Il y a 45 ans, un mois après le sixième et dernier débarquement lunaire américain, les Soviétiques déployaient leur second et dernier rover Lunokhod.
Le 8 janvier 1973, le vaisseau Luna-21 décolle de Baïkonour. Le 12, il atteint l’orbite lunaire et, le 15, il atterrit avec succès dans le cratère Le Monnier, dans la mer de la Sérénité. Peu de temps après, le rover Lunokhod-2 descend du vaisseau-mère depuis une rampe, et effectue ses premiers déplacements à l’aide de ses huit roues. Pour la seconde fois, l’URSS faisait rouler un véhicule sur la Lune…
Du rêve à la faisabilité.
L’idée de rouler sur la Lune n’était pas nouvelle. Au début du XXe siècle, des romanciers rêvaient déjà à des véhicules lunaires. Le premier roman évoquant cette idée semble avoir été Le globe d’argent (1903) du polonais Jerzy Zulawski. D’autres imaginèrent des véhicules plus ou moins crédibles. Ainsi, dans Une mission internationale dans la Lune (1926), l’écrivain français Jean Petithuguenin conçoit un engin-fusée doté de chenilles pour se déplacer et… redécoller ! De manière un peu plus réaliste, Fletcher Pratt et Jack Coggins imaginent en 1952 un petit tank chenillé (équipé de bras robotiques, foreuses et marteaux pneumatiques), idée que l'on retrouve en partie chez Hergé dans On a marché sur la Lune (1950-53, dans Le Journal de Tintin) avec son fameux char lunaire.
Parallèlement, des scientifiques se mettent à réfléchir au concept de l’astromobile ou rover, piloté ou non, comme le russe Constantin Tsiolkovski (Au-delà de la Terre, 1920 - en français en 1963 dans Le chemin des étoiles), l’Autrichien Hermann Oberth (Das Mond auto, 1952 ; The Moon Car, 1959, jamais traduit en français), ou encore le Britannique Arthur C. Clarke (L’exploration de l’espace, 1951 - en français en 1953). C’est également ce dernier qui, dans S.O.S. Lune (1961), imagine - dans une démarche cette fois-ci tout à fait romanesque - un véhicule pour touristes glissant sur la poussière lunaire.
La course-compétition américano-soviétique.
Au cours des années 60, si faire atterrir des hommes sur la Lune est la grande affaire dans la course à la Lune entre Américains et Soviétiques, les ingénieurs de chaque camp s’intéressent aussi à la conception de véhicules lunaires. Ainsi aux Etats-Unis, des rover pilotés ou automatiques dotés de laboratoire ou non, destinés à assister les futurs astronautes, sont mis en l’étude. Le concept de « jeep lunaire » est finalement retenu et, le 31 juillet 1971, les astronautes David Scott et James Irwin d’Apollo 15 conduisent pour la première fois un Lunar Roving Vehicule à quatre roues, de 3 m de long pour une masse de 210 kg. Celui-ci peut atteindre la vitesse d’environ 14 km/h. Deux autres LRV suivent avec Apollo 16 (avril 72) et 17 (décembre 1972).
De leur côté, les Soviétiques décident également de réaliser un véhicule lunaire ou Lunokhod, un engin téléguidé depuis la Terre. L’ingénieur en chef Sergueï Korolev confie le projet à TransMash, usine de Leningrad spécialisée notamment dans la fabrication de… chars d’assaut. En 1964, un premier prototype est expérimenté sous les conseils du bureau d’étude Lavotchkine (Moscou), de Gueorgui Babakine, responsable de la construction de nombreuses sondes interplanétaires. Après la mort de Korolev (1966), le programme Lunokhod est conduit par Aleksandr Kemurdzhian. Le 19 février 1969, un premier exemplaire est lancé, mais le lanceur se désintègre peu après le décollage. Que ce serait-il passé si les Soviétiques avaient roulé sur la Lune avant le premier débarquement humain américain ?
Lunokhod-1 sauve l’honneur.
Le second Lunokhod n’est lancé que le 10 novembre 1970, en raison du fait que l’effort s’est entre temps porté sur deux missions de retour d’échantillons lunaires automatiques (Luna-15, 13/07/69, échec, et Luna-16, 12/09/70, succès). Placé à bord de Luna-17, Lunokhod-1 (756 kg) atterrit le 17 dans la mer des Pluies. Les Soviétiques réussissent l’exploit de le faire rouler (à une vitesse maximale de 4 km/h) sur une distance de 10,5 km ; pendant près de 11 mois, celui-ci prend plus de 20 000 photos (210 panoramiques) tout en faisant de la science. Pour cela, il est notamment équipé d’un spectromètre et d’un télescope à rayon X, de détecteurs de rayons cosmiques, ainsi que d’un réflecteur laser fourni par la France. Cette dernière procède les 5 et 6 décembre 1970 aux premiers tirs laser depuis l’Observatoire du Pic du Midi. Fière, la presse française se fait l’écho de l’événement. Ainsi, La Nouvelle République titre le 18 novembre : « Après les premiers pas américains, Premiers tours de roues soviétiques sur la Lune ».
Lunokhod-2 confirme la maîtrise d’une certaine technologie.
Face aux coûteuses missions Apollo (qui contraindront les Américains à en réduire le nombre), les Soviétiques tentent notamment de démontrer que l’exploration lunaire peut être menée par des robots. Après Lunokhod-1, c’est au tour de Lunokhod-2 (840 kg) d’être envoyé sur la Lune à l’aide de la sonde Luna-21.
Comme son frère jumeau, Lunokhod-2 ressemble à une baignoire d’une longueur de 2,3 m pour une hauteur de 1,92 m, doté d’un grand couvercle sur lequel se trouvent des panneaux solaires fournissant l’énergie (complétés par une unité de chauffage à radio-isotope pour les instruments). Outre des antennes pour les communications, l’engin est équipé d’une batterie d’instruments : un détecteur de rayons cosmiques ; un spectromètre à fluorescence X (les analyses chimiques du sol révèlent la nature : des roches basaltiques avec des concentrations d'aluminium, de potassium et de silicium) ; un télescope à rayons X (observations du Soleil et de la Galaxie) ; un odomètre et un pénétromètre (tests de la résistance des sols) ; un photomètre UV / visible ; un magnétomètre (détection d’un champ magnétique très faible) ; un radiomètre ; un réflecteur laser (français) pour notamment mesurer la distance Terre-Lune ; plusieurs caméras de télévision (80 000 images, 86 panoramas).
Après avoir parcouru 37 km (record de déplacement sur un autre astre, qui ne sera battu qu’en 2014 par le rover américain Opportunity sur Mars), les communications avec Lunokhod-2 sont rompues vers la mi-mai 1973. Il est annoncé comme définitivement perdu le 4 juin, marquant ainsi la fin d’une époque, celle de la course à la Lune.
Le succès des Lunokhod a non seulement permis d’éviter aux Soviétiques l’humiliation d’Apollo, mais aussi de démontrer qu’une exploration robotique de la Lune était pertinente. De plus les Soviétiques ont réalisé un vrai exploit dans le sens où ils ont dû concevoir un engin téléguidé alors que la science de la robotique n’existait quasiment pas.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un article : « L’histoire secrète des Lunokhod » d’Alain Cirou et Jean-rené Germain, Ciel & Espace, septembre 2004.
Un livre : The Moon Car, de Hermann Oberth, Harper & Brothers, 1959.
Une vidéo : « Tank on the Moon », Zed, Corona Films et France 5, un documentaire de Jean Afanassieff, 2007.
Il y a 45 ans, un mois après le sixième et dernier débarquement lunaire américain, les Soviétiques déployaient leur second et dernier rover Lunokhod.
Le 8 janvier 1973, le vaisseau Luna-21 décolle de Baïkonour. Le 12, il atteint l’orbite lunaire et, le 15, il atterrit avec succès dans le cratère Le Monnier, dans la mer de la Sérénité. Peu de temps après, le rover Lunokhod-2 descend du vaisseau-mère depuis une rampe, et effectue ses premiers déplacements à l’aide de ses huit roues. Pour la seconde fois, l’URSS faisait rouler un véhicule sur la Lune…
Du rêve à la faisabilité.
L’idée de rouler sur la Lune n’était pas nouvelle. Au début du XXe siècle, des romanciers rêvaient déjà à des véhicules lunaires. Le premier roman évoquant cette idée semble avoir été Le globe d’argent (1903) du polonais Jerzy Zulawski. D’autres imaginèrent des véhicules plus ou moins crédibles. Ainsi, dans Une mission internationale dans la Lune (1926), l’écrivain français Jean Petithuguenin conçoit un engin-fusée doté de chenilles pour se déplacer et… redécoller ! De manière un peu plus réaliste, Fletcher Pratt et Jack Coggins imaginent en 1952 un petit tank chenillé (équipé de bras robotiques, foreuses et marteaux pneumatiques), idée que l'on retrouve en partie chez Hergé dans On a marché sur la Lune (1950-53, dans Le Journal de Tintin) avec son fameux char lunaire.
Parallèlement, des scientifiques se mettent à réfléchir au concept de l’astromobile ou rover, piloté ou non, comme le russe Constantin Tsiolkovski (Au-delà de la Terre, 1920 - en français en 1963 dans Le chemin des étoiles), l’Autrichien Hermann Oberth (Das Mond auto, 1952 ; The Moon Car, 1959, jamais traduit en français), ou encore le Britannique Arthur C. Clarke (L’exploration de l’espace, 1951 - en français en 1953). C’est également ce dernier qui, dans S.O.S. Lune (1961), imagine - dans une démarche cette fois-ci tout à fait romanesque - un véhicule pour touristes glissant sur la poussière lunaire.
La course-compétition américano-soviétique.
Au cours des années 60, si faire atterrir des hommes sur la Lune est la grande affaire dans la course à la Lune entre Américains et Soviétiques, les ingénieurs de chaque camp s’intéressent aussi à la conception de véhicules lunaires. Ainsi aux Etats-Unis, des rover pilotés ou automatiques dotés de laboratoire ou non, destinés à assister les futurs astronautes, sont mis en l’étude. Le concept de « jeep lunaire » est finalement retenu et, le 31 juillet 1971, les astronautes David Scott et James Irwin d’Apollo 15 conduisent pour la première fois un Lunar Roving Vehicule à quatre roues, de 3 m de long pour une masse de 210 kg. Celui-ci peut atteindre la vitesse d’environ 14 km/h. Deux autres LRV suivent avec Apollo 16 (avril 72) et 17 (décembre 1972).
De leur côté, les Soviétiques décident également de réaliser un véhicule lunaire ou Lunokhod, un engin téléguidé depuis la Terre. L’ingénieur en chef Sergueï Korolev confie le projet à TransMash, usine de Leningrad spécialisée notamment dans la fabrication de… chars d’assaut. En 1964, un premier prototype est expérimenté sous les conseils du bureau d’étude Lavotchkine (Moscou), de Gueorgui Babakine, responsable de la construction de nombreuses sondes interplanétaires. Après la mort de Korolev (1966), le programme Lunokhod est conduit par Aleksandr Kemurdzhian. Le 19 février 1969, un premier exemplaire est lancé, mais le lanceur se désintègre peu après le décollage. Que ce serait-il passé si les Soviétiques avaient roulé sur la Lune avant le premier débarquement humain américain ?
Lunokhod-1 sauve l’honneur.
Le second Lunokhod n’est lancé que le 10 novembre 1970, en raison du fait que l’effort s’est entre temps porté sur deux missions de retour d’échantillons lunaires automatiques (Luna-15, 13/07/69, échec, et Luna-16, 12/09/70, succès). Placé à bord de Luna-17, Lunokhod-1 (756 kg) atterrit le 17 dans la mer des Pluies. Les Soviétiques réussissent l’exploit de le faire rouler (à une vitesse maximale de 4 km/h) sur une distance de 10,5 km ; pendant près de 11 mois, celui-ci prend plus de 20 000 photos (210 panoramiques) tout en faisant de la science. Pour cela, il est notamment équipé d’un spectromètre et d’un télescope à rayon X, de détecteurs de rayons cosmiques, ainsi que d’un réflecteur laser fourni par la France. Cette dernière procède les 5 et 6 décembre 1970 aux premiers tirs laser depuis l’Observatoire du Pic du Midi. Fière, la presse française se fait l’écho de l’événement. Ainsi, La Nouvelle République titre le 18 novembre : « Après les premiers pas américains, Premiers tours de roues soviétiques sur la Lune ».
Lunokhod-2 confirme la maîtrise d’une certaine technologie.
Face aux coûteuses missions Apollo (qui contraindront les Américains à en réduire le nombre), les Soviétiques tentent notamment de démontrer que l’exploration lunaire peut être menée par des robots. Après Lunokhod-1, c’est au tour de Lunokhod-2 (840 kg) d’être envoyé sur la Lune à l’aide de la sonde Luna-21.
Comme son frère jumeau, Lunokhod-2 ressemble à une baignoire d’une longueur de 2,3 m pour une hauteur de 1,92 m, doté d’un grand couvercle sur lequel se trouvent des panneaux solaires fournissant l’énergie (complétés par une unité de chauffage à radio-isotope pour les instruments). Outre des antennes pour les communications, l’engin est équipé d’une batterie d’instruments : un détecteur de rayons cosmiques ; un spectromètre à fluorescence X (les analyses chimiques du sol révèlent la nature : des roches basaltiques avec des concentrations d'aluminium, de potassium et de silicium) ; un télescope à rayons X (observations du Soleil et de la Galaxie) ; un odomètre et un pénétromètre (tests de la résistance des sols) ; un photomètre UV / visible ; un magnétomètre (détection d’un champ magnétique très faible) ; un radiomètre ; un réflecteur laser (français) pour notamment mesurer la distance Terre-Lune ; plusieurs caméras de télévision (80 000 images, 86 panoramas).
Après avoir parcouru 37 km (record de déplacement sur un autre astre, qui ne sera battu qu’en 2014 par le rover américain Opportunity sur Mars), les communications avec Lunokhod-2 sont rompues vers la mi-mai 1973. Il est annoncé comme définitivement perdu le 4 juin, marquant ainsi la fin d’une époque, celle de la course à la Lune.
Le succès des Lunokhod a non seulement permis d’éviter aux Soviétiques l’humiliation d’Apollo, mais aussi de démontrer qu’une exploration robotique de la Lune était pertinente. De plus les Soviétiques ont réalisé un vrai exploit dans le sens où ils ont dû concevoir un engin téléguidé alors que la science de la robotique n’existait quasiment pas.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un article : « L’histoire secrète des Lunokhod » d’Alain Cirou et Jean-rené Germain, Ciel & Espace, septembre 2004.
Un livre : The Moon Car, de Hermann Oberth, Harper & Brothers, 1959.
Une vidéo : « Tank on the Moon », Zed, Corona Films et France 5, un documentaire de Jean Afanassieff, 2007.
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