Il y a 60 ans, le 20 février 1962, l’astronaute John Glenn effectuait le premier vol orbital américain, dix mois après le Soviétique Youri Gagarine. Il permettait à son pays de revenir dans la course aux exploits.
[Suite de l'article publié le 21 février 2021]
Le 20 février 1962 à 9 h 47 (heure locale), John Glenn s’envole enfin, en direct devant des millions d’Américains. La presse américaine exulte, tel The Miami News qui titre après l’atterrissage « Now The American… HE’S BACK ! After 3 Orbits » (Au tour de l’Américain... IL EST DE RETOUR ! Après trois orbites). Le soulagement est également partagé en France, comme en témoigne le journal télévisé du jour : « Glenn est parti ! Le colonel a inscrit aujourd’hui son nom dans la courte liste des conquérants de l’infini. Et c’est la première fois que le monde entier a été convié à assister à ce départ extraordinaire d’un homme pour le cosmos. Dans le blockhaus de commandement, le compte à rebours, après s’être interrompu cinq fois, arrive à sa fin. Trois, deux, un…zéro ! Glenn est parti ! Dans toute l’Amérique, des foules suivent ce même départ sur les écrans de télévision. La fusée suit sa course ».
Une fois sur orbite, supportant bien l’impesanteur, Glenn observe la Terre : les manteaux neigeux les montagnes, les eaux émeraudes des Bahamas, les volcans, les nuages, les orages etc., mais aussi la nuit avec les étoiles qui apparaissent d’abord comme « comme une espèce de brume, prirent ensuite l’apparence d’un voile, et enfin il eut devant lui les vaisseaux célestes les plus brillants et aux contours les plus nets qu’il eût jamais vus : les étoiles, dans une splendeur que jamais humain n’avait aperçue jusqu’à ce jour », comme le rapporteront plus tard Alan Shepard et Deke Slayton dans leur ouvrage Ils voulaient la Lune. A un moment donné, il se retrouve « au cœur d’une masse immense constituée de milliers de très petites particules d’une intense luminosité, presque luminescentes. Elles sont d’un vert jaunâtre, et elles ont à peu près la taille et l’intensité des lucioles dans une nuit d’encre. Je n’ai jamais rien vu de tel », précisera John Glenn… Ces lucioles s’avèreront être des particules de glace et de givre.
Plus inquiétant, au cours de la première orbite, les responsables au sol reçoivent des données indiquant que les fixations maintenant le bouclier thermique seraient déverrouillées (ce qui heureusement n’était pas le cas). Or, si celui-ci se détachait avant la rentrée atmosphérique, la capsule Mercury brûlerait dans les couches denses… Les contrôleurs préfèrent alors dans un premier temps de ne rien dire à Glenn pour ne pas l’inquiéter.
Puis vient la rentrée atmosphérique, un moment délicat où les communications avec le sol ne peuvent plus se faire et avec l’angoisse d’une défaillance du bouclier thermique. Glenn décrira plus tard ce qu’il a vu et ressenti : « une scène de cauchemar (…), des morceaux de métal en feu balançaient et cognaient contre le hublot (…). J’ai passé là un mauvais moment ». Subissant une force de gravité à plus de 7 g, Glenn conserve son sang-froid… puis les communications avec le sol se rétablissent, Glenn annonce alors que « ça va très bien ». Au sol, c’est le soulagement.
Quant au vaisseau Friendship 7, il amerrit dans l’archipel des Bahamas, à quelques kilomètres seulement du destroyer Noa chargé de sa récupération. Glenn est ensuite transporté par hélicoptère à bord du porte-avions Randolph où il reçoit un accueil des plus chaleureux. Sa victoire est saluée dans de nombreux pays, comme le rapporte notamment La République du centre le 22 février titrant en première page : « JOHN GLENN RECOIT DES FELICITATIONS DU MONDE ENTIER ». Honoré par le président Kennedy, Glenn a le droit à une « ticker-tape parade » à New-York.
D’un point de vue technique, malgré les aléas et les difficultés, les objectifs du vol de Glenn sont atteints : celui-ci a permis de montrer la maîtrise d’un vaisseau spatial piloté sur orbite, de vérifier si un être humain peut (sur)vivre en situation de micropesanteur et, enfin, d’être capable de récupérer un astronaute. Le vol de Glenn conforte ainsi les méthodes de la Nasa.
D’un point de vue géopolitique, celui-ci apporte de la confiance à une Amérique déstabilisée par les récents succès soviétiques à répétition. Glenn rétablit ainsi les Etats-Unis comme un concurrent sérieux de l’Union soviétique. Ainsi, Time en fait sa « une » le 2 mars 1962, avec un grand portrait accompagné du titre « Spaceman Glenn » et, sur le coin droit, en bandeau : « The Space Race Is GO » (La course à l’espace est lancée).
Si Glenn ouvre la voie aux autres vols orbitaux américains, il prépare aussi celui de l’homme sur la Lune – objectif fixé par Kennedy depuis mai 1961. Certains médias pensent même que Glenn pourrait être le premier homme à marcher sur la Lune, comme l’écrit La Nouvelle République le 28 janvier 1963 : « John Glenn sera-t-il l’homme de la Lune ? ». Toutefois, pour y arriver la tâche s’annonce difficile, comme le souligne si bien Raymond Cartier dans Paris Match du 3 mars 1962 : « La course à l’espace se joue. Elle n’est pas jouée ».
Âgé de 41 ans au moment de son vol de 1962, Glenn est alors le plus vieux des astronautes. Trente-six ans plus tard en 1998, à l’âge de 77 ans, il effectuera son second vol à bord de la confortable navette Discovery (mission STS 95), conservant ainsi son record du plus âgé des astronautes…
- Un ouvrage mémoire : John Glenn : A Memoir, John Glenn et Nick Taylor, Ed. Bantam, 1999.
- Un roman : L’étoffe des héros, Tom Wolfe, Gallimard, Paris, 1982 (paru en 1979 en anglais).
- Un film de la Nasa & General Dynamics Corporation sur le vol de John Glenn, « Glenn Ready for Orbital Flight Friendship 7 », 1962, US National Archives
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Il y a 60 ans, le 20 février 1962, l’astronaute John Glenn effectuait le premier vol orbital américain, dix mois après le Soviétique Youri Gagarine. Il permettait à son pays de revenir dans la course aux exploits.
[Suite de l'article publié le 21 février 2021]
Le 20 février 1962 à 9 h 47 (heure locale), John Glenn s’envole enfin, en direct devant des millions d’Américains. La presse américaine exulte, tel The Miami News qui titre après l’atterrissage « Now The American… HE’S BACK ! After 3 Orbits » (Au tour de l’Américain... IL EST DE RETOUR ! Après trois orbites). Le soulagement est également partagé en France, comme en témoigne le journal télévisé du jour : « Glenn est parti ! Le colonel a inscrit aujourd’hui son nom dans la courte liste des conquérants de l’infini. Et c’est la première fois que le monde entier a été convié à assister à ce départ extraordinaire d’un homme pour le cosmos. Dans le blockhaus de commandement, le compte à rebours, après s’être interrompu cinq fois, arrive à sa fin. Trois, deux, un…zéro ! Glenn est parti ! Dans toute l’Amérique, des foules suivent ce même départ sur les écrans de télévision. La fusée suit sa course ».
Une fois sur orbite, supportant bien l’impesanteur, Glenn observe la Terre : les manteaux neigeux les montagnes, les eaux émeraudes des Bahamas, les volcans, les nuages, les orages etc., mais aussi la nuit avec les étoiles qui apparaissent d’abord comme « comme une espèce de brume, prirent ensuite l’apparence d’un voile, et enfin il eut devant lui les vaisseaux célestes les plus brillants et aux contours les plus nets qu’il eût jamais vus : les étoiles, dans une splendeur que jamais humain n’avait aperçue jusqu’à ce jour », comme le rapporteront plus tard Alan Shepard et Deke Slayton dans leur ouvrage Ils voulaient la Lune. A un moment donné, il se retrouve « au cœur d’une masse immense constituée de milliers de très petites particules d’une intense luminosité, presque luminescentes. Elles sont d’un vert jaunâtre, et elles ont à peu près la taille et l’intensité des lucioles dans une nuit d’encre. Je n’ai jamais rien vu de tel », précisera John Glenn… Ces lucioles s’avèreront être des particules de glace et de givre.
Plus inquiétant, au cours de la première orbite, les responsables au sol reçoivent des données indiquant que les fixations maintenant le bouclier thermique seraient déverrouillées (ce qui heureusement n’était pas le cas). Or, si celui-ci se détachait avant la rentrée atmosphérique, la capsule Mercury brûlerait dans les couches denses… Les contrôleurs préfèrent alors dans un premier temps de ne rien dire à Glenn pour ne pas l’inquiéter.
Puis vient la rentrée atmosphérique, un moment délicat où les communications avec le sol ne peuvent plus se faire et avec l’angoisse d’une défaillance du bouclier thermique. Glenn décrira plus tard ce qu’il a vu et ressenti : « une scène de cauchemar (…), des morceaux de métal en feu balançaient et cognaient contre le hublot (…). J’ai passé là un mauvais moment ». Subissant une force de gravité à plus de 7 g, Glenn conserve son sang-froid… puis les communications avec le sol se rétablissent, Glenn annonce alors que « ça va très bien ». Au sol, c’est le soulagement.
Quant au vaisseau Friendship 7, il amerrit dans l’archipel des Bahamas, à quelques kilomètres seulement du destroyer Noa chargé de sa récupération. Glenn est ensuite transporté par hélicoptère à bord du porte-avions Randolph où il reçoit un accueil des plus chaleureux. Sa victoire est saluée dans de nombreux pays, comme le rapporte notamment La République du centre le 22 février titrant en première page : « JOHN GLENN RECOIT DES FELICITATIONS DU MONDE ENTIER ». Honoré par le président Kennedy, Glenn a le droit à une « ticker-tape parade » à New-York.
D’un point de vue technique, malgré les aléas et les difficultés, les objectifs du vol de Glenn sont atteints : celui-ci a permis de montrer la maîtrise d’un vaisseau spatial piloté sur orbite, de vérifier si un être humain peut (sur)vivre en situation de micropesanteur et, enfin, d’être capable de récupérer un astronaute. Le vol de Glenn conforte ainsi les méthodes de la Nasa.
D’un point de vue géopolitique, celui-ci apporte de la confiance à une Amérique déstabilisée par les récents succès soviétiques à répétition. Glenn rétablit ainsi les Etats-Unis comme un concurrent sérieux de l’Union soviétique. Ainsi, Time en fait sa « une » le 2 mars 1962, avec un grand portrait accompagné du titre « Spaceman Glenn » et, sur le coin droit, en bandeau : « The Space Race Is GO » (La course à l’espace est lancée).
Si Glenn ouvre la voie aux autres vols orbitaux américains, il prépare aussi celui de l’homme sur la Lune – objectif fixé par Kennedy depuis mai 1961. Certains médias pensent même que Glenn pourrait être le premier homme à marcher sur la Lune, comme l’écrit La Nouvelle République le 28 janvier 1963 : « John Glenn sera-t-il l’homme de la Lune ? ». Toutefois, pour y arriver la tâche s’annonce difficile, comme le souligne si bien Raymond Cartier dans Paris Match du 3 mars 1962 : « La course à l’espace se joue. Elle n’est pas jouée ».
Âgé de 41 ans au moment de son vol de 1962, Glenn est alors le plus vieux des astronautes. Trente-six ans plus tard en 1998, à l’âge de 77 ans, il effectuera son second vol à bord de la confortable navette Discovery (mission STS 95), conservant ainsi son record du plus âgé des astronautes…
- Un ouvrage mémoire : John Glenn : A Memoir, John Glenn et Nick Taylor, Ed. Bantam, 1999.
- Un roman : L’étoffe des héros, Tom Wolfe, Gallimard, Paris, 1982 (paru en 1979 en anglais).
- Un film de la Nasa & General Dynamics Corporation sur le vol de John Glenn, « Glenn Ready for Orbital Flight Friendship 7 », 1962, US National Archives
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Commentaires