Alors que la convention Aeromart Toulouse se tient dans la Ville rose du 3 au 5 décembre, la question de la montée en cadence de la production aéronautique alimente plus que jamais les débats. Plus contrarié que prévu, le "ramp-up" se heurte en effet à un certain nombre de problématiques rencontrées par la "supply chain", en particulier en Occitanie.
Du 3 au 5 décembre, les allées du Meett, parc des expositions et centre de conventions et de congrès de Toulouse Métropole, bruisseront des échos d'un écosystème aéronautique en pleine effervescence, tiraillé entre les espoirs suscités par la montée en cadence de la production et les difficultés rencontrées par un certain nombre d'acteurs de la "supply chain".
Pendant trois jours, la Ville rose accueillera Aeromart Toulouse, convention d'affaires internationale des industries aéronautiques et spatiales. Au programme : plus de 4 000 participants venus d'une quarantaine de pays, 1 200 entreprises représentées, quinze délégations internationales et quelque 17 000 rendez-vous BtoB planifiés. Et s'il est un sujet qui alimentera à coup sûr les débats ouverts mais aussi les discussions informelles de la grand-messe toulousaine, c'est bien celui-du "ramp-up".
En terres airbusiennes, la parole du groupe européen est scrutée à la loupe. Au cours des neuf premiers mois de l’année, Airbus a enregistré 44,5 Md$ de chiffre d'affaires consolidé, en croissance de 5 % en glissement annuel, a-t-il annoncé le 30 octobre dernier. Le groupe toulousain, qui a livré 497 avions commerciaux durant cette période, maintient ses perspectives de livraison d'environ 770 appareils cette année.
Si l'ambition est forte, le défi industriel l'est tout autant, reconnaît Guillaume Faury, président exécutif du groupe de 145 000 salariés, qui a enregistré 65,4 Md€ de chiffre d'affaires l'an dernier. "Nous nous adaptons en permanence à la complexité et aux évolutions rapides de notre environnement opérationnel, marqué par des incertitudes géopolitiques et par les difficultés spécifiques de notre chaîne d’approvisionnement, qui se sont matérialisées au cours de l’année 2024", indique-t-il.
Ce dernier place "l’accélération des livraisons d’avions commerciaux" en tête de ses "priorités", au même titre que la transformation de la division Defence and Space du groupe. Ainsi, la montée en cadence de la production d'avions est amenée à se poursuivre. Le programme A220 tend vers l’objectif de quatorze avions assemblés chaque mois à l'horizon 2026, tandis que la famille A320 progresse, elle, vers une production mensuelle de 75 avions par mois en 2027 mais des nouveaux calendriers ne sont pas à exclure.
Du côté des gros-porteurs, Airbus souhaite stabiliser la production de l’A330 autour de quatre avions par mois. Le groupe, qui vise par ailleurs toujours une cadence de douze A350 par mois en 2028, dit s'employer "activement à résoudre les difficultés spécifiques de la chaîne d’approvisionnement qui pourraient avoir un impact sur la trajectoire de montée en cadence du programme, notamment en 2025".
Tout le paradoxe est là. Tandis que les carnets de commande des grands donneurs d'ordre – Airbus en tête – se révèlent historiquement pleins, la "supply chain", en particulier dans une région Occitanie où le secteur aéronautique et spatial fait travailler plus de 83 000 personnes au sein d'un millier d'entreprises, se heurte à un certain nombre de difficultés organisationnelles, industrielles, mais aussi et surtout financières.
"La montée en cadence met en tension toute la filière", résume Marc Ferracci, ministre délégué chargé de l'Industrie, en visite dans la Ville rose le 18 novembre dernier à l'occasion de la Semaine de l'industrie. "La montée en cadence aéronautique actuelle est très ambitieuse, surtout lorsqu’on la replace dans un contexte marqué par une succession de crises que la supply chain régionale a dû affronter", estime Olivier Renne, responsable du secteur aéronautique à la Dreets Occitanie, qui copilote le Comité stratégique de filière régional aéronautique avec Didier Katzenmayer, directeur aux affaires industrielles d'Airbus Opérations SAS, aux côtés de la Région Occitanie.
Une analyse partagée par Alexandre Willemont, senior vice-président Aéronautique d’Expleo (19 000 salariés, CA 2023 : 1,4 Md€), prestataire de services global en ingénierie, technologie et conseil qui accompagne les grands noms de la filière. "Tous les acteurs de l’industrie aéronautique savent que le secteur va dans le bon sens à moyen et long terme", assure-t-il.
"En revanche, la montée en cadence ne se fait pas aussi vite que prévu. Car, en sortie de Covid-19, les entreprises de la supply chain ont eu du mal à retrouver les compétences dont elles avaient besoin, ont eu des difficultés à s’approvisionner en matières premières et aussi à se financer pour investir dans les nouvelles chaînes et nouveaux outils de production nécessaires à la montée en cadence. L’accélération n’est donc pas aussi rapide qu’anticipée".
Pour Olivier Renne, cela ne fait aucun doute : "L’écosystème régional devrait directement profiter du ramp-up lié notamment au carnet de commande d’Airbus". "Mais pour cela", insiste-t-il, "il faudra qu’il soit accompagné, que les partenaires bancaires suivent et qu’existe une véritable solidarité de filière. Car la situation financière de la supply chain est particulièrement tendue". Et le représentant de l'Etat d'insister sur la pluralité des écueils que l'écosystème occitan doit affronter à l'heure de la montée en cadence.
"Les entreprises de la supply chain sont en ordre de marche", assure-t-il. "Mais n’oublions pas que le ramp-up, c’est le plus petit maillon de la chaîne qui l’accomplit ! Il convient donc de mettre en place des actions collectives pour soutenir l’effort. Avoir devant soi dix ans de carnet de commande, c’est très bien; mais maintenant, il faut produire les avions". Pour cela, les entreprises – quelle que soit leur taille – se doivent de continuer à investir, en particulier dans leur outil industriel.
"L’industrie aéronautique est particulièrement capitalistique", rappelle Didier Katzenmayer, qui préside par ailleurs l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) MP-Occitanie. "Nous évoluons dans un terrain de jeu international au sein duquel la compétitivité est un élément essentiel. Aujourd’hui, un certain nombre d’acteurs du tissu industriel rencontrent les difficultés de trésorerie."
Olivier Renne acquiesce : "Clairement, la filière manque de cash. Et si la visibilité globale est importante, celle des commandes réelles pour chacune des entreprises n’est que de quelques mois, voire quelques semaines. Ces dernières doivent donc prendre des risques en passant des commandes de pièces et de matières. Les approvisionnements peuvent être longs et il y a parfois des "stop and go" côté donneurs d’ordre, de même qu’un allongement significatif des délais de paiement entre clients et fournisseurs, à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Ce n’est donc pas simple. Ce manque de visibilité limite les capacités d’emprunt. Et en parallèle, les entreprises doivent rembourser les emprunts existants, en particulier les PGE (Prêts garantis par l'Etat, NDLR). Cela engendre des situations bilancielles difficiles".
Thierry Haure-Mirande, PDG du groupe béarnais Aéroprotec (300 salariés, CA 2023 : 23 M€), spécialisé dans les procédés spéciaux aéronautiques, témoigne des grandes transformations opérées au cours des dernières années au sein de la chaîne de sous-traitance partenariale et de leur incidence sur la situation actuelle. "D’une part, l’entrée d’acteurs financiers qui sont venus renforcer la supply chain pour la rendre pérenne", constate-t-il.
Et d’autre part, les conséquences du Covid, qui sont toujours visibles, avec le remboursement des PGE, la hausse du coût de l’énergie, l’inflation… Les trésoreries des entreprises sont parfois critiques, y compris celles d’acteurs majeurs. Beaucoup ont les yeux rivés sur leur trésorerie au lieu de se concentrer sur le ramp-up. Je le vois à mon niveau : nous sommes en bout de chaîne et, aujourd’hui, près de 12 % de mon chiffre d’affaires sont impactés par des retards de paiement."
Pour le dirigeant, il y a là "une forme de paradoxe", car "le secteur aéronautique dispose de dix ans de visibilité, et pourtant, la supply chain est fragilisée". De son côté, Mikel Charritton, directeur général de Lauak (1 850 salariés, CA 2023 : 165 M€), groupe basque spécialisé dans la fabrication de pièces et de structures aéronautiques comptant deux sites industriels stratégiques dans le Gers, se réjouit de ne pas rencontrer pour l'heure de difficultés en termes de production. Cependant, reconnaît-il, "compte tenu des niveaux d’endettement qui sont les nôtres, il nous faut être agiles et trouver des solutions".
Pour lui aussi, "la situation est paradoxale, car malgré la visibilité et les perspectives très positives du secteur, les banquiers font actuellement preuve d’une grande défiance vis-à-vis de l’aéronautique". S'il ne fait aucun doute pour Alexandre Willemont, chez Expleo, que les grands acteurs du secteur sauront trouver les ressources pour traverser cette zone de turbulences, "il est clair qu'un certain nombre de PME de la supply chain – c'est en particulier vrai en Occitanie – sont actuellement en souffrance". Et de poursuivre : 'c'est un peu la quadrature du cercle : ces entreprises doivent à la fois rembourser leurs PGE, investir dans leurs outils industriels, recruter... La situation est donc complexe".
Une analyse partagée par Olivier Renne : "La trésorerie est le sujet numéro un, aujourd’hui. Et les premières concernées, ce sont les petites structures". Le directeur aux affaires industrielles d'Airbus Opérations SAS, Didier Katzenmayer, qui préside également la commission Industrie de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Toulouse Haute-Garonne, reconnaît la complexité de la situation. "La mise en sommeil des procédures collectives se termine", constate-t-il. "Nous voyons par conséquent aujourd’hui des entreprises qui se retrouvent, hélas, sous la protection du tribunal de commerce. Une tendance qui se poursuit malheureusement au second semestre."
Dans ce contexte chahuté, en vue de soutenir la filière – et en particulier les entreprises les plus stratégiques de leur point de vue -, "les donneurs d’ordre ont mis la main à la poche", constate Olivier Renne. Un constat que fait également Alexandre Willemont, chez Expleo : "Ils essayent d'aider au maximum les acteurs de la supply chain dans ce moment critique". Mais, Olivier Renne insiste sur l'urgence : "d’autres entreprises sont fragilisées. Il faut jouer collectif, faire en sorte que toute l’équipe, l’entreprise étendue, soit en mesure de s’en sortir par le haut".
Pour l'airbusien Didier Katzenmayer, en première ligne sur ces sujets, "l’accompagnement des acteurs de la supply chain est absolument primordial. Pour cela a été lancé un nouveau fonds d’investissement sectoriel (Aero Partenaires 2, qui vise 800 M€ d'encours à terme, NDLR). Outre les grands donneurs d’ordre industriels – Airbus, Dassault Aviation, Safran et Thales -, il est porté par des partenaires financiers, à l’instar de Tikehau Capital et du Crédit Agricole, sans oublier Bpifrance. Ce nouveau fonds accompagnera la nécessaire structuration de la filière. L’accent sera mis sur les sous-traitants et fournisseurs de plus petite taille, qui ont besoin d’un soutien opérationnel et financier".
L'accompagnement des donneurs d'ordre, le groupe basque Lauak l'appelle résolument de ses voeux, lui qui doit composer avec le remboursement - jusqu’en 2026 - de deux PGE, pour un montant total de 40 M€. "C’est l’une des difficultés actuelles des acteurs de la supply chain aéronautique, qui doivent à la fois rembourser leurs dettes et financer leur croissance", martèle Mikel Charritton.
"Pour jongler entre ces deux défis, nous demandons le support de nos clients au travers d’un raccourcissement des délais de paiement, mais aussi des acomptes sur commandes. Certains clients l’acceptent, d’autres non. C’est une question vitale, car nous avons besoin d’essence dans le moteur ! Par ailleurs, nous misons sur l’accompagnement de nos partenaires bancaires; nous réfléchissons à ce titre à un échelonnement de la dette et à faire du factoring (affacturage, NDLR)."
Si Thierry Haure-Mirande, chez Aéroprotec, se dit désireux de voir les "majors" continuer à mettre en place "des mesures exceptionnelles pour soutenir leurs partenaires", Didier Katzenmayer estime qu'au-delà des leviers financiers qui peuvent être activés se pose également la question de l'efficacité opérationnelle, illustrée notamment par la démarche Aero Excellence portée par le Gifas. "L’objectif est d’uniformiser l’ensemble de nos référentiels", explique-t-il. "Nous devons tous parler le même langage et déployer des fondamentaux simples et basiques pour gérer correctement les flux. Il faut accompagner la formation des industriels qui seront en déficit de culture et de compétence sur ces sujets".
Mais le sujet de la trésorerie, intimement lié à celui de la performance industrielle, n'est pas le seul qui préoccupe aujourd'hui les acteurs de l'écosystème aéronautique. Même s'il s'avère peut-être moins problématique qu'il y a quelques mois, celui des recrutements est tout aussi majeur. "Après la grande démission et l’aerobashing, un certain nombre de talents sont partis, dans un contexte toujours difficile en termes d’attractivité pour les métiers industriels", constate Olivier Renne.
"Par ailleurs, les grands donneurs d’ordre sont parfois allés recruter chez leurs fournisseurs. Embaucher et conserver les talents demeure donc difficile pour les PME et ETI de la supply chain aéronautique régionale. Mais des actions se mettent en place et portent leurs fruits, en vue de former des salariés, à la fois pour répondre aux besoins de court terme et pour préparer l’avenir". De l'avis de Didier Katzenmayer, "la question des savoir-faire est essentielle. Nous en avons perdu pendant la crise. Il y a aujourd’hui des gains de productivité à aller regagner chez les industriels".
Et l'élu consulaire de déplorer le "déséquilibre" qui persiste aujourd'hui "au niveau de la représentativité féminine dans nos entreprises", tout en appellant de ses voeux un travail collectif en faveur de l'intégration de nouveaux talents. "Il faut ouvrir l’industrie aux jeunes et à leurs parents, promouvoir la technologie et le savoir-faire dans les usines", estime-t-il, faisant directement écho à l'initiative portée par la société aéronautique gersoise Air Support (200 salariés, CA 2023-2024 : 47 M€), pilotée par Sabine Tertre - par ailleurs vice-présidente de l'UIMM MP-Occitanie.
Cette dernière a récemment organisé une opération "Des parents en entreprise !" en ouvrant ses portes le temps d'une soirée à des élèves de collège et à leurs parents, en vue de leur faire découvrir la réalité de l'industrie aéronautique. Néanmoins, si les perspectives de recrutement sur le long terme demeurent importantes pour la filière, compte tenu des carnets de commande à honorer, la situation de court terme s'avère plus nuancée, à la fois au regard du ralentissement du "ramp-up", des difficultés de financement et de certaines mutations observées sur le marché de l'emploi, qui nécessitent de booster l'attractivité du secteur.
"Nous mettons en avant la diversité des missions que nous sommes amenés à accomplir, mais aussi notre proximité avec le produit ; chez Expleo, nous sommes sur le "faire", insiste Alexandre Willemont. "Nous communiquons beaucoup sur les projets liés à la transition environnementale, qu'il s'agisse des sujets de motorisation, de structure ou encore de transformation des moyens de production. Ce sont autant de facteurs d'attractivité, en particulier auprès de la jeune génération".
Autre sujet qui pourrait bien animer les discussions dans les allées d'Aeromart Toulouse : celui de la consolidation de la "supply chain" régionale. Là encore, la tendance observée aujourd'hui s'inscrit dans un contexte global de mutation de l'écosystème industriel, associé à la fragilisation d'un certain nombre d'entreprises. "La consolidation se poursuivra, car la filière a besoin d’acteurs solides, capables d’absorber les stop and go, les aléas de programmes", estime Olivier Renne. "Même si on aura toujours besoin de petites structures, agiles, potentiellement positionnées sur des niches de marché."
Le spécialiste haut-garonnais de la mécanique de haute précision Mecachrome, qui a longtemps affiché une stratégie offensive en matière de consolidation, entend aujourd'hui se positionner de manière plus "défensive", en reprenant des entreprises en difficulté dont il juge le rôle stratégique pour sa propre activité. Même si, insiste Christian Cornille, dirigeant du groupe de 4 400 salariés ayant enregistré 605 M€ de chiffre d'affaires l'an dernier et projetant 640 M€ cette année, "nous agissons avant tout de façon préventive", au travers du soutien de ses partenaires clés. "Et en parallèle, nous devons bien entendu gérer notre propre trésorerie au plus fin, en gérant les potentiels coups de frein et recalages", confie dirigeant. "Et nous sommes évidemment amenés à investir dans nos différentes usines afin de faire face aux volumes d’affaires".
Mais les enjeux liés au "ramp-up", qu'ils soient industriels ou financiers, ne font pas oublier pour autant les perspectives de long terme qui doivent guider le secteur aéronautique. Une filière qui sait que son avenir ne saura s'écrire autrement qu'en vert. Ainsi, sans surprise, on retrouve au programme d'Aeromart Toulouse deux conférences consacrées à la décarbonation : l'une dédiée aux "enjeux de l'usine décarbonée" et l'autre à "une aviation plus propre pour mieux respecter la planète".
Sans oublier les Green Aero Days, organisés en parallèle de la convention d'affaires sur le thème de l'aviation légère durable. "Tout le monde parle de l’avion "vert", et c’est tant mieux ; mais il convient tout d’abord d’être en mesure de décarboner les activités de production", estime Stéphane Castet, président d'ABE (Advanced Business Event), structure organisatrice de la grand-messe occitane. "Les efforts réalisés en matière de décarbonation doivent permettre aux entreprises de la supply chain de réduire leur empreinte", confirme Olivier Renne.
"Mais là encore, cela nécessite des investissements, et la question de la trésorerie se pose à nouveau, même si des soutiens publics existent. La problématique est la même en ce qui concerne l’avion "vert" de demain et les briques technologiques à développer. Chacun sait qu’il doit se préparer, mais cela nécessite une prise de risque et des investissements, pour mettre les efforts au bon endroit. Avec, au fond, une question centrale : qui seront les fournisseurs de l’avion de demain ?", ajoute-t-il.
Tandis que donneurs d'ordre, équipementiers et sous-traitants planchent - chacun à leur niveau - sur les briques technologiques et les process qui pourraient bien jouer un rôle dans les avions de demain et d'après-demain, chacun garde à l'esprit les ambitions des jeunes pousses innovantes qui, en région toulousaine, entendent bien révolutionner l'univers de l'aviation. Et ce, avec un certain succès, en tout cas sur le plan financier.
En témoigne l'annonce, fin octobre, de l'obtention par le néo-avionneur haut-garonnais Aura Aero d'un financement de 95 M€ émanant de l'Union européenne, qui doit lui permettre d'accompagner le développement de ses aéronefs innovants, en particulier d'ERA, son futur avion de transport régional hybride-électrique de 19 places. Autre opération majeure officialisée il y a quelques semaines : celle de la start-up haut-garonnaise Beyond Aero qui, après avoir bouclé une levée de 20 M$ auprès des fonds Giant Ventures et Deep Tech 2030, voit le montant total de ses financements collectés s'élever à 44 M$.
Des fonds qui doivent lui permettre d'accélérer la phase de commercialisation de son avion d’affaires électrique conçu pour la propulsion à hydrogène. Enfin, cette fois-ci du côté des solutions d'éco-pilotage, elles aussi destinées à participer à l'effort global en faveur de la décarbonation du transport aérien, la société toulousaine OpenAirlines a levé mi-novembre près de 45 M€ auprès d’Eiffel Investment Group (fonds Eiffel Essentiel), accompagné de Mirova, affilié de Natixis Investment Managers dédié à l’investissement durable.
Et au chapitre de la décarbonation, chacun a en tête le positionnement stratégique de la région Occitanie en faveur de l'hydrogène, illustré notamment par le déploiement, à l'horizon 2026, d'un Technocampus hydrogène au sein de l'aéroport Toulouse-Francazal, fruit d'un investissement de 45 M€. Une opération qui s'inscrit dans le cadre d'un vaste plan doté de 150 M€ engagé par la Région Occitanie – présidée par Carole Delga – en vue d'accompagner le développement de l'avion décarboné.
"L’écosystème hydrogène se constitue en Occitanie, avec le monde académique et industriel, et le soutien de la puissance publique", se réjouit Didier Katzenmayer. "Mais derrière l’hydrogène, dans l’aéronautique, il y a plusieurs sujets : le mode de propulsion et les biocarburants, mais aussi – sujet majeur – la logistique associée. Par ailleurs, l’aéronautique n’est pas le seul marché adressé; il y a aussi en Occitanie des acteurs de la mobilité terrestre et maritime. En ce qui concerne les start-up innovantes dans le champ de l’hydrogène, le niveau de maturité est en train de monter."
Dans ce contexte, participer à Aeromart Toulouse, considéré comme le "petit Bourget" de la Ville rose, à quelques mois du "grand", revêt un caractère stratégique pour les acteurs de la filière, quels que soient leur taille et leur rôle dans la chaîne de valeur. "D'une part, il s'agit d'échanger avec les acteurs de l'industrie aéronautique sur les sujets que nous pouvons les aider à adresser", témoigne Alexandre Willemont, chez Expleo. "Et d'autre part, cet événement nous permet de nous nourrir, au travers d'échanges informels et de conférences thématiques, en vue d'adapter nos offres de demain aux problématiques rencontrées par l'écosystème, afin d'avoir toujours un coup d'avance."
En effet, si Aeromart Toulouse est avant tout un événement dédié aux rendez-vous d’affaires, c'est aussi "l’occasion pour les participants de se retrouver, d’échanger de l’information au travers de rendez-vous informels", souligne Stéphane Castet, organisateur de la convention. Ainsi, tout au long des trois jours que dure le salon, des ateliers et des conférences sont organisés, avec la présence de quelque 70 intervenants. "Cette année, les grandes thématiques de l’événement seront l’excellence opérationnelle, facteur clé du succès, la continuité numérique au service d’une supply chain performante, les stratégies de développement de la filière drones, les innovations dans les systèmes avioniques, la décarbonation de l’aviation et des unités de production, mais aussi la souveraineté", énumère Stéphane Castet.
Autant de thèmes susceptibles d’alimenter les débats, comme le résume Didier Katzenmayer : "Durant cette édition 2024, nous allons aborder des sujets importants, au premier rang desquels la décarbonation des aéronefs, mais aussi celle de la filière. Le deuxième élément indispensable en vue d’honorer les engagements contractuels qui ont été pris est le renforcement de la supply chain. Le troisième grand sujet stratégique est celui de l’attractivité des métiers et du développement des compétences". A la fois convention "business" et plateforme d'échanges autour des enjeux d'une filière en pleine réinvention, Aeromart Toulouse réaffirme, enfin, le "leadership" de la région toulousaine.
"Nous sommes la capitale de l’aéronautique et du spatial", se réjouit Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole. "C’est un joli titre, bien entendu, mais il n’est pas acquis ad vitam aeternam. Nous devons nous projeter dans le futur, montrer que nous nous inscrivons dans une dynamique, pas que nous nous reposons sur nos acquis. Il existe peu de territoires comparables dans le monde où se déploie comme c’est le cas ici l’ensemble de la chaîne de valeur. Cette diversité est sans aucun doute l’atout de Toulouse, qui lui permet de conserver et de consolider son titre dans un monde de plus en plus concurrentiel".
Alors que la convention Aeromart Toulouse se tient dans la Ville rose du 3 au 5 décembre, la question de la montée en cadence de la production aéronautique alimente plus que jamais les débats. Plus contrarié que prévu, le "ramp-up" se heurte en effet à un certain nombre de problématiques rencontrées par la "supply chain", en particulier en Occitanie.
Du 3 au 5 décembre, les allées du Meett, parc des expositions et centre de conventions et de congrès de Toulouse Métropole, bruisseront des échos d'un écosystème aéronautique en pleine effervescence, tiraillé entre les espoirs suscités par la montée en cadence de la production et les difficultés rencontrées par un certain nombre d'acteurs de la "supply chain".
Pendant trois jours, la Ville rose accueillera Aeromart Toulouse, convention d'affaires internationale des industries aéronautiques et spatiales. Au programme : plus de 4 000 participants venus d'une quarantaine de pays, 1 200 entreprises représentées, quinze délégations internationales et quelque 17 000 rendez-vous BtoB planifiés. Et s'il est un sujet qui alimentera à coup sûr les débats ouverts mais aussi les discussions informelles de la grand-messe toulousaine, c'est bien celui-du "ramp-up".
En terres airbusiennes, la parole du groupe européen est scrutée à la loupe. Au cours des neuf premiers mois de l’année, Airbus a enregistré 44,5 Md$ de chiffre d'affaires consolidé, en croissance de 5 % en glissement annuel, a-t-il annoncé le 30 octobre dernier. Le groupe toulousain, qui a livré 497 avions commerciaux durant cette période, maintient ses perspectives de livraison d'environ 770 appareils cette année.
Si l'ambition est forte, le défi industriel l'est tout autant, reconnaît Guillaume Faury, président exécutif du groupe de 145 000 salariés, qui a enregistré 65,4 Md€ de chiffre d'affaires l'an dernier. "Nous nous adaptons en permanence à la complexité et aux évolutions rapides de notre environnement opérationnel, marqué par des incertitudes géopolitiques et par les difficultés spécifiques de notre chaîne d’approvisionnement, qui se sont matérialisées au cours de l’année 2024", indique-t-il.
Ce dernier place "l’accélération des livraisons d’avions commerciaux" en tête de ses "priorités", au même titre que la transformation de la division Defence and Space du groupe. Ainsi, la montée en cadence de la production d'avions est amenée à se poursuivre. Le programme A220 tend vers l’objectif de quatorze avions assemblés chaque mois à l'horizon 2026, tandis que la famille A320 progresse, elle, vers une production mensuelle de 75 avions par mois en 2027 mais des nouveaux calendriers ne sont pas à exclure.
Du côté des gros-porteurs, Airbus souhaite stabiliser la production de l’A330 autour de quatre avions par mois. Le groupe, qui vise par ailleurs toujours une cadence de douze A350 par mois en 2028, dit s'employer "activement à résoudre les difficultés spécifiques de la chaîne d’approvisionnement qui pourraient avoir un impact sur la trajectoire de montée en cadence du programme, notamment en 2025".
Tout le paradoxe est là. Tandis que les carnets de commande des grands donneurs d'ordre – Airbus en tête – se révèlent historiquement pleins, la "supply chain", en particulier dans une région Occitanie où le secteur aéronautique et spatial fait travailler plus de 83 000 personnes au sein d'un millier d'entreprises, se heurte à un certain nombre de difficultés organisationnelles, industrielles, mais aussi et surtout financières.
"La montée en cadence met en tension toute la filière", résume Marc Ferracci, ministre délégué chargé de l'Industrie, en visite dans la Ville rose le 18 novembre dernier à l'occasion de la Semaine de l'industrie. "La montée en cadence aéronautique actuelle est très ambitieuse, surtout lorsqu’on la replace dans un contexte marqué par une succession de crises que la supply chain régionale a dû affronter", estime Olivier Renne, responsable du secteur aéronautique à la Dreets Occitanie, qui copilote le Comité stratégique de filière régional aéronautique avec Didier Katzenmayer, directeur aux affaires industrielles d'Airbus Opérations SAS, aux côtés de la Région Occitanie.
Une analyse partagée par Alexandre Willemont, senior vice-président Aéronautique d’Expleo (19 000 salariés, CA 2023 : 1,4 Md€), prestataire de services global en ingénierie, technologie et conseil qui accompagne les grands noms de la filière. "Tous les acteurs de l’industrie aéronautique savent que le secteur va dans le bon sens à moyen et long terme", assure-t-il.
"En revanche, la montée en cadence ne se fait pas aussi vite que prévu. Car, en sortie de Covid-19, les entreprises de la supply chain ont eu du mal à retrouver les compétences dont elles avaient besoin, ont eu des difficultés à s’approvisionner en matières premières et aussi à se financer pour investir dans les nouvelles chaînes et nouveaux outils de production nécessaires à la montée en cadence. L’accélération n’est donc pas aussi rapide qu’anticipée".
Pour Olivier Renne, cela ne fait aucun doute : "L’écosystème régional devrait directement profiter du ramp-up lié notamment au carnet de commande d’Airbus". "Mais pour cela", insiste-t-il, "il faudra qu’il soit accompagné, que les partenaires bancaires suivent et qu’existe une véritable solidarité de filière. Car la situation financière de la supply chain est particulièrement tendue". Et le représentant de l'Etat d'insister sur la pluralité des écueils que l'écosystème occitan doit affronter à l'heure de la montée en cadence.
"Les entreprises de la supply chain sont en ordre de marche", assure-t-il. "Mais n’oublions pas que le ramp-up, c’est le plus petit maillon de la chaîne qui l’accomplit ! Il convient donc de mettre en place des actions collectives pour soutenir l’effort. Avoir devant soi dix ans de carnet de commande, c’est très bien; mais maintenant, il faut produire les avions". Pour cela, les entreprises – quelle que soit leur taille – se doivent de continuer à investir, en particulier dans leur outil industriel.
"L’industrie aéronautique est particulièrement capitalistique", rappelle Didier Katzenmayer, qui préside par ailleurs l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) MP-Occitanie. "Nous évoluons dans un terrain de jeu international au sein duquel la compétitivité est un élément essentiel. Aujourd’hui, un certain nombre d’acteurs du tissu industriel rencontrent les difficultés de trésorerie."
Olivier Renne acquiesce : "Clairement, la filière manque de cash. Et si la visibilité globale est importante, celle des commandes réelles pour chacune des entreprises n’est que de quelques mois, voire quelques semaines. Ces dernières doivent donc prendre des risques en passant des commandes de pièces et de matières. Les approvisionnements peuvent être longs et il y a parfois des "stop and go" côté donneurs d’ordre, de même qu’un allongement significatif des délais de paiement entre clients et fournisseurs, à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Ce n’est donc pas simple. Ce manque de visibilité limite les capacités d’emprunt. Et en parallèle, les entreprises doivent rembourser les emprunts existants, en particulier les PGE (Prêts garantis par l'Etat, NDLR). Cela engendre des situations bilancielles difficiles".
Thierry Haure-Mirande, PDG du groupe béarnais Aéroprotec (300 salariés, CA 2023 : 23 M€), spécialisé dans les procédés spéciaux aéronautiques, témoigne des grandes transformations opérées au cours des dernières années au sein de la chaîne de sous-traitance partenariale et de leur incidence sur la situation actuelle. "D’une part, l’entrée d’acteurs financiers qui sont venus renforcer la supply chain pour la rendre pérenne", constate-t-il.
Et d’autre part, les conséquences du Covid, qui sont toujours visibles, avec le remboursement des PGE, la hausse du coût de l’énergie, l’inflation… Les trésoreries des entreprises sont parfois critiques, y compris celles d’acteurs majeurs. Beaucoup ont les yeux rivés sur leur trésorerie au lieu de se concentrer sur le ramp-up. Je le vois à mon niveau : nous sommes en bout de chaîne et, aujourd’hui, près de 12 % de mon chiffre d’affaires sont impactés par des retards de paiement."
Pour le dirigeant, il y a là "une forme de paradoxe", car "le secteur aéronautique dispose de dix ans de visibilité, et pourtant, la supply chain est fragilisée". De son côté, Mikel Charritton, directeur général de Lauak (1 850 salariés, CA 2023 : 165 M€), groupe basque spécialisé dans la fabrication de pièces et de structures aéronautiques comptant deux sites industriels stratégiques dans le Gers, se réjouit de ne pas rencontrer pour l'heure de difficultés en termes de production. Cependant, reconnaît-il, "compte tenu des niveaux d’endettement qui sont les nôtres, il nous faut être agiles et trouver des solutions".
Pour lui aussi, "la situation est paradoxale, car malgré la visibilité et les perspectives très positives du secteur, les banquiers font actuellement preuve d’une grande défiance vis-à-vis de l’aéronautique". S'il ne fait aucun doute pour Alexandre Willemont, chez Expleo, que les grands acteurs du secteur sauront trouver les ressources pour traverser cette zone de turbulences, "il est clair qu'un certain nombre de PME de la supply chain – c'est en particulier vrai en Occitanie – sont actuellement en souffrance". Et de poursuivre : 'c'est un peu la quadrature du cercle : ces entreprises doivent à la fois rembourser leurs PGE, investir dans leurs outils industriels, recruter... La situation est donc complexe".
Une analyse partagée par Olivier Renne : "La trésorerie est le sujet numéro un, aujourd’hui. Et les premières concernées, ce sont les petites structures". Le directeur aux affaires industrielles d'Airbus Opérations SAS, Didier Katzenmayer, qui préside également la commission Industrie de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Toulouse Haute-Garonne, reconnaît la complexité de la situation. "La mise en sommeil des procédures collectives se termine", constate-t-il. "Nous voyons par conséquent aujourd’hui des entreprises qui se retrouvent, hélas, sous la protection du tribunal de commerce. Une tendance qui se poursuit malheureusement au second semestre."
Dans ce contexte chahuté, en vue de soutenir la filière – et en particulier les entreprises les plus stratégiques de leur point de vue -, "les donneurs d’ordre ont mis la main à la poche", constate Olivier Renne. Un constat que fait également Alexandre Willemont, chez Expleo : "Ils essayent d'aider au maximum les acteurs de la supply chain dans ce moment critique". Mais, Olivier Renne insiste sur l'urgence : "d’autres entreprises sont fragilisées. Il faut jouer collectif, faire en sorte que toute l’équipe, l’entreprise étendue, soit en mesure de s’en sortir par le haut".
Pour l'airbusien Didier Katzenmayer, en première ligne sur ces sujets, "l’accompagnement des acteurs de la supply chain est absolument primordial. Pour cela a été lancé un nouveau fonds d’investissement sectoriel (Aero Partenaires 2, qui vise 800 M€ d'encours à terme, NDLR). Outre les grands donneurs d’ordre industriels – Airbus, Dassault Aviation, Safran et Thales -, il est porté par des partenaires financiers, à l’instar de Tikehau Capital et du Crédit Agricole, sans oublier Bpifrance. Ce nouveau fonds accompagnera la nécessaire structuration de la filière. L’accent sera mis sur les sous-traitants et fournisseurs de plus petite taille, qui ont besoin d’un soutien opérationnel et financier".
L'accompagnement des donneurs d'ordre, le groupe basque Lauak l'appelle résolument de ses voeux, lui qui doit composer avec le remboursement - jusqu’en 2026 - de deux PGE, pour un montant total de 40 M€. "C’est l’une des difficultés actuelles des acteurs de la supply chain aéronautique, qui doivent à la fois rembourser leurs dettes et financer leur croissance", martèle Mikel Charritton.
"Pour jongler entre ces deux défis, nous demandons le support de nos clients au travers d’un raccourcissement des délais de paiement, mais aussi des acomptes sur commandes. Certains clients l’acceptent, d’autres non. C’est une question vitale, car nous avons besoin d’essence dans le moteur ! Par ailleurs, nous misons sur l’accompagnement de nos partenaires bancaires; nous réfléchissons à ce titre à un échelonnement de la dette et à faire du factoring (affacturage, NDLR)."
Si Thierry Haure-Mirande, chez Aéroprotec, se dit désireux de voir les "majors" continuer à mettre en place "des mesures exceptionnelles pour soutenir leurs partenaires", Didier Katzenmayer estime qu'au-delà des leviers financiers qui peuvent être activés se pose également la question de l'efficacité opérationnelle, illustrée notamment par la démarche Aero Excellence portée par le Gifas. "L’objectif est d’uniformiser l’ensemble de nos référentiels", explique-t-il. "Nous devons tous parler le même langage et déployer des fondamentaux simples et basiques pour gérer correctement les flux. Il faut accompagner la formation des industriels qui seront en déficit de culture et de compétence sur ces sujets".
Mais le sujet de la trésorerie, intimement lié à celui de la performance industrielle, n'est pas le seul qui préoccupe aujourd'hui les acteurs de l'écosystème aéronautique. Même s'il s'avère peut-être moins problématique qu'il y a quelques mois, celui des recrutements est tout aussi majeur. "Après la grande démission et l’aerobashing, un certain nombre de talents sont partis, dans un contexte toujours difficile en termes d’attractivité pour les métiers industriels", constate Olivier Renne.
"Par ailleurs, les grands donneurs d’ordre sont parfois allés recruter chez leurs fournisseurs. Embaucher et conserver les talents demeure donc difficile pour les PME et ETI de la supply chain aéronautique régionale. Mais des actions se mettent en place et portent leurs fruits, en vue de former des salariés, à la fois pour répondre aux besoins de court terme et pour préparer l’avenir". De l'avis de Didier Katzenmayer, "la question des savoir-faire est essentielle. Nous en avons perdu pendant la crise. Il y a aujourd’hui des gains de productivité à aller regagner chez les industriels".
Et l'élu consulaire de déplorer le "déséquilibre" qui persiste aujourd'hui "au niveau de la représentativité féminine dans nos entreprises", tout en appellant de ses voeux un travail collectif en faveur de l'intégration de nouveaux talents. "Il faut ouvrir l’industrie aux jeunes et à leurs parents, promouvoir la technologie et le savoir-faire dans les usines", estime-t-il, faisant directement écho à l'initiative portée par la société aéronautique gersoise Air Support (200 salariés, CA 2023-2024 : 47 M€), pilotée par Sabine Tertre - par ailleurs vice-présidente de l'UIMM MP-Occitanie.
Cette dernière a récemment organisé une opération "Des parents en entreprise !" en ouvrant ses portes le temps d'une soirée à des élèves de collège et à leurs parents, en vue de leur faire découvrir la réalité de l'industrie aéronautique. Néanmoins, si les perspectives de recrutement sur le long terme demeurent importantes pour la filière, compte tenu des carnets de commande à honorer, la situation de court terme s'avère plus nuancée, à la fois au regard du ralentissement du "ramp-up", des difficultés de financement et de certaines mutations observées sur le marché de l'emploi, qui nécessitent de booster l'attractivité du secteur.
"Nous mettons en avant la diversité des missions que nous sommes amenés à accomplir, mais aussi notre proximité avec le produit ; chez Expleo, nous sommes sur le "faire", insiste Alexandre Willemont. "Nous communiquons beaucoup sur les projets liés à la transition environnementale, qu'il s'agisse des sujets de motorisation, de structure ou encore de transformation des moyens de production. Ce sont autant de facteurs d'attractivité, en particulier auprès de la jeune génération".
Autre sujet qui pourrait bien animer les discussions dans les allées d'Aeromart Toulouse : celui de la consolidation de la "supply chain" régionale. Là encore, la tendance observée aujourd'hui s'inscrit dans un contexte global de mutation de l'écosystème industriel, associé à la fragilisation d'un certain nombre d'entreprises. "La consolidation se poursuivra, car la filière a besoin d’acteurs solides, capables d’absorber les stop and go, les aléas de programmes", estime Olivier Renne. "Même si on aura toujours besoin de petites structures, agiles, potentiellement positionnées sur des niches de marché."
Le spécialiste haut-garonnais de la mécanique de haute précision Mecachrome, qui a longtemps affiché une stratégie offensive en matière de consolidation, entend aujourd'hui se positionner de manière plus "défensive", en reprenant des entreprises en difficulté dont il juge le rôle stratégique pour sa propre activité. Même si, insiste Christian Cornille, dirigeant du groupe de 4 400 salariés ayant enregistré 605 M€ de chiffre d'affaires l'an dernier et projetant 640 M€ cette année, "nous agissons avant tout de façon préventive", au travers du soutien de ses partenaires clés. "Et en parallèle, nous devons bien entendu gérer notre propre trésorerie au plus fin, en gérant les potentiels coups de frein et recalages", confie dirigeant. "Et nous sommes évidemment amenés à investir dans nos différentes usines afin de faire face aux volumes d’affaires".
Mais les enjeux liés au "ramp-up", qu'ils soient industriels ou financiers, ne font pas oublier pour autant les perspectives de long terme qui doivent guider le secteur aéronautique. Une filière qui sait que son avenir ne saura s'écrire autrement qu'en vert. Ainsi, sans surprise, on retrouve au programme d'Aeromart Toulouse deux conférences consacrées à la décarbonation : l'une dédiée aux "enjeux de l'usine décarbonée" et l'autre à "une aviation plus propre pour mieux respecter la planète".
Sans oublier les Green Aero Days, organisés en parallèle de la convention d'affaires sur le thème de l'aviation légère durable. "Tout le monde parle de l’avion "vert", et c’est tant mieux ; mais il convient tout d’abord d’être en mesure de décarboner les activités de production", estime Stéphane Castet, président d'ABE (Advanced Business Event), structure organisatrice de la grand-messe occitane. "Les efforts réalisés en matière de décarbonation doivent permettre aux entreprises de la supply chain de réduire leur empreinte", confirme Olivier Renne.
"Mais là encore, cela nécessite des investissements, et la question de la trésorerie se pose à nouveau, même si des soutiens publics existent. La problématique est la même en ce qui concerne l’avion "vert" de demain et les briques technologiques à développer. Chacun sait qu’il doit se préparer, mais cela nécessite une prise de risque et des investissements, pour mettre les efforts au bon endroit. Avec, au fond, une question centrale : qui seront les fournisseurs de l’avion de demain ?", ajoute-t-il.
Tandis que donneurs d'ordre, équipementiers et sous-traitants planchent - chacun à leur niveau - sur les briques technologiques et les process qui pourraient bien jouer un rôle dans les avions de demain et d'après-demain, chacun garde à l'esprit les ambitions des jeunes pousses innovantes qui, en région toulousaine, entendent bien révolutionner l'univers de l'aviation. Et ce, avec un certain succès, en tout cas sur le plan financier.
En témoigne l'annonce, fin octobre, de l'obtention par le néo-avionneur haut-garonnais Aura Aero d'un financement de 95 M€ émanant de l'Union européenne, qui doit lui permettre d'accompagner le développement de ses aéronefs innovants, en particulier d'ERA, son futur avion de transport régional hybride-électrique de 19 places. Autre opération majeure officialisée il y a quelques semaines : celle de la start-up haut-garonnaise Beyond Aero qui, après avoir bouclé une levée de 20 M$ auprès des fonds Giant Ventures et Deep Tech 2030, voit le montant total de ses financements collectés s'élever à 44 M$.
Des fonds qui doivent lui permettre d'accélérer la phase de commercialisation de son avion d’affaires électrique conçu pour la propulsion à hydrogène. Enfin, cette fois-ci du côté des solutions d'éco-pilotage, elles aussi destinées à participer à l'effort global en faveur de la décarbonation du transport aérien, la société toulousaine OpenAirlines a levé mi-novembre près de 45 M€ auprès d’Eiffel Investment Group (fonds Eiffel Essentiel), accompagné de Mirova, affilié de Natixis Investment Managers dédié à l’investissement durable.
Et au chapitre de la décarbonation, chacun a en tête le positionnement stratégique de la région Occitanie en faveur de l'hydrogène, illustré notamment par le déploiement, à l'horizon 2026, d'un Technocampus hydrogène au sein de l'aéroport Toulouse-Francazal, fruit d'un investissement de 45 M€. Une opération qui s'inscrit dans le cadre d'un vaste plan doté de 150 M€ engagé par la Région Occitanie – présidée par Carole Delga – en vue d'accompagner le développement de l'avion décarboné.
"L’écosystème hydrogène se constitue en Occitanie, avec le monde académique et industriel, et le soutien de la puissance publique", se réjouit Didier Katzenmayer. "Mais derrière l’hydrogène, dans l’aéronautique, il y a plusieurs sujets : le mode de propulsion et les biocarburants, mais aussi – sujet majeur – la logistique associée. Par ailleurs, l’aéronautique n’est pas le seul marché adressé; il y a aussi en Occitanie des acteurs de la mobilité terrestre et maritime. En ce qui concerne les start-up innovantes dans le champ de l’hydrogène, le niveau de maturité est en train de monter."
Dans ce contexte, participer à Aeromart Toulouse, considéré comme le "petit Bourget" de la Ville rose, à quelques mois du "grand", revêt un caractère stratégique pour les acteurs de la filière, quels que soient leur taille et leur rôle dans la chaîne de valeur. "D'une part, il s'agit d'échanger avec les acteurs de l'industrie aéronautique sur les sujets que nous pouvons les aider à adresser", témoigne Alexandre Willemont, chez Expleo. "Et d'autre part, cet événement nous permet de nous nourrir, au travers d'échanges informels et de conférences thématiques, en vue d'adapter nos offres de demain aux problématiques rencontrées par l'écosystème, afin d'avoir toujours un coup d'avance."
En effet, si Aeromart Toulouse est avant tout un événement dédié aux rendez-vous d’affaires, c'est aussi "l’occasion pour les participants de se retrouver, d’échanger de l’information au travers de rendez-vous informels", souligne Stéphane Castet, organisateur de la convention. Ainsi, tout au long des trois jours que dure le salon, des ateliers et des conférences sont organisés, avec la présence de quelque 70 intervenants. "Cette année, les grandes thématiques de l’événement seront l’excellence opérationnelle, facteur clé du succès, la continuité numérique au service d’une supply chain performante, les stratégies de développement de la filière drones, les innovations dans les systèmes avioniques, la décarbonation de l’aviation et des unités de production, mais aussi la souveraineté", énumère Stéphane Castet.
Autant de thèmes susceptibles d’alimenter les débats, comme le résume Didier Katzenmayer : "Durant cette édition 2024, nous allons aborder des sujets importants, au premier rang desquels la décarbonation des aéronefs, mais aussi celle de la filière. Le deuxième élément indispensable en vue d’honorer les engagements contractuels qui ont été pris est le renforcement de la supply chain. Le troisième grand sujet stratégique est celui de l’attractivité des métiers et du développement des compétences". A la fois convention "business" et plateforme d'échanges autour des enjeux d'une filière en pleine réinvention, Aeromart Toulouse réaffirme, enfin, le "leadership" de la région toulousaine.
"Nous sommes la capitale de l’aéronautique et du spatial", se réjouit Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole. "C’est un joli titre, bien entendu, mais il n’est pas acquis ad vitam aeternam. Nous devons nous projeter dans le futur, montrer que nous nous inscrivons dans une dynamique, pas que nous nous reposons sur nos acquis. Il existe peu de territoires comparables dans le monde où se déploie comme c’est le cas ici l’ensemble de la chaîne de valeur. Cette diversité est sans aucun doute l’atout de Toulouse, qui lui permet de conserver et de consolider son titre dans un monde de plus en plus concurrentiel".
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