Le 30 septembre 1950, Alexandre Ananoff, l’infatigable vulgarisateur de la science astronautique depuis la fin des années vingt, ouvrait à Paris le premier Congrès international d’astronautique, une manifestation devenue un succès planétaire.
Du 30 septembre au 2 octobre 1950, se déroulait à Paris le premier Congrès international d’astronautique (IAC - International Astronautical Congress) et, l’année suivante, se mettait en place la Fédération internationale d’astronautique (IAF - International Astronautical Federation), chargée notamment d’organiser les IAC. Depuis, soixante-dix IAC se sont tenus, offrant chaque année (et dans des lieux différents) la possibilité aux acteurs du spatial de se rencontrer et d’échanger sur les projets et les programmes en cours.
Du 25 mai au 25 novembre 1937 a lieu à Paris l’exposition universelle dite « des Arts et des Techniques appliquées à la vie moderne ». Pour la première fois, la science astronautique est mise en avant en France avec une salle d’exposition dédiée avec des conférences assurées par Alexandre Ananoff, un autodidacte membre de la Société Astronomique de France (SAF) et premier grand vulgarisateur de la « navigation interplanétaire ». Constatant l’engouement du public, celui-ci imagine alors une organisation internationale qui promouvrait cette jeune science et favoriserait les rencontres. Toutefois, son ami André Louis-Hirsch, banquier-mécène membre de la SAF et co-fondateur en 1927-28 (avec Robert Esnault-Pelterie) du Prix international d’Astronautique, l’en dissuade en lui expliquant que « organiser un Congrès international d’Astronautique est une tâche impossible à réaliser et en tous les cas les obstacles seront insurmontables, je puis vous l’assurer ». Louis-Hirsch était conscient du contexte qui, en effet, était peu favorable à une telle manifestation : ainsi, en Allemagne, les militaires avaient mis la main sur les activités de fusée (dont celles de von Braun) ; en URSS, les purges staliniennes faisaient rages, envoyant les spécialistes au goulag (comme Korolev), etc.
La Seconde Guerre mondiale terminée, l’infatigable vulgarisateur Ananoff reprend ses publications et conférences en faveur de l’astronautique. En septembre 1949, en lisant le bulletin n°5, vol. 8 de la British Interplanetary Society, il apprend que, lors d’une récente réunion de la Société Astronautique allemande (Gesellschaft für Weltraumforschung, GfV), est lancée l’idée de créer d’ici un an ou deux à Londres une Fédération internationale de sociétés nationales d’astronautique. Ananoff réagit : il rencontre rapidement plusieurs membres de la GfV (Heinz Gartmann, Eugen Sänger, Rolf Engel) et, habilement, il les convainc de l’importance de faire le premier IAC à Paris et non à Londres. Parmi ses arguments figurent Paris, une ville culturelle rayonnante, un pays qui a produit des écrivains précurseurs (Cyrano de Bergerac, Jules Verne) et des pionniers de l’astronautique (André Bing, Robert Esnault-Pelterie), sans oublier l’invention fin 1927 du mot astronautique par le président de l’Académie Goncourt (Rosny aîné)… Convaincus, les Allemands de la GfV soutiennent Ananoff et, en février suivant, les Britanniques cèdent à la condition que l’IAF soit créée l’année suivante lors du second congrès IAC de Londres. Ananoff organise le congrès en six mois, obtenant même de la Poste un cachet spécial qu’il a lui-même dessiné (une fusée se rendant sur la Lune) – à défaut de parvenir à faire éditer un timbre.
Sous la présidence du mathématicien et astronome Henri Mineur, le congrès s’ouvre le samedi 30 septembre dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne (lieu de prestige souhaité par Ananoff). Parmi les personnalités françaises venant assister au congrès figurent notamment le médecin-général Pierre Bergeret de la Section médico-physiologique de l’armée de l’Air, l’astronome et mathématicien Ernest Esclangon de l’Académie des sciences, le président du Conseil médical de l’Aviation civile et commerciale Paul Garsaux, le directeur scientifique au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) Leo Kowarski, le chimiste Henri Moureu (qui a découvert l’existence du V2 en France en 1944), le directeur de l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérodynamiques) Maurice Roy, le physicien Etienne Vassy du Laboratoire de la physique de l’atmosphère de la Faculté des sciences, le directeur de la Météorologie nationale André Viaut, etc. Huit pays sont alors présents : l’Allemagne, l’Argentine, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne et la Suède. Ananoff n’a cependant pas réussi à faire venir des représentants des Etats-Unis et de l’URSS, son grand regret…
Après avoir rappelé les grandes étapes de l’histoire de l’astronautique et évoqué la question de la propulsion et les futurs voyages dans l’espace, Henri Mineur cède la parole à Alexandre Ananoff qui souligne aux participants qu’ils sont là, notamment, « pour affirmer (…) le désir de voir l’astronautique se placer au-dessus des nations, comme au-dessus des partis, que pour affirmer au monde que leur désir de réaliser la Navigation interplanétaire n’est pas un vain mot et la possibilité d’une exploration lunaire une simple vue d’esprit ».
A l’issue des différents discours, quatre films sont projetés : La femme dans la Lune (Fritz Lang, 1928), Expériences sur les fusées à la Raketenflugplatz (R. Nebel), Les fusées (documentaire sur les V2 tirés par les Américains à White Sands), et Destination Moon (Irving Pichel, 1950, film alors inédit en France).
Les journées des 1er et 2 octobre donnent lieu à des séances privées qui se tiennent dans la salle du conseil de l’Aéro-Club de France. Sous la présidence de l’Allemand Guenter Loeser (GfV), la première matinée est consacrée à la lecture de deux rapports portant l’un sur La psychologie des sociétés de H. H. Kölle (GfV), l’autre sur La fondation d’une Fédération européenne d’astronautique de H. J. Rückert (Société astronautique autrichienne). L’après-midi est abordée la question de la création de la Fédération internationale d’astronautique ; les Britanniques refusent de la créer maintenant, ils tiennent à la voir mise en place à Londres l’année suivante… Le lendemain, un compromis est néanmoins trouvé avec l’établissement d’un « Bureau international pour l’étude et le développement de la navigation interplanétaire » devant préparer la fondation de l’IAF. Parmi les autres résolutions retenues, il y a la promesse de la part des congressistes de se réunir tous les ans.
Le congrès se termine sous les applaudissements.
Plusieurs quotidiens évoquent l’événement comme Le Monde et Le Figaro littéraire qui consacre trois colonnes à la une dans son édition du 14 octobre sous le titre « Je voudrais aller dans la Lune » par Paul Guth ; il en ressort de la curiosité et un engouement certain. D’autres sont acerbes comme le Journal du dimanche qui, dès le 1er octobre, dresse un compte-rendu assassin : « Il faut bien dire que, malgré le cadre solennel – et si peu lunaire – de la Sorbonne, ça ne paraît pas encore très sérieux… Et ce n’est pas demain que nos week-ends se passeront en voyages interplanétaires ! (…) », et soulignant que le film américain diffusé « dépasse en niaiserie tout ce que l’on peut imaginer. A croire que les organisateurs de ce congrès soient déjà dans la Lune ! ». Ces propos ne sont pas ceux de la presse spécialisée qui comme Les Ailes dès le 9 septembre annonce que le congrès sera « comme devant être des plus brillants » car soutenu par « des personnalités éminentes du monde scientifique ». Ce qui a été le cas. De même le 12 octobre, dans les salles de cinéma, Les Actualités françaises diffusent un court reportage sur la question de savoir si « Irons-nous un jour sur la Lune ? ». « Oui ont répondu unanimes plus de 50 astronautes réunis en congrès à la Sorbonne. La preuve de leur certitude, c’est ce film américain qui est encore inédit et qui dévoile scientifiquement les aspects de la grande aventure sidérale… sur l’aire de départ une fusée de type V2 ».
Quant à Ananoff, il reçoit de nombreuses félicitations, à commencer par celles de Wernher von Braun s’excusant de ne pas avoir pu venir et lui soulignant : « Je tiens beaucoup à vous féliciter de tout mon cœur de ce grand succès ! D’après ce que j’ai lu et entendu, c’est grâce à votre idéalisme et votre infatigable énergie que ce premier congrès a pu être réalisé ».
Pour en savoir plus
- Les mémoires d’un astronaute ou l’Astronautique française, Alexandre Ananoff, A. Blanchard, Paris, 1978.
- Alexandre Ananoff, l’Astronaute méconnu, Pierre-François Mouriaux et Philippe Varnoteaux, Ed2A, Paris, 2013.
- Les Actualités Françaises du 12 octobre 1950
- Une vidéo IAF sur le premier Congrès international d’astronautique.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Le 30 septembre 1950, Alexandre Ananoff, l’infatigable vulgarisateur de la science astronautique depuis la fin des années vingt, ouvrait à Paris le premier Congrès international d’astronautique, une manifestation devenue un succès planétaire.
Du 30 septembre au 2 octobre 1950, se déroulait à Paris le premier Congrès international d’astronautique (IAC - International Astronautical Congress) et, l’année suivante, se mettait en place la Fédération internationale d’astronautique (IAF - International Astronautical Federation), chargée notamment d’organiser les IAC. Depuis, soixante-dix IAC se sont tenus, offrant chaque année (et dans des lieux différents) la possibilité aux acteurs du spatial de se rencontrer et d’échanger sur les projets et les programmes en cours.
Du 25 mai au 25 novembre 1937 a lieu à Paris l’exposition universelle dite « des Arts et des Techniques appliquées à la vie moderne ». Pour la première fois, la science astronautique est mise en avant en France avec une salle d’exposition dédiée avec des conférences assurées par Alexandre Ananoff, un autodidacte membre de la Société Astronomique de France (SAF) et premier grand vulgarisateur de la « navigation interplanétaire ». Constatant l’engouement du public, celui-ci imagine alors une organisation internationale qui promouvrait cette jeune science et favoriserait les rencontres. Toutefois, son ami André Louis-Hirsch, banquier-mécène membre de la SAF et co-fondateur en 1927-28 (avec Robert Esnault-Pelterie) du Prix international d’Astronautique, l’en dissuade en lui expliquant que « organiser un Congrès international d’Astronautique est une tâche impossible à réaliser et en tous les cas les obstacles seront insurmontables, je puis vous l’assurer ». Louis-Hirsch était conscient du contexte qui, en effet, était peu favorable à une telle manifestation : ainsi, en Allemagne, les militaires avaient mis la main sur les activités de fusée (dont celles de von Braun) ; en URSS, les purges staliniennes faisaient rages, envoyant les spécialistes au goulag (comme Korolev), etc.
La Seconde Guerre mondiale terminée, l’infatigable vulgarisateur Ananoff reprend ses publications et conférences en faveur de l’astronautique. En septembre 1949, en lisant le bulletin n°5, vol. 8 de la British Interplanetary Society, il apprend que, lors d’une récente réunion de la Société Astronautique allemande (Gesellschaft für Weltraumforschung, GfV), est lancée l’idée de créer d’ici un an ou deux à Londres une Fédération internationale de sociétés nationales d’astronautique. Ananoff réagit : il rencontre rapidement plusieurs membres de la GfV (Heinz Gartmann, Eugen Sänger, Rolf Engel) et, habilement, il les convainc de l’importance de faire le premier IAC à Paris et non à Londres. Parmi ses arguments figurent Paris, une ville culturelle rayonnante, un pays qui a produit des écrivains précurseurs (Cyrano de Bergerac, Jules Verne) et des pionniers de l’astronautique (André Bing, Robert Esnault-Pelterie), sans oublier l’invention fin 1927 du mot astronautique par le président de l’Académie Goncourt (Rosny aîné)… Convaincus, les Allemands de la GfV soutiennent Ananoff et, en février suivant, les Britanniques cèdent à la condition que l’IAF soit créée l’année suivante lors du second congrès IAC de Londres. Ananoff organise le congrès en six mois, obtenant même de la Poste un cachet spécial qu’il a lui-même dessiné (une fusée se rendant sur la Lune) – à défaut de parvenir à faire éditer un timbre.
Sous la présidence du mathématicien et astronome Henri Mineur, le congrès s’ouvre le samedi 30 septembre dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne (lieu de prestige souhaité par Ananoff). Parmi les personnalités françaises venant assister au congrès figurent notamment le médecin-général Pierre Bergeret de la Section médico-physiologique de l’armée de l’Air, l’astronome et mathématicien Ernest Esclangon de l’Académie des sciences, le président du Conseil médical de l’Aviation civile et commerciale Paul Garsaux, le directeur scientifique au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) Leo Kowarski, le chimiste Henri Moureu (qui a découvert l’existence du V2 en France en 1944), le directeur de l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérodynamiques) Maurice Roy, le physicien Etienne Vassy du Laboratoire de la physique de l’atmosphère de la Faculté des sciences, le directeur de la Météorologie nationale André Viaut, etc. Huit pays sont alors présents : l’Allemagne, l’Argentine, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne et la Suède. Ananoff n’a cependant pas réussi à faire venir des représentants des Etats-Unis et de l’URSS, son grand regret…
Après avoir rappelé les grandes étapes de l’histoire de l’astronautique et évoqué la question de la propulsion et les futurs voyages dans l’espace, Henri Mineur cède la parole à Alexandre Ananoff qui souligne aux participants qu’ils sont là, notamment, « pour affirmer (…) le désir de voir l’astronautique se placer au-dessus des nations, comme au-dessus des partis, que pour affirmer au monde que leur désir de réaliser la Navigation interplanétaire n’est pas un vain mot et la possibilité d’une exploration lunaire une simple vue d’esprit ».
A l’issue des différents discours, quatre films sont projetés : La femme dans la Lune (Fritz Lang, 1928), Expériences sur les fusées à la Raketenflugplatz (R. Nebel), Les fusées (documentaire sur les V2 tirés par les Américains à White Sands), et Destination Moon (Irving Pichel, 1950, film alors inédit en France).
Les journées des 1er et 2 octobre donnent lieu à des séances privées qui se tiennent dans la salle du conseil de l’Aéro-Club de France. Sous la présidence de l’Allemand Guenter Loeser (GfV), la première matinée est consacrée à la lecture de deux rapports portant l’un sur La psychologie des sociétés de H. H. Kölle (GfV), l’autre sur La fondation d’une Fédération européenne d’astronautique de H. J. Rückert (Société astronautique autrichienne). L’après-midi est abordée la question de la création de la Fédération internationale d’astronautique ; les Britanniques refusent de la créer maintenant, ils tiennent à la voir mise en place à Londres l’année suivante… Le lendemain, un compromis est néanmoins trouvé avec l’établissement d’un « Bureau international pour l’étude et le développement de la navigation interplanétaire » devant préparer la fondation de l’IAF. Parmi les autres résolutions retenues, il y a la promesse de la part des congressistes de se réunir tous les ans.
Le congrès se termine sous les applaudissements.
Plusieurs quotidiens évoquent l’événement comme Le Monde et Le Figaro littéraire qui consacre trois colonnes à la une dans son édition du 14 octobre sous le titre « Je voudrais aller dans la Lune » par Paul Guth ; il en ressort de la curiosité et un engouement certain. D’autres sont acerbes comme le Journal du dimanche qui, dès le 1er octobre, dresse un compte-rendu assassin : « Il faut bien dire que, malgré le cadre solennel – et si peu lunaire – de la Sorbonne, ça ne paraît pas encore très sérieux… Et ce n’est pas demain que nos week-ends se passeront en voyages interplanétaires ! (…) », et soulignant que le film américain diffusé « dépasse en niaiserie tout ce que l’on peut imaginer. A croire que les organisateurs de ce congrès soient déjà dans la Lune ! ». Ces propos ne sont pas ceux de la presse spécialisée qui comme Les Ailes dès le 9 septembre annonce que le congrès sera « comme devant être des plus brillants » car soutenu par « des personnalités éminentes du monde scientifique ». Ce qui a été le cas. De même le 12 octobre, dans les salles de cinéma, Les Actualités françaises diffusent un court reportage sur la question de savoir si « Irons-nous un jour sur la Lune ? ». « Oui ont répondu unanimes plus de 50 astronautes réunis en congrès à la Sorbonne. La preuve de leur certitude, c’est ce film américain qui est encore inédit et qui dévoile scientifiquement les aspects de la grande aventure sidérale… sur l’aire de départ une fusée de type V2 ».
Quant à Ananoff, il reçoit de nombreuses félicitations, à commencer par celles de Wernher von Braun s’excusant de ne pas avoir pu venir et lui soulignant : « Je tiens beaucoup à vous féliciter de tout mon cœur de ce grand succès ! D’après ce que j’ai lu et entendu, c’est grâce à votre idéalisme et votre infatigable énergie que ce premier congrès a pu être réalisé ».
Pour en savoir plus
- Les mémoires d’un astronaute ou l’Astronautique française, Alexandre Ananoff, A. Blanchard, Paris, 1978.
- Alexandre Ananoff, l’Astronaute méconnu, Pierre-François Mouriaux et Philippe Varnoteaux, Ed2A, Paris, 2013.
- Les Actualités Françaises du 12 octobre 1950
- Une vidéo IAF sur le premier Congrès international d’astronautique.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
"Du 25 mai au 25 novembre 1937 a lieu à Paris l’exposition universelle dite « des Arts et des Techniques appliquées à la vie ... moderne »." C'est à cette occasion que fût ouvert le Palais de la découverte, toujours en activité plus de 80 ans plus tard. plus
"Du 25 mai au 25 novembre 1937 a lieu à Paris l’exposition universelle dite « des Arts et des Techniques appliquées à la vie ... moderne »." C'est à cette occasion que fût ouvert le Palais de la découverte, toujours en activité plus de 80 ans plus tard. plus