Alors que les États membres de la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies vont entamer des discussions sur la réduction des menaces spatiales, la Vice-Présidente des États-Unis Kamala Harris a annoncé une interdiction « auto-imposée » des tests de missile anti-satellite à ascension directe.
La Vice-Présidente des États-Unis Kamala Harris a annoncé ce lundi 18 avril, que les États-Unis ne conduiraient pas de tests anti-satellite et invitent la communauté internationale à en faire de même. Cinq mois après le tir d’un missile Nudol contre un satellite situé en orbite basse, à seulement 480 km d’altitude, l’annonce a été faite lors de la visite de la Vice-Présidente sur la base de la Space Force, à Vandenberg, en Californie. « Sans normes claires, nous sommes confrontés à des risques inutiles dans l'espace. Les États-Unis continueront à jouer un rôle de premier plan dans l'établissement, l'avancement et la démonstration de normes pour l'utilisation responsable et pacifique de l'espace », a-t-elle déclaré ce lundi.
NBC News a obtenu un document selon lequel l’administration Biden a indiqué au Congrès sa volonté de réduire « les menaces les plus importantes pour la sécurité et la viabilité de l’espace », considérant les tests anti-satellite comme « compromettant pour la stabilité à long terme de l’espace et mettant en péril l’exploration spatiale ».
Cette annonce intervient moins d’un mois avant la tenue au sein de l’Organisation des Nations Unies à Genève d’un groupe de travail à composition non limitée sur la réduction des menaces spatiales. Créé en décembre dernier sur proposition du Royaume-Uni auprès de la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies, ce groupe de travail fait suite à la résolution 75/36 intitulée « Réduire les menaces spatiales au moyen de normes, de règles et de principes de comportement responsable » et adoptée en décembre 2020.
Dix ans après le lancement de Spoutnik-1, un traité multilatéral sur l’exploration et l’utilisation de l’espace avait été signé par les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Union soviétique le 27 janvier 1967. Si ce traité a jusqu’ici contribué à préserver la sûreté et à la sécurité dans l'espace et sur Terre, les développements technologiques et les risques de conflit évoluent désormais beaucoup plus rapidement que les cadres législatif et politique. La déclaration faite par la Vice-Présidente Harris se situe au point de jonction entre la protection des systèmes spatiaux et de leurs composants contre les actions et menaces intentionnelles causées par des acteurs externes ou non autorisés, qui relèvent de la sécurité spatiale et les mesures prises pour réduire les dommages accidentels causés à l’encontre des systèmes spatiaux et de leurs composants, notamment par des débris spatiaux qui peuvent endommager sans distinction tout type d’objet placé dans l’espace, qui ce qui renforce la sûreté spatiale.
L’espace est un domaine partagé où chaque action individuelle a des conséquences collectives. Avec le déploiement de milliers d’objets en orbite causé par l’apparition de nouvelles puissances étatiques dans l’aventure spatiale et l’émergence d’acteurs commerciaux, de nouveaux enjeux économiques et stratégiques sont intégrés aux discussions. Désormais, viabilité des activités spatiales et stabilité du domaine sont les deux faces d’une même pièce, ce qui crée une interconnexion entre sûreté et sécurité spatiale. Pour cette raison, la protection de l’espace extra-atmosphérique et la sauvegarde des infrastructures spatiales placées en orbite sont essentielles, non seulement pour les États et forces militaires, mais également pour les acteurs privés.
Les opérateurs de satellites privés contribuent à divers services, y compris militaires et humanitaires. Leur voix devrait donc être intégrée au débat international pour faire valoir leurs intérêts particuliers d’une part et pour permettre de revigorer les débats grâce à l’émergence de nouvelles idées. À ce sujet, l’opérateur satellitaire Planet, qui fournit un service d'observation de la Terre, a publié une lettre ouverte appelant le gouvernement des États-Unis à prendre « la tête des efforts internationaux visant à interdire l'utilisation d'armes anti-satellite génératrices de débris spatiaux » et ce, une semaine avant l’annonce de la Vice-Présidente Kamala Harris. Le danger provoqué par la création de débris a d’ailleurs été rappelé à plusieurs reprises au cours du discours du 18 avril.
D’autres organisations non gouvernementales avaient également dénoncé le test de missile anti-satellite à ascension directe mené par la Russie en novembre 2020 qui avait généré des milliers de débris en orbite. L’entreprise américaine Astroscale avait publié une déclaration, jugeant irresponsable la destruction intentionnelle et inutile d’objet dans l'espace, quel qu’il soit, une affirmation reprise par la Secure World Foundation le même jour.
Si jusqu’à présent, les tests de systèmes anti-satellites faisaient l'objet de condamnations politiques, c’est au niveau juridique que se situait la limite. Ce type d'opération a beau être un acte « inamical », il reste néanmoins licite, malgré son ampleur destructrice, la démonstration de force de frappe qu’il implique et le fait qu’il génère des milliers de débris spatiaux.
En raison de leur vitesse très élevée en orbite, même des débris de petite taille peuvent endommager ou détruire des satellites en cas de collision. Or, lorsque l’altitude des débris orbitaux est élevée, ceux-ci restent généralement plus longtemps en orbite terrestre. Les débris laissés sur des orbites inférieures à 600 km retombent normalement sur Terre après quelques années et brûlent dans l’atmosphère. Au-delà de cette altitude, les débris peuvent rester en orbite autour de la Terre pendant des décennies, voire des siècles et ils s'accumulent ainsi au fur et à mesure de leur production, ce qui augmente le risque de collision avec d’autres satellites et la création de plus de débris.
À supposer que la situation internationale actuelle ait accéléré la prise de position de l’administration Biden, il semble que les États-Unis souhaitent montrer la voie vers l’adoption de normes pour des comportements pacifiques et responsables dans l’espace extra-atmosphérique. Néanmoins, c’est l’utilisation du mot « norme » qui provoque de nombreux débats entre diplomates depuis presque 40 ans. Dès le début des années 80, la conférence du désarmement et la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies ont entamé des discussions sur la question de la « prévention d'une course aux armements dans l'espace ».
En 1985, la conférence du désarmement a ainsi mis en place un comité ad hoc afin d'identifier et d'examiner les questions relatives à cette question, telles que la protection juridique des satellites, les systèmes d'énergie nucléaire dans l'espace et diverses mesures de confiance. Les États se sont initialement divisé entre d’une part, ceux qui estiment que des normes, règles et principes de comportements responsables peuvent suffire à encadrer les activités spatiales et de l’autre, ceux qui prônent les traités et instruments juridiques contraignants.
S’agissant de la première approche, le Royaume-Uni, rejoint par la France et d’autres puissances spatiales, préconise mise en place d’un cadre non contraignant pour indiquer ce qui correspond ou non à un comportement responsable afin de réduire les risques d’incompréhensions et de malentendus dans l’espace. C’est dans le prolongement de cette initiative que le groupe de travail prendra place au mois de mai 2022, d’autant qu’au fil des discussions, les États ont admis que les deux méthodes n’étaient pas indissociables l’une de l’autre et qu’elles pouvaient même être compatibles pour la création d’un instrument juridique efficace dans le futur.
Adhérant à cette approche visant à encadrer les comportements, la France a rappelé l’importance pour les États de faire preuve de transparence sur leur doctrine, politique ou stratégie spatiale et de travailler ensemble sur des mécanismes de consultations pour réduire le risque d’escalade et de conflits. La France encourage ainsi le partage des catalogues de données orbitales collectées par les autres États afin de bénéficier d’un système efficace de notifications des manœuvres de proximité. La communication de ce type d’informations permettrait aux acteurs spatiaux non seulement de réduire le risque de collisions en orbite mais également de disposer d’informations liées aux destructions et aux pertes de contrôle d’objets spatiaux.
Dans le cas des partisans des instruments juridiques contraignants, après des années de discussions, un projet de traité interdisant le placement d'armes dans l'espace extra-atmosphérique – dont la version la plus récente date de 2014 – a été soumis au vote par la Chine et la Russie et rappelé en avril 2021 par le ministre russe des affaires étrangères.
En utilisant une approche basée sur une interdiction auto-imposée et en invitant les autres États à en faire de même, l’administration Biden rebat les cartes et propose l’exemplarité. Kamala Harris a d’ailleurs affirmé que « les normes sont des principes partagés, des conceptions communes du bien et du mal, et de ce qui est acceptable », proposant ainsi une définition assez novatrice de cette notion. Néanmoins, c’est une partie subtile qui se joue entre les puissances spatiales pour savoir lesquels suivront la voie tracée par les États-Unis et pour cause : les tests d’armes anti-satellite les plus récents ont été réalisés par la Chine, la Russie, l’Inde et… les États-Unis eux-mêmes. De plus, le Center for Strategic & International Studies a dévoilé dans un rapport publié ce mois d’avril 2022 que la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord développaient et amélioraient actuellement des armes anti-satellite.
Maintenant que les États-Unis annoncent montrer l’exemple en rendant public cet engagement, il s’agit de voir si les États de la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies décident de s’aligner et de s’engagent à ne pas utiliser ou tester de tels systèmes qui cibleraient et neutraliseraient des objets spatiaux. Ici, ce n’est pas la conception ou le stockage qu’il s’agit d’encadrer. La France a ainsi indiqué dans sa contribution à la résolution 75/36 que tous les systèmes spatiaux peuvent être des armes par destination, et que par conséquent, « une approche par les capacités visant à interdire certains systèmes n’apparait pas pertinente et effective ». Comme démontré lors de l’opération « Burn Frost », il est possible de détourner un missile intercepteur et d’en faire une arme anti-satellite, même sans disposer officiellement de tels systèmes (voir la vidéo ci-contre). Pour cette raison, c’est le test de ces armes auquel il a été jugé nécessaire de mettre un terme, certains experts considérant même qu’il s’agit non pas d’une technologie en tant que telle mais d’une mission, où seule compte le résultat, à savoir la destruction des systèmes spatiaux.
En décembre 2021 déjà, en sa qualité de présidente du National Space Council, Kamala Harris déclarait que « sans normes claires pour l'utilisation responsable de l'espace, nous courons le risque réel de menaces pour notre sécurité nationale et mondiale ». Et pour cause, la Secure World Foundation a publié au mois d’avril 2022 une compilation des capacités contre spatiales qui pourraient mettre à mal l’ensemble des satellites actuellement en orbite. En détruisant des satellites, non seulement ces capacités créeraient des milliers de débris, causeraient également des coupures de connexion et d’accès à des informations clé pour la sécurité et la défense nationales, la gestion des phénomènes naturels et météorologiques mais également l’interruption de nos capacités de navigation, de surveillance des territoires et frontières et de prise en charge humanitaire, entre autres services. De plus, depuis le début de l’année 2022 et la montée des tensions dans le monde, certains systèmes satellitaires ont fait l’objet d’interférence, causant des interruptions de communication et de service pour les utilisateurs, civils et militaires.
Néanmoins, certaines puissance spatiales pourraient être tentées de critiquer la déclaration de la Vice-Présidente Harris, considérant que, si l’administration Biden joue les ambassadeurs de bonne volonté pour limiter les conséquences des tests anti-satellite, les États-Unis se sont auparavant assurés de savoir concevoir, construire et utiliser ce type de technologies et peuvent donc s’engager sans crainte à ne jamais l’utiliser et inviter les autres États à en faire de même – même s’ils n’avaient pas l’intention de le faire. Certaines puissances pourraient même être tentées de procéder au test de ces armes anti-satellite pour s’assurer qu’elles maîtrisent bien la technologie, avant de s’engager à ne jamais l’utiliser à nouveau. À ce titre, les États-Unis devront prouver qu’il ne s’agit pas d’une forme de « lawfare » visant à utiliser le droit pour limiter les capacités militaires d’autres États et bloquer le développement de systèmes militaires.
Il s’agit là d’une question importante pour la France car il n’y a pas de définition d’ « arme spatiale » acceptée par la communauté internationale. Après que le satellite franco-italien Athena-Fidus, qui permet des communications militaires sécurisées, ait été approché par un objet spatial étranger en 2018, la ministre des Armées Florence Parly avait annoncé des investissements dans le renforcement des capacités françaises de surveillance de la situation spatiale mais également dans le développement d’une défense active. Décrite comme une position d’autodéfense, à distinguer d’une stratégie offensive, la défense active constitue en la réponse adaptée et proportionnée, en conformité avec les principes du droit international, en cas de détection d’un acte hostile. Selon la ministre des Armées, l’intégration de ces systèmes de riposte dans les satellites garantirait leur protection.
L’approche française a le mérite de la transparence. La stratégie est claire et directe, dans la droite ligne de la contribution soumise auprès du Bureau des Affaires de désarmement de l’ONU : ce ne sont pas les capacités qu’il faut limiter, mais les comportements qu’il faut encadrer. S’agissant de savoir si la France acceptera de suivre l’interdiction proposé par les États-Unis de ne pas tester de missile anti-satellite à ascension directe, c’est probable. Le test d’un système anti-satellite semble correspondre à un comportement irresponsable : la destruction d’un satellite crée dans l’espace des débris qui sont extrêmement difficile à détecter et à surveiller, mettant en péril non seulement les futures opérations spatiales, mais également la vie d’humains envoyés dans l’espace. Régulièrement, la France contribue activement aux discussions à la conférence du désarmement pour encourager des mesures de transparence de de confiance afin d’assurer la viabilité à long terme des activités spatiales. La France prend ainsi le parti de la responsabilité et de la réduction de la production de débris, tout en s’assurant les capacités nécessaires à sa défense et à la protection de ses infrastructures spatiales.
La question est désormais de savoir si les autres puissances spatiales se rangeront derrière les États-Unis et accepteront de limiter le développement et le test de ces systèmes, pour des raisons impérieuses d’intérêt public ou si elles maintiendront leur position traditionnelle lors des débats à la conférence du désarmement. Ce qui est certain, c’est que cette annonce outre-Atlantique va secouer les discussions diplomatiques le mois prochain, à Genève.
Alors que les États membres de la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies vont entamer des discussions sur la réduction des menaces spatiales, la Vice-Présidente des États-Unis Kamala Harris a annoncé une interdiction « auto-imposée » des tests de missile anti-satellite à ascension directe.
Cette annonce intervient moins d’un mois avant la tenue au sein de l’Organisation des Nations Unies à Genève d’un groupe de travail à composition non limitée sur la réduction des menaces spatiales. Créé en décembre dernier sur proposition du Royaume-Uni auprès de la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies, ce groupe de travail fait suite à la résolution 75/36 intitulée « Réduire les menaces spatiales au moyen de normes, de règles et de principes de comportement responsable » et adoptée en décembre 2020.
Dix ans après le lancement de Spoutnik-1, un traité multilatéral sur l’exploration et l’utilisation de l’espace avait été signé par les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Union soviétique le 27 janvier 1967. Si ce traité a jusqu’ici contribué à préserver la sûreté et à la sécurité dans l'espace et sur Terre, les développements technologiques et les risques de conflit évoluent désormais beaucoup plus rapidement que les cadres législatif et politique. La déclaration faite par la Vice-Présidente Harris se situe au point de jonction entre la protection des systèmes spatiaux et de leurs composants contre les actions et menaces intentionnelles causées par des acteurs externes ou non autorisés, qui relèvent de la sécurité spatiale et les mesures prises pour réduire les dommages accidentels causés à l’encontre des systèmes spatiaux et de leurs composants, notamment par des débris spatiaux qui peuvent endommager sans distinction tout type d’objet placé dans l’espace, qui ce qui renforce la sûreté spatiale.
@l'auteure. Merci pour cette contribution très intéressante. On assiste toutefois à un jeu de dupe dans lequel celui qui a acquis les moyens de ... détruire des satellites en orbite cherche, au prétexte de l'exemplarité, à empêcher d'autre puissance de faire de même. La ficelle est un peu grosse. Et le prétexte des débris peut prêter à sourire lorsque l'on pense aux dizaines de milliers de satellites attachés à des constellations commerciales qui sont soit sur orbite, soit en voie de l'être. Enfin, un accord international, traité ou mémorandum, ne vaut que le temps qu'il est respecté. La triste actualité du moment nous rappelle le mémorandum de Budapest auquel les Ukrainiens n'ont eu que le tort d'y avoir cru. Bien cordialement plus
La Vice-Présidente des États-Unis Kamala Harris a annoncé ce lundi 18 avril, que les États-Unis ne conduiraient pas de tests anti-satellite et invitent la communauté internationale à en faire de même. Cinq mois après le tir d’un missile Nudol contre un satellite situé en orbite basse, à seulement 480 km d’altitude, l’annonce a été faite lors de la visite de la Vice-Présidente sur la base de la Space Force, à Vandenberg, en Californie. « Sans normes claires, nous sommes confrontés à des risques inutiles dans l'espace. Les États-Unis continueront à jouer un rôle de premier plan dans l'établissement, l'avancement et la démonstration de normes pour l'utilisation responsable et pacifique de l'espace », a-t-elle déclaré ce lundi.
NBC News a obtenu un document selon lequel l’administration Biden a indiqué au Congrès sa volonté de réduire « les menaces les plus importantes pour la sécurité et la viabilité de l’espace », considérant les tests anti-satellite comme « compromettant pour la stabilité à long terme de l’espace et mettant en péril l’exploration spatiale ».
L’espace est un domaine partagé où chaque action individuelle a des conséquences collectives. Avec le déploiement de milliers d’objets en orbite causé par l’apparition de nouvelles puissances étatiques dans l’aventure spatiale et l’émergence d’acteurs commerciaux, de nouveaux enjeux économiques et stratégiques sont intégrés aux discussions. Désormais, viabilité des activités spatiales et stabilité du domaine sont les deux faces d’une même pièce, ce qui crée une interconnexion entre sûreté et sécurité spatiale. Pour cette raison, la protection de l’espace extra-atmosphérique et la sauvegarde des infrastructures spatiales placées en orbite sont essentielles, non seulement pour les États et forces militaires, mais également pour les acteurs privés.
Les opérateurs de satellites privés contribuent à divers services, y compris militaires et humanitaires. Leur voix devrait donc être intégrée au débat international pour faire valoir leurs intérêts particuliers d’une part et pour permettre de revigorer les débats grâce à l’émergence de nouvelles idées. À ce sujet, l’opérateur satellitaire Planet, qui fournit un service d'observation de la Terre, a publié une lettre ouverte appelant le gouvernement des États-Unis à prendre « la tête des efforts internationaux visant à interdire l'utilisation d'armes anti-satellite génératrices de débris spatiaux » et ce, une semaine avant l’annonce de la Vice-Présidente Kamala Harris. Le danger provoqué par la création de débris a d’ailleurs été rappelé à plusieurs reprises au cours du discours du 18 avril.
D’autres organisations non gouvernementales avaient également dénoncé le test de missile anti-satellite à ascension directe mené par la Russie en novembre 2020 qui avait généré des milliers de débris en orbite. L’entreprise américaine Astroscale avait publié une déclaration, jugeant irresponsable la destruction intentionnelle et inutile d’objet dans l'espace, quel qu’il soit, une affirmation reprise par la Secure World Foundation le même jour.
Si jusqu’à présent, les tests de systèmes anti-satellites faisaient l'objet de condamnations politiques, c’est au niveau juridique que se situait la limite. Ce type d'opération a beau être un acte « inamical », il reste néanmoins licite, malgré son ampleur destructrice, la démonstration de force de frappe qu’il implique et le fait qu’il génère des milliers de débris spatiaux.
En raison de leur vitesse très élevée en orbite, même des débris de petite taille peuvent endommager ou détruire des satellites en cas de collision. Or, lorsque l’altitude des débris orbitaux est élevée, ceux-ci restent généralement plus longtemps en orbite terrestre. Les débris laissés sur des orbites inférieures à 600 km retombent normalement sur Terre après quelques années et brûlent dans l’atmosphère. Au-delà de cette altitude, les débris peuvent rester en orbite autour de la Terre pendant des décennies, voire des siècles et ils s'accumulent ainsi au fur et à mesure de leur production, ce qui augmente le risque de collision avec d’autres satellites et la création de plus de débris.
À supposer que la situation internationale actuelle ait accéléré la prise de position de l’administration Biden, il semble que les États-Unis souhaitent montrer la voie vers l’adoption de normes pour des comportements pacifiques et responsables dans l’espace extra-atmosphérique. Néanmoins, c’est l’utilisation du mot « norme » qui provoque de nombreux débats entre diplomates depuis presque 40 ans. Dès le début des années 80, la conférence du désarmement et la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies ont entamé des discussions sur la question de la « prévention d'une course aux armements dans l'espace ».
En 1985, la conférence du désarmement a ainsi mis en place un comité ad hoc afin d'identifier et d'examiner les questions relatives à cette question, telles que la protection juridique des satellites, les systèmes d'énergie nucléaire dans l'espace et diverses mesures de confiance. Les États se sont initialement divisé entre d’une part, ceux qui estiment que des normes, règles et principes de comportements responsables peuvent suffire à encadrer les activités spatiales et de l’autre, ceux qui prônent les traités et instruments juridiques contraignants.
S’agissant de la première approche, le Royaume-Uni, rejoint par la France et d’autres puissances spatiales, préconise mise en place d’un cadre non contraignant pour indiquer ce qui correspond ou non à un comportement responsable afin de réduire les risques d’incompréhensions et de malentendus dans l’espace. C’est dans le prolongement de cette initiative que le groupe de travail prendra place au mois de mai 2022, d’autant qu’au fil des discussions, les États ont admis que les deux méthodes n’étaient pas indissociables l’une de l’autre et qu’elles pouvaient même être compatibles pour la création d’un instrument juridique efficace dans le futur.
Adhérant à cette approche visant à encadrer les comportements, la France a rappelé l’importance pour les États de faire preuve de transparence sur leur doctrine, politique ou stratégie spatiale et de travailler ensemble sur des mécanismes de consultations pour réduire le risque d’escalade et de conflits. La France encourage ainsi le partage des catalogues de données orbitales collectées par les autres États afin de bénéficier d’un système efficace de notifications des manœuvres de proximité. La communication de ce type d’informations permettrait aux acteurs spatiaux non seulement de réduire le risque de collisions en orbite mais également de disposer d’informations liées aux destructions et aux pertes de contrôle d’objets spatiaux.
Dans le cas des partisans des instruments juridiques contraignants, après des années de discussions, un projet de traité interdisant le placement d'armes dans l'espace extra-atmosphérique – dont la version la plus récente date de 2014 – a été soumis au vote par la Chine et la Russie et rappelé en avril 2021 par le ministre russe des affaires étrangères.
En utilisant une approche basée sur une interdiction auto-imposée et en invitant les autres États à en faire de même, l’administration Biden rebat les cartes et propose l’exemplarité. Kamala Harris a d’ailleurs affirmé que « les normes sont des principes partagés, des conceptions communes du bien et du mal, et de ce qui est acceptable », proposant ainsi une définition assez novatrice de cette notion. Néanmoins, c’est une partie subtile qui se joue entre les puissances spatiales pour savoir lesquels suivront la voie tracée par les États-Unis et pour cause : les tests d’armes anti-satellite les plus récents ont été réalisés par la Chine, la Russie, l’Inde et… les États-Unis eux-mêmes. De plus, le Center for Strategic & International Studies a dévoilé dans un rapport publié ce mois d’avril 2022 que la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord développaient et amélioraient actuellement des armes anti-satellite.
Maintenant que les États-Unis annoncent montrer l’exemple en rendant public cet engagement, il s’agit de voir si les États de la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies décident de s’aligner et de s’engagent à ne pas utiliser ou tester de tels systèmes qui cibleraient et neutraliseraient des objets spatiaux. Ici, ce n’est pas la conception ou le stockage qu’il s’agit d’encadrer. La France a ainsi indiqué dans sa contribution à la résolution 75/36 que tous les systèmes spatiaux peuvent être des armes par destination, et que par conséquent, « une approche par les capacités visant à interdire certains systèmes n’apparait pas pertinente et effective ». Comme démontré lors de l’opération « Burn Frost », il est possible de détourner un missile intercepteur et d’en faire une arme anti-satellite, même sans disposer officiellement de tels systèmes (voir la vidéo ci-contre). Pour cette raison, c’est le test de ces armes auquel il a été jugé nécessaire de mettre un terme, certains experts considérant même qu’il s’agit non pas d’une technologie en tant que telle mais d’une mission, où seule compte le résultat, à savoir la destruction des systèmes spatiaux.
En décembre 2021 déjà, en sa qualité de présidente du National Space Council, Kamala Harris déclarait que « sans normes claires pour l'utilisation responsable de l'espace, nous courons le risque réel de menaces pour notre sécurité nationale et mondiale ». Et pour cause, la Secure World Foundation a publié au mois d’avril 2022 une compilation des capacités contre spatiales qui pourraient mettre à mal l’ensemble des satellites actuellement en orbite. En détruisant des satellites, non seulement ces capacités créeraient des milliers de débris, causeraient également des coupures de connexion et d’accès à des informations clé pour la sécurité et la défense nationales, la gestion des phénomènes naturels et météorologiques mais également l’interruption de nos capacités de navigation, de surveillance des territoires et frontières et de prise en charge humanitaire, entre autres services. De plus, depuis le début de l’année 2022 et la montée des tensions dans le monde, certains systèmes satellitaires ont fait l’objet d’interférence, causant des interruptions de communication et de service pour les utilisateurs, civils et militaires.
Néanmoins, certaines puissance spatiales pourraient être tentées de critiquer la déclaration de la Vice-Présidente Harris, considérant que, si l’administration Biden joue les ambassadeurs de bonne volonté pour limiter les conséquences des tests anti-satellite, les États-Unis se sont auparavant assurés de savoir concevoir, construire et utiliser ce type de technologies et peuvent donc s’engager sans crainte à ne jamais l’utiliser et inviter les autres États à en faire de même – même s’ils n’avaient pas l’intention de le faire. Certaines puissances pourraient même être tentées de procéder au test de ces armes anti-satellite pour s’assurer qu’elles maîtrisent bien la technologie, avant de s’engager à ne jamais l’utiliser à nouveau. À ce titre, les États-Unis devront prouver qu’il ne s’agit pas d’une forme de « lawfare » visant à utiliser le droit pour limiter les capacités militaires d’autres États et bloquer le développement de systèmes militaires.
Il s’agit là d’une question importante pour la France car il n’y a pas de définition d’ « arme spatiale » acceptée par la communauté internationale. Après que le satellite franco-italien Athena-Fidus, qui permet des communications militaires sécurisées, ait été approché par un objet spatial étranger en 2018, la ministre des Armées Florence Parly avait annoncé des investissements dans le renforcement des capacités françaises de surveillance de la situation spatiale mais également dans le développement d’une défense active. Décrite comme une position d’autodéfense, à distinguer d’une stratégie offensive, la défense active constitue en la réponse adaptée et proportionnée, en conformité avec les principes du droit international, en cas de détection d’un acte hostile. Selon la ministre des Armées, l’intégration de ces systèmes de riposte dans les satellites garantirait leur protection.
L’approche française a le mérite de la transparence. La stratégie est claire et directe, dans la droite ligne de la contribution soumise auprès du Bureau des Affaires de désarmement de l’ONU : ce ne sont pas les capacités qu’il faut limiter, mais les comportements qu’il faut encadrer. S’agissant de savoir si la France acceptera de suivre l’interdiction proposé par les États-Unis de ne pas tester de missile anti-satellite à ascension directe, c’est probable. Le test d’un système anti-satellite semble correspondre à un comportement irresponsable : la destruction d’un satellite crée dans l’espace des débris qui sont extrêmement difficile à détecter et à surveiller, mettant en péril non seulement les futures opérations spatiales, mais également la vie d’humains envoyés dans l’espace. Régulièrement, la France contribue activement aux discussions à la conférence du désarmement pour encourager des mesures de transparence de de confiance afin d’assurer la viabilité à long terme des activités spatiales. La France prend ainsi le parti de la responsabilité et de la réduction de la production de débris, tout en s’assurant les capacités nécessaires à sa défense et à la protection de ses infrastructures spatiales.
La question est désormais de savoir si les autres puissances spatiales se rangeront derrière les États-Unis et accepteront de limiter le développement et le test de ces systèmes, pour des raisons impérieuses d’intérêt public ou si elles maintiendront leur position traditionnelle lors des débats à la conférence du désarmement. Ce qui est certain, c’est que cette annonce outre-Atlantique va secouer les discussions diplomatiques le mois prochain, à Genève.
@l'auteure. Merci pour cette contribution très intéressante. On assiste toutefois à un jeu de dupe dans lequel celui qui a acquis les moyens de ... détruire des satellites en orbite cherche, au prétexte de l'exemplarité, à empêcher d'autre puissance de faire de même. La ficelle est un peu grosse. Et le prétexte des débris peut prêter à sourire lorsque l'on pense aux dizaines de milliers de satellites attachés à des constellations commerciales qui sont soit sur orbite, soit en voie de l'être. Enfin, un accord international, traité ou mémorandum, ne vaut que le temps qu'il est respecté. La triste actualité du moment nous rappelle le mémorandum de Budapest auquel les Ukrainiens n'ont eu que le tort d'y avoir cru. Bien cordialement plus
@l'auteure. Merci pour cette contribution très intéressante. On assiste toutefois à un jeu de dupe dans lequel celui qui a acquis les moyens de ... détruire des satellites en orbite cherche, au prétexte de l'exemplarité, à empêcher d'autre puissance de faire de même. La ficelle est un peu grosse. Et le prétexte des débris peut prêter à sourire lorsque l'on pense aux dizaines de milliers de satellites attachés à des constellations commerciales qui sont soit sur orbite, soit en voie de l'être. Enfin, un accord international, traité ou mémorandum, ne vaut que le temps qu'il est respecté. La triste actualité du moment nous rappelle le mémorandum de Budapest auquel les Ukrainiens n'ont eu que le tort d'y avoir cru. Bien cordialement plus