Moins de trois mois après celle du soviétique Alexeï Leonov, l’Américain Ed White effectuait le 3 juin 1965 une « marche » dans l’espace, la seconde de l’histoire de l’astronautique, la première américaine.
A ce jour, plus de 400 « marches dans l’espace » ou sorties extravéhiculaires (Extra Vehicular Activity ou EVA) ont été réalisées par des hommes et des femmes de différentes nationalités, mais à forte dominante américaine et soviéto-russe. La toute première sortie remonte au 18 mars 1965 avec le soviétique Alexeï Leonov qui, en pleine Guerre froide, narguait le rival américain…
Annoncé en 1961 par le président Kennedy, le débarquement lunaire ne pouvait se faire sans au préalable l’acquisition et la maîtrise des technologies et des manœuvres à réaliser dans l’espace (dont le rendez-vous entre deux vaisseaux, l’amarrage, etc.), ainsi que l’entrainement d’équipages à des vols de longue durée. C’est l’objet du programme Gemini. Vaisseau en forme de cône d’une hauteur de 5,8 m, d’une masse totale de 3 850 kg, Gemini embarque deux astronautes dans un espace bien exigüe (2,5 m3). Après avoir testé à deux reprises le vaisseau en avril 1964 et janvier 1965, sans équipage, la troisième mission de mars 1965 emporte les astronautes Virgil Grissom et John Young qui effectuent un vol d’essai. Avec la mission suivante, le programme allait entrer dans une phase plus importante.
Début juin 1965, le lanceur Titan II GLV est sur son pas de tir à Cap Kennedy, avec au sommet la capsule Gemini IV. Deux cents millions d’Américains s’apprêtent alors à suivre l’événement à la télévision, où ils assistent, le 3 juin, à l’embarquement de deux astronautes : le commandant James McDivitt et le pilote Edward White. La couverture médiatique est exceptionnelle et, pour la première fois, le décollage va s’effectuer en direct à la télévision aux Etats-Unis, mais aussi dans une douzaine d’autres pays qui ont la possibilité de recevoir les données via le satellite Early Bird (placé sur orbite le 6 avril précédent). La presse est en effervescence, notamment en France où Paris Match obtient un accord d’exclusivité « jusqu’à la conquête de la Lune ».
Avec Gemini IV, les « jumeaux de l’espace », comme la presse les désigne, vont entreprendre un vol de quatre jours au cours duquel ils tenteront un rendez-vous avec le second étage du Titan II, effectueront onze expériences et, clou de la mission, la première « marche » américaine dans l’espace en réponse notamment à celle de Leonov.
Le 3 juin, à 10h16, Titan II décolle avec succès et place Gemini IV sur une orbite de 160 à 280 km d’altitude. Le commandant McDivitt manœuvre alors le vaisseau (sans radar à bord permettant de connaître précisément la portée de la cible), le retourne de 180° pour se rapprocher du deuxième étage de Titan. Pour la première fois, des astronautes peuvent voir l’étage de leur fusée porteuse… Toutefois, la poursuite vers celui-ci est un échec. La distance entre les deux engins augmentant et le risque de manquer de carburant pour la suite de la mission entraînent l’abandon de la manœuvre. Alors que le vaisseau effectue sa deuxième orbite, White se prépare alors à sortir dans l’espace.
Après avoir éprouvé quelques difficultés à ouvrir le sas, Ed White sort et commence par installer une caméra pour filmer l’opération. Par ailleurs, il dispose d’une sorte de « pistolet » qui, en éjectant de l’oxygène sous pression, lui permet de mieux contrôler ses déplacements. Pendant toute la durée de la sortie, l’astronaute reste attaché au vaisseau par le biais d’un cordon ombilical de 8 m de long (fournissant aussi l’oxygène). Les minutes que White passe alors en dehors du vaisseau sont « spectaculaires ». Ne dépassant pas la distance de huit mètres par rapport au vaisseau, White est littéralement subjugué : « C’est juste formidable », déclare-t-il. Son coéquipier et les opérateurs au sol doivent insister pour qu’il rentre. Cela ne manque pas d’être rapporté par la presse comme France-Soir qui, le 5 juin, titre en gros caractères un extrait de dialogue des « jumeaux de l’espace » : « RENTRE DANS LA CABINE – NON JE VEUX RESTER DANS LE CIEL ».
Contrairement à Leonov, White effectue une « marche » sans réel problème. Toutefois lors de son retour, sa réintégration dans le vaisseau n’a pas été aisée, sans compter le sas qui a de nouveau posé des soucis au moment de sa fermeture.
La sortie de White est un succès que savourent les Etats-Unis et qui remporte un écho médiatique impressionnant. Ainsi, en France, de nombreux quotidiens évoquent la marche de White comme Paris Jour qui, dès le 4 juin, titre en gros « VICTOIRE POUR LE NOUVEAU PIETON DE L’ESPACE » ; le 5 juin, Le Parisien Libéré titre « WHITE et McDIVITT déjà 1 million de kilomètres ce matin (25 fois le tour de la Terre) TOUT VA BIEN » et, ajoute que leurs femmes « ont le moral ».
La suite de la mission est tout aussi suivie par les médias. Par exemple, La Montagne précise le 5 juin que « Après l’exploit de White les deux cosmonautes passent désormais leur temps à filmer et à photographier la Terre ». Il est également souligné que White a fait mieux que Leonov en réalisant une marche ayant duré le double de celle du Soviétique.
Le 7 juin, lors de la 62e orbite, Gemini IV revient et amerrit dans l’océan Atlantique. L’équipage est récupéré par hélicoptère et amené à bord du porte-avions USS Wasp. L’Amérique triomphe, comme le rapporte La Nouvelle République le 8 juin : « OVATION ET TAPIS ROUGE POUR MCDIVITT ET WHITE à bord du Wasp après leur ronde de 97 heures » ; le même jour, La Montagne titre « Amerrissage réussi de Gemini IV », et précise que « dans le duel avec l’URSS, les Américains marquent un point ». En effet, Gemini IV a notamment permis les réalisations du vol spatial et la sortie dans l’espace les plus longues (21 minutes contre 10 minutes pour Leonov). De plus, dans le même temps, les Soviétiques échouent à faire alunir leur sonde Lunik VI, comme le soulignent de nombreux quotidiens le 11 juin.
Alors que Paris Match rend un hommage exceptionnel aux astronautes américains en leur faisant notamment la une du numéro daté du 12 juin, le 26e Salon de l’Aéronautique et de l’espace au Bourget (11-20 juin 1965) attire soudainement toutes les attentions avec la visite le 18 d’Edward White et James McDivitt. C’est l’émoi ! Le 19, Paris Jour précise même que « Paris devient la capitale de l’espace ». En effet, le Salon voit la tenue d’une véritable « conférence au sommet de l’astronautique » en présence du Premier ministre Pompidou, du vice-président américain Hubert Humphrey, mais aussi de l’emblématique Youri Gagarine. Pour Le Monde, daté du 19 mai, il ne fait aucun doute que les Américains viennent donner « la réplique aux Soviétiques », présents pour la première fois au Salon.
Derrière tout cela, se profile bien la course à la Lune, comme l’indique Paris Jour dès le 3 juin en titrant « Ils veulent battre les Russes », tandis que le 9 juin France Soir rapporte : « NOUS SERONS SUR LA LUNE AVANT FIN 1969, DISENT LES USA ».
Une biographie d’Ed White sur le site de la NASA
Une revue : « Les jumeaux de l’espace », Paris Match n°844, 12 juin 1965
Une vidéo sur la sortie de White du Smithsonian National Air and Space Museum
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Moins de trois mois après celle du soviétique Alexeï Leonov, l’Américain Ed White effectuait le 3 juin 1965 une « marche » dans l’espace, la seconde de l’histoire de l’astronautique, la première américaine.
A ce jour, plus de 400 « marches dans l’espace » ou sorties extravéhiculaires (Extra Vehicular Activity ou EVA) ont été réalisées par des hommes et des femmes de différentes nationalités, mais à forte dominante américaine et soviéto-russe. La toute première sortie remonte au 18 mars 1965 avec le soviétique Alexeï Leonov qui, en pleine Guerre froide, narguait le rival américain…
Annoncé en 1961 par le président Kennedy, le débarquement lunaire ne pouvait se faire sans au préalable l’acquisition et la maîtrise des technologies et des manœuvres à réaliser dans l’espace (dont le rendez-vous entre deux vaisseaux, l’amarrage, etc.), ainsi que l’entrainement d’équipages à des vols de longue durée. C’est l’objet du programme Gemini. Vaisseau en forme de cône d’une hauteur de 5,8 m, d’une masse totale de 3 850 kg, Gemini embarque deux astronautes dans un espace bien exigüe (2,5 m3). Après avoir testé à deux reprises le vaisseau en avril 1964 et janvier 1965, sans équipage, la troisième mission de mars 1965 emporte les astronautes Virgil Grissom et John Young qui effectuent un vol d’essai. Avec la mission suivante, le programme allait entrer dans une phase plus importante.
Début juin 1965, le lanceur Titan II GLV est sur son pas de tir à Cap Kennedy, avec au sommet la capsule Gemini IV. Deux cents millions d’Américains s’apprêtent alors à suivre l’événement à la télévision, où ils assistent, le 3 juin, à l’embarquement de deux astronautes : le commandant James McDivitt et le pilote Edward White. La couverture médiatique est exceptionnelle et, pour la première fois, le décollage va s’effectuer en direct à la télévision aux Etats-Unis, mais aussi dans une douzaine d’autres pays qui ont la possibilité de recevoir les données via le satellite Early Bird (placé sur orbite le 6 avril précédent). La presse est en effervescence, notamment en France où Paris Match obtient un accord d’exclusivité « jusqu’à la conquête de la Lune ».
Avec Gemini IV, les « jumeaux de l’espace », comme la presse les désigne, vont entreprendre un vol de quatre jours au cours duquel ils tenteront un rendez-vous avec le second étage du Titan II, effectueront onze expériences et, clou de la mission, la première « marche » américaine dans l’espace en réponse notamment à celle de Leonov.
Le 3 juin, à 10h16, Titan II décolle avec succès et place Gemini IV sur une orbite de 160 à 280 km d’altitude. Le commandant McDivitt manœuvre alors le vaisseau (sans radar à bord permettant de connaître précisément la portée de la cible), le retourne de 180° pour se rapprocher du deuxième étage de Titan. Pour la première fois, des astronautes peuvent voir l’étage de leur fusée porteuse… Toutefois, la poursuite vers celui-ci est un échec. La distance entre les deux engins augmentant et le risque de manquer de carburant pour la suite de la mission entraînent l’abandon de la manœuvre. Alors que le vaisseau effectue sa deuxième orbite, White se prépare alors à sortir dans l’espace.
Après avoir éprouvé quelques difficultés à ouvrir le sas, Ed White sort et commence par installer une caméra pour filmer l’opération. Par ailleurs, il dispose d’une sorte de « pistolet » qui, en éjectant de l’oxygène sous pression, lui permet de mieux contrôler ses déplacements. Pendant toute la durée de la sortie, l’astronaute reste attaché au vaisseau par le biais d’un cordon ombilical de 8 m de long (fournissant aussi l’oxygène). Les minutes que White passe alors en dehors du vaisseau sont « spectaculaires ». Ne dépassant pas la distance de huit mètres par rapport au vaisseau, White est littéralement subjugué : « C’est juste formidable », déclare-t-il. Son coéquipier et les opérateurs au sol doivent insister pour qu’il rentre. Cela ne manque pas d’être rapporté par la presse comme France-Soir qui, le 5 juin, titre en gros caractères un extrait de dialogue des « jumeaux de l’espace » : « RENTRE DANS LA CABINE – NON JE VEUX RESTER DANS LE CIEL ».
Contrairement à Leonov, White effectue une « marche » sans réel problème. Toutefois lors de son retour, sa réintégration dans le vaisseau n’a pas été aisée, sans compter le sas qui a de nouveau posé des soucis au moment de sa fermeture.
La sortie de White est un succès que savourent les Etats-Unis et qui remporte un écho médiatique impressionnant. Ainsi, en France, de nombreux quotidiens évoquent la marche de White comme Paris Jour qui, dès le 4 juin, titre en gros « VICTOIRE POUR LE NOUVEAU PIETON DE L’ESPACE » ; le 5 juin, Le Parisien Libéré titre « WHITE et McDIVITT déjà 1 million de kilomètres ce matin (25 fois le tour de la Terre) TOUT VA BIEN » et, ajoute que leurs femmes « ont le moral ».
La suite de la mission est tout aussi suivie par les médias. Par exemple, La Montagne précise le 5 juin que « Après l’exploit de White les deux cosmonautes passent désormais leur temps à filmer et à photographier la Terre ». Il est également souligné que White a fait mieux que Leonov en réalisant une marche ayant duré le double de celle du Soviétique.
Le 7 juin, lors de la 62e orbite, Gemini IV revient et amerrit dans l’océan Atlantique. L’équipage est récupéré par hélicoptère et amené à bord du porte-avions USS Wasp. L’Amérique triomphe, comme le rapporte La Nouvelle République le 8 juin : « OVATION ET TAPIS ROUGE POUR MCDIVITT ET WHITE à bord du Wasp après leur ronde de 97 heures » ; le même jour, La Montagne titre « Amerrissage réussi de Gemini IV », et précise que « dans le duel avec l’URSS, les Américains marquent un point ». En effet, Gemini IV a notamment permis les réalisations du vol spatial et la sortie dans l’espace les plus longues (21 minutes contre 10 minutes pour Leonov). De plus, dans le même temps, les Soviétiques échouent à faire alunir leur sonde Lunik VI, comme le soulignent de nombreux quotidiens le 11 juin.
Alors que Paris Match rend un hommage exceptionnel aux astronautes américains en leur faisant notamment la une du numéro daté du 12 juin, le 26e Salon de l’Aéronautique et de l’espace au Bourget (11-20 juin 1965) attire soudainement toutes les attentions avec la visite le 18 d’Edward White et James McDivitt. C’est l’émoi ! Le 19, Paris Jour précise même que « Paris devient la capitale de l’espace ». En effet, le Salon voit la tenue d’une véritable « conférence au sommet de l’astronautique » en présence du Premier ministre Pompidou, du vice-président américain Hubert Humphrey, mais aussi de l’emblématique Youri Gagarine. Pour Le Monde, daté du 19 mai, il ne fait aucun doute que les Américains viennent donner « la réplique aux Soviétiques », présents pour la première fois au Salon.
Derrière tout cela, se profile bien la course à la Lune, comme l’indique Paris Jour dès le 3 juin en titrant « Ils veulent battre les Russes », tandis que le 9 juin France Soir rapporte : « NOUS SERONS SUR LA LUNE AVANT FIN 1969, DISENT LES USA ».
Une biographie d’Ed White sur le site de la NASA
Une revue : « Les jumeaux de l’espace », Paris Match n°844, 12 juin 1965
Une vidéo sur la sortie de White du Smithsonian National Air and Space Museum
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Hélas, la haine de la guerre froide n'est pas entièrement éteinte, pour conclure cet article !... En 1965, en évoluant à l'extérieur de son ... Voskhod , démentait les affirmations d'un savant belge en 1964, qui prétendait que "l'astronaute" était un concept dépassé !.... Aujourd’hui encore , le débat fait toujours "rage" : le Cosmos est un territoire difficile pour l'être humain , mais le robot reste un outil, qui connaît obligatoirement ses limites !... plus
Hélas, la haine de la guerre froide n'est pas entièrement éteinte, pour conclure cet article !... En 1965, en évoluant à l'extérieur de son ... Voskhod , démentait les affirmations d'un savant belge en 1964, qui prétendait que "l'astronaute" était un concept dépassé !.... Aujourd’hui encore , le débat fait toujours "rage" : le Cosmos est un territoire difficile pour l'être humain , mais le robot reste un outil, qui connaît obligatoirement ses limites !... plus
Hélas, la haine de la guerre froide n'est pas entièrement éteinte, pour conclure cet article !... En 1965, en évoluant à l'extérieur de son ... Voskhod , démentait les affirmations d'un savant belge en 1964, qui prétendait que "l'astronaute" était un concept dépassé !.... Aujourd’hui encore , le débat fait toujours "rage" : le Cosmos est un territoire difficile pour l'être humain , mais le robot reste un outil, qui connaît obligatoirement ses limites !... plus