Un autre acteur majeur du spatial français et européen s’est éteint le 16 avril. Jean-Marie Luton avait réussi le Grand Chelem : diriger successivement le CNES, l’ESA et Arianespace.
Né le 4 août 1942 à Chamalières (Puy-de-Dôme), Jean-Marie Luton termine en 1961 ses études d’ingénieur à l’Ecole Polytechnique. Trois ans plus tard, il entre au service d’Aéronomie du CNRS, le premier laboratoire spatial français, spécialisé dans les études de la haute atmosphère et alors dirigé par le professeur Jacques-Emile Blamont.
Au cours de la seconde moitié des années 60, Jean-Marie Luton participe aux dernières grandes campagnes scientifiques françaises menées à l’aide des fusées-sondes, notamment celle de juin 1966 qui s’est déroulée à Hammaguir, dans le Sahara algérien. A cette occasion, il réalise le 15 juin 1966 une expérience d’émission de caesium dans la haute atmosphère avec la fusée-sonde Dragon-22, qui permet d’affiner les modèles de température dans la thermosphère. Par ailleurs, il conçoit un interféromètre qui est embarqué le 5 juin 1969 à bord du sixième et dernier satellite scientifique américain OGO (Orbiting Geophysical Observatory), dans le cadre d’une étude de la thermosphère.
Au début des années 70, l’Europe spatiale traverse une grave crise, liée principalement aux échecs de l’ELDO (le Centre européen pour la construction de lanceurs d'engins spatiaux). En 1971, Jean-Marie Luton est détaché au Centre national d’études spatiales (CNES) en tant que conseiller spécial de recherche. Il participe ainsi aux négociations de la conférence spatiale européenne, qui aboutissent en 1975 à la création de l’Agence spatiale européenne (ESA), en lieu et place de l’ELDO et l’ESRO (le Conseil européen de recherches spatiales). En 1974, il intègre pleinement le CNES, où il commence sa carrière en tant que chef de la division des programmes de recherche. L’année suivante, il prend la direction de la division Planification et prospective puis, en 1978, il devient directeur des Programmes.
A partir de 1984, avec sa nomination comme directeur général adjoint du CNES, la carrière de Jean-Marie Luton prend une dimension de plus en plus politique. Il mène des actions de négociateur à différents niveaux d’échelle, nationale (entre le CNES et ses filiales, le CNES et les politiques) et européenne (en tant que délégué au Conseil de l’ESA).
Jean-Marie Luton se retrouve alors plongé au cœur des grands temps forts de l’aventure spatiale. Ainsi, après la mise en place en mars 1980 d’Arianespace, la première entreprise commerciale de transport spatial au monde, il représente le CNES au conseil d’administration de l’entreprise.
En mai 1987, il rejoint le groupe français Aerospatiale en tant que directeur des Programmes spatiaux au sein de la Division des systèmes stratégique et spatiaux. Ce n’est toutefois qu’une courte expérience puisque, en février 1989, il est nommé directeur général du CNES puis, en octobre 1990, il devient le quatrième directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), succédant à l’Allemand Reimar Lüst, disparu le 31 mars dernier.
Les sept années durant lesquelles Jean-Marie Luton se trouve à la tête de l’ESA vont être marquées par de beaux succès, comme le lancement de la sonde américano-européenne Ulysses (pour l’étude in situ de l’héliosphère), l’observatoire spatial ISO (pour l’observation de l’Univers dans le domaine de l’infrarouge) ou encore l’observatoire solaire européano-américain SOHO. C’est également durant les « années Luton » que le satellite Envisat est décidé, un ambitieux programme au service de l’observation de la Terre auquel succèderont les actuels Sentinel.
Toutefois, il n’y a pas eu que des succès. Jean-Marie Luton a notamment dû gérer la réorientation et l’abandon en 1992 des ambitieux projets européens MTFF (mini-station orbitale) et Hermes (navette spatiale) ou encore l’échec du vol inaugural d’Ariane 5, le 4 juin 1996, qui a entraîné la perte des quatre satellites scientifiques européens Cluster (pour l’étude de l’interaction du vent solaire et de la magnétosphère terrestre). Un véritable drame qui a néanmoins été surmonté par la reconstruction des satellites et leur lancement en 2000 par un lanceur Soyouz à Baïkonour.
Fin 1992, après l’arrêt du MTFF et d’Hermes, Jean-Marie Luton est confronté à une baisse des budgets. De ce fait, il préconise une restructuration de l’ESA pour renforcer la gestion des programmes et la planification à long terme. Il considère que « L’Europe n’a pas besoin de 14 milliards de dollars par an pour réussir. Ce qu’il faut, c’est qu’elle marche d’un même pas, avec…des moyens raisonnables » (« L’Europe spatiale malmenée », Le Monde, 29 septembre 1993), tout en renforçant les coopérations. Pour cela, il pousse à l’internationalisation des programmes avec les Etats-Unis et la Russie post-soviétique. Avec les premiers, le projet MTFF est reconverti en un module qui rejoindra la future station spatiale internationale (ISS), le laboratoire Columbus. Avec la Russie, un rapprochement s’opère avec l’idée de moderniser la station Mir, de s’engager ensuite dans une station Mir 2, voire la réalisation d’une station orbitale commune. Mais les Etats-Unis court-circuitent les Européens en proposant l’ISS. L’Europe rejoint alors la nouvelle dynamique et s’engage à fournir le module laboratoire Colombus et les cinq véhicules cargo ATV pour ravitailler l’ISS. Les politiques valident cette nouvelle orientation lors du Conseil ministériel de l’ESA à Toulouse en 1995.
Après son départ de l’ESA en juillet 1997, Jean-Marie Luton est nommé président-directeur général d’Arianespace, où il officie pendant cinq ans.Une fois de plus, il déploie ses talents de visionnaire, comme le souligne Stéphane Israël, actuel président exécutif de l’entreprise : « Jean-Marie Luton a été un grand patron d’Arianespace, qu’il a notamment marquée par la gestion de la transition d’Ariane 4 à Ariane 5 et par la décision d’intégrer Soyouz à notre gamme de lanceurs depuis le Centre spatial guyanais ».
En 2002, Jean-Marie Luton cède la direction exécutive d’Arianespace à Jean-Yves Le Gall tout en restant président du Conseil d’Administration. En parallèle, il devient président directeur général de sa filiale Starsem, créée en 1996 avec Roscosmos et TsSKB-Progress pour commercialiser le lanceur russe Soyouz.
Jean-Marie Luton prend sa retraite en 2007, après une belle carrière au service du spatial français et européen. En reconnaissance de son engagement, il est promu Officier de la Légion d’honneur et Commandeur de l’Ordre national du mérite.
A l’annonce de sa disparition, Jean-Yves Le Gall qui, après avoir dirigé pendant onze ans Arianespace, est devenu en 2013 président du CNES et en en 2017 président du Conseil de l’ESA, a déclaré son « immense tristesse » en se rappelant que durant 22 ans, de 1985 à 2007, il avait eu « le privilège considérable de travailler aux côtés du bâtisseur du spatial européen ». Il a souligné que l’action de Jean-Marie Luton « à la tête du CNES, de l’ESA et d’Arianespace a conduit au développement de ces trois entités avec le succès planétaire qu’elles connaissent. Un géant de l’Europe spatiale vient de nous quitter ».
Jean-Yves Le Gall est président du CNES et président du Conseil de l’ESA. Il a dirigé la société Arianespace de 2001 à 2013.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Un autre acteur majeur du spatial français et européen s’est éteint le 16 avril. Jean-Marie Luton avait réussi le Grand Chelem : diriger successivement le CNES, l’ESA et Arianespace.
Né le 4 août 1942 à Chamalières (Puy-de-Dôme), Jean-Marie Luton termine en 1961 ses études d’ingénieur à l’Ecole Polytechnique. Trois ans plus tard, il entre au service d’Aéronomie du CNRS, le premier laboratoire spatial français, spécialisé dans les études de la haute atmosphère et alors dirigé par le professeur Jacques-Emile Blamont.
Au cours de la seconde moitié des années 60, Jean-Marie Luton participe aux dernières grandes campagnes scientifiques françaises menées à l’aide des fusées-sondes, notamment celle de juin 1966 qui s’est déroulée à Hammaguir, dans le Sahara algérien. A cette occasion, il réalise le 15 juin 1966 une expérience d’émission de caesium dans la haute atmosphère avec la fusée-sonde Dragon-22, qui permet d’affiner les modèles de température dans la thermosphère. Par ailleurs, il conçoit un interféromètre qui est embarqué le 5 juin 1969 à bord du sixième et dernier satellite scientifique américain OGO (Orbiting Geophysical Observatory), dans le cadre d’une étude de la thermosphère.
Au début des années 70, l’Europe spatiale traverse une grave crise, liée principalement aux échecs de l’ELDO (le Centre européen pour la construction de lanceurs d'engins spatiaux). En 1971, Jean-Marie Luton est détaché au Centre national d’études spatiales (CNES) en tant que conseiller spécial de recherche. Il participe ainsi aux négociations de la conférence spatiale européenne, qui aboutissent en 1975 à la création de l’Agence spatiale européenne (ESA), en lieu et place de l’ELDO et l’ESRO (le Conseil européen de recherches spatiales). En 1974, il intègre pleinement le CNES, où il commence sa carrière en tant que chef de la division des programmes de recherche. L’année suivante, il prend la direction de la division Planification et prospective puis, en 1978, il devient directeur des Programmes.
A partir de 1984, avec sa nomination comme directeur général adjoint du CNES, la carrière de Jean-Marie Luton prend une dimension de plus en plus politique. Il mène des actions de négociateur à différents niveaux d’échelle, nationale (entre le CNES et ses filiales, le CNES et les politiques) et européenne (en tant que délégué au Conseil de l’ESA).
Jean-Marie Luton se retrouve alors plongé au cœur des grands temps forts de l’aventure spatiale. Ainsi, après la mise en place en mars 1980 d’Arianespace, la première entreprise commerciale de transport spatial au monde, il représente le CNES au conseil d’administration de l’entreprise.
En mai 1987, il rejoint le groupe français Aerospatiale en tant que directeur des Programmes spatiaux au sein de la Division des systèmes stratégique et spatiaux. Ce n’est toutefois qu’une courte expérience puisque, en février 1989, il est nommé directeur général du CNES puis, en octobre 1990, il devient le quatrième directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), succédant à l’Allemand Reimar Lüst, disparu le 31 mars dernier.
Les sept années durant lesquelles Jean-Marie Luton se trouve à la tête de l’ESA vont être marquées par de beaux succès, comme le lancement de la sonde américano-européenne Ulysses (pour l’étude in situ de l’héliosphère), l’observatoire spatial ISO (pour l’observation de l’Univers dans le domaine de l’infrarouge) ou encore l’observatoire solaire européano-américain SOHO. C’est également durant les « années Luton » que le satellite Envisat est décidé, un ambitieux programme au service de l’observation de la Terre auquel succèderont les actuels Sentinel.
Toutefois, il n’y a pas eu que des succès. Jean-Marie Luton a notamment dû gérer la réorientation et l’abandon en 1992 des ambitieux projets européens MTFF (mini-station orbitale) et Hermes (navette spatiale) ou encore l’échec du vol inaugural d’Ariane 5, le 4 juin 1996, qui a entraîné la perte des quatre satellites scientifiques européens Cluster (pour l’étude de l’interaction du vent solaire et de la magnétosphère terrestre). Un véritable drame qui a néanmoins été surmonté par la reconstruction des satellites et leur lancement en 2000 par un lanceur Soyouz à Baïkonour.
Fin 1992, après l’arrêt du MTFF et d’Hermes, Jean-Marie Luton est confronté à une baisse des budgets. De ce fait, il préconise une restructuration de l’ESA pour renforcer la gestion des programmes et la planification à long terme. Il considère que « L’Europe n’a pas besoin de 14 milliards de dollars par an pour réussir. Ce qu’il faut, c’est qu’elle marche d’un même pas, avec…des moyens raisonnables » (« L’Europe spatiale malmenée », Le Monde, 29 septembre 1993), tout en renforçant les coopérations. Pour cela, il pousse à l’internationalisation des programmes avec les Etats-Unis et la Russie post-soviétique. Avec les premiers, le projet MTFF est reconverti en un module qui rejoindra la future station spatiale internationale (ISS), le laboratoire Columbus. Avec la Russie, un rapprochement s’opère avec l’idée de moderniser la station Mir, de s’engager ensuite dans une station Mir 2, voire la réalisation d’une station orbitale commune. Mais les Etats-Unis court-circuitent les Européens en proposant l’ISS. L’Europe rejoint alors la nouvelle dynamique et s’engage à fournir le module laboratoire Colombus et les cinq véhicules cargo ATV pour ravitailler l’ISS. Les politiques valident cette nouvelle orientation lors du Conseil ministériel de l’ESA à Toulouse en 1995.
Après son départ de l’ESA en juillet 1997, Jean-Marie Luton est nommé président-directeur général d’Arianespace, où il officie pendant cinq ans.Une fois de plus, il déploie ses talents de visionnaire, comme le souligne Stéphane Israël, actuel président exécutif de l’entreprise : « Jean-Marie Luton a été un grand patron d’Arianespace, qu’il a notamment marquée par la gestion de la transition d’Ariane 4 à Ariane 5 et par la décision d’intégrer Soyouz à notre gamme de lanceurs depuis le Centre spatial guyanais ».
En 2002, Jean-Marie Luton cède la direction exécutive d’Arianespace à Jean-Yves Le Gall tout en restant président du Conseil d’Administration. En parallèle, il devient président directeur général de sa filiale Starsem, créée en 1996 avec Roscosmos et TsSKB-Progress pour commercialiser le lanceur russe Soyouz.
Jean-Marie Luton prend sa retraite en 2007, après une belle carrière au service du spatial français et européen. En reconnaissance de son engagement, il est promu Officier de la Légion d’honneur et Commandeur de l’Ordre national du mérite.
A l’annonce de sa disparition, Jean-Yves Le Gall qui, après avoir dirigé pendant onze ans Arianespace, est devenu en 2013 président du CNES et en en 2017 président du Conseil de l’ESA, a déclaré son « immense tristesse » en se rappelant que durant 22 ans, de 1985 à 2007, il avait eu « le privilège considérable de travailler aux côtés du bâtisseur du spatial européen ». Il a souligné que l’action de Jean-Marie Luton « à la tête du CNES, de l’ESA et d’Arianespace a conduit au développement de ces trois entités avec le succès planétaire qu’elles connaissent. Un géant de l’Europe spatiale vient de nous quitter ».
Jean-Yves Le Gall est président du CNES et président du Conseil de l’ESA. Il a dirigé la société Arianespace de 2001 à 2013.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
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