Le 14 décembre 2013, l’atterrisseur chinois de la mission Chang’e 3 se posait sur la Lune avec une petite astromobile, faisant de la Chine la troisième nation à rouler sur la surface lunaire, après les Soviétiques (1970) et les Américains (1971).
Au cours de la Guerre froide, la Lune a été un des terrains de jeu de la course-compétition entre les Américains et les Soviétiques. Celle-ci a culminé avec les débarquements lunaires américains du programme Apollo, et s’est clôturée en août 1976 avec la sonde automatique soviétique Luna 24 (avec retour d’échantillons). La première phase de la conquête lunaire était terminée avec un objectif politique atteint. En revanche l’objectif scientifique, pas suffisamment convaincant, n’a pas permis de poursuivre l’aventure...
En 1998, les données de la mission militaire (Ballistic Missile Defense Organization) et civile (Nasa) américaine Clémentine laissent à penser le fait que de l’eau puisse se trouver dans des cratères ne recevant jamais la lumière du Soleil, notamment dans les régions polaires. La sonde suivante, Lunar Prospector (1998-99), confirme les données de Clémentine, et met en évidence la présence de ressources comme le titane, le fer, le thorium (qui pourrait un jour être une solution de substitution à l’uranium), etc. Ces découvertes ravivent l’intérêt du retour à la Lune. Certains estiment même que la présence des ressources lunaires pourrait contribuer dans un avenir plus ou moins proche à l’établissement de bases lunaires…
Au moment où les Américains s’apprêtent à prospecter la surface lunaire, de nouvelles nations manifestent leur intérêt à retourner vers la Lune, à commencer par le Japon qui, dès le début des années 1990, effectue des survols lunaires avec sa sonde Hiten (destinée essentiellement à tester des technologies spatiales). Cela interpelle la Chine qui, en pleine dynamique de croissance, ne peut se permettre de laisser ses rivaux Japonais et Américains explorer seuls la Lune. Si l’idée et l’envie de l’explorer remonte au temps de la Guerre froide, celle-ci, au regard de la maîtrise des technologies, peut désormais se concrétiser. En 1995, l’Académie des sciences chinoise lance le projet d’un orbiteur lunaire, projet approuvé le 1er mars 2003 sous le nom de Chang’e, en l’honneur de la déesse de la Lune dans le taoïsme. La construction de Chang’e 1 est engagée à partir de janvier 2004 sous la maîtrise de la China Academy of Space Technology (CAST), l’exploration scientifique demeurant sous la responsabilité de la Chinese Academy of Sciences (CAS).
Le 24 octobre 2007, la première sonde lunaire chinoise Chang’e 1 est lancée avec succès. Celle-ci a quatre principaux objectifs : cartographier la surface lunaire, détecter les éléments chimiques à la surface, en savoir plus sur le régolithe et sur l’environnement de la Lune (radiations, particules, etc.). La sonde mène à bien sa mission durant un an et quatre mois. Le succès encourage les Chinois à poursuivre leur programme avec Chang’e 2 qui, lancée le 1er octobre 2010, complète les données engrangées par Chang’e 1 et prépare la mission Chang’e 3 (en repérant notamment le futur site d’atterrissage). Surpris, les observateurs apprennent que Chang’e 2 va ensuite quitter l’orbite lunaire pour se placer au point de Lagrange L2 (rejoint le 25 août 2011), avant finalement d’effectuer en décembre 2012 le survol d’un astéroïde (Toutatis). Tout aussi ambitieuse est la mission suivante : se poser et rouler sur la Lune.
La troisième mission lunaire chinoise est esquissée et décidée dès les années 2000. La construction de la sonde commence en 2011-12. D’une masse totale d’environ 3 700 kg, elle embarque un télescope ultraviolet pour des observations astronomiques (étoiles, galaxies, etc.) depuis le sol lunaire et une caméra dans l’extrême ultraviolet pour étudier la plasmasphère de la Terre. D’autres caméras sont intégrées pour suivre en direct l’atterrissage, filmer l’environnement du site ou encore la descente de la petite astromobile. Cette dernière, baptisée Yutu (Lapin de jade, compagnon de la déesse Chang’e), est la surprise de la mission : d’une hauteur de 1,5 m pour une masse totale de 140 kg, elle est dotée de six roues, d’un mât portant les caméras (pour fournir des panoramas à haute résolution et pour le déplacement), ainsi qu’une antenne de communication (avec la Terre). Outre les caméras, elle emporte un radar (sous l’astromobile pour sonder le sous-sol), un spectromètre rayons X à particules alphas (pour étudier la géologie), un spectromètre imageur en lumière visible et proche infrarouge (pour déterminer la composition des roches). Enfin, des panneaux solaires lui fournissent l’énergie nécessaire pour une mission initiale de 90 jours.
Le 1er décembre 2013, une fusée Longue Marche 3B lance avec succès Chang’e 3 qui s’insère le 6 décembre sur une orbite lunaire. Le 14 décembre, l’engin réussit à se poser sur Sinus Iridium, une plaine de lave basaltique au nord-ouest de la Mer des Pluies, mer où se sont déjà posées l’astromobile soviétique Lunokhod 1 (17 novembre 1970) et la mission habitée américaine Apollo 15 (30 juillet 1971). A peine atterri, l’atterrisseur déploie ses panneaux solaires, son antenne, puis la rampe de descente pour Yutu. Ensuite, c’est au tour de l’astromobile d’ouvrir ses panneaux solaires, son antenne et son mât portant les caméras, et de descendre progressivement vers le sol lunaire. La Chine roule alors sur la Lune. Les médias exultent et exaltent l’événement à travers le pays via notamment Le Quotidien du peuple, mais aussi dans le monde par le biais du China Daily. Après avoir parcouru 114 mètres, Yutu s’immobilise et refuse de rouler, pouvant néanmoins encore émettre des informations jusqu’en mars 2015. Quant aux instruments à bord de l’atterrisseur, ils continuent de fonctionner. « Pour la Chine, souligne Philippe Coué, c’est un succès complet car d’un point de vue de démonstration technologique, elle a réussi à se poser sur la Lune, à poser sur le sol lunaire un rover et à le faire fonctionner sur quelques dizaines de mètres. Et surtout avec du matériel d’une longévité très grande ».
Avec les Chang’e, les Chinois démontrent ainsi leur capacité de faire désormais jeu égal avec les Américains dans l’exploration de la Lune. D’autres missions tout aussi spectaculaires suivent : Chang’e 5-T1 teste et valide en octobre 2014 une partie de la mission de retour d’échantillon lunaire effectuée par Chang’e 5 en novembre / décembre 2020, tandis que Chang’e 4 réédite l’exploit de Chang’e 3 en janvier 2019... mais sur la face cachée de la Lune, opération inédite que ni les Soviétiques, ni les Américains n’avaient tenté auparavant.
- Un article : « Chang’e 3 – Mission Overview », 12 décembre 2023, en ligne sur le site Spaceflight101.com
- Des vidéos montrant l’atterrissage de Chang’e 3, le 14 décembre 2014, puis le déploiement de l’astromobile Yutu
- Une conférence de Philippe Coué sur le programme lunaire chinois, donnée à la Société Astronomique de France le 20 février 2021.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 14 décembre 2013, l’atterrisseur chinois de la mission Chang’e 3 se posait sur la Lune avec une petite astromobile, faisant de la Chine la troisième nation à rouler sur la surface lunaire, après les Soviétiques (1970) et les Américains (1971).
Au cours de la Guerre froide, la Lune a été un des terrains de jeu de la course-compétition entre les Américains et les Soviétiques. Celle-ci a culminé avec les débarquements lunaires américains du programme Apollo, et s’est clôturée en août 1976 avec la sonde automatique soviétique Luna 24 (avec retour d’échantillons). La première phase de la conquête lunaire était terminée avec un objectif politique atteint. En revanche l’objectif scientifique, pas suffisamment convaincant, n’a pas permis de poursuivre l’aventure...
En 1998, les données de la mission militaire (Ballistic Missile Defense Organization) et civile (Nasa) américaine Clémentine laissent à penser le fait que de l’eau puisse se trouver dans des cratères ne recevant jamais la lumière du Soleil, notamment dans les régions polaires. La sonde suivante, Lunar Prospector (1998-99), confirme les données de Clémentine, et met en évidence la présence de ressources comme le titane, le fer, le thorium (qui pourrait un jour être une solution de substitution à l’uranium), etc. Ces découvertes ravivent l’intérêt du retour à la Lune. Certains estiment même que la présence des ressources lunaires pourrait contribuer dans un avenir plus ou moins proche à l’établissement de bases lunaires…
Au moment où les Américains s’apprêtent à prospecter la surface lunaire, de nouvelles nations manifestent leur intérêt à retourner vers la Lune, à commencer par le Japon qui, dès le début des années 1990, effectue des survols lunaires avec sa sonde Hiten (destinée essentiellement à tester des technologies spatiales). Cela interpelle la Chine qui, en pleine dynamique de croissance, ne peut se permettre de laisser ses rivaux Japonais et Américains explorer seuls la Lune. Si l’idée et l’envie de l’explorer remonte au temps de la Guerre froide, celle-ci, au regard de la maîtrise des technologies, peut désormais se concrétiser. En 1995, l’Académie des sciences chinoise lance le projet d’un orbiteur lunaire, projet approuvé le 1er mars 2003 sous le nom de Chang’e, en l’honneur de la déesse de la Lune dans le taoïsme. La construction de Chang’e 1 est engagée à partir de janvier 2004 sous la maîtrise de la China Academy of Space Technology (CAST), l’exploration scientifique demeurant sous la responsabilité de la Chinese Academy of Sciences (CAS).
Le 24 octobre 2007, la première sonde lunaire chinoise Chang’e 1 est lancée avec succès. Celle-ci a quatre principaux objectifs : cartographier la surface lunaire, détecter les éléments chimiques à la surface, en savoir plus sur le régolithe et sur l’environnement de la Lune (radiations, particules, etc.). La sonde mène à bien sa mission durant un an et quatre mois. Le succès encourage les Chinois à poursuivre leur programme avec Chang’e 2 qui, lancée le 1er octobre 2010, complète les données engrangées par Chang’e 1 et prépare la mission Chang’e 3 (en repérant notamment le futur site d’atterrissage). Surpris, les observateurs apprennent que Chang’e 2 va ensuite quitter l’orbite lunaire pour se placer au point de Lagrange L2 (rejoint le 25 août 2011), avant finalement d’effectuer en décembre 2012 le survol d’un astéroïde (Toutatis). Tout aussi ambitieuse est la mission suivante : se poser et rouler sur la Lune.
La troisième mission lunaire chinoise est esquissée et décidée dès les années 2000. La construction de la sonde commence en 2011-12. D’une masse totale d’environ 3 700 kg, elle embarque un télescope ultraviolet pour des observations astronomiques (étoiles, galaxies, etc.) depuis le sol lunaire et une caméra dans l’extrême ultraviolet pour étudier la plasmasphère de la Terre. D’autres caméras sont intégrées pour suivre en direct l’atterrissage, filmer l’environnement du site ou encore la descente de la petite astromobile. Cette dernière, baptisée Yutu (Lapin de jade, compagnon de la déesse Chang’e), est la surprise de la mission : d’une hauteur de 1,5 m pour une masse totale de 140 kg, elle est dotée de six roues, d’un mât portant les caméras (pour fournir des panoramas à haute résolution et pour le déplacement), ainsi qu’une antenne de communication (avec la Terre). Outre les caméras, elle emporte un radar (sous l’astromobile pour sonder le sous-sol), un spectromètre rayons X à particules alphas (pour étudier la géologie), un spectromètre imageur en lumière visible et proche infrarouge (pour déterminer la composition des roches). Enfin, des panneaux solaires lui fournissent l’énergie nécessaire pour une mission initiale de 90 jours.
Le 1er décembre 2013, une fusée Longue Marche 3B lance avec succès Chang’e 3 qui s’insère le 6 décembre sur une orbite lunaire. Le 14 décembre, l’engin réussit à se poser sur Sinus Iridium, une plaine de lave basaltique au nord-ouest de la Mer des Pluies, mer où se sont déjà posées l’astromobile soviétique Lunokhod 1 (17 novembre 1970) et la mission habitée américaine Apollo 15 (30 juillet 1971). A peine atterri, l’atterrisseur déploie ses panneaux solaires, son antenne, puis la rampe de descente pour Yutu. Ensuite, c’est au tour de l’astromobile d’ouvrir ses panneaux solaires, son antenne et son mât portant les caméras, et de descendre progressivement vers le sol lunaire. La Chine roule alors sur la Lune. Les médias exultent et exaltent l’événement à travers le pays via notamment Le Quotidien du peuple, mais aussi dans le monde par le biais du China Daily. Après avoir parcouru 114 mètres, Yutu s’immobilise et refuse de rouler, pouvant néanmoins encore émettre des informations jusqu’en mars 2015. Quant aux instruments à bord de l’atterrisseur, ils continuent de fonctionner. « Pour la Chine, souligne Philippe Coué, c’est un succès complet car d’un point de vue de démonstration technologique, elle a réussi à se poser sur la Lune, à poser sur le sol lunaire un rover et à le faire fonctionner sur quelques dizaines de mètres. Et surtout avec du matériel d’une longévité très grande ».
Avec les Chang’e, les Chinois démontrent ainsi leur capacité de faire désormais jeu égal avec les Américains dans l’exploration de la Lune. D’autres missions tout aussi spectaculaires suivent : Chang’e 5-T1 teste et valide en octobre 2014 une partie de la mission de retour d’échantillon lunaire effectuée par Chang’e 5 en novembre / décembre 2020, tandis que Chang’e 4 réédite l’exploit de Chang’e 3 en janvier 2019... mais sur la face cachée de la Lune, opération inédite que ni les Soviétiques, ni les Américains n’avaient tenté auparavant.
- Un article : « Chang’e 3 – Mission Overview », 12 décembre 2023, en ligne sur le site Spaceflight101.com
- Des vidéos montrant l’atterrissage de Chang’e 3, le 14 décembre 2014, puis le déploiement de l’astromobile Yutu
- Une conférence de Philippe Coué sur le programme lunaire chinois, donnée à la Société Astronomique de France le 20 février 2021.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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