La décision de l'Union européenne d'accélérer son réarmement se traduit par des besoins grandissants en recrutement dans le secteur de la défense. L'occasion pour Franck Jullié, directeur associé du cabinet de recrutement Elzéar Défense, d'en souligner les enjeux.
Le marché du recrutement compte environ 1 500 cabinets en France. C’est un marché très organisé avec une segmentation par niveau de rémunération. On trouve les cabinets qui interviennent sur les rémunérations annuelles comprises entre 30 et 45 000 euros brut annuel. On parle ici du segment « middle down ». Ces cabinets sont souvent organisés en équipes spécialisées par régions ou familles de métiers : consultants spécialisés sur les postes de commerciaux, ou finance, ou IT, RH … https://www.elzear-defense.com/fr/
Il y a ensuite les cabinets qui interviennent sur les postes de cadre dont les rémunérations évoluent entre 40 et 70 000 euros brut annuel. On parle là de cabinet « middle ». On retrouve la même logique d’organisation par région et famille de métiers pour ces cabinets, surtout les cabinets les plus importants en taille. La plupart des 1 500 cabinets sont positionnés sur ces deux segments. On y trouve plus de 80% des acteurs.
On a ensuite une centaine de cabinets qui travaillent sur le segment des cadres supérieurs, les postes dont les rémunérations évoluent entre 70 et 120 000 euros brut annuels. Sur ce type de cabinet, on observe habituellement une spécialisation plus sectorielle que fonctionnelle (par famille de métiers). Mais, le métier du recrutement reste un métier de conseil et la personnalité du consultant donne une tonalité à sa "practice".
Enfin, il existe une vingtaine de cabinets qui sont spécialisés sur les recrutements de dirigeants, ceux dont les rémunérations sont supérieures à 100 000 euros brut annuel. On parle par abus de langage de candidats « executive » ou de « senior executive » pour les plus gros salaires (au-delà de 200 000 euros de rémunération annuelle).
Les stratégies de recherche sont principalement par annonce et LinkedIn sur le Middle. Le Middle up et l’Exec sont plus coutumiers de l’approche directe : cibler les entreprises concurrentes et descendre les organigrammes. Mais, l’efficacité de LinkedIn rebat les cartes. Le métier change depuis 15 ans. Il suffit de taper le mot « missile » sur LinkedIn pour comprendre que les candidats sont très visibles et les entreprises très vulnérables.
Le secteur de la Défense est très particulier. On parle de poudre, d’explosif, d'armes, de missiles, de drones qui vont lâcher des grenades pour tuer des gens. Certaines sociétés cotées ou certains fonds ne peuvent pas assumer dans leurs activités de déclarer qu’elles soutiennent ce type d’activités. On peut parler de technologie duale civile et militaire, notamment dans l'aviation. On peut travailler sur la fabrication d'avion en temps de paix, voire de missile en temps de paix. On peut parler de haute technologie, mais la question de la guerre et du létal n'est jamais très éloignée.
Et lorsque le climat géopolitique devient tendu, les cabinets et les candidats ne souhaitent pas tous assumer une identité Défense. Vous pouvez poser la question aux RH d’un certain groupe basé au Plessis Robinson si vous avez quelques doutes. De fait, peu de cabinets assument une identité Défense en France. On compte les cabinets spécialisés Défense sur les doigts d'une main. La plupart vont parler d'industrie, éventuellement avec une "practice" aéronautique/spatiale ou électronique, mais très peu vont assumer le caractère spécifiquement Défense.
Il y a la difficulté de vendre un poste aux candidats qui consiste à fabriquer des armes qui vont tuer des gens, guider des missiles. Il est plus facile de vendre un poste au sein d’une société qui fabrique des cosmétiques, des parfums ou des trains. Il y a une triple difficulté, à la fois du côté de l'actionnaire, du côté du candidat, et également du côté de certains collaborateurs au sein d’un cabinet. J’imagine d’ailleurs qu’il y a ce type de difficulté pour ceux qui veulent travailler dans le secteur de l’énergie avec des consultants favorables au nucléaire et ceux qui y sont opposés. Je pense à un cabinet de conseil en gestion de projet qui a du s’organiser en deux équipes pour sa "practice" Energie, les pro et les anti-nucléaire.
Le secteur Défense participe du monde de l'industrie avec souvent des aspects technologiques très importants, une propension export réelle et une interface gouvernementale. On parle DGA, programmes. Le secteur a ses codes, sa sémantique. Les professionnels sont souvent des passionnés. Par ailleurs, les questions de souveraineté et de patriotisme ne sont pas étrangères à l'intérêt de faire un bel avion ou de bons équipements militaires.
La situation est contrastée. L'horizon géopolitique tendu porte des promesses de commandes, et donc incite à un dynamisme de recrutement. Est-ce conjoncturel, est-ce structurel ? Mais, ce secteur, comme beaucoup d'autres, est aussi touché par le nombre très important de départs en retraite.
Les nombreux départs en retraite sont structurels depuis une quinzaine d'années. Mais si, jusqu’ici, ces départs autorisaient des réorganisations ou des optimisations d’équipes, les départs actuels se font cruellement sentir. Une personne qui s'en va maintenant doit nécessairement être remplacée. On parle du remplacement de candidats très expérimentés, avec des courbes d'expérience de 40 ans. Et ces seniors ne peuvent pas être remplacés par des profils purement juniors. On a donc un effet ciseau liés à la démographie – pas assez de jeunes candidats, et de sociologie : pas assez d’ingénieurs, qui de plus soient intéressés pas l’industrie des armes. Il n'y a donc pas assez de candidats pour pouvoir les postes techniques.
Le problème se pose pour le moment plutôt à l’intérieur du secteur Défense. Pour les grands groupes, on observe une compétition entre MBDA, THALES, SAFRAN, Airbus, Nexter, NAVAL Group, avec un avantage pour celui ou ceux qui paient le mieux. Les talents transitent donc entre ces grandes structures, ou depuis les PME et les équipementiers vers ces grands groupes en raison des salaires plus attractifs.
Pour les PME. la situation est beaucoup plus compliquée. Autant en début de carrière, les passages d’un grand groupe à une PME peuvent se faire facilement – les écarts de salaires ne sont pas encore trop marqués. Mais, après 10 ou 15 ans d'expérience, les différentiels de salaire sont nettement à l'avantage des grands groupes et il est compliqué d'attirer un directeur d'un grand groupe pour rejoindre une PME. Seule exception à cette règle, le poste de directeur général où les mécanismes de variable (voire de LBO ou de gratification statutaire) donnent quelques arguments pour convaincre les candidats.
Pour réussir à recruter dans ce contexte de pénurie de talents, les principes restent les mêmes pour le secteur Défense que pour tous les autres secteurs. Premièrement, les candidats travaillent sur la perception plutôt que sur le réel. Du moins, au tout début des contacts. Il faut donc que l'entreprise qui recrute ait une présentation de son activité, du poste et du contexte recrutement extrêmement transparente et claire.
Deuxièmement, il faut que les paroles et les actes soient alignés tout au long du processus recrutement. Les candidats lisent la cohérence du recruteur. Ils captent les infra-messages. Troisièmement les candidats sont d’autant plus sensibles à l'éthique de leurs interlocuteurs que le marché est compétitif et tendu.
Quatrièmement, les A recrutent des A, les B recrutent des C. Tout compte. La qualité du RH, la qualité du cabinet si un cabinet est sollicité, la qualité du lieu de travail, la qualité de l’accueil.
Cinquièmement, les bons candidats prennent leurs informations sur leurs futurs employeurs. La réputation est un capital social de l'entreprise précieux lorsque le marché devient tendu. On récolte ce qu’on sème. Le monde est petit. Soigner la manière d’éconduire un candidat. Un candidat peut en sourcer un autre.
Sixièmement, la réactivité dans les processus de recrutement est importante. Les statistiques déclarent habituellement qu’environ deux tiers des candidats acceptent la première offre qui leur est faite. Ils interprètent cette rapidité comme un esprit de décision et une volonté franche. Les employeurs trop indécis prennent le risque de projeter un doute et un esprit indécis.
Septièmement, annoncer dès le début les étapes du processus recrutement.
Pour les PME, souvent provinciales avec des bassins d'emploi qui sont réduits – l’alternative peut consister à recruter des candidats plus juniors qui seront motivés à prendre des responsabilités plus rapidement. Je conseillerai également de maintenir des exigences académiques fortes mais d’ouvrir à d’autres secteurs industriels.
La décision de l'Union européenne d'accélérer son réarmement se traduit par des besoins grandissants en recrutement dans le secteur de la défense. L'occasion pour Franck Jullié, directeur associé du cabinet de recrutement Elzéar Défense, d'en souligner les enjeux.
Le marché du recrutement compte environ 1 500 cabinets en France. C’est un marché très organisé avec une segmentation par niveau de rémunération. On trouve les cabinets qui interviennent sur les rémunérations annuelles comprises entre 30 et 45 000 euros brut annuel. On parle ici du segment « middle down ». Ces cabinets sont souvent organisés en équipes spécialisées par régions ou familles de métiers : consultants spécialisés sur les postes de commerciaux, ou finance, ou IT, RH … https://www.elzear-defense.com/fr/
Il y a ensuite les cabinets qui interviennent sur les postes de cadre dont les rémunérations évoluent entre 40 et 70 000 euros brut annuel. On parle là de cabinet « middle ». On retrouve la même logique d’organisation par région et famille de métiers pour ces cabinets, surtout les cabinets les plus importants en taille. La plupart des 1 500 cabinets sont positionnés sur ces deux segments. On y trouve plus de 80% des acteurs.
On a ensuite une centaine de cabinets qui travaillent sur le segment des cadres supérieurs, les postes dont les rémunérations évoluent entre 70 et 120 000 euros brut annuels. Sur ce type de cabinet, on observe habituellement une spécialisation plus sectorielle que fonctionnelle (par famille de métiers). Mais, le métier du recrutement reste un métier de conseil et la personnalité du consultant donne une tonalité à sa "practice".
Enfin, il existe une vingtaine de cabinets qui sont spécialisés sur les recrutements de dirigeants, ceux dont les rémunérations sont supérieures à 100 000 euros brut annuel. On parle par abus de langage de candidats « executive » ou de « senior executive » pour les plus gros salaires (au-delà de 200 000 euros de rémunération annuelle).
Les stratégies de recherche sont principalement par annonce et LinkedIn sur le Middle. Le Middle up et l’Exec sont plus coutumiers de l’approche directe : cibler les entreprises concurrentes et descendre les organigrammes. Mais, l’efficacité de LinkedIn rebat les cartes. Le métier change depuis 15 ans. Il suffit de taper le mot « missile » sur LinkedIn pour comprendre que les candidats sont très visibles et les entreprises très vulnérables.
Le secteur de la Défense est très particulier. On parle de poudre, d’explosif, d'armes, de missiles, de drones qui vont lâcher des grenades pour tuer des gens. Certaines sociétés cotées ou certains fonds ne peuvent pas assumer dans leurs activités de déclarer qu’elles soutiennent ce type d’activités. On peut parler de technologie duale civile et militaire, notamment dans l'aviation. On peut travailler sur la fabrication d'avion en temps de paix, voire de missile en temps de paix. On peut parler de haute technologie, mais la question de la guerre et du létal n'est jamais très éloignée.
Et lorsque le climat géopolitique devient tendu, les cabinets et les candidats ne souhaitent pas tous assumer une identité Défense. Vous pouvez poser la question aux RH d’un certain groupe basé au Plessis Robinson si vous avez quelques doutes. De fait, peu de cabinets assument une identité Défense en France. On compte les cabinets spécialisés Défense sur les doigts d'une main. La plupart vont parler d'industrie, éventuellement avec une "practice" aéronautique/spatiale ou électronique, mais très peu vont assumer le caractère spécifiquement Défense.
Il y a la difficulté de vendre un poste aux candidats qui consiste à fabriquer des armes qui vont tuer des gens, guider des missiles. Il est plus facile de vendre un poste au sein d’une société qui fabrique des cosmétiques, des parfums ou des trains. Il y a une triple difficulté, à la fois du côté de l'actionnaire, du côté du candidat, et également du côté de certains collaborateurs au sein d’un cabinet. J’imagine d’ailleurs qu’il y a ce type de difficulté pour ceux qui veulent travailler dans le secteur de l’énergie avec des consultants favorables au nucléaire et ceux qui y sont opposés. Je pense à un cabinet de conseil en gestion de projet qui a du s’organiser en deux équipes pour sa "practice" Energie, les pro et les anti-nucléaire.
Le secteur Défense participe du monde de l'industrie avec souvent des aspects technologiques très importants, une propension export réelle et une interface gouvernementale. On parle DGA, programmes. Le secteur a ses codes, sa sémantique. Les professionnels sont souvent des passionnés. Par ailleurs, les questions de souveraineté et de patriotisme ne sont pas étrangères à l'intérêt de faire un bel avion ou de bons équipements militaires.
La situation est contrastée. L'horizon géopolitique tendu porte des promesses de commandes, et donc incite à un dynamisme de recrutement. Est-ce conjoncturel, est-ce structurel ? Mais, ce secteur, comme beaucoup d'autres, est aussi touché par le nombre très important de départs en retraite.
Les nombreux départs en retraite sont structurels depuis une quinzaine d'années. Mais si, jusqu’ici, ces départs autorisaient des réorganisations ou des optimisations d’équipes, les départs actuels se font cruellement sentir. Une personne qui s'en va maintenant doit nécessairement être remplacée. On parle du remplacement de candidats très expérimentés, avec des courbes d'expérience de 40 ans. Et ces seniors ne peuvent pas être remplacés par des profils purement juniors. On a donc un effet ciseau liés à la démographie – pas assez de jeunes candidats, et de sociologie : pas assez d’ingénieurs, qui de plus soient intéressés pas l’industrie des armes. Il n'y a donc pas assez de candidats pour pouvoir les postes techniques.
Le problème se pose pour le moment plutôt à l’intérieur du secteur Défense. Pour les grands groupes, on observe une compétition entre MBDA, THALES, SAFRAN, Airbus, Nexter, NAVAL Group, avec un avantage pour celui ou ceux qui paient le mieux. Les talents transitent donc entre ces grandes structures, ou depuis les PME et les équipementiers vers ces grands groupes en raison des salaires plus attractifs.
Pour les PME. la situation est beaucoup plus compliquée. Autant en début de carrière, les passages d’un grand groupe à une PME peuvent se faire facilement – les écarts de salaires ne sont pas encore trop marqués. Mais, après 10 ou 15 ans d'expérience, les différentiels de salaire sont nettement à l'avantage des grands groupes et il est compliqué d'attirer un directeur d'un grand groupe pour rejoindre une PME. Seule exception à cette règle, le poste de directeur général où les mécanismes de variable (voire de LBO ou de gratification statutaire) donnent quelques arguments pour convaincre les candidats.
Pour réussir à recruter dans ce contexte de pénurie de talents, les principes restent les mêmes pour le secteur Défense que pour tous les autres secteurs. Premièrement, les candidats travaillent sur la perception plutôt que sur le réel. Du moins, au tout début des contacts. Il faut donc que l'entreprise qui recrute ait une présentation de son activité, du poste et du contexte recrutement extrêmement transparente et claire.
Deuxièmement, il faut que les paroles et les actes soient alignés tout au long du processus recrutement. Les candidats lisent la cohérence du recruteur. Ils captent les infra-messages. Troisièmement les candidats sont d’autant plus sensibles à l'éthique de leurs interlocuteurs que le marché est compétitif et tendu.
Quatrièmement, les A recrutent des A, les B recrutent des C. Tout compte. La qualité du RH, la qualité du cabinet si un cabinet est sollicité, la qualité du lieu de travail, la qualité de l’accueil.
Cinquièmement, les bons candidats prennent leurs informations sur leurs futurs employeurs. La réputation est un capital social de l'entreprise précieux lorsque le marché devient tendu. On récolte ce qu’on sème. Le monde est petit. Soigner la manière d’éconduire un candidat. Un candidat peut en sourcer un autre.
Sixièmement, la réactivité dans les processus de recrutement est importante. Les statistiques déclarent habituellement qu’environ deux tiers des candidats acceptent la première offre qui leur est faite. Ils interprètent cette rapidité comme un esprit de décision et une volonté franche. Les employeurs trop indécis prennent le risque de projeter un doute et un esprit indécis.
Septièmement, annoncer dès le début les étapes du processus recrutement.
Pour les PME, souvent provinciales avec des bassins d'emploi qui sont réduits – l’alternative peut consister à recruter des candidats plus juniors qui seront motivés à prendre des responsabilités plus rapidement. Je conseillerai également de maintenir des exigences académiques fortes mais d’ouvrir à d’autres secteurs industriels.
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