risque.
Concrètement, la partie qui supporte des obligations dont l’exécution est devenue excessivement onéreuse peut demander la renégociation du contrat à l’autre partie. Mais, cette dernière n’est pas contrainte d’accepter une renégociation. Et, pendant cette phase de renégociation, le contrat doit continuer à être exécuté.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent mettre un terme au contrat ou demander au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, l’une d’elles peut saisir unilatéralement le juge, qui pourra alors réviser le contrat ou y mettre fin.
Ce dispositif peut trouver à s’appliquer dans un contexte de hausse brutale des droits de douane. Mais, il n’est pas sans défauts : d’une part, même en cas de renégociation de ses termes, le contrat demeure applicable malgré son caractère excessivement onéreux pour l’un des cocontractants ; d’autre part, le juge pourra être amené à s’immiscer dans le contrat et à en réviser les termes, ce qui est source d’aléa pour les parties alors que le contrat était censé constituer leur loi.
D’où l’exclusion fréquente de l’application de l’article 1195 du Code civil dans les contrats et la nécessité d’attacher une attention toute particulière à la rédaction de ce dernier.
Tout d’abord, il est essentiel d’examiner si le contrat (ou les conditions générales de vente ou d’achat qui en font office) fait référence à un Incoterm et, dans l’affirmative, lequel.
Les Incoterms sont des règles internationales qui encadrent les obligations des parties et les risques qu’elles supportent dans une transaction commerciale. Les Incoterms n’ont pas de caractère obligatoire, mais ils sont très utilisés en pratique. Ils sont au nombre de onze et, pour dix d’entre eux, ils prévoient que c’est l’acheteur qui paie les droits de douane à l’importation.
Outre l’application d’un Incoterm, le contrat peut contenir des clauses permettant d’appréhender les imprévus :
Clause de révision de prix qui permet d’ajuster le prix contractuel en fonction de l’évolution d’indicateurs objectifs, comme les droits de douane ;
Clause de force majeure qui peut prévoir que les modifications réglementaires ou législatives de nature à rendre plus onéreuse l’exécution du contrat constitueront des cas de force majeure ; les conditions de la force majeure (comme ses effets) peuvent en effet être aménagées contractuellement ;
Clause d’imprévision (ou de « hardship ») qui permet d’anticiper la survenance de circonstances imprévues en imposant dans cette hypothèse une renégociation du contrat ; les parties peuvent librement définir les événements déclencheurs (hausse des droits de douane par exemple), ainsi que les modalités de renégociation et, en cas d’échec, la solution à mettre en œuvre (résiliation, un recours à la médiation, etc.).
Ce rapide aperçu des clauses qui peuvent être insérées dans le contrat montre que les parties disposent d’une boîte à outils qui leur permet d’éviter les déconvenues telles que d’avoir à supporter des hausses de droits de douane aussi brutales que significatives. L’effectivité de ces clauses est, sous réserve parfois du respect de conditions de validité particulières, reconnue par la grande majorité des droits étatiques et des juridictions. Elles sécurisent donc les parties à un contrat et les décisions intempestives et volte-face d’un certain Président des Etats-Unis sont l’occasion d’en faire la promotion.
(1) Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-18.567
(2) Soc. 8 mars 1972, no 71-40.429; Cass. com. 31 mai 1976, no 75-14.625; Cass. com., 4 janv. 1980, n° 78-13.904
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