La Suisse dans la conquête spatiale
La Suisse dans la conquête spatiale
© NASA

publié le 19 octobre 2024 à 14:29

1234 mots

La Suisse dans la conquête spatiale

Si elle a envoyé dans l’espace il y a seulement 15 ans son premier satellite artificiel, SwissCube 1, en réalité la Suisse est investie depuis longtemps dans de nombreux programmes internationaux, à travers diverses coopérations.


« On peut être petit sur Terre et grand dans l’espace, la Suisse a tout à fait sa place dans l’espace… Evidemment lorsque l’on parle de l’espace, on pense aux fusées, à Elon Musk, aux astronautes, aux sciences spatiales, mais on oublie qu’une partie de l’espace contient aussi des infrastructures qu’on utilise au quotidien comme dans les télécommunications, la météorologie, la navigation » à travers notamment de nombreux programmes européens, comme le souligne avec force Renato Krpoun, actuellement responsable de la division des affaires spatiales au Secrétariat d’état à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI).

 

Former des spécialistes et rattraper le retard

La Suisse est un acteur important du spatial européen. Elle consacre environ 200 millions d’euros par an dans des projets de recherche et développement, soit environ 3 % du budget de l’ESA, l’agence spatiale européenne, dont elle est par ailleurs un membre fondateur. En effet, lorsqu’au début des années soixante se met en place l’European Space Research Organisation (ESRO) – la première organisation spatiale européenne – la Suisse y participe activement afin de « faire connaître [à son] industrie les aspects les plus modernes et les plus avancés de la technique métallurgique et électronique. Elle offre aussi l’occasion unique d’obtenir la formation de spécialistes », déclare à l’époque Marcel Golay, astronome et président de la commission de la Recherche spatiale suisse (1960-67). Lorsqu’en 1975 l’ESRO cède la place à l’ESA, la Suisse maintient sa participation et, comme pour les autres Etats membres, une partie des investissements consacrés aux programmes spatiaux revient ensuite en Suisse, selon le principe du « juste retour ». Cela se concrétise sous la forme de contrats avec les industries et les universités pour élaborer des composants et des instruments appelés à voler dans divers programmes, permettant ainsi de rattraper peu à peu le retard vis-à-vis des grandes puissances spatiales.

 

La Suisse dans les programmes européens

L’ESRO à peine mise en place, les Suisses s’investissent dans les études de conception des premiers satellites astronomiques européens. Lors de la définition des satellites ESRO 1A Aurorae et 1B Boreas – négociée en 1963 au sein de la Commission préparatoire européenne pour la recherche spatiale – pour l’étude des effets de l’activité solaire sur les zones aurorales, l’entreprise suisse Contraves AG (à Zurich) se met en avant dans la construction des satellites ; ESRO 1A et 1B sont ensuite lancés par des fusées américaines en 1968 et 1969. Ces deux « petits pionniers » ouvrent la voie à d’autres missions scientifiques européennes comme COS B, Exosat, Giotto, etc. Plus récemment, la Suisse a joué un rôle de leader en fournissant le principal instrument (conçu par l’université de Berne) de la mission d’étude des exoplanètes Cheops (CHaracterising ExOPlanets Satellite), lancée le 18 décembre 2019 par une fusée russe.

 

Les coiffes, une spécialité suisse

L’un des apports importants de la Suisse est incontestablement celui de la réalisation des coiffes du lanceur européen Ariane, et cela dès le début de l’aventure en 1979. Les coiffes, qui protègent les satellites lors de l’ascension de la fusée dans l’atmosphère, sont alors conçues par le groupe Contraves. En 2009, la division espace de Contraves est reprise par Ruag, qui deviendra Beyond Gravity. Ce dernier, partenaire historique incontournable, poursuit son engagement dans le développement des nouvelles coiffes du lanceur Ariane 6 en fibre de carbone et mesurant une vingtaine de mètres de haut. Précisons que le petit lanceur italien Vega et même l’Atlas 5 américain sont équipés de coiffes suisses.

 

La Suisse dans les programmes américains

La Suisse n’hésite pas à coopérer avec d’autres Etats, notamment les Etats-Unis avec lequel elle saisit les opportunités comme cela a été le cas avec le programme lunaire Apollo. Ainsi, la première expérience scientifique effectuée par une mission lunaire habitée américaine a été suisse : des voiles solaires ont été plantées lors des missions Apollo 11, 12, 14, 15 et 16. Il s’agissait de feuilles d’aluminium destinées à mesurer (pour la première fois directement) la proportion d’isotopes des gaz hélium, néon et argon contenus dans le vent solaire. Réalisées par l’Institut de physique de l’Université de Berne, ces voiles ont été rapportées sur Terre une fois la mission terminée.

La Suisse s’est également investie dans le programme des navettes spatiales en faisant voler des instruments et Claude Nicolier, son premier astronaute national. Ce dernier a effectué entre 1992 et 1999 quatre vols à bord des navettes, dont deux consacrés à la maintenance du télescope spatial Hubble (STS 61 les 2-13 décembre 1993, STS 103 les 19-27 décembre 1999). Le prochain astronaute suisse devrait être Marco Sieber appelé à réaliser probablement une mission de six mois à bord de la Station spatiale internationale (ISS).

Enfin, la Suisse est devenue la 37e nation à rejoindre le programme lunaire américain Artemis. Le 15 avril 2024, le conseiller fédéral Guy Parmelin a signé les accords avec Bill Nelson, l’administrateur de la Nasa qui, à cette occasion, a déclaré que cela marquait « un grand pas dans le partenariat céleste entre la Suisse et les Etats-Unis ».

 

La Suisse entre (enfin) dans la course aux satellites

Contre toute attente, les Suisses n’ont développé leur premier satellite artificiel SwissCube que très récemment. Entièrement construit en Suisse sous la direction de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne en coopération avec différentes hautes écoles suisses, SwissCuble a la forme d’un cube de 10 centimètres de côté, pour une masse totale de 820 grammes. Placé sur orbite le 23 septembre 2009 à environ 750 km d’altitude par un lanceur indien PSLV, sa mission est dédiée à l'étude du phénomène dit de la lumière du ciel nocturne (airglow) dans les couches supérieures de l'atmosphère.

Le succès de SwissCube suscite un véritable engouement. Ainsi, la jeune entreprise vaudoise Astrocast (près de Lausanne) s’engage actuellement dans la construction de son propre réseau de nanosatellites qui serviront à rendre les télécommunications accessibles et à développer l’internet des objets dans les régions privées de couverture cellulaire. Reste à l’entreprise à finaliser les financements nécessaires…

 

Demain, une agence spatiale suisse ?

Pour autant, la Suisse ne dispose pas d’agence spatiale. Renato Krpoun explique cette singularité : « C’est une réflexion naturellement que l’on mène de temps en temps, mais on reconnaît que le domaine spatial dépend de partenaires, de compétences qui sont très poussées. Pour mettre en place une agence spatiale suisse, il faudrait un programme spatial et la question que l’on doit toujours se poser est : est-ce que ce programme spatial serait plus performant qu’un programme européen où nos acteurs, c’est-à-dire nos scientifiques et nos industriels, y seraient mis en compétition avec d’autres acteurs au niveau européen ? Le mieux est la qualité du produit et on a décidé pour l’instant de ne pas aller dans cette direction, mais de renforcer plutôt notre participation du côté de l’agence spatiale européenne ».

 

Quelques références

- Deux ouvrages : A Place in Space. The history of Swiss participation in European space programmes 1960-1987, Stephan Zellmeyer, Ed. Beauchesne, 2008. De la Suisse à la Lune, 50 ans d’innovation suisse au service de la conquête spatiale, Lukas Viglietti et Myriam Détruy, EPFL Press, 2019.

- Un article : « La Suisse à la conquête du spatial », Stéphanie de Roguin, Laurent Grabet, Blandine Guignier, Audrey Magat, 30 novembre 2021, in pme.ch

- Un entretien avec Renato Krpoun, responsable de la division Affaires spatiales au SEFRI, 17 janvier 2024.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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19/10/2024 14:29
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La Suisse dans la conquête spatiale

Si elle a envoyé dans l’espace il y a seulement 15 ans son premier satellite artificiel, SwissCube 1, en réalité la Suisse est investie depuis longtemps dans de nombreux programmes internationaux, à travers diverses coopérations.

La Suisse dans la conquête spatiale
La Suisse dans la conquête spatiale

« On peut être petit sur Terre et grand dans l’espace, la Suisse a tout à fait sa place dans l’espace… Evidemment lorsque l’on parle de l’espace, on pense aux fusées, à Elon Musk, aux astronautes, aux sciences spatiales, mais on oublie qu’une partie de l’espace contient aussi des infrastructures qu’on utilise au quotidien comme dans les télécommunications, la météorologie, la navigation » à travers notamment de nombreux programmes européens, comme le souligne avec force Renato Krpoun, actuellement responsable de la division des affaires spatiales au Secrétariat d’état à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI).

 

Former des spécialistes et rattraper le retard

La Suisse est un acteur important du spatial européen. Elle consacre environ 200 millions d’euros par an dans des projets de recherche et développement, soit environ 3 % du budget de l’ESA, l’agence spatiale européenne, dont elle est par ailleurs un membre fondateur. En effet, lorsqu’au début des années soixante se met en place l’European Space Research Organisation (ESRO) – la première organisation spatiale européenne – la Suisse y participe activement afin de « faire connaître [à son] industrie les aspects les plus modernes et les plus avancés de la technique métallurgique et électronique. Elle offre aussi l’occasion unique d’obtenir la formation de spécialistes », déclare à l’époque Marcel Golay, astronome et président de la commission de la Recherche spatiale suisse (1960-67). Lorsqu’en 1975 l’ESRO cède la place à l’ESA, la Suisse maintient sa participation et, comme pour les autres Etats membres, une partie des investissements consacrés aux programmes spatiaux revient ensuite en Suisse, selon le principe du « juste retour ». Cela se concrétise sous la forme de contrats avec les industries et les universités pour élaborer des composants et des instruments appelés à voler dans divers programmes, permettant ainsi de rattraper peu à peu le retard vis-à-vis des grandes puissances spatiales.

 

La Suisse dans les programmes européens

L’ESRO à peine mise en place, les Suisses s’investissent dans les études de conception des premiers satellites astronomiques européens. Lors de la définition des satellites ESRO 1A Aurorae et 1B Boreas – négociée en 1963 au sein de la Commission préparatoire européenne pour la recherche spatiale – pour l’étude des effets de l’activité solaire sur les zones aurorales, l’entreprise suisse Contraves AG (à Zurich) se met en avant dans la construction des satellites ; ESRO 1A et 1B sont ensuite lancés par des fusées américaines en 1968 et 1969. Ces deux « petits pionniers » ouvrent la voie à d’autres missions scientifiques européennes comme COS B, Exosat, Giotto, etc. Plus récemment, la Suisse a joué un rôle de leader en fournissant le principal instrument (conçu par l’université de Berne) de la mission d’étude des exoplanètes Cheops (CHaracterising ExOPlanets Satellite), lancée le 18 décembre 2019 par une fusée russe.

 

Les coiffes, une spécialité suisse

L’un des apports importants de la Suisse est incontestablement celui de la réalisation des coiffes du lanceur européen Ariane, et cela dès le début de l’aventure en 1979. Les coiffes, qui protègent les satellites lors de l’ascension de la fusée dans l’atmosphère, sont alors conçues par le groupe Contraves. En 2009, la division espace de Contraves est reprise par Ruag, qui deviendra Beyond Gravity. Ce dernier, partenaire historique incontournable, poursuit son engagement dans le développement des nouvelles coiffes du lanceur Ariane 6 en fibre de carbone et mesurant une vingtaine de mètres de haut. Précisons que le petit lanceur italien Vega et même l’Atlas 5 américain sont équipés de coiffes suisses.

 

La Suisse dans les programmes américains

La Suisse n’hésite pas à coopérer avec d’autres Etats, notamment les Etats-Unis avec lequel elle saisit les opportunités comme cela a été le cas avec le programme lunaire Apollo. Ainsi, la première expérience scientifique effectuée par une mission lunaire habitée américaine a été suisse : des voiles solaires ont été plantées lors des missions Apollo 11, 12, 14, 15 et 16. Il s’agissait de feuilles d’aluminium destinées à mesurer (pour la première fois directement) la proportion d’isotopes des gaz hélium, néon et argon contenus dans le vent solaire. Réalisées par l’Institut de physique de l’Université de Berne, ces voiles ont été rapportées sur Terre une fois la mission terminée.

La Suisse s’est également investie dans le programme des navettes spatiales en faisant voler des instruments et Claude Nicolier, son premier astronaute national. Ce dernier a effectué entre 1992 et 1999 quatre vols à bord des navettes, dont deux consacrés à la maintenance du télescope spatial Hubble (STS 61 les 2-13 décembre 1993, STS 103 les 19-27 décembre 1999). Le prochain astronaute suisse devrait être Marco Sieber appelé à réaliser probablement une mission de six mois à bord de la Station spatiale internationale (ISS).

Enfin, la Suisse est devenue la 37e nation à rejoindre le programme lunaire américain Artemis. Le 15 avril 2024, le conseiller fédéral Guy Parmelin a signé les accords avec Bill Nelson, l’administrateur de la Nasa qui, à cette occasion, a déclaré que cela marquait « un grand pas dans le partenariat céleste entre la Suisse et les Etats-Unis ».

 

La Suisse entre (enfin) dans la course aux satellites

Contre toute attente, les Suisses n’ont développé leur premier satellite artificiel SwissCube que très récemment. Entièrement construit en Suisse sous la direction de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne en coopération avec différentes hautes écoles suisses, SwissCuble a la forme d’un cube de 10 centimètres de côté, pour une masse totale de 820 grammes. Placé sur orbite le 23 septembre 2009 à environ 750 km d’altitude par un lanceur indien PSLV, sa mission est dédiée à l'étude du phénomène dit de la lumière du ciel nocturne (airglow) dans les couches supérieures de l'atmosphère.

Le succès de SwissCube suscite un véritable engouement. Ainsi, la jeune entreprise vaudoise Astrocast (près de Lausanne) s’engage actuellement dans la construction de son propre réseau de nanosatellites qui serviront à rendre les télécommunications accessibles et à développer l’internet des objets dans les régions privées de couverture cellulaire. Reste à l’entreprise à finaliser les financements nécessaires…

 

Demain, une agence spatiale suisse ?

Pour autant, la Suisse ne dispose pas d’agence spatiale. Renato Krpoun explique cette singularité : « C’est une réflexion naturellement que l’on mène de temps en temps, mais on reconnaît que le domaine spatial dépend de partenaires, de compétences qui sont très poussées. Pour mettre en place une agence spatiale suisse, il faudrait un programme spatial et la question que l’on doit toujours se poser est : est-ce que ce programme spatial serait plus performant qu’un programme européen où nos acteurs, c’est-à-dire nos scientifiques et nos industriels, y seraient mis en compétition avec d’autres acteurs au niveau européen ? Le mieux est la qualité du produit et on a décidé pour l’instant de ne pas aller dans cette direction, mais de renforcer plutôt notre participation du côté de l’agence spatiale européenne ».

 

Quelques références

- Deux ouvrages : A Place in Space. The history of Swiss participation in European space programmes 1960-1987, Stephan Zellmeyer, Ed. Beauchesne, 2008. De la Suisse à la Lune, 50 ans d’innovation suisse au service de la conquête spatiale, Lukas Viglietti et Myriam Détruy, EPFL Press, 2019.

- Un article : « La Suisse à la conquête du spatial », Stéphanie de Roguin, Laurent Grabet, Blandine Guignier, Audrey Magat, 30 novembre 2021, in pme.ch

- Un entretien avec Renato Krpoun, responsable de la division Affaires spatiales au SEFRI, 17 janvier 2024.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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