Après le lancement des deux premiers Spoutnik, l’Office National d’Etudes et de Recherches Aéronautiques procédait au tir d’une fusée expérimentale, appelée à devenir une fusée-sonde pour l’exploration de la haute atmosphère.
Les 4 octobre et 3 novembre 1957, l’Union Soviétique place coup sur coup sur orbite les deux premiers satellites artificiels de l’histoire. Si ces événements ne provoquent pas de décisions politiques immédiates en France, en revanche la presse et un certain nombre d’analystes se posent des questions comme : « Dans les prochaines années, la France pourrait-elle envoyer un satellite artificiel ? ». Il est encore prématuré d’envisager la construction d’un satellite, néanmoins l’idée de développer une fusée qui pourrait aller dans l’espace devient de plus en plus d’actualité. La question s’est posée en particulier au sein de l’ONERA.
Des maquettes autopropulsées aux fusées technologiques.
Mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le 3 mai 1946, l’ONERA a alors la mission de contribuer à la reconstitution du parc aéronautique civil et militaire. Plusieurs champs d’étude sont engagés dans l’aérodynamique, les propulsions, les matériaux, etc. Les souffleries n’étant, au début, pas assez puissantes, la technique des « maquettes autopropulsées » (volant à des vitesses subsoniques, soniques, supersoniques) permet de tester en vol du matériel aéronautique. Il s’agissait alors de petites fusées équipées d’un ou deux accélérateurs (ou booster) à poudre.
En 1957-58, les études de missiles prennent de l’importance au sein de l’Office. Celles-ci portent sur six domaines principaux : la propulsion en milieu raréfié, le guidage, la navigation, la résistance des matériaux à de hautes températures, la dynamique du vol à grande vitesse et les gouvernes de décollage. Pour toutes ces recherches, il fallait disposer de fusées technologiques plus puissantes à trois étages (ex : fusée-2012, 1958), puis à quatre (ex : Antarès, 1959).
Des fusées technologiques aux fusées-sondes.
Par ailleurs, avec l’arrivée des premiers Spoutnik et le début de la conquête de l’espace, la question de la fusée-sonde – pour explorer la proche banlieue terrestre– devient un sujet qui intéresse, comme s’en souvenait l’ancien ingénieur Paul Lygrisse : « Fin 1957, lorsque l’on a entendu parler des missiles balistiques et des affaires de l’espace, le directeur Maurice Roy était désormais plus intéressé par nos modestes maquettes autopropulsées (…). Il s’est probablement rendu compte qu’il pouvait en tirer parti, surtout lorsqu’on lui a expliqué que l’on pouvait encore les faire évoluer vers des engins à quatre étages (…) » pour en faire des missiles balistiques pour les militaires ou des fusées-sondes pour les scientifiques.
L’expérience du 28 novembre 1957.
En attendant que les politiques soutiennent et financent d’ambitieux programmes de missiles balistiques et/ou de fusées-sondes, l’ONERA tente de convaincre de leur intérêt en procédant le 28 novembre 1957 au tir d’un de ses missiles d’étude : l’ADX. Engin à deux étages, celui-ci a été à l’origine conçu pour emporter un statoréacteur (Ardaltex) à de hautes altitudes (110 à 130 km). Toutefois, pour l’essai du 28 novembre, en lieu et place du statoréacteur, une maquette-autopropulsée de type OPd-220 est montée sur l’ADX en tant que troisième étage. D’une hauteur de 8,20 m pour une masse totale de 828 kg, le nouvel engin dit OPd-220 ADX devenait ainsi une fusée-sonde expérimentale.
Vingt-cinq jours après Spoutnik 2, il décolle avec succès du centre de tir de la Marine de l’île du Levant et, à la vitesse de Mach 2, atteint les frontières de l’espace (70 à 80 km), emportant dans la pointe une sonde atmosphérique. L’ONERA démontre ainsi qu’il lui est désormais possible de développer des fusées-sondes pour des usages scientifiques. Le 6 décembre suivant, le directeur de l’Office, Maurice Roy, se plaît à rappeler lors d’une réunion du Comité d’administration de l’organisme, que le succès du 28 novembre a permis de « réaliser une expérience dans l’atmosphère avec une discipline professionnelle absolument impeccable ».
L’après 28 novembre.
Au cours de l’année 1958, alors que les manifestations de l’AGI (Année géophysique internationale) battent leur plein, l’ONERA annonce que son OPd-220 ADX (amélioré) est désormais prêt à être exploité comme fusée-sonde sous le nom de Daniel. Ce dernier est utilisé pour la première fois le 27 janvier 1959 (île du Levant) pour une mesure de la radioactivité atmosphérique pour le compte du CEA. Avec ce tir, l’ONERA effectua ainsi sa première expérience spatiale, la seconde française (après le tir d’octobre 1954 de Véronique NA-12 du LRBA de Vernon).
Au cours des années 1960, l’Office deviendra un acteur important de la conquête spatiale française. Apportant ses précieuses compétences au CNES (créé en 1961), l’ONERA se transformera en 1963 en Office national d’études et de recherches aérospatiales.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un dossier technique : Daniel, publication interne à l’ONERA, février 1961.
Un article : « 30 années d’études et de développement d’engins autopropulsés à l’ONERA », Ph. Varnoteaux, in Lettre de la 3AF n°10, novembre 2007.
Un site évoquant les fusées de l’ONERA : Les fusées en Europe, Jean-Jacques Serra
Après le lancement des deux premiers Spoutnik, l’Office National d’Etudes et de Recherches Aéronautiques procédait au tir d’une fusée expérimentale, appelée à devenir une fusée-sonde pour l’exploration de la haute atmosphère.
Les 4 octobre et 3 novembre 1957, l’Union Soviétique place coup sur coup sur orbite les deux premiers satellites artificiels de l’histoire. Si ces événements ne provoquent pas de décisions politiques immédiates en France, en revanche la presse et un certain nombre d’analystes se posent des questions comme : « Dans les prochaines années, la France pourrait-elle envoyer un satellite artificiel ? ». Il est encore prématuré d’envisager la construction d’un satellite, néanmoins l’idée de développer une fusée qui pourrait aller dans l’espace devient de plus en plus d’actualité. La question s’est posée en particulier au sein de l’ONERA.
Des maquettes autopropulsées aux fusées technologiques.
Mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le 3 mai 1946, l’ONERA a alors la mission de contribuer à la reconstitution du parc aéronautique civil et militaire. Plusieurs champs d’étude sont engagés dans l’aérodynamique, les propulsions, les matériaux, etc. Les souffleries n’étant, au début, pas assez puissantes, la technique des « maquettes autopropulsées » (volant à des vitesses subsoniques, soniques, supersoniques) permet de tester en vol du matériel aéronautique. Il s’agissait alors de petites fusées équipées d’un ou deux accélérateurs (ou booster) à poudre.
En 1957-58, les études de missiles prennent de l’importance au sein de l’Office. Celles-ci portent sur six domaines principaux : la propulsion en milieu raréfié, le guidage, la navigation, la résistance des matériaux à de hautes températures, la dynamique du vol à grande vitesse et les gouvernes de décollage. Pour toutes ces recherches, il fallait disposer de fusées technologiques plus puissantes à trois étages (ex : fusée-2012, 1958), puis à quatre (ex : Antarès, 1959).
Des fusées technologiques aux fusées-sondes.
Par ailleurs, avec l’arrivée des premiers Spoutnik et le début de la conquête de l’espace, la question de la fusée-sonde – pour explorer la proche banlieue terrestre– devient un sujet qui intéresse, comme s’en souvenait l’ancien ingénieur Paul Lygrisse : « Fin 1957, lorsque l’on a entendu parler des missiles balistiques et des affaires de l’espace, le directeur Maurice Roy était désormais plus intéressé par nos modestes maquettes autopropulsées (…). Il s’est probablement rendu compte qu’il pouvait en tirer parti, surtout lorsqu’on lui a expliqué que l’on pouvait encore les faire évoluer vers des engins à quatre étages (…) » pour en faire des missiles balistiques pour les militaires ou des fusées-sondes pour les scientifiques.
L’expérience du 28 novembre 1957.
En attendant que les politiques soutiennent et financent d’ambitieux programmes de missiles balistiques et/ou de fusées-sondes, l’ONERA tente de convaincre de leur intérêt en procédant le 28 novembre 1957 au tir d’un de ses missiles d’étude : l’ADX. Engin à deux étages, celui-ci a été à l’origine conçu pour emporter un statoréacteur (Ardaltex) à de hautes altitudes (110 à 130 km). Toutefois, pour l’essai du 28 novembre, en lieu et place du statoréacteur, une maquette-autopropulsée de type OPd-220 est montée sur l’ADX en tant que troisième étage. D’une hauteur de 8,20 m pour une masse totale de 828 kg, le nouvel engin dit OPd-220 ADX devenait ainsi une fusée-sonde expérimentale.
Vingt-cinq jours après Spoutnik 2, il décolle avec succès du centre de tir de la Marine de l’île du Levant et, à la vitesse de Mach 2, atteint les frontières de l’espace (70 à 80 km), emportant dans la pointe une sonde atmosphérique. L’ONERA démontre ainsi qu’il lui est désormais possible de développer des fusées-sondes pour des usages scientifiques. Le 6 décembre suivant, le directeur de l’Office, Maurice Roy, se plaît à rappeler lors d’une réunion du Comité d’administration de l’organisme, que le succès du 28 novembre a permis de « réaliser une expérience dans l’atmosphère avec une discipline professionnelle absolument impeccable ».
L’après 28 novembre.
Au cours de l’année 1958, alors que les manifestations de l’AGI (Année géophysique internationale) battent leur plein, l’ONERA annonce que son OPd-220 ADX (amélioré) est désormais prêt à être exploité comme fusée-sonde sous le nom de Daniel. Ce dernier est utilisé pour la première fois le 27 janvier 1959 (île du Levant) pour une mesure de la radioactivité atmosphérique pour le compte du CEA. Avec ce tir, l’ONERA effectua ainsi sa première expérience spatiale, la seconde française (après le tir d’octobre 1954 de Véronique NA-12 du LRBA de Vernon).
Au cours des années 1960, l’Office deviendra un acteur important de la conquête spatiale française. Apportant ses précieuses compétences au CNES (créé en 1961), l’ONERA se transformera en 1963 en Office national d’études et de recherches aérospatiales.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Références
Un dossier technique : Daniel, publication interne à l’ONERA, février 1961.
Un article : « 30 années d’études et de développement d’engins autopropulsés à l’ONERA », Ph. Varnoteaux, in Lettre de la 3AF n°10, novembre 2007.
Un site évoquant les fusées de l’ONERA : Les fusées en Europe, Jean-Jacques Serra
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