Après les vols inauguraux de Gagarine et de Titov en avril et août 1961, les Soviétiques lancent en août 1962, à 24 heures d’intervalle, les cosmonautes Nikolaïev et Popovitch à bord de deux vaisseaux différents.
En 1962, la « bataille des vols habités » fait rage : alors que les Américains effectuent leur premier vol orbital (20 février), les Soviétiques réalisent six mois plus tard le premier vol groupé…
Alors que le Vostok 2 de Titov réalise dix-sept orbites autour de la Terre (contre une seule pour Gagarine), Korolev envisage une nouvelle opération spectaculaire : faire un vol de trois jours en novembre 1961 (Vostok 3). Cependant, le vol de Vostok 2 ayant connu quelques problèmes, des modifications sont apportées au vaisseau (parachute, scaphandre) et, de ce fait, celui de Vostok 3 est reporté à fin décembre-début janvier 1962. Mais le 11 décembre, c’est l’échec du bloc-E de la fusée 8K72 (devant placer sur orbite le premier Zenit 2, version militaire du Vostok), et qui est la même fusée pour lancer Vostok. Le vol est reporté en mars 1962.
En février, deux Vostok sont terminés à l’usine de Korolev, et il est décidé de faire un vol groupé : sept cosmonautes commencent à s’entraîner : Bykovsky, Chonine, Komarov, Nelioubov, Nikolaïev, Popovitch et Volynov. Le 26 avril, si le lancement du deuxième Zenit 2 est un succès, celui du 1er juin est un échec : or, la fusée 8A92 explose sur la plate-forme n°1 (dite Gagarine)… d’où devait décoller les deux Vostok. Après deux mois de réparation, la plate-forme n°1 est prête.
Le 30 juillet, la commission d’Etat fixe la date des lancements aux 9 et 10 août. Le 2 août, cinq cosmonautes partent à Baïkonour (Nikolaïev, doublure Bykovsky, Popovitch, doublure Komarov et Volynov en réserve), et le 7 août la commission d’Etat désigne officiellement Nikolaïev et Popovitch pour voler respectivement à bord des Vostok 3 et 4. Le premier (nom de code Sokol / Faucon) décolle le 11 août à 8h24 UTC depuis Baïkonour et rejoint une orbite de 166 km au périgée et 218 km à l’apogée ; vingt-quatre heures plus tard, le 12 août à 8h02, le second (Berkout / Aigle) suit et est placé sur une orbite quasi similaire. Si l’on en croit les informations orbitales à partir de données soviétiques et d’observations radios faites dans différents pays, les deux vaisseaux semblent avoir navigué à une distance de 6,5 km. L’opération ne pouvait guère être plus précise, les Vostok ne disposant pas de capacité pour effectuer un rendez-vous, ce que les Occidentaux ne savaient pas. Les deux vaisseaux ne pouvaient donc être à portée visuelle, même si au cours d’une conférence Popovitch déclare avoir vu le vaisseau de Nikolaïev qui « ressemblait à une toute petite Lune au loin ».
Outre l’opération orbitale, l’objectif principal de la mission est d’établir un nouveau record de durée dans l’espace, tout en comparant les réactions des deux cosmonautes. Ces derniers doivent également établir des contacts radios entre eux (et avec le sol). Chaque jour, les cosmonautes, équipés de capteurs biométriques, quittent leur siège pour tester leur condition physique et mental en situation de micropesanteur ; une caméra vidéo permet aux observateurs au sol de les suivre et d’analyser leur comportement. Une communication est également établie entre Nikolaïev et Nikita Khrouchtchev, le secrétaire général du Parti communiste. Par ailleurs, un incident émaille le vol de Vostok 4 avec un problème lié au système de survie du vaisseau qui provoque la chute de la température à 10°C, alors que l’agence soviétique Tass affirme que tout se passe bien…
Après un vol de 3 jours et 22 heures (un record), Vostok 3 revient sur Terre le 15 août (au Kazakhstan), suivi six minutes plus tard par Vostok 4, qui a passé 2 jours et 22 heures dans l’espace. Comme Gagarine, les deux cosmonautes s’éjectent de leur capsule peu avant l’atterrissage étant donné que leur vaisseau ne dispose pas de rétrofusées pour cette ultime opération. Procédure cachée à l’époque de Gagarine, elle ne l’est désormais plus, les deux hommes l’avouant même au cours d’une interview, comme l’annonce par exemple La République le 22 août : « Nous n’avons pas atterri dans nos capsules mais en parachute ». Fier, Khrouchtchev leur décerne peu après les honneurs en les reconnaissant « Héros de l’Union soviétique », avec l’attribution de l’Etoile d’Or et de l’Ordre de Lénine.
Ce qui surprend les observateurs français est le degré de précision et de maîtrise du vol. Georges Sourine note dans Aviation de septembre 1962 : « Le premier fait qui a frappé les observateurs occidentaux est l’extrême précision des calculs et des moyens techniques mis en œuvre, qui a permis aux spécialistes soviétiques, à vingt-quatre heures d’intervalle, de placer deux vaisseaux cosmiques sur des orbites à peu près identiques (…). Le « double » réussi par les Soviétique témoigne en même temps de la formidable organisation, - rampes de lancement, installations électroniques, stations d’observations et de repérage, - dont ils disposent au sol. Ceci sans oublier les nombreuses équipes de spécialistes ». L’hebdomadaire Les Ailes ne dit pas autre chose en titrant : « VOSTOK III et IV. L’apesanteur vaincue. Précision inégalée ». Quant aux médias grand public, c’est quasi l’extase devant la réussite soviétique. Ainsi, Le Journal du Dimanche soir titre le 12 août : « FANTASTIQUE ! 2 cosmonautes russes volent côte à côte dans l’espace » ; La Nouvelle République, annonce le 14 août que « DEUX COSMONAUTES RUSSES VOLENT COTE A COTE DANS L’ESPACE ».
La presse américaine salue sportivement l’exploit. Ainsi, le Daily News titre par « 2 REDS CIRCLE IN TWIN ORBITS », le New York Mirror : « 2 Reds Whirl In Space Side-By-Side », le Now York Post : « SPACEMEN GO ON », le Journal American : « RED SPACEMEN KEEP GOING », etc. Mais les Américains n’en sont pas moins inquiets de voir évoluer au-dessus de leur tête deux « hommes rouges » qui les narguent et qui confortent la présence communiste sur l’orbite terrestre. Quant aux officiels américains, ils accueillent l’événement froidement. Ainsi, l’ancien président Eisenhower estime que les Soviétiques « se sont engagés dans des exploits spectaculaires, alors que nous nous sommes surtout intéressés à lancer des satellites qui contribuent aux progrès scientifiques ». Il fait là notamment référence au développement des satellites d’application pour lesquels les Américains sont effectivement en avance (météorologie, communication, observation de la Terre, etc.). De même, von Braun, qui est en train de développer la fusée lunaire Saturn, considère qu’il n’y a pas dans cette expérience de grande avance technique. Plus nuancé, James Webb, l’administrateur de la Nasa, proclame qu’en dépit de l’avance soviétique les Etats-Unis gagneront la course à la Lune…
(Christian Lardier est remercié pour les conseils et précisions qu’il a apportés à l’auteur)
- Un ouvrage général : L’astronautique soviétique, Christian Lardier, A. Colin, 1992.
- Un article : « Après l’exploit des Vostok la Russie a-t-elle maintenu ou augmenté son avance ? », Georges Sourine, in Aviation n°354, 1er septembre 1962.
- Un film de propagande soviétique : « Frères d’étoiles », 1962.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
Après les vols inauguraux de Gagarine et de Titov en avril et août 1961, les Soviétiques lancent en août 1962, à 24 heures d’intervalle, les cosmonautes Nikolaïev et Popovitch à bord de deux vaisseaux différents.
En 1962, la « bataille des vols habités » fait rage : alors que les Américains effectuent leur premier vol orbital (20 février), les Soviétiques réalisent six mois plus tard le premier vol groupé…
Alors que le Vostok 2 de Titov réalise dix-sept orbites autour de la Terre (contre une seule pour Gagarine), Korolev envisage une nouvelle opération spectaculaire : faire un vol de trois jours en novembre 1961 (Vostok 3). Cependant, le vol de Vostok 2 ayant connu quelques problèmes, des modifications sont apportées au vaisseau (parachute, scaphandre) et, de ce fait, celui de Vostok 3 est reporté à fin décembre-début janvier 1962. Mais le 11 décembre, c’est l’échec du bloc-E de la fusée 8K72 (devant placer sur orbite le premier Zenit 2, version militaire du Vostok), et qui est la même fusée pour lancer Vostok. Le vol est reporté en mars 1962.
En février, deux Vostok sont terminés à l’usine de Korolev, et il est décidé de faire un vol groupé : sept cosmonautes commencent à s’entraîner : Bykovsky, Chonine, Komarov, Nelioubov, Nikolaïev, Popovitch et Volynov. Le 26 avril, si le lancement du deuxième Zenit 2 est un succès, celui du 1er juin est un échec : or, la fusée 8A92 explose sur la plate-forme n°1 (dite Gagarine)… d’où devait décoller les deux Vostok. Après deux mois de réparation, la plate-forme n°1 est prête.
Le 30 juillet, la commission d’Etat fixe la date des lancements aux 9 et 10 août. Le 2 août, cinq cosmonautes partent à Baïkonour (Nikolaïev, doublure Bykovsky, Popovitch, doublure Komarov et Volynov en réserve), et le 7 août la commission d’Etat désigne officiellement Nikolaïev et Popovitch pour voler respectivement à bord des Vostok 3 et 4. Le premier (nom de code Sokol / Faucon) décolle le 11 août à 8h24 UTC depuis Baïkonour et rejoint une orbite de 166 km au périgée et 218 km à l’apogée ; vingt-quatre heures plus tard, le 12 août à 8h02, le second (Berkout / Aigle) suit et est placé sur une orbite quasi similaire. Si l’on en croit les informations orbitales à partir de données soviétiques et d’observations radios faites dans différents pays, les deux vaisseaux semblent avoir navigué à une distance de 6,5 km. L’opération ne pouvait guère être plus précise, les Vostok ne disposant pas de capacité pour effectuer un rendez-vous, ce que les Occidentaux ne savaient pas. Les deux vaisseaux ne pouvaient donc être à portée visuelle, même si au cours d’une conférence Popovitch déclare avoir vu le vaisseau de Nikolaïev qui « ressemblait à une toute petite Lune au loin ».
Outre l’opération orbitale, l’objectif principal de la mission est d’établir un nouveau record de durée dans l’espace, tout en comparant les réactions des deux cosmonautes. Ces derniers doivent également établir des contacts radios entre eux (et avec le sol). Chaque jour, les cosmonautes, équipés de capteurs biométriques, quittent leur siège pour tester leur condition physique et mental en situation de micropesanteur ; une caméra vidéo permet aux observateurs au sol de les suivre et d’analyser leur comportement. Une communication est également établie entre Nikolaïev et Nikita Khrouchtchev, le secrétaire général du Parti communiste. Par ailleurs, un incident émaille le vol de Vostok 4 avec un problème lié au système de survie du vaisseau qui provoque la chute de la température à 10°C, alors que l’agence soviétique Tass affirme que tout se passe bien…
Après un vol de 3 jours et 22 heures (un record), Vostok 3 revient sur Terre le 15 août (au Kazakhstan), suivi six minutes plus tard par Vostok 4, qui a passé 2 jours et 22 heures dans l’espace. Comme Gagarine, les deux cosmonautes s’éjectent de leur capsule peu avant l’atterrissage étant donné que leur vaisseau ne dispose pas de rétrofusées pour cette ultime opération. Procédure cachée à l’époque de Gagarine, elle ne l’est désormais plus, les deux hommes l’avouant même au cours d’une interview, comme l’annonce par exemple La République le 22 août : « Nous n’avons pas atterri dans nos capsules mais en parachute ». Fier, Khrouchtchev leur décerne peu après les honneurs en les reconnaissant « Héros de l’Union soviétique », avec l’attribution de l’Etoile d’Or et de l’Ordre de Lénine.
Ce qui surprend les observateurs français est le degré de précision et de maîtrise du vol. Georges Sourine note dans Aviation de septembre 1962 : « Le premier fait qui a frappé les observateurs occidentaux est l’extrême précision des calculs et des moyens techniques mis en œuvre, qui a permis aux spécialistes soviétiques, à vingt-quatre heures d’intervalle, de placer deux vaisseaux cosmiques sur des orbites à peu près identiques (…). Le « double » réussi par les Soviétique témoigne en même temps de la formidable organisation, - rampes de lancement, installations électroniques, stations d’observations et de repérage, - dont ils disposent au sol. Ceci sans oublier les nombreuses équipes de spécialistes ». L’hebdomadaire Les Ailes ne dit pas autre chose en titrant : « VOSTOK III et IV. L’apesanteur vaincue. Précision inégalée ». Quant aux médias grand public, c’est quasi l’extase devant la réussite soviétique. Ainsi, Le Journal du Dimanche soir titre le 12 août : « FANTASTIQUE ! 2 cosmonautes russes volent côte à côte dans l’espace » ; La Nouvelle République, annonce le 14 août que « DEUX COSMONAUTES RUSSES VOLENT COTE A COTE DANS L’ESPACE ».
La presse américaine salue sportivement l’exploit. Ainsi, le Daily News titre par « 2 REDS CIRCLE IN TWIN ORBITS », le New York Mirror : « 2 Reds Whirl In Space Side-By-Side », le Now York Post : « SPACEMEN GO ON », le Journal American : « RED SPACEMEN KEEP GOING », etc. Mais les Américains n’en sont pas moins inquiets de voir évoluer au-dessus de leur tête deux « hommes rouges » qui les narguent et qui confortent la présence communiste sur l’orbite terrestre. Quant aux officiels américains, ils accueillent l’événement froidement. Ainsi, l’ancien président Eisenhower estime que les Soviétiques « se sont engagés dans des exploits spectaculaires, alors que nous nous sommes surtout intéressés à lancer des satellites qui contribuent aux progrès scientifiques ». Il fait là notamment référence au développement des satellites d’application pour lesquels les Américains sont effectivement en avance (météorologie, communication, observation de la Terre, etc.). De même, von Braun, qui est en train de développer la fusée lunaire Saturn, considère qu’il n’y a pas dans cette expérience de grande avance technique. Plus nuancé, James Webb, l’administrateur de la Nasa, proclame qu’en dépit de l’avance soviétique les Etats-Unis gagneront la course à la Lune…
(Christian Lardier est remercié pour les conseils et précisions qu’il a apportés à l’auteur)
- Un ouvrage général : L’astronautique soviétique, Christian Lardier, A. Colin, 1992.
- Un article : « Après l’exploit des Vostok la Russie a-t-elle maintenu ou augmenté son avance ? », Georges Sourine, in Aviation n°354, 1er septembre 1962.
- Un film de propagande soviétique : « Frères d’étoiles », 1962.
Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence
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