L’opération Poker demande à l’Armée de l’Air et de l’Espace le déploiement d’un nombre important d’appareils : avions de combat, avions porteurs du missile nucléaire ASMP-A (maquette), ravitailleurs,… Pourtant, cette opération totalement française connait 2 exceptions : en 2021, un ravitailleur KC-135 américain et en 2022, un ravitailleur KC-767 italien ont tous deux participé à cette opération hautement stratégique.
Ce 25 mars, la première opération Poker de l'année 2025 était lancée par les Forces Aériennes Stratégiques françaises (FAS). Organisé exceptionnellement de jour, l'opération a pour objectif de recréer un raid nucléaire complet (ravitailleurs, Rafale B porteurs de maquettes d'ASMP-A, Rafale et Mirage d'escorte,...), devant pénétrer un espace aérien défendu par une force aérienne ennemie et des batteries antiaériennes ennemies. Pour l'occasion, de nombreux personnels, moyens et ressources de l'Armée de l'Air et de l'Espace étaient mobilisés pour à la fois créer le raid en tant que tel mais aussi des avions de combat pour la force aérienne adverse ainsi qu'une batterie antiaérienne longue portée SAMP/T.
Cependant, cette règle du 100 % français a pour l'instant deux exceptions confirmées, grâce à French Trackers & Spotters (@FrenchTrackers). Ce compte X (anciennement Twitter) est alimenté par cinq personnes (anonymes) et est spécialisé dans le suivi des avions militaires français en France ou à l'étranger et parfois, le survol de la France par des appareils étrangers spécifiques. Ce suivi est effectué grâce aux différents sites de suivi en direct des avions (live tracking). Au vu de l'importance des opérations Poker, French Trackers & Spotters suis bien évidemment les différents appareils participant à ces opérations stratégiques. Or, c'est grâce à ce suivi attentif qu'à deux occasions différentes, l'opération Poker a été ouverte à deux avions ne volant pas avec la cocarde de l'Armée de l'Air et de l'Espace.
Le 15 décembre 2021, l'opération Poker 2021-04 était déclenchée vers 20h39 (heure de Paris). Petit-à-petit, d'autres ravitailleurs Stratolifter et A330 MRTT Phénix, ainsi qu'un avion de guet aérien avancé et de commandement (AEW&C) E-3F Sentry sont apparus. Les avions se sont alors regroupés sur la Bretagne et ont commencé le raid. Vers 22h50, une deuxième vague se rassemblait sur la Bretagne alors que la première vague réapparaissait dans le Sud de la France. C'est à ce moment-là que, contre toute attente, un ravitailleur KC-135 Stratotanker venu de la base aérienne de Mildenhall (Suffolk, Royaume-Uni) a créé un hippodrome d'attente au sud-ouest d'Orléans. Cet avion se trouve justement sur l'un des hippodromes (manœuvre durant laquelle un ravitailleur cercle dans un ovale allongé et ravitaille les avions qui se présentent en gardant un tracé de vol ovale) de l'opération Poker 2021-04... et appartient à la Force aérienne américaine (US Air Force, USAF).
La deuxième exception date de l'opération Poker 2022-01, déclenchée peu avant 20h, le 8 mars 2022. Cette nuit-là, les sites de live tracking ont permis de suivre un ravitailleur KC-767 créer un hippodrome de ravitaillement au sud-ouest d'Orléans (dans la zone de l'opération Poker). Cette fois-ci, l'avion n'appartenait pas à l'USAF mais bel et bien l'Aéronautique Militaire italienne (Aeronautica Militare, AM). Il avait décollé depuis sa base aérienne de Mario de Bernardi (Latium, Italie) à 22h18 et a ainsi ravitaillé des avions français intégrés à cette opération Poker.
Aucune annonce officielle n'avait permis de confirmer leur présence, en dehors du suivi affuté de French Trackers & Spotters. Mais ces deux participations pourraient remettre en question plusieurs points centraux de la dissuasion française en générale et notamment son indépendance. Pour rappel, ce concept clé de la dissuasion vise à assurer que l'utilisation des armes stratégiques françaises ne requiert qu'une décision française et ne doit pas dépendre d'une autorisation étrangère. Ainsi, au niveau des FAS, le vecteur (missile ASMP-A) et son porteur (Rafale B) doivent être pensés, développés et produits en France. Mais pour se projeter, ces Rafale B doivent aussi compter sur des ravitailleurs français... ce qui n'était pas le cas lors de ces deux opérations Poker. C'est d'autant plus important que cet exercice n'est pas dénommé exercice Poker mais bel et bien opération Poker car en dehors du fait qu'aucun missile n'est tiré, il s'agit à chaque fois d'une répétition dans les moindres détails d'un réel raid nucléaire.
Cependant, la localisation de l'hippodrome de ces deux avions étrangers permet de connaitre le rôle dans ces deux Poker. Ils n'ont en aucun cas soutenu les avions participants au raid, bien au contraire. Cet hippodrome est en réalité utilisé pour soutenir les forces aériennes ennemies, simulées par des avions de combat de l'Armée de l'Air et de l'Espace. Il n'y a donc jamais eu de Rafale B porteur de la maquette d'un ASMP-A sous le ravitailleur KC-135 américain ou le KC-767 italien. Ces appareils ont "tout simplement" ravitaillé des avions de combat français "non stratégiques", de nuit et déployés dans le cadre d'un exercice, comme ils auraient pu le faire dans le cadre d'un autre exercice conventionnel ou même dans le cadre d'une opération conventionnelle réelle.
Étienne Marcuz, chercheur auprès du FRS, émet une hypothèse intéressante : pourquoi ne pas inclure, lors de certaines opérations Poker, des avions de combat européens ? Alors qu'un réel raid aérien stratégique français devrait réussir sans aide externe, ajouter des appareils alliés permettrait d'encore augmenter l'efficacité de cette opération. Cet argument a même encore plus de poids depuis l'arrivée de Donald Trump, président des États-Unis, et de sa politique de l'America First. Pratiquement, ces appareils étrangers ne seraient bien évidemment pas porteurs d'ASMP-A mais pourraient en revanche ouvrir la voie au raid, donnant plus de poids aux avions d'escorte français ou encore créer une bulle de défense aérienne autour du raid. Ces différentes configurations permettent ainsi une participation européenne à dissuasion française européenne mais tout en garantissant l'indépendance de la dissuasion nucléaire française.
Cette participation européenne n'est pas non plus dénuée d'expérience. Pour rappel, dans le cadre de l'accord de partage nucléaire de l'OTAN (NATO Nuclear Sharing Agreement), cinq pays disposent de bunkers pouvant abriter des bombes nucléaires B-61 américaines et pouvant être emportées, dans la plupart des cas, par des avions de combat appartenant à ces mêmes pays : Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas et Turquie. Afin de confirmer cette capacité de frappe aérienne nucléaire, l'OTAN organise chaque année l'exercice Steadfast Noon. La dernière édition date du 14 au 24 octobre 2024, avec 2000 militaires et 60 avions de combat mobilisés... de 13 pays membres de l'OTAN ! Il y a donc bien plus de pays que les 6 états parties à l'accord de partage nucléaire (les 5 pays en Europe et les États-Unis). Les différentes annonces officielles et données en sources ouvertes confirment par exemple la participation de la Pologne, du Danemark (d'ailleurs un pays hôte de l'édition 2024) ou encore de la République tchèque ! Dans cette optique, Étienne Marcuz ajoute :
"De nombreuses forces aériennes européennes ont une expérience opérationnelle dans les raids nucléaires grâce à Steadfast Noon. Cette expérience, cette culture du raid nucléaire en coalition pourrait ainsi être partagée avec la France au même titre que l'Armée de l'Air et de l'Espace pourrait acculturer ces forces aériennes aux spécificités du raid aérien nucléaire français, notamment sur le côté standoff dans la grande profondeur."
Image de couverture pour illustration : Ravitailleur KC-767A de l'Aeronautica Militare en vol. © Aeronautica Militare
L’opération Poker demande à l’Armée de l’Air et de l’Espace le déploiement d’un nombre important d’appareils : avions de combat, avions porteurs du missile nucléaire ASMP-A (maquette), ravitailleurs,… Pourtant, cette opération totalement française connait 2 exceptions : en 2021, un ravitailleur KC-135 américain et en 2022, un ravitailleur KC-767 italien ont tous deux participé à cette opération hautement stratégique.
Ce 25 mars, la première opération Poker de l'année 2025 était lancée par les Forces Aériennes Stratégiques françaises (FAS). Organisé exceptionnellement de jour, l'opération a pour objectif de recréer un raid nucléaire complet (ravitailleurs, Rafale B porteurs de maquettes d'ASMP-A, Rafale et Mirage d'escorte,...), devant pénétrer un espace aérien défendu par une force aérienne ennemie et des batteries antiaériennes ennemies. Pour l'occasion, de nombreux personnels, moyens et ressources de l'Armée de l'Air et de l'Espace étaient mobilisés pour à la fois créer le raid en tant que tel mais aussi des avions de combat pour la force aérienne adverse ainsi qu'une batterie antiaérienne longue portée SAMP/T.
Cependant, cette règle du 100 % français a pour l'instant deux exceptions confirmées, grâce à French Trackers & Spotters (@FrenchTrackers). Ce compte X (anciennement Twitter) est alimenté par cinq personnes (anonymes) et est spécialisé dans le suivi des avions militaires français en France ou à l'étranger et parfois, le survol de la France par des appareils étrangers spécifiques. Ce suivi est effectué grâce aux différents sites de suivi en direct des avions (live tracking). Au vu de l'importance des opérations Poker, French Trackers & Spotters suis bien évidemment les différents appareils participant à ces opérations stratégiques. Or, c'est grâce à ce suivi attentif qu'à deux occasions différentes, l'opération Poker a été ouverte à deux avions ne volant pas avec la cocarde de l'Armée de l'Air et de l'Espace.
Le 15 décembre 2021, l'opération Poker 2021-04 était déclenchée vers 20h39 (heure de Paris). Petit-à-petit, d'autres ravitailleurs Stratolifter et A330 MRTT Phénix, ainsi qu'un avion de guet aérien avancé et de commandement (AEW&C) E-3F Sentry sont apparus. Les avions se sont alors regroupés sur la Bretagne et ont commencé le raid. Vers 22h50, une deuxième vague se rassemblait sur la Bretagne alors que la première vague réapparaissait dans le Sud de la France. C'est à ce moment-là que, contre toute attente, un ravitailleur KC-135 Stratotanker venu de la base aérienne de Mildenhall (Suffolk, Royaume-Uni) a créé un hippodrome d'attente au sud-ouest d'Orléans. Cet avion se trouve justement sur l'un des hippodromes (manœuvre durant laquelle un ravitailleur cercle dans un ovale allongé et ravitaille les avions qui se présentent en gardant un tracé de vol ovale) de l'opération Poker 2021-04... et appartient à la Force aérienne américaine (US Air Force, USAF).
La deuxième exception date de l'opération Poker 2022-01, déclenchée peu avant 20h, le 8 mars 2022. Cette nuit-là, les sites de live tracking ont permis de suivre un ravitailleur KC-767 créer un hippodrome de ravitaillement au sud-ouest d'Orléans (dans la zone de l'opération Poker). Cette fois-ci, l'avion n'appartenait pas à l'USAF mais bel et bien l'Aéronautique Militaire italienne (Aeronautica Militare, AM). Il avait décollé depuis sa base aérienne de Mario de Bernardi (Latium, Italie) à 22h18 et a ainsi ravitaillé des avions français intégrés à cette opération Poker.
Aucune annonce officielle n'avait permis de confirmer leur présence, en dehors du suivi affuté de French Trackers & Spotters. Mais ces deux participations pourraient remettre en question plusieurs points centraux de la dissuasion française en générale et notamment son indépendance. Pour rappel, ce concept clé de la dissuasion vise à assurer que l'utilisation des armes stratégiques françaises ne requiert qu'une décision française et ne doit pas dépendre d'une autorisation étrangère. Ainsi, au niveau des FAS, le vecteur (missile ASMP-A) et son porteur (Rafale B) doivent être pensés, développés et produits en France. Mais pour se projeter, ces Rafale B doivent aussi compter sur des ravitailleurs français... ce qui n'était pas le cas lors de ces deux opérations Poker. C'est d'autant plus important que cet exercice n'est pas dénommé exercice Poker mais bel et bien opération Poker car en dehors du fait qu'aucun missile n'est tiré, il s'agit à chaque fois d'une répétition dans les moindres détails d'un réel raid nucléaire.
Cependant, la localisation de l'hippodrome de ces deux avions étrangers permet de connaitre le rôle dans ces deux Poker. Ils n'ont en aucun cas soutenu les avions participants au raid, bien au contraire. Cet hippodrome est en réalité utilisé pour soutenir les forces aériennes ennemies, simulées par des avions de combat de l'Armée de l'Air et de l'Espace. Il n'y a donc jamais eu de Rafale B porteur de la maquette d'un ASMP-A sous le ravitailleur KC-135 américain ou le KC-767 italien. Ces appareils ont "tout simplement" ravitaillé des avions de combat français "non stratégiques", de nuit et déployés dans le cadre d'un exercice, comme ils auraient pu le faire dans le cadre d'un autre exercice conventionnel ou même dans le cadre d'une opération conventionnelle réelle.
Étienne Marcuz, chercheur auprès du FRS, émet une hypothèse intéressante : pourquoi ne pas inclure, lors de certaines opérations Poker, des avions de combat européens ? Alors qu'un réel raid aérien stratégique français devrait réussir sans aide externe, ajouter des appareils alliés permettrait d'encore augmenter l'efficacité de cette opération. Cet argument a même encore plus de poids depuis l'arrivée de Donald Trump, président des États-Unis, et de sa politique de l'America First. Pratiquement, ces appareils étrangers ne seraient bien évidemment pas porteurs d'ASMP-A mais pourraient en revanche ouvrir la voie au raid, donnant plus de poids aux avions d'escorte français ou encore créer une bulle de défense aérienne autour du raid. Ces différentes configurations permettent ainsi une participation européenne à dissuasion française européenne mais tout en garantissant l'indépendance de la dissuasion nucléaire française.
Cette participation européenne n'est pas non plus dénuée d'expérience. Pour rappel, dans le cadre de l'accord de partage nucléaire de l'OTAN (NATO Nuclear Sharing Agreement), cinq pays disposent de bunkers pouvant abriter des bombes nucléaires B-61 américaines et pouvant être emportées, dans la plupart des cas, par des avions de combat appartenant à ces mêmes pays : Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas et Turquie. Afin de confirmer cette capacité de frappe aérienne nucléaire, l'OTAN organise chaque année l'exercice Steadfast Noon. La dernière édition date du 14 au 24 octobre 2024, avec 2000 militaires et 60 avions de combat mobilisés... de 13 pays membres de l'OTAN ! Il y a donc bien plus de pays que les 6 états parties à l'accord de partage nucléaire (les 5 pays en Europe et les États-Unis). Les différentes annonces officielles et données en sources ouvertes confirment par exemple la participation de la Pologne, du Danemark (d'ailleurs un pays hôte de l'édition 2024) ou encore de la République tchèque ! Dans cette optique, Étienne Marcuz ajoute :
"De nombreuses forces aériennes européennes ont une expérience opérationnelle dans les raids nucléaires grâce à Steadfast Noon. Cette expérience, cette culture du raid nucléaire en coalition pourrait ainsi être partagée avec la France au même titre que l'Armée de l'Air et de l'Espace pourrait acculturer ces forces aériennes aux spécificités du raid aérien nucléaire français, notamment sur le côté standoff dans la grande profondeur."
Image de couverture pour illustration : Ravitailleur KC-767A de l'Aeronautica Militare en vol. © Aeronautica Militare
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