Attaque de drones ukrainiens sur Taganrog : des dommages légers aux conséquences très lourdes
Attaque de drones ukrainiens sur Taganrog : des dommages légers aux conséquences très lourdes
© Google Earth, Air&Cosmos

publié le 12 mars 2024 à 19:33

1114 mots

Attaque de drones ukrainiens sur Taganrog : des dommages légers aux conséquences très lourdes

Alors que certains annoncent une attaque de drone ayant raté les avions russes, l’attaque de la base aérienne de Taganrog est en réalité un succès pour l’Ukraine ; le hangar touché est utilisé par Beriev pour entretenir et moderniser la petite flotte d’A-50 Mainstay russes, sans compter d’autres appareils très stratégiques. Les fans d’aviation militaire reconnaitront peut-être un avion très rare, probablement abandonné sur ce même parking et visible sur les images satellites.


Attaque de drones

Durant la nuit du 8 au 9 mars, des explosions étaient entendues dans la ville de Taganrog (oblast de Rostov, Russie). Des images d'une épave d'un drone confirment une attaque de drone suicide ukrainien sur la région (image ci-dessous).

Les images satellites de la zone, disponibles quelques jours plus tard, confirment qu'au moins trois drones ont touché deux hangars de l'aéroport situé au sud de Taganrog :

  • Un petit hangar, situé devant le parking avion, légèrement endommagé sur son toit/sur sa porte.
  • Un plus grand hangar, situé derrière le petit hangar, légèrement endommagé en deux endroits sur son toit.

De manière générale, ces trois drones ne semblent pas avoir sérieusement endommagé le moindre matériel ou appareil situé sur les parkings. En revanche, il reste à savoir si des avions se trouvaient dans les deux hangars et s'ils ont souffert de la chute de débris causés par l'explosion des drones. Les dommages légers vont pourtant avoir un impact stratégique très important sur les Forces aérospatiales russes.

Quel impact ?

Si aucune information sur le petit hangar n'est disponible, c'est tout l'inverse pour le grand hangar ; ce dernier est utilisé par Beriev (United Aircraft Corporation, UAC) pour produire des appareils, comme les hydravions Be-200. Il est aussi utilisé pour entretenir et/ou améliorer des avions des Forces armées russes, comme l'A-50 Mainstay, un avion de transport stratégique Il-76 modifié par Beriev pour le transformer en un avion de guet aérien avancé et de commandement (AEW&C) A-50 Mainstay. Les Forces aérospatiales russes détenaient, avant le début de l'invasion, approximativement 10 A-50 Mainstay. La perte de deux appareils, dont une grâce à un système antiaérien longue portée Patriot, et l'endommagement d'un troisième appareil en Biélorussie, ont fortement réduit la disponibilité de cette petite flotte : les sept autres appareils restants ne sont pas tous disponibles car étant en entretien à Taganrog, comme démontré par les images satellites des dernières années. Elles montrent des Mainstay dans différents états ; tout neuf, sans peinture, sans radôme, etc.

15 novembre 2018, présence notable de deux A-50 et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
15 novembre 2018, présence notable de deux A-50 et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
15 novembre 2018, présence notable de deux A-50 et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
3 mars 2020, deux A-50 ainsi qu'un A-50 sans radôme devant les installations de Beriev (Taganrog).
3 mars 2020, deux A-50 ainsi qu'un A-50 sans radôme devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
3 mars 2020, deux A-50 ainsi qu'un A-50 sans radôme devant les installations de Beriev (Taganrog).
19 juillet 2021, trois A-50, un A-50 sans radôme et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
19 juillet 2021, trois A-50, un A-50 sans radôme et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
19 juillet 2021, trois A-50, un A-50 sans radôme et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
28 octobre 2021, deux A-50 et un A-50 devant les installations de Beriev (Taganrog).
28 octobre 2021, deux A-50 et un A-50 devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
28 octobre 2021, deux A-50 et un A-50 devant les installations de Beriev (Taganrog).

Ainsi donc, si les dégâts apparents sont légers, les Forces armées ukrainiennes ont clairement démontré qu'elles pouvaient frapper une installation stratégiquement importante pour les avions radars russes : sans entretien impossible de garder une flotte en état de vol, tout particulièrement pour des appareils qui ne sont plus en production aujourd'hui et qui datent de l'époque soviétique. C'est aussi sans compter sur le danger que courent désormais les appareils sur ce parking : un A-50 qui attend de passer en entretien peut, en une attaque, être totalement détruit. Ces installations sont également utilisées pour l'entretien et la mise à niveau d'autres appareils, les images satellites ayant déjà confirmé la présence le 3 mai 2021 d'un avion de commandement stratégique Il-80 Maxdome en mauvais état, probablement en attente d'un entretien. Ce hangar est donc vital pour les Forces aérospatiales russes.

Les Forces armées russes doivent donc décentraliser cet entretien mais pour quelques appareils, le choix n'est pas viable économiquement. La valeur stratégique de ces installations avait clairement été comprise par les Forces armées russes, une batterie antiaérienne longue portée S-300/350/400 étant visible sur les images satellites publiées par Frontelligence Insight. Cependant, ces systèmes ne sont pas conçus pour pouvoir détecter, suivre et détruire de petits drones difficiles à détecter. Il faut donc s'attendre à une augmentation des défenses anti-drones sur toute la zone.

À noter que Taganrog dispose de deux aéroports ; l'aéroport accueillant les ateliers de Beriev mais aussi la base aérienne de Taganrog, accueillant différents types d'appareils, en ce compris des avions d'attaque Su-25 et avions de transport stratégique Il-76. C'est d'ailleurs sur ce second aéroport qu'une batterie antiaérienne S-350 avait été déployée durant l'été 2022.

Un avion assez rare visible à Taganrog

Certains fans d'aviation militaire auront reconnu des bombardiers Tu-95 (ou sa variante de patrouille maritime Tu-142), des Il-76,... ainsi qu'un Il-76 au nez étrangement arrondi. Il s'agit en réalité d'un avion extrêmement rare : un Beriev A-60. Deux avions de transport Il-76 avaient été modifiés afin de servir de banc d'essai pour développer des lasers aéroportés au début des années 1980. Le premier appareil (1A) fut perdu lors d'un incendie au sol sur la base aérienne de Chkalovsky (oblast de Moscou, Russie) au début des années 1990, faisant du second appareil (1A2) le seul témoin de ce programme. 

Plusieurs essais ont été effectués par ces deux appareils, avec notamment l'essai du 28 août 2009 contre un satellite, laissant confirmant la capacité du laser à non pas détruire des satellites de reconnaissance mais bien les aveugler. Le programme a ensuite été suspendu au début des années 2010. Malgré des annonces de reprise de refinancement, les images satellites de Taganrog confirment que l'A-60 était visible à Taganrog depuis le 28 avril 2015 et qu'il a très peu bougé depuis :

  • le 28 avril 2015, l'A-60 est sur l'une des places les plus à l'Est du parking
  • le 23 juillet 2015, l'avion est parqué dans le coin Ouest du parking et ne bougera plus de cet endroit qu'à deux occasions
  • le 15 novembre 2018, pour une raison inconnue, l'appareil est déplacé sur le taxiway où sont parqués différents avions abandonnés
  • le 31 mars 2019, l'avion a repris sa place sur le coin du parking.
  • le 3 mai 2021, il est légèrement déplacé pour laisser sa place à un bien plus imposant avion de commandement aérien stratégique Il-80. Celui-ci devait probablement suivre un entretien lourd, voire une modernisation au sein des installations de Beriev.

Depuis le 19 juillet 2021 jusqu'au 13 février 2022 (dernière image Google Earth disponible), l'avion a repris sa place. Les images de l'attaque, prises le 9 mars 2024 montrent également l'A-60 dans son coin. L'avion n'est plus que probablement pas en état de vol et il reste même à voir si les instruments d'essais n'ont pas été démontés durant sa période d'inactivité.

L'avion d'essai A-60 visible sur l'aéroport de Taganrog, en face des installations de Beriev à Taganrog (28 octobre 2021).
L'avion d'essai A-60 visible sur l'aéroport de Taganrog, en face des installations de Beriev à Taganrog (28 octobre 2021). © Google Earth, Air&Cosmos.jpg
L'avion d'essai A-60 visible sur l'aéroport de Taganrog, en face des installations de Beriev à Taganrog (28 octobre 2021).
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12/03/2024 19:33
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Attaque de drones ukrainiens sur Taganrog : des dommages légers aux conséquences très lourdes

Alors que certains annoncent une attaque de drone ayant raté les avions russes, l’attaque de la base aérienne de Taganrog est en réalité un succès pour l’Ukraine ; le hangar touché est utilisé par Beriev pour entretenir et moderniser la petite flotte d’A-50 Mainstay russes, sans compter d’autres appareils très stratégiques. Les fans d’aviation militaire reconnaitront peut-être un avion très rare, probablement abandonné sur ce même parking et visible sur les images satellites.

Attaque de drones ukrainiens sur Taganrog : des dommages légers aux conséquences très lourdes
Attaque de drones ukrainiens sur Taganrog : des dommages légers aux conséquences très lourdes

Attaque de drones

Durant la nuit du 8 au 9 mars, des explosions étaient entendues dans la ville de Taganrog (oblast de Rostov, Russie). Des images d'une épave d'un drone confirment une attaque de drone suicide ukrainien sur la région (image ci-dessous).

Les images satellites de la zone, disponibles quelques jours plus tard, confirment qu'au moins trois drones ont touché deux hangars de l'aéroport situé au sud de Taganrog :

  • Un petit hangar, situé devant le parking avion, légèrement endommagé sur son toit/sur sa porte.
  • Un plus grand hangar, situé derrière le petit hangar, légèrement endommagé en deux endroits sur son toit.

De manière générale, ces trois drones ne semblent pas avoir sérieusement endommagé le moindre matériel ou appareil situé sur les parkings. En revanche, il reste à savoir si des avions se trouvaient dans les deux hangars et s'ils ont souffert de la chute de débris causés par l'explosion des drones. Les dommages légers vont pourtant avoir un impact stratégique très important sur les Forces aérospatiales russes.

Quel impact ?

Si aucune information sur le petit hangar n'est disponible, c'est tout l'inverse pour le grand hangar ; ce dernier est utilisé par Beriev (United Aircraft Corporation, UAC) pour produire des appareils, comme les hydravions Be-200. Il est aussi utilisé pour entretenir et/ou améliorer des avions des Forces armées russes, comme l'A-50 Mainstay, un avion de transport stratégique Il-76 modifié par Beriev pour le transformer en un avion de guet aérien avancé et de commandement (AEW&C) A-50 Mainstay. Les Forces aérospatiales russes détenaient, avant le début de l'invasion, approximativement 10 A-50 Mainstay. La perte de deux appareils, dont une grâce à un système antiaérien longue portée Patriot, et l'endommagement d'un troisième appareil en Biélorussie, ont fortement réduit la disponibilité de cette petite flotte : les sept autres appareils restants ne sont pas tous disponibles car étant en entretien à Taganrog, comme démontré par les images satellites des dernières années. Elles montrent des Mainstay dans différents états ; tout neuf, sans peinture, sans radôme, etc.

15 novembre 2018, présence notable de deux A-50 et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
15 novembre 2018, présence notable de deux A-50 et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
15 novembre 2018, présence notable de deux A-50 et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
3 mars 2020, deux A-50 ainsi qu'un A-50 sans radôme devant les installations de Beriev (Taganrog).
3 mars 2020, deux A-50 ainsi qu'un A-50 sans radôme devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
3 mars 2020, deux A-50 ainsi qu'un A-50 sans radôme devant les installations de Beriev (Taganrog).
19 juillet 2021, trois A-50, un A-50 sans radôme et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
19 juillet 2021, trois A-50, un A-50 sans radôme et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
19 juillet 2021, trois A-50, un A-50 sans radôme et un Be-200 devant les installations de Beriev (Taganrog).
28 octobre 2021, deux A-50 et un A-50 devant les installations de Beriev (Taganrog).
28 octobre 2021, deux A-50 et un A-50 devant les installations de Beriev (Taganrog). © Google Earth, Air&Cosmos
28 octobre 2021, deux A-50 et un A-50 devant les installations de Beriev (Taganrog).

Ainsi donc, si les dégâts apparents sont légers, les Forces armées ukrainiennes ont clairement démontré qu'elles pouvaient frapper une installation stratégiquement importante pour les avions radars russes : sans entretien impossible de garder une flotte en état de vol, tout particulièrement pour des appareils qui ne sont plus en production aujourd'hui et qui datent de l'époque soviétique. C'est aussi sans compter sur le danger que courent désormais les appareils sur ce parking : un A-50 qui attend de passer en entretien peut, en une attaque, être totalement détruit. Ces installations sont également utilisées pour l'entretien et la mise à niveau d'autres appareils, les images satellites ayant déjà confirmé la présence le 3 mai 2021 d'un avion de commandement stratégique Il-80 Maxdome en mauvais état, probablement en attente d'un entretien. Ce hangar est donc vital pour les Forces aérospatiales russes.

Les Forces armées russes doivent donc décentraliser cet entretien mais pour quelques appareils, le choix n'est pas viable économiquement. La valeur stratégique de ces installations avait clairement été comprise par les Forces armées russes, une batterie antiaérienne longue portée S-300/350/400 étant visible sur les images satellites publiées par Frontelligence Insight. Cependant, ces systèmes ne sont pas conçus pour pouvoir détecter, suivre et détruire de petits drones difficiles à détecter. Il faut donc s'attendre à une augmentation des défenses anti-drones sur toute la zone.

À noter que Taganrog dispose de deux aéroports ; l'aéroport accueillant les ateliers de Beriev mais aussi la base aérienne de Taganrog, accueillant différents types d'appareils, en ce compris des avions d'attaque Su-25 et avions de transport stratégique Il-76. C'est d'ailleurs sur ce second aéroport qu'une batterie antiaérienne S-350 avait été déployée durant l'été 2022.

Un avion assez rare visible à Taganrog

Certains fans d'aviation militaire auront reconnu des bombardiers Tu-95 (ou sa variante de patrouille maritime Tu-142), des Il-76,... ainsi qu'un Il-76 au nez étrangement arrondi. Il s'agit en réalité d'un avion extrêmement rare : un Beriev A-60. Deux avions de transport Il-76 avaient été modifiés afin de servir de banc d'essai pour développer des lasers aéroportés au début des années 1980. Le premier appareil (1A) fut perdu lors d'un incendie au sol sur la base aérienne de Chkalovsky (oblast de Moscou, Russie) au début des années 1990, faisant du second appareil (1A2) le seul témoin de ce programme. 

Plusieurs essais ont été effectués par ces deux appareils, avec notamment l'essai du 28 août 2009 contre un satellite, laissant confirmant la capacité du laser à non pas détruire des satellites de reconnaissance mais bien les aveugler. Le programme a ensuite été suspendu au début des années 2010. Malgré des annonces de reprise de refinancement, les images satellites de Taganrog confirment que l'A-60 était visible à Taganrog depuis le 28 avril 2015 et qu'il a très peu bougé depuis :

  • le 28 avril 2015, l'A-60 est sur l'une des places les plus à l'Est du parking
  • le 23 juillet 2015, l'avion est parqué dans le coin Ouest du parking et ne bougera plus de cet endroit qu'à deux occasions
  • le 15 novembre 2018, pour une raison inconnue, l'appareil est déplacé sur le taxiway où sont parqués différents avions abandonnés
  • le 31 mars 2019, l'avion a repris sa place sur le coin du parking.
  • le 3 mai 2021, il est légèrement déplacé pour laisser sa place à un bien plus imposant avion de commandement aérien stratégique Il-80. Celui-ci devait probablement suivre un entretien lourd, voire une modernisation au sein des installations de Beriev.

Depuis le 19 juillet 2021 jusqu'au 13 février 2022 (dernière image Google Earth disponible), l'avion a repris sa place. Les images de l'attaque, prises le 9 mars 2024 montrent également l'A-60 dans son coin. L'avion n'est plus que probablement pas en état de vol et il reste même à voir si les instruments d'essais n'ont pas été démontés durant sa période d'inactivité.

L'avion d'essai A-60 visible sur l'aéroport de Taganrog, en face des installations de Beriev à Taganrog (28 octobre 2021).
L'avion d'essai A-60 visible sur l'aéroport de Taganrog, en face des installations de Beriev à Taganrog (28 octobre 2021). © Google Earth, Air&Cosmos.jpg
L'avion d'essai A-60 visible sur l'aéroport de Taganrog, en face des installations de Beriev à Taganrog (28 octobre 2021).


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